Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 108

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 362-363).


CVIII

Où l’on ne comprend plus bien


Et voici le drame, la pointe de drame shakespearien. Ce bout de papier griffonné, chiffonné, est un document d’analyse, d’une analyse que je ne ferai ni dans ce chapitre, ni dans le suivant, ni peut-être dans tout le reste du livre. J’enlèverais sans doute ainsi au lecteur le plaisir de noter la froideur, la perspicacité et le courage qui se révèlent dans ces lignes tracées à la hâte, et de lire au travers la tempête et la fureur dissimulées, le désespoir qui se contraint et qui médite, l’ignorance de la solution finale dans la boue, dans le sang ou dans les larmes.

Quant à moi, si je vous disais que je relus le billet trois ou quatre fois ce jour-là, vous me croirez sans peine. Si je vous affirme que je le relus le jour suivant, avant et après le déjeuner, vous pouvez encore m’en croire, car c’est la vérité pure. Mais si je vous parle de mon émotion, mettez-la quelque peu en quarantaine, et ne l’acceptez que sous bénéfice d’inventaire. Ni alors, ni plus tard je ne pus discerner ce qui se passa en moi. C’était de la crainte, de la douleur, de la vanité, et ce n’en était pas. C’était de l’amour, sans amour, c’est-à-dire sans délire. Et tout cela donnait une combinaison complexe et vague, quelque chose que ni vous ni moi ne sommes capables de comprendre. Supposons donc que je n’aie rien dit.