Mémoires extraits des recueils de l’Académie de Turin/Recherches sur la nature et la propagation du son


RECHERCHES
SUR
LA NATURE ET LA PROPAGATION DU SON.


(Miscellanea Taurinensia, t. I, 1759.)

INTRODUCTION.

Quoique la science du Calcul ait été portée dans ces derniers temps au plus haut degré de perfection, il ne paraît cependant pas qu’on se soit beaucoup avancé dans l’application de cette science aux phénomènes de la Nature. La théorie des fluides, qui est assurément une des plus importantes pour la Physique, est encore très-imparfaite dans ses éléments, malgré les efforts de plusieurs grands hommes qui ont tenté de l’approfondir. Il en est de même de la matière que j’entreprends d’examiner ici, et qu’on peut avec raison regarder comme un des principaux points de cette théorie. Car le son ne consistant que dans de certains ébranlements imprimés aux corps sonores, et communiqués au milieu élastique qui les environne, ce n’est que par la connaissance des mouvements de ce fluide qu’on peut espérer de découvrir sa véritable nature, et de déterminer les lois qu’il doit suivre dans sa propagation.

Newton, qui a entrepris le premier de soumettre les fluides au calcul, a aussi fait sur le son les premières recherches, et il est parvenu à en déterminer la vitesse par une formule qui ne s’éloigne pas beaucoup de l’expérience. Mais si cette théorie a pu contenter les Physiciens, dont la plupart l’ont adoptée, il n’en est pas de même des Géomètres qui, en étudiant les démonstrations sur lesquelles elle est appuyée, n’y ont pas trouvé ce degré de solidité et d’évidence qui caractérise d’ailleurs le reste de ses Ouvrages. Cependant aucun, que je sache, ne s’est jamais attaché à découvrir et à faire connaître les principes qui peuvent les rendre insuffisantes ; encore moins a-t-on entrepris de leur en substituer de plus sûrs et de plus rigoureux[1].

Les Commentateurs des Principes ont à la vérité tâché de rétablir cet endroit par une méthode purement analytique, mais, outre qu’ils n’ont envisagé la question que sous un point de vue tout à fait particulier, leurs calculs sont d’ailleurs si compliqués, et embarrassés dans des suites infinies, qu’il ne paraît pas qu’on puisse en aucune façon acquiescer aux conclusions qu’ils se sont efforcés d’en déduire.

J’ai donc cru qu’il était nécessaire de reprendre toute la question dans ses fondements et de la traiter comme un sujet entièrement nouveau, sans rien emprunter de ceux qui peuvent y avoir travaillé jusqu’à présent.

Tel est l’objet que je me suis proposé dans les Recherches suivantes. Pour le faire mieux connaître, je commence par donner une idée de la théorie de M. Newton, et des difficultés auxquelles elle est sujette.

C’est dans la Section VIII du Livre II des Principes que se trouve renfermée toute cette théorie. L’Auteur considère d’abord la propagation du mouvement dans les fluides élastiques, et la fait consister dans des dilatations et des compressions successives, qui forment comme autant de pulsations, et qui se répandent à la ronde par tout le fluide. Il passe ensuite à examiner comment ces pulsations peuvent être produites par le frémissement des parties d’un corps sonore quelconque. Il imagine pour cela qu’une particule du fluide poussée par les vibrations du corps contigu condense par une certaine distance les particules suivantes, jusqu’à ce que, la condensation étant devenue la plus grande, les mêmes particules commencent à se dilater de part et d’autre, ce qui forme selon lui une infinité de fibres sonores qui partent toutes du même point comme d’un centre commun. Il veut de plus que chacune de ces premières fibres en engendre une autre égale à son extrémité, lorsqu’elle a achevé une oscillation entière, et celle-ci une troisième, et ainsi successivement, de sorte qu’il se forme, pour ainsi dire, autour du corps sonore plusieurs voûtes sphériques, qui aillent toujours en s’élargissant, tout de même comme l’on observe dans les ondes qui s’excitent sur la surface d’une eau tranquille, par l’agitation de quelque corps étranger que ce soit.

Voilà quels doivent être selon cet illustre Auteur les mouvements des particules de l’air qui produisent et propagent le son. Mais M. Newton est encore allé plus loin, il a calculé tous les mouvements particuliers qui composent chacune des pulsations. Pour y parvenir il regarde les fibres élastiques de l’air comme composées d’une infinité de points physiques disposés en ligne droite et à égale distance les uns des autres. La méthode qu’il emploie pour déterminer les oscillations de ces points consiste à les supposer d’abord isochrones et toujours les mêmes dans chacun d’eux. M. Newton prouve ensuite que cette hypothèse s’accorde entièrement avec les lois mécaniques qui dépendent de l’action mutuelle que les points exercent en vertu de leur ressort ; d’où il conclut qu’en effet ces mouvements sont tels qu’il les a supposés, et comme à chaque oscillation il doit s’engendrer selon lui une nouvelle fibre égale et semblable à la première, il trouve l’espace que le son parcourt dans un temps donné, en calculant seulement la durée d’une simple vibration.

M. Jean Bernoulli le fils, dans son excellente Pièce sur la Lumière, a aussi déterminé, d’après les mêmes hypothèses, la vitesse du son ; son procédé diffère pourtant de celui de M. Newton en ce qu’il a d’abord supposé que les vibrations des particules sont parfaitement isochrones, ce que ce grand Géomètre s’était proposé de démontrer. Aussi n’est-il pas surprenant que ces deux Auteurs soient arrivés à la même formule pour la vitesse du son, et l’accord apparent de leurs calculs ne peut être apporté comme une preuve des fondements de la théorie qu’on vient d’exposer[2].

À l’égard des premières propositions sur la formation des libres élastiques, et surtout de leur comparaison avec les ondes, je crois inutile de m’arrêter davantage à les examiner. Car, outre que plusieurs Auteurs en ont déjà fait voir le peu de solidité et l’insuffisance même pour l’explication des phénomènes du son[3], la manière avec laquelle elles sont présentées dans les Principes fait voir évidemment que l’Auteur ne les adoptait que comme de simples hypothèses pour simplifier la nature d’un problème assez composé de lui-même. Et quand même ces hypothèses seraient vraies, ne serait-on pas en droit d’en exiger une démonstration ? Or cette démonstration doit nécessairement dépendre de la résolution générale du problème proposé. Il faut donc avouer que la théorie de M. Newton serait, même à cet égard, bien éloignée de pouvoir entièrement satisfaire à son objet. Mais il y a plus, le théorème dans lequel il détermine les lois des oscillations des particules est fondé sur des principes insuffisants et même fautifs.

Le célèbre M. Euler paraît s’en être aperçu dès l’année 1727, comme l’on voit dans une Thèse sur le Son, soutenue à Bâle la même année. Cependant M. Cramer est, je crois, le premier qui en ait donné une preuve solide et convaincante[4]. Il fait voir que le procédé de M. Newton peut également s’appliquer à démontrer cette autre proposition, savoir : que les particules élastiques suivent dans leurs mouvements les lois d’un corps pesant qui monte et qui tombe librement, ce qui est tout à fait incompatible avec l’isochronisme des oscillations que l’illustre Auteur anglais a prétendu établir. Cette remarque seule paraîtrait suffire pour faire tomber entièrement la théorie en question. Cependant, comme les grands hommes ne doivent être jugés que d’après l’examen le plus exact et le plus rigoureux, on aurait tort de la rejeter avant que d’en avoir démontré l’insuffisance d’une manière qui ne laisse plus rien à désirer.

Voilà le premier pas que j’ai pensé devoir faire en entrant dans les Recherches que je m’étais proposées sur la nature et la propagation du son.

J’ai donc commencé par étudier avec toute l’attention dont j’ai été capable les propositions de M. Newton dont il s’agit, et j’ai trouvé en effet qu’elles sont fondées sur des suppositions incompatibles entre elles, et qui portent nécessairement à faux. C’est ce que j’ai tâché de faire voir par deux voies différentes dans le Chapitre Ier de la Dissertation suivante. Cet objet ainsi rempli, je me suis appliqué à rechercher des méthodes directes et générales pour résoudre le problème proposé, sans employer d’autres principes que ceux qui tiennent immédiatement aux lois connues de la Dynamique.

Pour donner à mes Recherches le plus de généralité qu’il est possible, et pour les rendre en même temps applicables à ce qui se passe réellement dans la nature, j’ai d’abord envisagé la question sous le même point de vue sous lequel tous les Géomètres et les Physiciens l’ont regardée jusqu’ici, et je doute qu’on puisse jamais réduire le problème sur les mouvements de l’air qui produisent le son à un énoncé plus simple que celui-ci, savoir :

Étant donné un nombre indéfini de particules élastiques rangées en ligne droite, qui se soutiennent en équilibre en vertu de leurs forces mutuelles de répulsion, déterminer les mouvements que ces particules doivent suivre dans le cas qu’elles aient été, comme que ce soit, dérangées, sans sortir de la même droite.

Pour en faciliter la résolution, je suppose seulement que les particules sont toutes de même grandeur et douées d’une même force élastique, et, de plus, que leurs mouvements sont toujours infiniment petits : conditions que je ne crois pas pouvoir porter la moindre atteinte à la nature du problème envisagé physiquement.

En examinant les équations trouvées d’après ces seules données, je me suis bientôt aperçu qu’elles ne différaient nullement de celles qui appartiennent au problème de chordis vibrantibus, pourvu qu’on suppose les mêmes corpuscules disposés de la même manière dans un cas que dans l’autre ; d’où il s’ensuit qu’en augmentant leur nombre à l’infini, et diminuant les masses dans la même raison, le mouvement d’une fibre sonore dont les particules élastiques se touchent mutuellement doit être comparé à celui d’une corde vibrante correspondante[5].

Ceci m’a donc conduit à parler des théories que les grands Géomètres, MM. Taylor, d’Alembert et Euler, ont données sur ce sujet. J’expose en peu de mots leurs différends, et les objections que M. Daniel Bernoulli a faites aux deux derniers ; et, après avoir soigneusement examiné les raisons des uns et des autres, j’en conclus que les calculs qu’on a faits jusqu’à présent ne sauraient décider de telles questions, et que c’est nécessairement à la solution générale que nous avons en vue qu’il faut s’en rapporter.

