Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 085

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 301-302).
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LXXXV

Au sommet de la montage


Celui qui échappe à un péril aime la vie avec une recrudescence d’intensité. Je me mis à aimer Virgilia avec une ardeur nouvelle après avoir été sur le point de la perdre, et elle fit de même à mon égard. Ainsi la présidence raviva la passion primitive. Ce fut la drogue qui nous rendit plus cher notre amour et lui donna une plus délectable saveur. Pendant les premiers jours après cette aventure nous imaginions à plaisir quelles eussent été les tristesses de la séparation, de part et d’autre, à mesure que l’océan se fût étendu entre nous comme un tissu élastique. Et semblables à des enfants qui se jettent au cou de leurs mères pour fuir d’une simple grimace, nous fuyions le péril supposé, en nous jetant aux bras l’un de l’autre.

— Ma bonne Virgilia !

— Mon amour !

— Tu m’appartiens, n’est-ce pas ?

— Oh ! oui, je suis à toi…

Et c’est ainsi que nous renouâmes notre intrigue, comme la sultane Scheherazade le fil de ses contes. Ce fut, je crois, le point culminant de notre amour, le sommet de la montagne d’où nous aperçûmes, pendant quelque temps, les vallées de l’est et de l’ouest, et au-dessus de nous, le ciel tranquille et bleu. Ensuite, nous commençâmes à descendre la côte, les mains liées ou détachées l’une de l’autre, mais dans une descente progressive et ininterrompue.