Mémoires inédits de l’abbé Morellet/Lettres d’un représentant du peuple


Lettre d’un représentant du peuple.

Pag. 65. « Un de ces brigands, appelé Bernard de Saintes. » On connaîtra le représentant Piochefer Bernard, qui se faisait appeler Bernard de Saintes, quand on aura lu deux de ses lettres.

Piochefer Bernard, représentant du peuple, délégué par la Convention nationale pour les départemens de la Côte-d’Or et Seine-et-Loire.
Dijon, le 17 pluviose, l’an II de la république,
une et indivisible.
Aux sans-culottes de Montbéliard.

« Frères et amis, si la Convention nationale fait insérer dans le bulletin la lettre que je lui écris aujourd’hui, et dans laquelle je me dénonce moi-même pour avoir eu la faiblesse de faire mettre en liberté les reclus de Vésoul, vous y verrez avec plaisir sans doute, que je donne votre pays pour modèle du patriotisme, et que je m’enorgueillis de vous avoir laissés au-dessus de tous vos voisins en ce genre.

» En effet, mes amis, à la honte des anciens Français, je n’ai pas trouvé sur ma route la même énergie, la même culte patriotique qu’à Montbéliard. J’ai vu des croix sur les chemins, des hommes et des femmes sans cocarde nationale, que j’ai fait incarcérer. J’ai vu des prêtres masqués en domino, éclairer en plein midi les morts et les vivans, avec des cierges, des vêpres et autres b**** semblables que vous ne connaissez plus. Je me suis entendu appeler monsieur, et prononcer des vous à toute minute ; et, dans cette étonnante position, je me suis écrié : Où est mon petit Montbéliard qui va si bien ! et j’y ai envoyé tout le monde prendre des leçons de civisme. Cela, ma foi, vous fait bien honneur, et doit vous donner une nouvelle énergie.

» Cependant, arrivé à Dijon, j’y vois avec plaisir le patriotisme et la raison ressusciter ; car la première demande que m’ont faite les corps administratifs, qui sont de ma création, est d’ordonner la fermeture de leurs églises et de chasser les prêtres. Vous sentez que quoique, je ne puisse prendre un pareil arrêté, je trouverai bien le moyen de satisfaire ces braves gens.

» Mon coup d’essai ici a été de prendre gîte dans la maison du Crésus-Micault, président du parlement, et j’ai eu assez bon nez ; car, outre que la cave est meublés de fort bon vin, c’est qu’il s’y est trouvé quelques petites armoiries qui m’ont mis dans le cas de confisquer, au profit de la nation, ce superbe hôtel. J’ai donc fait une bonne capture, qui, j’espère, sera suivie de quelques autres ; et en outre j’envoie chercher le maître à Luxeuil pour le faire juger émigré. Si cela est, 400 mille livres de rente vont tomber dans les coffres de la nation.

» Amis, il ne me reste plus qu’à vous prier de vous maintenir dans votre bonne réputation, et en cela mon amour-propre est de moitié avec le vôtre.

» Salut aux braves républicaines qui, par amour pour la patrie, s’occupent à lui faire des défenseurs. Salut à tous les bons sans-culottes de bonne foi, qui aiment les hommes pour les hommes. Je vous embrasse tous de bon cœur. »

La seconde lettre que nous citerons, et que Bernard trouve lui-même écrite d’un style peu convenable, est adressée au commissaire national du district de l’Eure, et datée du 2 frimaire de l’an second.

« Puisque les Gauthier de Pomoy, dit-il, ont été renvoyés au tribunal révolutionnaire, dépêche-toi de les faire partir pour Paris, il ne faut pas laisser vivre les scélérats, ni jeûner la guillotine.

« Salut et fraternité. »