J’entreprends donc cette solution dont l’analyse me paraît en elle-même neuve et intéressante, puisqu’il y a un nombre indéfini d’équations à résoudre à la fois. Heureusement la méthode que j’ai suivie m’a mené à des formules qui ne sont pas fort composées, eu égard au grand nombre d’opérations par où j’ai été obligé de passer. Je considère d’abord ces formules dans le cas où le nombre des corps mobiles est fini, et j’en tire aisément toute la théorie du mélange des vibrations simples et régulières ; que M. Daniel Bernoulli n’a trouvée que par des voies particulières et indirectes. Je passe ensuite au cas d’un nombre infini de corps mobiles, et, après avoir prouvé l’insuffisance de la théorie précédente dans ce cas, je tire de mes formules la même construction du problème de chordis vibrantibus, que M. Euler a donnée, et qui a été si fort contestée par M. d’Alembert. Je donne de plus à cette construction toute la généralité dont elle est capable, et, par l’application que j’en fais, aux cordes de musique, j’obtiens une démonstration générale et rigoureuse de cette importante vérité d’expérience, savoir : que, quelque figure qu’on donne d’abord à la corde, la durée de ses oscillations se trouve néanmoins toujours la même[6].

À cette occasion, je développe la théorie générale des sons harmoniques qui résultent d’une même corde, de même que celle des instruments à vent. Quoique ces deux théories aient été déjà proposées, l’une par M. Sauveur et l’autre par M. Euler, cependant je crois être le premier qui les ait immédiatement déduites de l’analyse.

Je viens maintenant au principal objet de mes Recherches, savoir aux lois de la propagation du son. Je suppose qu’une particule d’air reçoive du corps sonore une impulsion quelconque, je trouve par l’application de mes formules qu’il se communique d’une particule à l’autre un mouvement qui n’est qu’instantané et qui ne dépend en rien de la force du premier ébranlement. La vitesse avec laquelle se fait cette communication est déterminée par la même formule que M. Newton avait déjà donnée pour la vitesse du son, et dont les résultats se trouvent assez conformes à l’expérience. Le calcul me conduit ici à traiter des échos simples et composés, et la théorie que j’établis n’est sujette à aucune des difficultés qui se rencontrent dans l’explication que les Physiciens en ont donnée jusqu’à présent. Ces Recherches sont suivies d’un examen du mélange des sons, et de la manière avec laquelle ils peuvent se répandre dans le même espace sans se troubler ou se confondre en aucune façon. Je tire enfin de mes formules une explication rigoureuse et incontestable de la résonnance et du frémissement naturel des cordes harmoniques au bruit de la principale ; phénomène connu depuis longtemps, et pour lequel on a inventé plusieurs systèmes, sans être parvenu à en donner une raison satisfaisante.

Voilà les principaux objets que j’ai traités dans la Dissertation présente, et que le défaut de temps et quelques autres obstacles imprévus m’ont empêché d’expliquer avec plus d’ordre et de netteté. Je suis bien éloigné de croire qu’elle contienne une théorie complète sur la nature et la propagation du son ; mais ce sera du moins avoir contribué à l’avancement des Sciences physico-mathématiques, que d’avoir démontré par le calcul plusieurs vérités qui avaient jusqu’ici paru inexplicables dans la nature, et l’accord de mes résultats avec l’expérience servira peut-être à détruire les préjugés de ceux qui semblent désespérer que les Mathématiques ne puissent jamais porter de vraies lumières dans la Physique. C’est un des principaux buts que je m’étais proposés pour le présent.


Séparateur

SECTION PREMIÈRE.
recherches sur la nature du son.

CHAPITRE PREMIER.
des oscillations des parties intimes des fluides élastiques.

1. J’entreprends avant tout d’examiner la théorie que M. Newton a renfermée dans la Section VIII du Livre II des Principes mathématiques. Laissant à part toute discussion sur la formation des ondes et des fibres sonores dont on a parlé dans l’Introduction, je m’attache principalement à l’analyse du théorème, dans lequel il prétend établir que chaque particule d’un fluide élastique homogène suit dans ses mouvements les mêmes lois qu’un pendule qui décrit une cycloïde dont la longueur égale l’excursion totale de la particule, et où la pesanteur qui l’anime est équivalente à l’élasticité naturelle du fluide. Pour démontrer que cette proposition est conforme à la vérité, supposons d’abord, dit M. Newton, qu’elle le soit en effet, et voyons ce qui s’ensuivra. Il cherche donc, d’après une pareille supposition, la force accélératrice des particules, et il trouve que cette force est précisément la même qui fait mouvoir un pendule dans des arcs de la cycloïde donnée. Pour faire mieux sentir l’inexactitude et l’insuffisance du procédé qui l’a conduit à cette conclusion, j’ai cru devoir convertir le théorème en problème, en supposant d’abord inconnue ou indéterminée la loi des mouvements qu’on se propose de trouver. Pour cela il n’y a d’autres changements à faire aux propositions de M. Newton que de substituer au lieu du cercle dont les arcs expriment les temps, et les coupées les espaces parcourus, une autre courbe quelconque qui fasse la même fonction.

Je rapporterai donc ici la proposition dont il s’agit, et j’aurai soin de me servir des mêmes expressions de l’Auteur autant qu’il me sera possible.

Propositio XLVII, Lib. II. Problema.

2. Pulsibus per fluidum elasticum propagatis invenire legem, quâ singulæ fluidi particulæ motu reciproco brevissimo euntes, et redeuntes accelerantur, et retardantur.

Designent (fig. 1) pulsuum successivorum æquales

Fig. 1.


distantias, plagam motus pulsuum ab versus propagati ; puncta tria physica medii quiescentis in recta ad æquales ab invicem distantias sita ; spatia æqualia perbrevia, per quæ puncta illo motu reciproco singulis vibrationibus eunt et redeunt ; loca quævis intermedia eorumdem punctorum ; et lineolas physicas, seu medii partes lineares punctis illis interjectas, et successive translatas in loca et Rectæ æqualis ducatur recta et super ipsa describatur curva in se rediens (fig. 2). Per hujus peripheriam totam cum par-

Fig. 2.


tibus suis exponatur tempus totum vibrationis unius, cum ipsius partibus proportionalibus, sic ut completo tempore quovis vel si demittatur ad perpendiculum vel et capiatur æqualis vel punctum physicum reperietur in hac lege punctum quodvis eundo ab per ad et indè redeundo per ad vibrationes singulas peraget,

prout fert natura curvæ propositæ invenienda est hujusmodi curva. In peripheria capiantur æquales arcus vel eam habent rationem ad peripheriam totam, quam habent æquales rectæ ad pulsuum intervallum totum et demissis perpendiculis vel quoniam puncta motibus similibus successive agitantur, et vibrationes suas integras ex itu et reditu compositas interea peragunt dum pulsus transfertur a ad si vel sit tempus ab initio motus puncti erit vel tempus ab initio motus puncti et propterea erunt ipsis in itu punctorum, vel ipsis in punctorum reditu, æquales respective. Unde seu in itu punctorum æqualis erit in reditu autem æqualis sed latitudo est, seu expansio partis medii in loco et propterea expansio partis illius in itu est ad ejus expansionem mediocrem, ut ad in reditu autem ut seu ad Unde vis elastica puncti in loco est ad ejus vim elasticam mediocrem in loco ut ad in itu ; in reditu vero ut ad et eodem argumento vires elasticæ punctorum physicorum et in itu sunt ut et ad [ductis scilicet (fig. 3) perpendiculis quæ intercipiant partes arcus æquales ipsis
Fig. 3.

], et virium differentia ad medii vim elasticam mediocrem, ut ad hoc est ut ad sive ut ad si modo (ob angustos vibrationum limites) supponamus

indefinite minores esse quantitate quare cum quantitas detur, differentia virium est, ut Sed differentia illa (id est excessus vis elasticæ puncti supra vim elasticam puncti ) est vis qua interjecta medii lineola physica acceleratur, et propterea vis acceleratrix lineolæ physicæ est, ut differentia linearum et igitur ex Mechanicæ principiis differentia ista esse debebit, ut fluxio secunda spatii quod describitur a particula posita scilicet fluxione prima temporis constante. Jam vero quoniam ex hypothesi tempora exprimuntur per arcus, et spatia per abscissas respondentes erunt et fluxiones primæ spatiorum adeoque æquabitur fluxioni secundæ spatii vel etiam quod ab illo infinite parum differt ; quum itaque partes arcus æquentur inter se, habebimus ad determinandam curvam sequentem æquationem identicam seu quod nihil indicat.

3. Cette conclusion vague et indéterminée, que nous venons de trouver, nous apprend donc clairement la raison pour laquelle les principes de M. Newton peuvent nous conduire également à des résultats très-différents entre eux, comme M. Cramer l’a ingénieusement démontré dans l’hypothèse que les particules élastiques suivent dans leurs mouvements la même loi que les corps pesants qui montent ou qui descendent alternativement. Mais suivons encore la théorie de M. Newton, et passons à la Prop. XLIX, dans laquelle il détermine le temps que chaque particule doit employer à faire une oscillation entière. Or, comme de la proposition précédente il résulte que toute courbe rentrante peut également exprimer la relation entre les espaces et les temps, on sera aussi bien en droit de substituer au cercle dans cette proposition une courbe quelconque, et d’y appliquer généralement les mêmes raisonnements que M. Newton a faits sur son hypothèse particulière. Soit donc :

Propositio XLIX. Problema.

