Mémoires pour servir à l’histoire de la vie et des ouvrages de Diderot/Notice préliminaire

Mémoires pour servir à l’histoire de la vie et des ouvrages de Diderot
Mémoires pour servir à l’histoire de la vie et des ouvrages de Diderot, par Mme de Vandeul, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierŒuvres complètes de Diderot, I (p. xxvii-xxviii).


NOTICE PRÉLIMINAIRE


Les Mémoires de Mme de Vandeul sur son père sont un des ouvrages où ont le plus puisé les biographes modernes de Diderot. Ils sont en effet écrits avec un accent de vérité que seul M. Jal, dans son Dictionnaire critique, s’est efforcé de ne point voir. Il est vrai que sa thèse pour les condamner consiste à les croire écrits par Mme de Vandeul à la veille de sa mort. « Les pièces que j’ai sous les yeux, dit-il, prouvent que… la mémoire de Mme de Vanduel (sic) n’était pas très fidèle, ce qui n’est pas bien étonnant. À soixante-dix ans cette faculté précieuse fait souvent défaut à ceux-là mêmes qui dans leur jeunesse en ont été le plus doués. » Or ce n’est point en 1823, à soixante-dix ans, que Mme de Vandeul a recueilli ses souvenirs, c’est presque immédiatement après la mort de son père. Son manuscrit circulait à Paris en 1787. Nous avons vu, à propos de l’écrit de Meister, que cet ami de Diderot l’avait eu entre les mains, puisqu’il en a cité textuellement plusieurs passages. Si la France ne l’a connu complètement qu’en 1830, ce n’est pas qu’il fût inconnu ailleurs. L’Allemagne l’avait publié dès 1813, comme on peut le voir dans l’Allgemeiner Zeitschrift von Deutschen für Deutsche, de Schelling, vol. I, cahier ii, p. 145-195. C’était là que M. Depping (1819) avait puisé la plupart de ses renseignements, mais cette publicité fut à ce point non avenue, que M. François Barrière put croire offrir une primeur aux lecteurs de son curieux livre : Tableaux de genre et d’histoire (1828, in-8o), en leur donnant quelques extraits d’un manuscrit de ces Mémoires à lui confié par un ami qu’il ne nomme pas, et que ce manuscrit, lorsqu’il parut intégralement chez Sautelet en 1830 (in-8o, 68 pages) pour être placé en tête des quatre volumes d’Œuvres inédites de Diderot, publiées chez Paulin la même année, fut considéré comme une découverte.

En somme, c’est la seule chose que Marie-Angélique Diderot ait écrite, et cela à un âge où elle devait avoir encore présent à l’esprit tout ce qu’elle avait vu dans la maison de son père. Née en 1753, elle avait en 1787 trente-quatre ans. Elle était restée seule des quatre enfants qu’avait eus Diderot et comme telle elle avait été chérie de lui à l’extrême. Elle lui rend dans ces pages le témoignage d’une piété filiale sincère, mais sans cette pointe d’exaltation qu’on aurait pu y trouver si elle n’avait point été élevée avec prudence et sagesse et maintenue à égale distance des fougues antireligieuses de son père et des superstitions naïves de sa mère. Il semble que par la suite elle ait même eu quelque effroi des doctrines paternelles, puisque Auguis (Préface envoyée de Berlin dans les Conseils du trône, 1823) put lui reprocher de garder trop jalousement les Mémoires de son père et sa Logique ; mais en 1787 elle nous apparaît surtout comme sincère et de tous points véridique, sauf de légères erreurs de chronologie fort explicables.

Ces Mémoires ont reparu en 1841 à la suite des deux volumes in-18, contenant les Lettres à Mlle Voland, publiés chez Garnier frères et H. Fournier, mais ils y étaient écourtés et ils ont été donnés, avec les mêmes suppressions, en tête de l’Esprit de Diderot, in-32, Hetzel, sans date.