Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 080

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 283-284).


LXXX

Le secrétaire


Le jour suivant, dans la soirée, j’allai effectivement chez Lohbo Neves. Je le trouvai en gaîté, et Virgilia, la mine sombre. Je jurerais qu’elle se sentit consolée quand nos regards se croisèrent, brillants de curiosité et humides de tendresse. Lobo Neves me conta les plans qu’il avait formés pour sa présidence, m’exposa les difficultés locales, ses espérances et ses résolutions. Il était si content, si rempli d’espérances. Virgilia feignit de lire un livre, auprès de la table, mais par-dessus la page, elle me regardait de temps à autre, interrogative et anxieuse.

— Le plus triste, me dit tout à coup Lobo Neves, c’est que je n’ai pas encore trouvé de secrétaire.

— Non ?

— Non ; et il m’est venu une idée.

— Ah !

— Une idée… Que diriez-vous d’une promenade dans le Nord ?

Je ne sais trop ce que je lui répondis.

— Vous êtes riche, continua-t-il. Vous n’avez point besoin d’un maigre salaire. Mais vous me feriez plaisir en m’accompagnant comme secrétaire.

Mon esprit fit un saut en arrière, comme s’il eût découvert un serpent devant lui. Je regardai Lobo Neves, fixement, impérieusement, cherchant à découvrir en lui quelque pensée occulte… Mais non : son regard venait droit et franc, la tranquillité de son visage n’avait rien de forcé ; elle était assaisonnée d’allégresse. Je respirai, et n’eus pas le courage de regarder du côté de Virgilia. Je sentis son regard qui me suppliait par-dessus les pages, et je répondis que oui, que j’étais prêt à l’accompagner. En vérité, un président, une présidente, un secrétaire, c’était résoudre le problème d’une façon administrative.