4. Datis medii densitate et vi elastica, invenire velocitatem pulsuum.

Fingamus medium ab incumbente pondere pro more aeris nostri comprimi, sitque altitudo medii homogenei, cujus pondus adæquet pondus incumbens, et cujus densitas eadem sit cum densitate medii compressi, in quo pulsus propagantur. Constitui autem intelligatur pendulum, cujus longitudo inter punctum suspensionis, et centrum oscillationis sit et quo tempore pendulum illud oscillationem integram ex itu et reditu compositam peragit, eodem pulsus eundo conficiet spatium circumferentiæ circuli radio descripti æquale. Nam stantibus, quæ in Prop. XLVII constructa sunt, si lineola quævis physica singulis vibrationibus describendo spatium urgeatur in loco quovis a vi elastica, quæ eadem omnino sit, quam proposita spatiorum, et temporum scala requirit seu denotante massant, seu pondus lineolæ physicæ peraget hæc vibrationes singulas tempore et oscillationes integras tempore id adeo, quia vires æquales æequalia corpuscula per æqualia spatia simul impellent...... Sed vis elastica, qua lineola physica in loco quovis existens urgetur erat (in demonstratione Prop. XLVII) ad ejus vim totam elasticam, ut ad et vis illa tota, hoc est pondus incumbens, quo lineola comprimitur est ad pondus lineolæ, ut ponderis incumbentis altitudo ad lineolæ longitudinem adeoque ex æquo vis, qua lineola in loco quovis urgetur, est ad lineolæ illius pondus, ut ad hinc vis ista erit ad vim superius inventam ut ad Porro

unde quum ex constructione propositionis antecedentis habeatur

erit etiam

unde proportio virium supra inventa transmutabitur in hanc

Quare cum tempora, quibus æqualia corpora per æqualia spatia impelluntur sint reciproce in subduplicata ratione virium, erit tempus vibrationis unius urgente vi illa elastica, ad tempus in subduplicata ratione

Quum itaque consequentia in hac analogia eadem sint, æqualia esse debebunt et antecedentia ; hinc orietur tempus vibrationis unius lineolæ urgente vi elastica Sed tempore vibrationis unius, ex itu et reditu compositæ pulsus progrediendo conficit latitudinem suam ergo tempus, quo pulsus percurrit spatium erit Tempus autem, quo pulsus percurrit spatium est ad tempus, quo percurret longitudinem circumferentiæ circuli, cujus radius est æqualem in eadem ratione, scilicet, ut (posita scilicet pro ratione circumferentiæ ad radium), adeoque erit hoc tempus sed ex theoria pendulorum reperitur etiam tempus oscillationis unius penduli longitudinis ideoque tempore talis oscillationis pulsus percurret longitudinem huic circumferentiæ æqualem.

5. Voilà donc un nouveau paradoxe déduit des principes de M. Newton, savoir que, quelle que soit la loi des mouvements des particules élastiques, le temps des oscillations est néanmoins toujours le même. Ces deux Propositions que nous venons de détailler, contiennent toute la théorie que cet Auteur a donnée concernant les mouvements de l’air qui font l’objet principal de la Dissertation présente ; c’est pourquoi nous les examinerons ici avec tout le soin possible. Pour peu qu’on réfléchisse sur la nature des démonstrations précédentes, on s’apercevra sans peine que les défauts de cette théorie dépendent moins de l’enchaînement des raisonnements que des principes et des données que l’Auteur adopte tacitement pour la solution du problème. Ces données étant développées se réduisent aux suivantes :

1o Que les mouvements de toutes les particules soient exprimés par le même lieu géométrique, d’où il suit qu’ils doivent être tous d’une même nature ;

2o Que ces particules se communiquent le mouvement dans des temps égaux, en sorte qu’elles viennent toutes à passer successivement par les mêmes degrés de mouvement.

Il est constant qu’on ne peut admettre aucune de ces suppositions, si on n’a auparavant démontré qu’elles sont des conséquences nécessaires des conditions données du problème. Or tant s’en faut que dans notre cas la chose soit ainsi, qu’au contraire ce sont ces mêmes conditions qui détruisent entièrement celles qui dépendent de l’action mutuelle que les parties exercent en vertu de leurs forces répulsives. Pour développer cette difficulté dans toute son étendue, ainsi que l’importance de la matière et l’autorité du grand homme, dont les égarements mêmes nous sont instructifs, semblent l’exiger, je vais donner l’analyse pure et exacte du problème dont il s’agit, telle que peuvent la fournir les premiers principes de Mécanique.

6. Soient, selon les premières suppositions de M. Newton (fig. 1, p. 48), des points physiques qui composent le milieu élastique lorsqu’il est en repos ; soient ensuite parvenus ces mêmes points en de sorte qu’ils restent néanmoins dans la même ligne droite qu’on dénote les espaces rectilignes parcourus et par et supposant que la première distance entre ces points soit égale à on aura

or la force d’élasticité naturelle qui agit entre les points est exprimée par comme il est démontré dans la Prop. XLIX ci-dessus, où dénote le poids de chaque particule, et est la hauteur d’une colonne

homogène du même fluide, dont la pesanteur égale le ressort naturel des particules ; donc, lorsque les points viennent à être transportés en cette force d’élasticité se changera en

pour les points et et en

pour les points et et ainsi de suite ; par conséquent la différence de ces deux forces donnera la force motrice de la particule intermédiaire laquelle se trouvera égal à c’est-à-dire égale à

Mais, comme les particules sont supposées devoir faire des excursions assez petites, les différences et des espaces parcourus s’évanouiront auprès de la quantité d’où il résulte pour la force motrice de la particule

qui est celle qui fait parcourir l’espace De la même manière on trouvera pour les autres particules des expressions des forces motrices toutes semblables à celle-ci ; d’où, si l’on nomme le temps écoulé depuis le commencement du mouvement de la particule et si l’on fait ses différences constantes, on obtiendra par les principes de la Mécanique l’équation suivante qui contient les lois du mouvement de la particule savoir

est l’espace qu’un corps pesant parcourt librement en tombant durant le temps de même on aura pour la particule suivante l’équation

et ainsi des autres.

En général, si l’indice de exprime toujours la place que tient la particule qui parcourt l’espace en comptant depuis la première on trouvera pour le mouvement de la particule, dont le quantième du rang est l’équation générale

Ces équations, comme il est aisé de le voir, sont en même nombre que les particules mobiles dont on cherche les mouvements ; c’est pourquoi, le problème étant déjà absolument déterminé par leur moyen, on est obligé de s’en tenir là, de sorte que toute condition étrangère qu’on voudra introduire ne peut pas manquer de rendre la solution insuffisante et même fautive. Mais pour connaître distinctement quelle atteinte doivent porter à l’Analyse ci-dessus expliquée les hypothèses particulières que M. Newton a imaginées, pour faciliter peut-être le problème, qui de sa propre nature est très-compliqué, nous allons réduire ces hypothèses en formules.

7. Pour cela nous commencerons par remarquer que si est le temps écoulé depuis le commencement du mouvement de la particule il faudra, en vertu de la seconde hypothèse, qu’il se soit écoulé un temps afin que la particule suivante ait pu se mouvoir durant un temps il faudra aussi un temps pour un mouvement semblable de la particule suivante et ainsi pour les autres ; d’où il s’ensuit que, puisque toutes les particules sont supposées suivre les mêmes lois par l’hypothèse première, l’espace parcouru par le point durant le temps sera égal à l’espace parcouru par la particule pendant le temps et que l’espace parcouru par le point pendant le temps sera le même que l’espace parcouru par la particule dans le temps or expriment les espaces parcourus par les particules dans le même temps on aura donc

maintenant si l’on substitue ces valeurs de et de dans l’expression l’équation qui contient le mouvement de la particule se changera en celle-ci

mais

et par conséquent

on aura donc l’équation

ou bien, en négligeant le terme et divisant tout par nous aurons

équation qui, comme on voit, ne contient plus aucune des variables On trouvera par des raisonnements semblables que toutes les autres équations se réduiront encore à celle-ci, laquelle par conséquent pourra être vraie, quelles que soient les valeurs des pourvu que l’on ait Maintenant, si l’on nomme le temps d’une oscillation

entière, on aura (fig. 2 ; p. 48)

par conséquent, par la Prop. XLIX, savoir :

d’où l’on tire

qui se réduit à la même expression que nous avons déjà trouvée pour la mesure du temps dans la Prop. XLIX.

En effet, ayant supposé (4) que la force motrice dans l’échelle est simplement on doit de même ici exprimer les forces motrices des particules par ou bien supposer

Tout ce que nous venons de démontrer suffit assez, ce me semble, pour faire connaître à fond l’insuffisance et la fausseté de la méthode de M. Newton. Nous allons donc chercher une autre voie qui nous mène à une solution du problème dont il s’agit, fondée sur des principes sûrs et incontestables.

8. Pour envisager d’abord la question sous le point de vue le plus simple et le plus général qu’il soit possible, je regarde avec M. Newton les fluides élastiques comme des amas de corpuscules qui se fuient mutuellement selon les lois connues de l’élasticité. Imaginons donc une suite de corps qui aient tous la même masse, et qui soient rangés sur une même ligne droite, à distances égales les uns des autres ; supposons de plus que ces corps se repoussent mutuellement par des forces élastiques qui suivent la raison inverse des distances ; et, pour contenir l’action continuelle de ces forces de répulsion qui tendent sans cesse à écarter les corps les uns des autres, qu’on considère les deux extrêmes comme fixes et immobiles, en sorte que, quelque mouvement qu’on excite dans leur système, il demeure toujours renfermé entre les deux limites données. Maintenant, soit le nombre des corps mobiles égal à leur masse égale à la force du ressort naturel égale à en conservant les autres suppositions ci-dessus (6), on trouvera que les mouvements de tout le système seront contenus dans les équations suivantes :

Ces équations seront au nombre de savoir en même nombre que les corps mobiles, et de plus toutes semblables, excepté la première et la dernière, dans lesquelles les quantités et qui représenteraient selon l’ordre établi les espaces parcourus par le premier et dernier corps, doivent être, à cause de l’immobilité de ces corps, supposées égales à zéro ; la dernière de ces équations se trouvera donc

C’est en intégrant toutes ces équations, et en tirant des valeurs pour chaque inconnue exprimées par la même variable que l’on parviendra à déterminer les mouvements de tous les corps qui composent le système proposé ; mais avant que d’entrer dans ces recherches, il est nécessaire de traiter des causes qui peuvent produire de tels ébranlements dans les parties intimes des fluides élastiques. Nous nous bornerons ici aux cordes vibrantes, dont les mouvements sont plus connus, et qui, peut-être, sont les seuls de cette espèce qui ne se refusent pas à l’analyse.


CHAPITRE II.
des vibrations des cordes.

