Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 071

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 259-260).


LXXI

Critique de ce livre


Je commence à me repentir d’avoir commencé ce volume. Ce n’est pas que je me fatigue : au contraire ; je me distrais un peu de l’éternité en envoyant quelques maigres chapitres dans le monde des vivants. Mais c’est une œuvre triste, qui sent le sépulcre. C’est un grave défaut ; mais le pire de tous, ô lecteur, c’est ta hâte de vieillir alors que ma narration, au lieu de galoper, va d’un pas lent. Tu aimes les récits coulants, le style ordonné, tandis que le mien va les ivrognes, de droite et de gauche, ainsi qu’ils font, titubant, s’arrêtant, grognant, criant, riant, menaçant, glissant et tombant.

Car ils tombent. — Et vous aussi, pauvres feuilles de cyprès, vous tomberez tout comme les feuilles des arbres allègres. Et si j’avais encore des yeux, je verserais sur vous un pleur. Mais voilà les avantages de la mort : si l’on n’a plus de bouche pour rire, on n’a pas non plus d’yeux pour pleurer… Oui, vous tomberez, hélas !