Mémoires secrets d’un tailleur pour dames/09

(Auteur présumé)
Gay et Doucé (p. 80-83).
Le mémoire du couturier

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre


LE MÉMOIRE DU COUTURIER

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte



C omment ! je vous dois tout cela !… dix mille francs !… mais où les prendre ?… Mon cher Monsieur, accordez-moi du temps !

— Madame, c’est impossible : mes rentrées ne se font pas ; j’ai un énorme paiement à faire ; et je suis dans le commerce, moi !… Un retard dans une échéance, c’est le déshonneur. Croyez bien qu’il m’a fallu une situation pareille pour que je vienne vous tourmenter ainsi.

— C’est bien, Monsieur, je verrai… je m’arrangerai !…

Le lendemain, la femme, qui est jeune et jolie, revient toute en larmes :

— Mon Dieu ! je suis désolée ; je ne vous apporte pas d’argent ; je n’ose en demander à mon mari !… une pareille somme !…

J’ai été voir plusieurs de mes amies, et je n’ai rien pu trouver.

— J’en suis bien fâché, Madame ; — mais si je ne suis pas soldé demain, je serai obligé de m’adresser à Monsieur votre mari : — j’ai des engagements, moi !

— Mais, Monsieur, je suis perdue, si mon mari sait cela !… lui qui est si économe ! C’est la brouille complète de mon ménage ; mon mari ne me le pardonnera jamais ; ma famille me tournera le dos. Je vous en prie, donnez-moi du temps ; je vous paierai par à-comptes ;… je ne sais pas comment… mais vous serez payé ; je vous le jure !

— Encore une fois, Madame, impossible ; je suis de fer dans ces occasions-là.

— Par grâce, Monsieur…

Et la jeune femme se tordait les mains en tournant ses beaux yeux obscurcis par les larmes, vers son féroce interlocuteur.

— Voyons, vous m’attendrissez : — Je veux faire quelque chose pour vous. — Je vous donne jusqu’à demain.

Quand la jeune femme revint morne et glacée, elle n’apportait pas plus d’argent que la veille.

M. B. prit un air attendri en la voyant.

— Pauvre petite femme ! je ne sais qu’un moyen de vous sauver, c’est de vous adresser à un ami !

— Mais j’ai frappé à toutes les portes.

— Pas à toutes, bien sûr !

Écoutez, je connais un monsieur des plus honorables, riche à plaisir, qui, — j’en suis certain, — serait heureux de vous rendre service.

— Mais je ne connais pas ce monsieur !

— Oui, mais il vous connaît, lui !

Je me porte fort pour lui qu’il vous rendra ce service.

Il n’est plus jeune, c’est vrai, mais il est encore très bien.

— Oh ! Monsieur !…

— Dame ! c’est le seul moyen que votre mari ne sache rien !… Vous conserverez ainsi la paix de votre ménage.

Après de longs pourparlers, la dame consentit.

Rendez-vous fût pris dans le petit salon du tailleur pour dames.

. . . . . . . . . . . . . .

C’est ainsi que fut payée la note, et que de nouveaux costumes furent commandés à l’ingénieux couturier.


Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, vignette de fin de chapitre
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, vignette de fin de chapitre