9. Soit (fig. 4) une corde tant soit peu extensible, et qu’on puisse considérer abstraction faite de sa gravité et de sa roideur ; supposons qu’elle soit attachée fixement aux deux points immobiles et qui la tiennent tendue avec une force égale au poids Soit, de plus, cette corde chargée de tant de corpuscules qu’on voudra, qui aient tous la

Fig. 4.

même masse , et qui soient éloignés les uns des autres par des intervalles égaux Il est évident, par les principes de la Mécanique, que, si les points viennent à être écartés de la ligne droite, en sorte qu’ils décrivent les lignes infiniment petites chacun de ces points sera poussé vers par une force égale à Or, si l’on nomme les excursions des corps et qu’on fasse l’intervalle constant on aura

d’où l’on tire, pour le mouvement du corps , l’équation

on trouvera de même, pour le mouvement du corps suivant , l’équation

et ainsi pour les autres. Par conséquent, si les corps attachés à la corde sont au nombre de on aura en général pour leurs mouvements,

quels qu’ils soient, les équations suivantes :

dont le nombre sera encore et la dernière sera exprimée par

Il est visible que toutes ces équations sont entièrement semblables à celles que nous avons trouvées pour les mouvements des corps élastiques, et qu’il n’y a qu’à faire , pour qu’elles deviennent tout à fait les mêmes ; d’où il s’ensuit que les deux problèmes qui y répondent sont de même nature, et qu’en en résolvant un on résout l’autre en même temps.

10. Imaginons que le nombre des corps, dans l’un et dans l’autre cas, augmente à l’infini et que leurs masses diminuent en même raison : les globules rangés en ligne droite formeront des fibres élastiques, telles qu’on peut les concevoir dans l’air commun, et la corde tendue deviendra une corde uniformément épaisse dans toute sa longueur, comme le sont les cordes de musique ; le même rapport subsistera donc encore entre les oscillations des parties de l’une et de l’autre : par conséquent, la théorie des mouvements des cordes étant connue, on pourra par une simple application en déduire celle des mouvements de l’air qui produisent le son. Ces deux problèmes sont donc liés entre eux, non-seulement par leur nature même, mais encore par les principes d’où dépendent leurs solutions. Comme la matière des vibrations des cordes a déjà été traitée par de grands Géomètres, il sera à propos de rappeler ici en peu de mots les principales méthodes qu’ils ont imaginées pour cela. J’entrerai dans ce détail d’autant plus volontiers que ces Auteurs sont peu d’accord sur les principes et dans les résultats, ce qui pourrait faire douter de la généralité et de la rigueur de leurs solutions.

11. Le premier qui ait tenté de soumettre au calcul le mouvement des cordes vibrantes est le célèbre M. Taylor dans son excellent ouvrage De Methodo incrementorum.

Il suppose d’abord, et il prétend même le démontrer, que la corde doit toujours prendre des figures telles, que tous ses points arrivent en même temps à la situation rectiligne ; d’où il déduit que ces figures ne peuvent être que celles d’une espèce de cycloïdes allongées, qu’il nomme compagnes de la cycloïde. Voici son procédé :

Nommant une abscisse quelconque (fig. 5), et l’ordonnée qui dénote la distance du point de la corde à l’axe dans un temps quel-

Fig. 5.

conque on démontrera par le même raisonnement (9) que la force accélératrice du point vers est exprimée par Soit la longueur de toute la corde, et son poids total, on aura

et par conséquent la force accélératrice en deviendra

Or, afin que toute la corde puisse reprendre sa situation rectiligne, l’Auteur suppose cette force proportionnelle à la distance , que le point doit parcourir ; ainsi, en faisant égale à une ligne quelconque, il obtient l’équation

d’où, en faisant il résulte, par les méthodes connues,

et

équation de la courbe pour un temps quelconque où l’ordonnée est la plus grande. Or, comme le point , en parcourant l’espace , est continuellement poussé par une force accélératrice proportionnelle à l’espace qui reste à parcourir, on aura

d’où, si l’on fait encore, pour abréger, l’on tirera de nouveau

et

équation qui donne pour un temps quelconque le rapport de l’éloignement du point de l’axe à son plus grand éloignement donc, si l’on met au lieu de la valeur de qui convient à la courbe la plus grande et que nous avons trouvée plus haut, il en résultera l’expression générale des pour tous les temps et pour chaque coupée savoir

et telle est l’équation de la corde vibrante dans l’hypothèse de M. Taylor, en supposant qu’elle soit en ligne droite au commencement de son mouvement.

Si la corde eût d’abord eu la figure d’une trochoïde allongée, alors puisque, croissant, diminuerait, on aurait trouvé

exprimerait la figure de la corde au commencement.

Pour déterminer la constante qui entre dans les quantités et on remarquera que doit être égal à zéro, soit que soit égal à zéro, soit que soit égal à , quelle que soit la valeur de . Or, en posant on a d’abord parce que Qu’on fasse donc et si est la raison du rayon du cercle à la circonférence, on sait que , prenant pour un nombre quelconque entier ; c’est pourquoi l’on aura

or

ce qui donne

et par conséquent

12. Cette solution que nous venons d’expliquer, outre qu’elle porte sur l’hypothèse entièrement gratuite que tous les points de la corde s’étendent en même temps en ligne droite, est encore bien éloignée d’être générale, même dans cette hypothèse, puisqu’il faudrait encore démontrer que c’est dans le seul cas des forces accélératrices proportionnelles aux distances des points de la corde à l’axe, que tous ses points peuvent toucher l’axe dans le même instant. C’est pour suppléer à ce défaut que le célèbre M. d’Alembert a imaginé une autre méthode de résoudre le problème de chordis vibrantibus, pris dans le sens le plus général qu’il soit possible. Cette méthode, qui est sûrement une des plus ingénieuses qu’on ait tirées jusqu’ici de l’Analyse, se trouve détaillée dans deux Mémoires que l’Auteur a donnés dans le tome de l’Académie Royale de Prusse dont nous avons fait mention ci-devant. Je ne rapporterai ici que les principes sur lesquels elle est appuyée, et les conséquences qui en résultent pour la théorie en question.

On a vu (11) que la force accélératrice du point en est exprimée généralement par quelle que soit la courbe de la corde tendue donc, puisque cette force tend à faire parcourir au point l’espace elle devra être égale à on aura donc pour l’équation générale de la courbe, dans un temps quelconque ,

Il faut d’abord remarquer dans cette équation que la différentielle du premier membre doit être prise en regardant l' seule comme variable, au lieu que dans la différentielle du second membre c’est le seul temps qui doit varier. Les Géomètres ont coutume de mettre de telles expressions entre deux parenthèses de la manière suivante, afin que l’on puisse juger, par la simple inspection, laquelle des variables doit être changeante dans la différentiation de . Soit, pour abréger, et on aura à intégrer l’équation

Or M. d’Alembert trouve, par une analyse neuve et ingénieuse, que l’équation finie qui répond à celle-ci est

et exprimant des fonctions quelconques des quantités et . Voilà donc quelle sera l’équation générale de la courbe que peut former une corde tendue. À l’égard de la nature des fonctions exprimées par et par elles sont en elles-mêmes indéterminées ; mais,

puisque les deux bouts de la corde sont supposés fixes, il est évident qu’elles doivent satisfaire à ces deux conditions, savoir : que soit égal à zéro lorsque et lorsque quel que soit le temps on aura par là les deux équations

et

il résulte de la première

et ainsi la seconde se change en

laquelle doit être vérifiée par la nature même de la fonction Supposant donc une fonction quelconque qui soit telle, que

quelle que soit la valeur de , on aura généralement pour la corde tendue l’équation

On sait que toute fonction peut être représentée par l’ordonnée d’une courbe, dont l’abscisse soit la variable contenue dans la fonction proposée ; donc, si l’on décrit une courbe quelconque qui ait des ordonnées égales, à toutes les abscisses exprimées par et cette courbe donnera une construction fort simple de l’équation proposée, car on n’aura qu’à prendre les ordonnées qui répondent aux abscisses et dont la différence donnera l’ordonnée de la courbe que forme la corde sonore dans un temps quelconque Or, puisque la fonction doit rester la même, soit qu’on ajoute ou qu’on retranche de

la changeante la quantité si l’on suppose, dans l’équation générale

que le temps soit augmenté de la quantité la valeur de n’en sera en rien dérangée, et ainsi la corde, au bout d’un temps égal à reprendra toujours la figure qu’elle avait au commencement de ce temps ; mais, si la corde dans ses mouvements se trouve une fois étendue en ligne droite, elle reviendra en cette situation après chaque temps qui contiendra un certain nombre de fois exactement le temps on a donc une infinité d’autres courbes différentes de la compagne de la trochoïde allongée, donnée par M. Taylor, qui toutes sont douées de cette propriété, que tous leurs points se retrouvent en même temps dans l’axe. M. d’Alembert a fait ensuite beaucoup de recherches ingénieuses sur la nature de ces courbes, qu’il nomme génératrices, et sur la manière dont elles peuvent être engendrées ; mais comme ces discussions n’ont pas un rapport immédiat au sujet que nous avons en vue, nous nous contenterons de renvoyer le lecteur aux Mémoires cités.

13. M. Euler a traité depuis dans le tome suivant le même problème par une méthode analogue à celle dont nous venons de parler. Il parvient à cette équation

dans laquelle la fonction doit être telle, que

quelle que soit la valeur de ce qui ne diffère pas essentiellement de ce qu’on a trouvé ci-devant. M. Euler conclut de là que toute courbe angui-

forme (fig. 6), continuée de part et d’autre à l’infini par des parties semblables situées alternativement au-dessus
Fig. 6.

et au-dessous de l’axe, sera propre à représenter la fonction soit que cette courbe soit régulière ou qu’elle soit irrégulière. D’où il s’ensuit que, puisque au commencement du mouvement l’équation de la courbe est il suffira de considérer la courbe initiale de la corde quelle qu’elle soit, et si on réitère sa description au-dessous et au-dessus de l’axe de part et d’autre à l’infini, la moitié de la somme des ordonnées, qui répondent aux abscisses dans la courbe composée sera l’ordonnée à l’abscisse dans la courbe de la corde tendue après un temps quelconque

14. Cette construction de M. Euler est évidemment beaucoup plus générale que celle que M. d’Alembert a imaginée, celui-ci ayant toujours supposé que la courbe génératrice soit régulière, et qu’elle puisse être renfermée dans une équation continue. C’est dans cette idée que ce grand Géomètre a cru qu’une telle construction devenait insuffisante toutes les fois que dans la courbe génératrice on n’aurait pas suivi la loi de continuité, et il s’est contenté d’en avertir le public dans une Addition à ses Mémoires, imprimée dans le tome de l’année 1750.

