Mémoires secrets d’un tailleur pour dames/11

(Auteur présumé)
Gay et Doucé (p. 86-93).
L’actrice, les diamants et le préfet de police

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre


L’ACTRICE, LES DIAMANTS
ET LE PRÉFET DE POLICE

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte



L e baron de Castelroi était éperdument amoureux d’une actrice de Paris.

Celle-ci n’était pas une de nos belles petites, c’était au contraire une femme de talent, sérieuse, économe et surtout pratique comme vous l’allez voir.

C’était au mois de février, à l’époque du bal annuel des artistes dramatiques.

À ce moment, tout le ban et l’arrière-ban de la gent féminine des coulisses, se remuait, s’agitait, se trémoussait, que c’était plaisir à voir.

C’était à qui placerait le plus de billets, à qui aurait la plus belle toilette, le plus de diamants, etc., etc.

Notre actrice voulait être des plus élégantes ; depuis quelques jours elle tourmentait le baron, pour qu’il lui donnât un collier de diamants qui ajoutât de nouveaux feux aux prismes chatoyants de l’enchanteresse.

Hélas ! le baron n’était pas fort riche, mais en revanche, il était marié.

De là, querelles sur querelles ; menaces de rupture.

— Mais, ma chère, j’ai déjà fait d’énormes sacrifices, il m’est de toute impossibilité de dépenser ainsi, que sais-je, quinze ou vingt mille francs !

D’ailleurs, ma belle, vous êtes ravissante ; quelques diamants de plus ou de moins…

— Ah bien ! alors vous me refusez ?

— C’est-à-dire…

— Ah mon cher !

— Mais, ma petite chatte !

— Il n’y a pas de petite chatte : Mademoiselle Pauline a pour cent mille francs de diamants, mademoiselle Diane en a pour plus encore.

— Est-ce qu’elles te valent ?

— Raison de plus, de quoi aurais-je l’air près d’elles.

— De leur souveraine.

— D’une fille des rues, voilà tout !

Mon cher, reprit-elle d’une voix câline, ta femme a pour plus de quarante mille francs de diamants, elle ! !

— Ma femme ! mais ce sont des diamants de famille, les siens.

— De famille, de famille ! Ah ça ! je crois que vous voulez m’insulter ?

Castelroi ne put réprimer un sourire.

— Eh bien, raison de plus ! j’en veux aussi moi des diamants de famille.

— Mon petit baron, reprit la belle qui s’aperçut qu’elle perdait du terrain ; tout çà, c’est des bêtises. Si je ne vais pas au bal, comme il me faut un prétexte pour ne pas y assister, je pars pour la Russie, où l’on m’offre un engagement.

— Ah ! tu ne ferais pas cela ? Eh bien qu’est-ce que je deviendrai moi.

— Peuh !

— Tu me rends fou !

— Tiens, mon petit mignon, reprit-elle en venant s’asseoir sur ses genoux et en retortillant le cosmétique de ses moustaches ; il y a un moyen d’arranger tout cela ! Ta femme est à la campagne, n’est-ce pas ?

— Oui, répondit Castelroi en hésitant.

— Pour combien de temps ?

— Je ne sais pas…, peut-être quinze jours.

— C’est suffisant, prête moi ses diamants ?

Le baron devint pâle !

— Es-tu folle, je te dis que c’est un collier de famille.

— Encore ! Ils n’ont que cela à la bouche avec leurs mijaurées de femmes ; d’abord vous saurez, mon cher, que toutes les rivières se ressemblent !

— Oh se ressemblent, se ressemblent !

— Tu sais ! reprit-elle de nouveau, sur un air résigné, mon petit chien aimé, si je n’ai pas ce collier ce jour là, j’en tomberai malade, c’est sûr et tu seras cause de ma mort.

Castelroi hocha la tête !

— Ma chérie, tu n’y penses pas, ce que tu me demandes est impossible, les diamants de ma femme, mais c’est sacré cela ! ! ! !

— Pour vingt-quatre heures seulement, mon ami ; le bal a lieu demain n’est-ce pas, après demain matin je te les rendrai, et tout sera sauvé. Tu le veux bien, dis ?

Elle se pendait à son cou ;

La femme qui veut est bien forte, l’homme qui aime est bien faible ;

Le baron céda.

Le soir du bal, la Sirène eût un succès fou, et dans un coin son amant jouissait de son triomphe.

