Mémoires secrets d’un tailleur pour dames/08
COMMENT ON PAIE
SA NOTE
ette anecdote était écrite de la
main de Burth lui-même.
« Depuis longtemps déjà une idée me fermentait dans ce qu’on est convenu d’appeler le cerveau.
» Être, pour un moment, le sigisbé d’une de mes belles petites.
» Leur faire une déclaration, — elles auraient ri… ou se seraient fâchées.
» Il fallait préparer mon coup de longue main, c’est ce que je fis, avec une patience digne de Méphisto.
» J’avais jeté mon dévolu sur la préférée de mes clientes : — La belle marquise Cochonnette.
» Une marquise !… Je m’en pourléchais les babines !…
» Mais voudrait-elle !…
» Bah ! la coquetterie, l’amour de la toilette, sont de puissants auxiliaires.
» Je laissai monter… mais monter la note de la jolie femme.
» Lorsque nous fûmes arrivés au chiffre de soixante mille francs… une bagatelle, — je présentai la facture.
» Impossible de me solder.
» Ni le père, ni le mari, ne voudraient entendre parler de cette somme exorbitante.
» Comment la payer ?
» Je hasardai ma proposition :
» Le madère aidant, — j’avais pris soin de faire apporter dans le petit salon un de ces flacons qui contiennent le soleil des tropiques dans leurs flancs.
» La marquise qui avait commencé par accueillir ma proposition avec un ricanement décourageant finit par grignoter plus méditativement les gâteaux qu’elle humectait du vin de couleur topaze brûlée.
» Elle en arriva à se tourner gracieusement vers moi :
— Vrai, Burth, vous me donneriez quittance ?
— Vrai, parole de gentilhomme, dis-je, en dérobant un baiser.
— Hum, dans ce cas-là… peut-être… pour une fois.
« Nous nous tînmes religieusement parole tous deux.
» Cependant, je ne pus m’empêcher de m’écrier :
— Décidément, marquise, je crois que nous avons fait, l’un et l’autre, un marché de dupes !…
« Cependant, elle me fait toujours faire ses robes ».