M. Euler a tâché de répondre à cette objection dans le tome pour l’année 1753 ; il reprend ici toute l’analyse du problème, et il soutient constamment contre M. d’Alembert que pour l’exactitude de la construction donnée, il n’est nullement nécessaire d’avoir égard à la loi de continuité dans la fonction qui dépend de la courbe initiale de la corde. Mais comme M. d’Alembert n’a apporté aucune raison particulière pour appuyer son objection, M. Euler n’en a aussi apporté aucune, d’où il suit que la question reste encore indécise. M. d’Alembert promet dans sa nouvelle édition de l’excellent Traité de Dynamique de l’année passée un écrit assez étendu sur cette matière ; mais je ne sais pas s’il a encore vu le jour ; en attendant, qu’il me soit permis de faire sur cette dispute la réflexion suivante.

15. Il est certain que les principes du Calcul différentiel et intégral dépendent de la considération des fonctions variables algébriques ; il ne paraît donc pas qu’on puisse donner plus d’étendue aux conclusions tirées de ces principes que n’en comporte la nature même de ces fonctions. Or personne ne saurait douter que dans les fonctions algébriques toutes leurs différentes valeurs ne soient liées ensemble par la loi de continuité ; c’est pourquoi il semble indubitable que les conséquences, qui se déduisent par les règles du Calcul différentiel et intégral, seront toujours illégitimes dans tous les cas où cette loi n’est pas supposée avoir lieu. Il s’ensuit de là que, puisque la construction de M. Euler est déduite immédiatement de l’intégration de l’équation différentielle donnée, cette construction n’est applicable par sa propre nature qu’aux courbes continues, et qui peuvent être exprimées par une fonction quelconque des variables et Je conclus donc que toutes les preuves qu’on peut apporter pour décider une telle question, en supposant d’abord que l’ordonnée y de la courbe soit une fonction de et comme l’ont fait jusqu’ici M. d’Alembert et M. Euler, sont absolument insuffisantes, et que ce n’est que par un calcul, tel que celui que nous avons en vue, dans lequel on considère les mouvements des points de la corde, chacun en particulier, qu’on peut espérer de parvenir à une conclusion qui soit à l’abri de toute atteinte.

16. Pendant le cours d’une telle dispute entre deux des plus grands Géomètres de notre siècle, il s’est élevé un troisième adversaire contre tous les deux : c’est le célèbre M. Daniel Bernoulli, si avantageusement connu par ses excellents Ouvrages. Celui-ci, dans un Mémoire imprimé parmi ceux de l’Académie Royale de Berlin de l’année 1753, prétend avoir démontré que la solution de M. Taylor de chordis vibrantibus est seule capable de satisfaire à tous les cas possibles d’un tel problème, et il établit cette proposition générale, que, quel que puisse être le mouvement d’une corde tendue, elle ne formera toujours que des trochoïdes allongées, ou bien que sa figure sera un mélange de deux ou plusieurs courbes de cette espèce. Or nous avons trouvé plus haut (11) que, dans l’hypothèse de M. Taylor, l’équation de la corde vibrante est généralement

donc, posant différentes constantes pour et mettant au lieu de les nombres il résulte pour l’équation générale de la corde, selon M. Bernoulli,

L’Auteur déduit cette ingénieuse théorie par une espèce d’induction qu’il tire de la considération des mouvements d’un nombre de corps qui sont supposés former des vibrations régulières et isochrones ; il démontre que s’il n’y a qu’un seul corps, il doit suivre les lois connues de l’isochronisme ; que s’il y en a deux, leurs vibrations peuvent être censées composées de deux vibrations isochrones de la première espèce, et ainsi de suite ; d’où il conclut que l’équation générale rapportée ci-dessus sera propre à exprimer toutes ces espèces de mouvements, en prenant autant de termes qu’il y a de corps ; et que, dans le cas de la corde tendue, le nombre des termes doit être infini ; il appuie de plus son sentiment sur l’expérience qui nous enseigne que d’une même corde il résulte plusieurs sons harmonieux, qui répondent, pour ainsi dire, à chaque terme de son équation. Enfin il étend cette théorie à tous les mouvements réciproques infiniment petits, qui ont lieu dans la nature, et il croit pouvoir en déduire beaucoup de conséquences importantes. Toutes ces choses sont exposées en détail par l’Auteur dans la pièce citée, à laquelle nous renvoyons les lecteurs ; il me suffira d’en avoir donné en général une idée assez nette.

Le dessein de M. Bernoulli était donc de faire voir que les calculs de MM. d’Alembert et Euler ne nous apprenaient rien de plus que ce qu’on pouvait déduire de ceux de M. Taylor, et même que ces calculs, quoique extrêmement simples, pouvaient répandre sur la nature des vibrations des cordes une lumière qu’on attendrait en vain de l’Analyse abstraite et épineuse de ces deux Géomètres.

17. L’un d’eux, savoir M. Euler, s’est hâté de répondre à ces objections dans la même Dissertation citée, qui est imprimée à la suite de celle de M. Bernoulli. Il objecte à son tour à celui-ci que son équation pour la courbe sonore, quoique continuée à l’infini, ne peut cependant exprimer tous les mouvements possibles d’une corde tendue ; car, si l’on pose l’équation de la courbe devient

Par conséquent il faudrait que cette équation renfermât toutes les figures qu’on peut donner à une corde tendue, savoir toutes les courbes possibles, ce qui ne paraît pas être à cause de certaines propriétés qui semblent distinguer les courbes comprises dans cette équation de toutes les autres courbes qu’on pourrait imaginer ; ces propriétés sont les mêmes que M. d’Alembert requiert dans ses courbes génératrices, savoir, qu’en augmentant ou diminuant l’abscisse d’un multiple quelconque de l’axe, la valeur de l’ordonnée ne change point. En effet l’on peut, ce me semble, démontrer que toutes les courbes douées de ces propriétés pourront se réduire à l’équation ci-dessus. D’où il s’ensuit que, quoique M. d’Alembert ait trouvé l’Analyse Taylorienne insuffisante pour en tirer une résolution générale, néanmoins il paraît convenir avec M. Bernoulli dans le fond de la chose, savoir, que le problème ne soit résoluble dans d’autres cas que dans ceux de la trochoïde ou du mélange de plusieurs trochoïdes.

18. On voit de là que les objections de MM. Bernoulli et d’Alembert contre M. Euler, quoiqu’elles diffèrent beaucoup les unes des autres, tiennent néanmoins aux mêmes principes. Au reste, ni M. Bernoulli ni M. Euler n’ont fait voir directement si toutes les courbes que peut former une corde tendue sont comprises ou non dans l’équation rapportée ; car, puisque dans cette équation chaque terme répond, pour ainsi dire, aux mouvements de chaque point de la corde, il eût fallu pour cela donner d’abord une solution générale du problème de la corde vibrante dans l’hypothèse qu’elle fût chargée d’un nombre indéfini de corps ; solution que M. Bernoulli même avoue n’avoir jamais vue, et qu’il croit de plus que personne n’a jamais donnée.

Il résulte de tout cet exposé que l’Analyse que nous avons proposée dans le Chapitre précédent est, peut-être, la seule qui puisse jeter sur ces matières obscures une lumière suffisante à éclaircir les doutes qu’on doit former de part et d’autre. Je vais donc entreprendre cette Analyse, et je tâcherai de la développer dans toute son étendue, non-seulement parce qu’elle doit satisfaire à tous les objets que nous avons ici en vue, mais encore parce qu’elle est, ce me semble, entièrement neuve, puisqu’il s’agit de déterminer les mouvements de tant de corps qu’on en voudra supposer, sans concevoir d’abord qu’il y ait entre eux aucune loi de continuité par laquelle ils soient liés, pour ainsi dire, et contenus dans une même formule.


CHAPITRE III.
solution du problème général proposé dans les chapitres précédents.

19. Soit, pour abréger, on aura (8) les équations suivantes :

Pour intégrer toutes ces équations, on n’a qu’à recourir à la méthode que M. d’Alembert nous a donnée dans les Mémoires de l’Académie Royale de Berlin. On supposera d’abord, selon cette méthode,

ce qui changera les équations différentielles du second ordre dans les suivantes du premier :

Il est à remarquer que les quantités expriment les vitesses des corps qui parcourent les espaces et qu’ainsi il est encore important de déterminer leurs valeurs.

Présentement il faut multiplier toutes ces équations, moins une à volonté, par des coefficients indéterminés, et les ajouter ensuite dans une même somme. Soient les coefficients qui doivent multiplier les dernières équations, et ceux qui multiplient les autres : on aura

où l’on supposera pour plus de facilité le premier coefficient

Soit fait en sorte que le premier membre de cette équation devienne un multiple exact de la différentielle du second ; et supposant un coefficient constant quelconque, on trouvera par la comparaison des termes

ensuite

en substituant dans ces dernières équations les valeurs des tirées des premières, il en résultera

Soit posé et en ordonnant les termes on parviendra aux équations

d’où l’on doit tirer les valeurs des

Pour y parvenir, je considère que, ces équations étant toutes semblables, on peut les exprimer généralement par

posant pour tous les nombres entiers positifs depuis zéro jusqu’à laquelle équation contient évidemment une suite récurrente, dont l’échelle de relation est On aura donc, pour la valeur de l’expression et sont des constantes, et et expriment les racines de l’équation du second degré De cette équation l’on tire

ce qui donne

Pour déterminer les constantes et on fera la comparaison des deux premiers termes, savoir et or est évidemment égal à zéro, puisque l’équation qu’il devrait multiplier ne se trouve pas, et est égal à par supposition ; on aura donc

d’où l’on déduit

ces valeurs étant substituées, il en résultera

Nous avons supposé (8) que le nombre des équations était il faut donc que le coefficient qui aurait multiplié l’équation suivante soit de lui-même égal à zéro ; savoir, il faut que

Voilà l’équation qui nous donnera la valeur de la quantité qui était encore inconnue.