Jusque là tout allait à ravir ; le lendemain, il n’en fut plus de même.

Quand le baron se présenta pour reprendre la parure, la comédienne lui répondit :

— Ah ça, est-ce que tu plaisantes ? Tu me les a donnés !

— Jamais, c’eût été une lâcheté.

— Mais rappelles toi donc !

— C’eût été une lâcheté.

— Ah vraiment c’est comme cela, lit la Panthère en se repliant sur elle même : Monsieur le baron, sortez de chez moi, et n’y remettez plus les pieds, vous m’entendez, c’est trop fort.

— Mais rendez moi…

— Les diamants que vous m’avez donnés, dit la Sirène d’une voix sifflante, c’est un souvenir d’amour, je les ai, je les garde ; d’ailleurs, comme dit mon avocat, possession vaut titre.

Le baron, pria, supplia, menaça, tout fut en vain ; il attendit, pensant qu’elle reviendrait à de meilleurs sentiments, ce fut inutile « la porte de la belle resta close ».

On ne daignait même plus le recevoir.

Désespéré il courut chez le Préfet de police : celui-ci était un homme charmant et des plus intelligents ; il l’écouta sans mot dire.

— Vous avez été bien léger, lui dit-il ensuite, mais il ne s’agit pas de vous sermonner, il faut d’abord vous porter secours. Dame, cela me semble bien difficile, cependant nous allons y tâcher : revenez me voir demain, mon cher baron, j’aurai peut-être de bonnes nouvelles ; malgré tout n’espérez pas trop.

Le préfet envoya immédiatement chercher l’artiste. Celle-ci se doutait bien un peu de ce dont il retournait. Elle arriva avec son irrésistible sourire. Inutile d’ajouter qu’elle joua la plus candide ignorance.

— Madame, lui dit le préfet, Monsieur de Castelroi vous a confié les diamants de sa femme : vous refusez de les lui rendre, pourquoi ?

— Mon Dieu, monsieur le préfet, le baron est mon amant ; il m’a fait cadeau d’une rivière de diamants, j’ignore leur provenance, mais quand je le saurais, cela ne ferait encore rien à l’affaire.

— Vous mentez, madame, vous saviez fort bien que ces diamants appartenaient à la baronne, et que son mari, en vous les apportant, se rendait coupable d’un vol. Vous êtes bel et bien sa complice.

— Je ne regarde pas cela au même point de vue, monsieur ; les diamants sont à moi, chez moi, et je les garde. D’ailleurs, quand un homme veut une femme, il la paie. Tous mes amants me paient, c’est ma fortune à moi.

— Ah ! vous le prenez ainsi, madame ? dit le préfet : il sonna un employé.

— Veuillez vous asseoir, madame, dit-il à l’actrice qui s’était levée, je n’ai pas fini avec vous. Allez me chercher dans le bureau une carte, continua-t-il en s’adressant au personnage qu’il avait sonné !

Le préfet se remit à sa correspondance, sans avoir l’air de regarder l’actrice, jusqu’au moment où il eut en main ce qu’il avait demandé.

— Vos nom, prénoms et adresse ? demanda-t-il ensuite brutalement.

— Pourquoi cette question, monsieur ?

— Oh ! pour un motif bien simple, je vais vous mettre en carte, madame, vous m’avez avoué vous-même que vos amants vous payaient ; c’est là votre fortune, m’avez-vous dit ; donc, vous êtes une fille publique et vous appartenez à la préfecture. Oui ! oui ! je comprends, cela pourra vous sembler un peu ennuyeux : il vous faudra venir tous les huit jours passer à la visite…

— Mais, c’est horrible ! ! ! vous n’avez pas le droit de…

— Préférez-vous rendre les diamants ?

— Les diamants, eh bien oui, mais déchirez de suite cette effrayante carte !

— Mon secrétaire va vous accompagner chez vous, madame. En échange de la parure que vous lui remettrez, il anéantira ce morceau de carton.

— Merci et adieu, monsieur.

— Adieu, madame, j’espère que je ne serai pas obligé de vous faire revenir ici.

Le lendemain, le préfet remettait au baron l’écrin qui contenait les bijoux de sa femme.

— Savez-vous, mon cher baron, que ce que j’ai fait était un peu risqué ! bah ! tout est bien qui finit bien.

Quant à vous, grand coupable, allez en paix et ne pêchez plus.


Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, vignette de fin de chapitre
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