20. Pour résoudre cette équation, j’ai recours au fameux théorème de M. Cotes, par lequel on trouve

en prenant un nombre de facteurs égal à de sorte que le dernier devienne

dénote la circonférence du cercle, dont le rayon est On a donc, dans notre cas,

ce qui donne autant d’équations particulières qu’il y a de facteurs, savoir,

en dégageant ces expressions des radicaux,

Soit un nombre quelconque entier depuis zéro jusqu’à et toutes ces équations se réduiront à celle-ci

si l’on substitue les valeurs trouvées de et (19), elle se change en

d’où l’on tire

ce qui se réduit, par les théorèmes de la multiplication des angles, à

d’où l’on a enfin

21. Je remarque d’abord que la variété des signes dans cette expression de est inutile, parce que, en faisant plus grand que la formule nous redonne les mêmes valeurs que quand était plus petit, mais avec des signes contraires ; on aura donc simplement

posant pour tous les nombres entiers positifs, depuis zéro jusqu’à Par cette valeur générale de on trouvera (18) celle de par le moyen de l’équation

car on aura

par les théorèmes cités, d’où il résulte

On déduira encore de la valeur de celles des quantités et comme il suit :

savoir

d’où l’on tire, en substituant,

laquelle expression se réduit encore, par les mêmes théorèmes ci-dessus, à

22. Toutes ces opérations achevées, retournons à présent sur nos pas pour procéder à l’intégration de l’équation différentielle (19). Soit, pour abréger,

elle deviendra par ce moyen

dont l’intégrale se trouve

est le nombre dont le logarithme hyperbolique est et dénote une constante quelconque, égale à la valeur de qui répond au cas de on aura donc, en restituant au lieu de sa valeur première,

et, puisque

si l’on multiplie toute l’équation par il en résultera

et multipliant encore par et intégrant de nouveau,

Pour déterminer les constantes et soient et les valeurs de et de au commencement du mouvement, lorsque supposons de plus, pour abréger,

on aura d’abord

ensuite, posant dans la dernière équation,

on en tire

donc, en divisant l’équation par on trouvera finalement

ce qui, à cause de se réduit à

soit qu’on prenne dans le signe ou le signe comme nous l’enseignent les expressions exponentielles imaginaires des sinus et cosinus, si familières aujourd’hui aux Géomètres.

23. Cette équation, toute simple qu’elle est, suffit néanmoins pour déterminer les valeurs des inconnues qui sont au nombre de Pour s’en convaincre, on n’a qu’à réfléchir qu’elle contient le nombre indéterminé qui peut avoir les valeurs jusqu’à d’où il résultera autant d’équations. Tout se réduit donc à déterminer, par le moyen de toutes ces équations, les valeurs de chaque inconnue qu’elles contiennent : c’est ce que nous allons entreprendre.

Je commence par mettre au lieu des quantités leurs valeurs trouvées (21), et effaçant le dénominateur commun qui s’évanouit naturellement de l’équation, je pose pour plus de commodité

où les indices de et dénoteront simplement les valeurs particulières de qui leur appartiennent.

Ainsi l’équation générale ci-dessus deviendra

Soit encore, pour abréger

et posant successivement à la place de tous les nombres naturels depuis zéro jusqu’à on aura les équations suivantes

dont le nombre sera

Il faudrait à présent, selon les règles ordinaires, substituer les valeurs des inconnues d’une équation dans les autres successivement, pour arriver à une qui ne contienne plus qu’une seule de ces variables ; mais il est facile de voir qu’en s’y prenant de cette façon on tomberait dans des calculs impraticables à cause du nombre indéterminé d’équations et d’inconnues ; il est donc nécessaire de suivre une autre route : voici celle qui m’a paru la plus propre.

24. Je multiplie d’abord chacune de ces équations par un des coefficients indéterminés en supposant que le premier soit égal à ensuite je les ajoute toutes ensemble : j’ai

Qu’on veuille à présent la valeur d’un quelconque, par exemple de on fera évanouir les coefficients des autres et l’on obtiendra l’équation simple

On déterminera ensuite les valeurs des quantités qui sont en nombre de par les équations particulières qu’on aura en supposant égaux à zéro les coefficients de tous les autres on aura par là l’équation générale

laquelle devra être vraie, quelque nombre positif entier qu’on pose au lieu de depuis jusqu’à excepté .

25. Pour tirer de cette équation les valeurs des quantités D, je remarque d’abord que tout sinus d’un angle multiple se réduit à une suite de puissances entières et positives du cosinus de l’angle simple, dont le plus grand exposant est égal au nombre qui en dénote le multiple diminué de l’unité, toute la suite étant encore multipliée par le sinus de l’angle simple. Donc, si l’on développe de cette façon tous les sinus des angles multiples de et qu’on divise ensuite l’équation par on parviendra à une autre équation, qui ne contiendra que des puissances de et dont le degré sera de là il suit qu’en regardant comme l’inconnue de cette équation, ses racines devront être

excepté

Par conséquent, toute l’équation ne pourra être que le produit continuel des facteurs

en omettant toutefois le facteur intermédiaire

C’est pourquoi, si l’on nomme une constante quelconque, on aura

Le théorème déjà cité de M. Cotes nous donne l’équation

en n’omettant aucun des facteurs intermédiaires ; que l’on compare donc ces facteurs avec ceux de l’équation précédente, en faisant

et l’on aura

d’où, en extrayant les racines, il résulte

et enfin

Par conséquent on aura

De même,

Toutes ces valeurs étant ainsi trouvées, on divisera par ce qui donne

laquelle expression multipliée par devra être égale au premier membre de l’équation trouvée dans cet article ; donc, en ôtant de part et d’autre le diviseur commun on trouvera

équation qui doit être identique.

Si donc on multiplie toute l’équation par et qu’àprès avoir réduit les produits des sinus par les cosinus en simples sinus, on fasse la comparaison des termes, on trouvera les valeurs cherchées des quantités indéterminées Pour faire cette opération plus aisément, commençons par multiplier la suite qui forme le premier membre de l’équation rapportée par en développant chaque produit particulier, et en ordonnant les termes, il viendra

Ensuite, si l’on multiplie la même série par et qu’on retranche ce dernier produit de l’autre, on parviendra à l’équation

On aura donc

d’où l’on doit tirer les valeurs des quantités

Il est visible au premier aspect que les quantités constituent une progression récurrente, dans laquelle, en commençant par le bas, il est

Le terme général de cette suite se trouvera comme ci-dessus (19) exprimé de cette façon

et sont les racines de l’équation du second degré

Pour déterminer les constantes et qu’on pose et on aura

ce qui donne

et par conséquent

Or, si l’on substitue au lieu de et les racines de l’équation proposée, il en résultera, par un procédé semblable à celui du no 25,

d’où

et posant pour plus de commodité

mais

où le signe doit être pris toutes les fois que est un nombre impair, et le signe quand est pair ; on aura donc enfin

et telle est la valeur générale de d’où dépend la résolution des équations du no 23.


26. Reprenons maintenant l’équation du no 24, et substituant dans son second membre les valeurs trouvées des quantités on la réduira d’abord à

À l’égard du premier membre, on remarquera (25) que

Donc, si l’on suppose on aura

mais puisque est un nombre entier, on a donc le dernier membre de l’équation se réduit à Pour en trouver la vraie valeur, soit supposé variable, et différentiant à part le numérateur et le dénominateur de la formule générale

on trouvera

or étant un nombre entier, est égal à le signe supérieur répond à pair, l’inférieur à impair ; on aura donc

et ainsi l’équation précédente deviendra

d’où l’on tire

Voilà donc quelle doit être l’expression générale des qui dénotent les espaces parcourus par chacun des corps dans un temps quelconque

27. Pour connaître plus clairement la nature de l’équation trouvée, on y substituera les valeurs des quantités du no 23, ce qui donnera finalement la formule

les quantités et dépendent de la première

situation des corps et de leurs premières vitesses, selon les suppositions du no 22.

De cette expression de on tirera aisément celle de qui exprime la vitesse avec laquelle l’espace est parcouru ; car puisque on n’aura qu’à différentier l’équation donnée en faisant variable, et on trouvera l’expression suivante :


CHAPITRE IV.
analyse du cas ou le nombre des corps mobiles est fini.

28. Nous regarderons les quantités comme des ordonnées à l’axe (fig. 7), qui est supposé divisé en un nombre de parties égales à et les indices de ces variables exprimeront le quantième de la place qu’elles occupent sur l’axe, en comptant depuis l’extrémité Ainsi le polygone qu’on pourra faire passer par les extrémités de toutes ces ordonnées sera la figure de la corde tendue et chargée à chaque angle d’un poids et il

Fig. 7.

sera en même temps le lieu géométrique des excursions des corps élastiques disposés dans la même ligne droite selon ce qu’on a démontré dans les Chapitres précédents.


Il est d’abord évident que la formule qui donne la valeur de est composée d’une suite de formules telles que

que je dénoterai dorénavant par et sont des constantes qui dépendent du premier état du système des corps, et exprime un nombre quelconque dans la suite naturelle ainsi, si l’on construit un nombre de polygones qui répondent tous à cette expression générale, en y supposant successivement égal à et qu’on prenne le premier pour axe du second, le second pour axe du troisième, et ainsi de suite, le dernier qui sera formé sur tous les autres contiendra les vraies valeurs de toutes les variables d’où l’on voit que les mouvements rectilignes des corps qui parcourent les espaces pourront être censés composés d’autant de mouvements particuliers qu’il y a de corps mobiles.

Examinons de plus près la composition de ces mouvements.

29. Soit posé on aura les deux équations

qui détermineront les points où chacun des polygones simples pourra couper son propre axe. Il est visible que la première aura lieu toutes les fois que sera égal à zéro ou à un nombre entier quelconque ; soit donc un tel nombre, on aura

laquelle valeur de satisfera toujours, quel que soit le temps

Soit on aura

d’où il s’ensuit que le polygone ne pourra rencontrer l’axe que dans ses deux extrémités et il sera donc tout au-dessus ou au-dessous de lui, comme on voit fig. 7, p. 91.

Soit on aura

le polygone coupera donc l’axe au milieu et il aura par conséquent une moitié au-dessus et l’autre au-dessous, comme dans la fig. 8.

Fig. 8

Soit on aura

et le polygone rencontrera l’axe deux fois et le divisera en trois parties

égales ; il aura donc une figure semblable à celle qu’on voit fig. 9, et
Fig. 9.

ainsi de suite. D’où l’on conclura que les polygones auront toujours autant de ventres d’égale longueur qu’il y a d’unités dans le nombre

30. Présentement, si l’on s’attache à la seconde équation, on trouvera en la réduisant

Posons, pour abréger,

on en tirera

équation qui pourra être vraie quel que soit le nombre parce qu’il n’y entre point ; d’où il suit que les polygones ne peuvent jamais couper leurs axes en d’autres points que dans ceux que nous avons déterminés ci-dessus, à moins qu’ils ne se confondent entièrement avec les axes mêmes, ce qui arrivera toutes les fois que aura la valeur assignée. Or, comme il y a une infinité d’arcs qui répondent tous aux mêmes sinus, la quantité pourra aussi recevoir une infinité de valeurs. Pour les trouver, soient le moindre arc qui répond au sinus et un nombre quelconque

entier, on aura généralement

il résulte donc de cette formule qu’après que le polygone se sera pour la première fois étendu en ligne droite, il retournera dans cet état à chaque intervalle de temps exprimé par qu’on devra par conséquent regarder comme le temps d’une oscillation entière, d’où l’on voit que ces temps, toutes choses d’ailleurs égales, seront en raison inverse de donc le temps d’une vibration pour la première figure sera à celui de la seconde, de la troisième … comme est à comme est à

31. Les lois des mouvements de chacun des polygones simples nous feront aisément connaître par leur combinaison ceux du polygone composé. Nous venons de voir que le premier polygone qui a pour axe la droite n’a qu’un seul ventre, et que ses vibrations s’achèvent dans un temps proportionnel à que le second, qui a pour axe celui-ci, contient deux ventres, et qu’il emploie dans chaque vibration un temps proportionnel à et ainsi de suite. Il s’ensuit de là que, puisque ces temps sont presque toujours incommensurables entre eux, il arrivera très-rarement que le polygone composé s’étende tout en ligne droite ; c’est pourquoi ses vibrations paraîtront tout à fait irrégulières, quoiqu’elles soient composées d’un nombre de vibrations simples, régulières et isochrones en elles-mêmes.

32. Cette théorie générale, que nous avons immédiatement déduite de nos formules, appliquée aux mouvements des cordes vibrantes, est la même que M. Daniel Bernoulli a inventée sur ce sujet, comme on l’a exposé dans le Chapitre II ; si donc ce grand homme a pu croire qu’une solution purement analytique était en elle-même incapable de faire connaître la véritable nature de ces mouvements, ces recherches pourront ouvrir une route nouvelle pour faire des applications de calcul à des sujets qui n’en paraissaient pas susceptibles, et servir à perfectionner l’Analyse. Au reste, on ne peut trop estimer la sagacité et la pénétration de ce célèbre Géomètre, qui, par un pur examen synthétique de la question proposée, est parvenu à réduire à des lois simples et générales des mouvements qui semblent s’y refuser par leur nature.

33. Avant que d’abandonner cette matière, examinons encore les cas où les vibrations composées peuvent devenir simples et régulières.

Il est visible que ceci arrivera toutes les fois que sera égal à savoir quand tous les termes exprimés généralement par se réduiront à un seul quel qu’il soit. Soit le quantième du terme restant, on aura (27)

ensuite il faudra que

excepté et de même

excepté d’où l’on tirera les conditions requises dans le premier état du système, afin que les vibrations des corps suivent les lois proposées. On aura donc ces deux équations :

qui devront se vérifier, quelque nombre qu’on pose au lieu de depuis jusqu’à excepté

Que l’on compare maintenant cette équation avec celle du no 24, il est évident qu’en substituant au lieu de et au lieu de les quantités et seront déterminées de la même manière que les quantités c’est pourquoi l’on trouvera généralement

et sont deux constantes arbitraires, qu’on pourra déterminer par la valeur de deux termes quelconques de la suite des et des Supposant donc que les deux premières quantités et soient données, on aura

d’où l’on tire enfin

le signe supérieur répond à impair, et l’inférieur à pair.

Telles sont les valeurs qu’il faudra donner d’abord aux vitesses et aux éloignements des corps, afin que le système souffre des vibrations simples et régulières, suivant les lois de l’espèce ième qui contient ventres, et dont le temps d’une oscillation entière est toujours exprimé par

On peut prendre dans ces formules le nombre égal à d’où il s’ensuit qu’on peut donner à tout le système autant d’arrangements différents, qui néanmoins seront tous propres à produire tant le synchronisme que l’isochronisme des corps.

Ce problème a été déjà résolu par quelques Géomètres dans le cas d’un nombre de corps déterminé, mais la route qu’ils ont prise les a toujours conduits à des équations d’un degré égal au nombre des corps mobiles, dont il fallait par conséquent chercher les racines dans chaque cas particulier ; je ne crois pas qu’on ait jamais donné pour cela une formule générale, telle que nous venons de la trouver.


CHAPITRE V.
analyse du cas ou le nombre des corps mobiles est infini.

34. La théorie du mélange des vibrations simples et régulières que nous venons d’établir découle de la forme même des équations trouvées. Or cette forme subsistera toujours, tandis que le nombre des corps mobiles sera fini, savoir, quand sera un nombre fini ; mais sera-t-il aussi vrai que la supposition de infini ne défigure pas, pour ainsi dire, l’équation, et n’en altère pas entièrement la forme ? C’est ce que nous allons examiner dans ce Chapitre.

Il est évident qu’en faisant les angles deviendront infiniment petits, et que leurs sinus ne différeront pas des arcs qui leur appartiennent ; ainsi on aura

donc la formule qui donne la valeur de se changera en celle-ci

On aura de même dans ce cas

35. Soient infiniment petites les masses des corps, en sorte que leur somme soit finie et égale à on aura de plus, si exprime la longueur de l’axe on aura encore d’où

donc la quantité qui est égale à (19), deviendra égale à et par conséquent

ou bien, puisque il sera

qui est une quantité finie et toute connue qu’on supposera, pour abréger, égale à

36. Supposons que le rapport des nombres et soit égal à exprimera l’abscisse dans l’axe à laquelle répondra l’ordonnée de même que la vitesse on aura donc et faisant de plus constante et égale à on aura toutes ces valeurs substituées dans les formules ci-dessus, on obtiendra généralement

et de même

37. Présentement il faut substituer dans ces formules les expressions des quantités d’où, en ordonnant les termes par les quantités connues on trouvera autant de suites infinies, dont chacune sera multipliée par une de ces quantités.

Soit la raison générale des indices des et des au nombre dénotera la partie de l’axe qui leur est correspondante dans le premier état du système ; donc, si l’on emploie le signe intégral pour exprimer la somme de toutes ces suites, on aura

et de même pour

où il est à remarquer que les intégrations doivent se faire en supposant et variables, et et constantes.

38. Si on réfléchit maintenant sur ces formules, on s’apercevra que la première partie de l’expression de et la seconde partie de l’expression de qui ne diffèrent entre elles que par rapport aux quantités et seront sommables au moyen de la formule trouvée (25). Qu’on suppose donc, pour simplifier le calcul, que les quantités s’évanouissent dans la formule de et les quantités dans celle de ce qui réduit le problème aux seuls cas considérés jusqu’à présent dans les cordes vibrantes ; et on pourra se contenter de faire le calcul pour la valeur de puisque, en changeant simplement les en on obtiendra tout de suite celle de Je ramène d’abord l’expression à celle-ci

et en opérant de la même manière sur toutes les autres je change la formule en

Or, si l’on met dans la formule du no 25, au lieu des quantités leurs valeurs et qu’on multiplie tout par on

trouve généralement

où le signe a lieu lorsque est impair, et le signe lorsqu’il est pair ; donc, si l’on pose

il en résultera

Or, puisque est infini, sera toujours un nombre entier quels que soient et donc on aura

et par conséquent les termes qui constituent les intégrales exprimées par s’évanouiront en général. Il y a pourtant un cas particulier à excepter, c’est celui où dans la première intégrale, et dans la seconde, deviennent égaux à dénotant un nombre quelconque entier positif ou négatif ; car dans ces cas les dénominateurs

et deviennent égaux à zéro, et les termes se trouvent exprimés par Pour en déterminer les vraies valeurs on prendra la différentielle des numérateurs et des dénominateurs, en considérant dans la première formule, et dans la seconde, pour les seules variables ; on mettra ensuite à leur place la quantité on trouvera donc en premier lieu

Mais puisque est un nombre infini égal à on a

le signe supérieur répondant à impair, et l’inférieur à pair ; on a de plus

donc l’expression précédente se réduit à

ou bien, puisque elle devient

est l’ordonnée qui répond à l’abscisse savoir, à l’abscisse

égale à dans le premier état du système ; d’où l’on voit que cette ordonnée doit toujours être prise avec le même signe que toute la quantité Que l’on dénote cette ordonnée par

et que l’on dénote de même par

celle qui répond à l’abscisse et qu’on fasse sur la seconde partie de l’expression générale de des opérations semblables à celles qu’on a pratiquées sur la première, on trouvera enfin

39. Soient (fig. 5, p. 61) l’axe, et la courbe qui représente le premier état du système dans le cas où le nombre des corps mobiles est infini, on trouvera la figure de cette courbe pour un temps quelconque en prenant, à une abscisse quelconque la quantité égale à la moitié de la somme des appliquées qui répondent aux abscisses

dans cette première courbe donnée. À l’égard des signes ambigus et du nombre indéterminé s, on remarquera que, puisque l’axe est d’une longueur donnée il faut que les abscisses qu’on y doit prendre ne surpassent pas la quantité et de plus qu’elles soient toujours positives, et ces conditions suffiront pour déterminer tout à fait chacune des abscisses en question.

Si est moindre que on supposera et l’on prendra le signe et l’ordonnée sera positive.

Si est plus grand que mais moindre que on fera et l’on prendra le signe on aura donc l’abscisse égale à et l’ordonnée devra être prise négative.

Si devient plus grand que mais moindre que on fera et l’on prendra le signe l’abscisse sera donc dans ce cas et l’ordonnée devra être de nouveau positive.

Si se trouve plus grand que mais moindre que on fera et l’on prendra le signe ainsi l’abscisse deviendra et l’ordonnée correspondante devra être prise négativement, et ainsi de suite.

Par un raisonnement semblable, on trouvera que lorsque est positif, on doit faire et qu’il faut employer le signe ce qui donne l’ordonnée positive.

Si devient négatif mais moindre que on supposera et l’on prendra le signe on aura ainsi l’abscisse positive et l’ordonnée devra être prise négativement.

Si étant négatif est encore plus grand que mais moindre que on fera dans ce cas et l’on prendra le signe ainsi l’on obtiendra l’abscisse positive et l’ordonnée devra être prise négativement.

Si devient plus grand que mais moindre que on continuera à faire et l’on prendra de nouveau le signe ce qui donnera l’abscisse positive et l’ordonnée devra être encore positive, et ainsi de suite.

On voit assez par tous ces cas particuliers que nous venons de développer, que, quelle que soit la longueur de l’abscisse, il sera toujours possible de la réduire en sorte qu’elle ne surpasse plus l’axe donné \mathrm{AB}. On pourra simplifier encore cette réduction, en supposant que les abscisses données soient repliées, pour ainsi dire, sur l’axe, une ou plusieurs fois, selon qu’elles se trouvent plus ou moins excédantes, et les ordonnées devront ensuite être prises alternativement positives et négatives selon les lois ci-dessus établies. Mais si l’on veut avoir une construction tout à fait simple et générale, on pourra la déduire aisément de la manière suivante. Ayant tracé la courbe initiale (fig. 10),

Fig. 10.

qu’on répète sa description de part et d’autre à l’infini, en la posant alternativement au-dessus et au-dessous de l’axe, de sorte que les mêmes branches soient liées entre elles par les mêmes extrémités. Considérant la courbe ainsi engendrée comme une courbe unique et continue, on prendra dans l’axe qui s’étend à l’infini de part et d’autre toutes les abscisses qu’on voudra, sans s’embarrasser qu’elles soient négatives ou plus grandes que ainsi la demi-somme des ordonnées qui se trouveront répondre aux abscisses et quelle que soit la valeur de et de donnera toujours la vraie ordonnée qui convient à l’abscisse après le temps

40. Nous avons supposé (35]

Or, dans le cas de la corde vibrante, exprime le poids qui tend la corde, sa longueur, et son poids total (9 et 35) ; on aura donc (12)

et par conséquent

et les ordonnées dont on doit prendre la demi-somme répondront aux abscisses et Nous aurons donc par ce moyen la construction de la figure que forme une corde tendue pour un temps quelconque en cas qu’elle ait été d’abord forcée de prendre une figure quelconque donnée et qu’ensuite on l’ait relâchée tout à coup, et cette construction est évidemment la même que M. Euler a inventée sur la même hypothèse.

Voilà donc la théorie de ce grand Géomètre mise hors de toute atteinte et établie sur des principes directs et lumineux, qui ne tiennent en aucune façon à la loi de continuité que demande M. d’Alembert ; voilà encore comment il peut se faire que la même formule qui a servi pour appuyer et démontrer la théorie de M. Bernoulli sur le mélange des vibrations isochrones, lorsque le nombre des corps mobiles était fini, nous en dévoile l’insuffisance dans le cas où le nombre de ces corps devient infini. En effet le changement que subit la formule, en passant d’un cas dans l’autre, est tel que les mouvements simples qui composaient les mouvements absolus de tout le système s’anéantissent pour la plupart, et que ceux qui restent se défigurent et s’altèrent de façon qu’ils deviennent absolument méconnaissables. Il est vraiment fâcheux qu’une théorie aussi ingénieuse, et qui aurait pu sans doute jeter de grandes lumières sur des matières également obscures et importantes, se trouve démentie dans le cas principal, qui est celui auquel se rapportent tous les petits mouvements réciproques qui ont lieu dans la nature.

41. Si l’on veut que la corde soit étendue en ligne droite au commencement de son mouvement, et que tous ses points reçoivent en cet état des vitesses quelconques, on supposera que les ordonnées à la courbe ne représentent plus les premiers éloignements de points de la corde de l’axe, mais les vitesses des mêmes points au premier instant ; et les courbes qu’on trouvera pour les instants suivants donneront de la même manière leurs vitesses suivantes (38).


CHAPITRE VI.
réflexions sur les calculs précédents.

42. La méthode que j’ai employée dans le Chapitre III est à la vérité un peu longue et fort compliquée ; cependant elle est, si je ne me trompe, l’unique qui puisse conduire à une solution directe et générale, telle que nous nous sommes proposé.

Quoique l’intégration des équations différentielles s’achève fort aisément par l’ingénieuse méthode de M. d’Alembert, cependant il est clair qu’on est encore après cela beaucoup éloigné du but principal, car il s’agit de plus de tirer d’un nombre indéfini d’équations autant d’inconnues, et de les exprimer toutes par une même formule générale. La difficulté de cette opération n’a pas sans doute échappé au savant Géomètre dont nous venons de faire mention, car ayant proposé à résoudre le problème des mouvements des cordes vibrantes, en les regardant comme des fils extensibles chargés de plusieurs petits poids, il s’est contenté de dire qu’on aurait toujours pu trouver leurs vibrations à peu près (voyezle no 44 de son Mémoire cité ci-dessus).

Il serait à souhaiter que l’analyse qui a réussi dans ce cas pût également s’appliquer à tous les autres qui dépendent de la résolution d’un nombre indéfini d’équations différentielles toutes semblables entre elles, et où les changeantes ne montent qu’à la première dimension, puisqu’il est facile de démontrer que tous les petits mouvements réciproques qui peuvent avoir lieu dans un système quelconque de corps semblables, qui assissent les uns sur les autres tous d’une même manière, sont nécessairement contenus dans de telles équations. Nous serions par là en état de suivre les actions de la nature de beaucoup plus près qu’on n’a osé le faire jusqu’à présent.

J’ai déjà tenté une solution générale du problème des vibrations des cordes élastiques et des chaînes pesantes ; mais étant maintenant fort pressé sur l’impression de cette pièce, et ayant d’ailleurs quelques autres occupations indispensables, je ne puis pas pousser assez loin ces recherches ; c’est pourquoi je me réserve à traiter ce sujet dans une autre occasion.

Au reste, si on suppose dans notre cas que les corps se meuvent dans un milieu, dont la résistance soit proportionnelle à et dénotant des constantes quelconques, la double intégration des équations différentielles réussira de même ; et si les quantités et sont assez petites par rapport à la quantité on pourra encore achever le calcul par un procédé semblable à celui que nous avons exposé plus haut. Cette analyse pourrait être à la vérité de quelque utilité dans la recherche de la diminution du son, mais ce serait s’écarter trop de l’objet principal que de la vouloir exposer ici tout au long.

43. La construction que nous avons trouvée dans le Chapitre précédent, pour le cas où le nombre des corps mobiles est infini, est fondée entièrement sur ce qu’une suite infinie de produits de deux sinus, dont les arcs croissent en progression arithmétique, est toujours égale à zéro, excepté dans le cas où, les sinus devenant égaux, la suite donnée se change en une suite des carrés des mêmes sinus. Quoique cette vérité découle immédiatement de la formule que nous avons trouvée pour exprimer la somme d’une telle suite, cependant, comme c’est là un des points principaux de notre analyse, il ne sera pas hors de propos de démontrer encore la même proposition d’une autre manière, qui soit et plus directe et plus lumineuse.

Soit proposée la suite infinie

si l’on développe chaque terme par les théorèmes de la multiplication des angles, on aura les deux séries

dont chacune est sommable par la théorie des progressions géométriques. Supposons, pour simplifier le calcul, que la série dont on veut prendre la somme soit généralement

On réduira d’abord chaque terme aux expressions imaginaires exponentielles ; ainsi l’on obtiendra

ces deux suites, traitées comme deux progressions géométriques infinies, se changent par les règles connues en

et réduisant au dénominateur commun

savoir

telle est la valeur d’une suite quelconque infinie de cosinus, dont les arcs croissent en progression arithmétique.

En appliquant ceci à notre cas, on trouvera pour la somme des deux suites données

quelles que soient les valeurs des angles et Cependant, lorsque

\theta=\varphi, il est clair que les deux séries se réduisent à

Si est le nombre des termes dans chacune de ces suites, la somme de la première est nécessairement la somme de la seconde est, par ce que nous avons trouvé ci-dessus, donc la somme de toutes deux se trouvera dans ce cas

44. Mais, dira-t-on, comment peut-il se faire que la somme de la suite infinie soit toujours égale à puisque, dans le cas de elle devient nécessairement égale à une suite d’autant d’unités ? Je réponds que cela provient des termes qui se détruisent naturellement dans tous les cas, excepté dans celui où Pour rendre la chose plus sensible, cherchons la somme de la suite

on trouvera, par la même méthode ci-dessus, qu’elle est égale à

expression qui se réduit à

Or, dans le cas où est un nombre infini, on suppose que évanouisse auprès de d’où le terme devient égal à et la formule reste

mais lorsque le dénominateur devient aussi égal à zéro : c’est pourquoi elle reçoit une valeur donnée qu’on trouvera par la différentiation du numérateur et du dénominateur. On a donc en différentiant

qui se réduit de nouveau à par la supposition de qu’on différentie une seconde fois, il viendra

et faisant

donc la valeur de la série est dans ce cas

précisément comme on l’a vu plus haut.

Au reste, par la méthode de sommer les suites des cosinus ou sinus, que nous venons d’expliquer, on trouvera que la suite finie

est égale à

ce qui convient avec ce qu’on a trouvé (38) en faisant et et supposant un nombre entier quelconque.

45. Nous avons enseigné (39) à construire l’ordonnée et la vitesse l’une dans le cas où les vitesses initiales sont égales à zéro, et l’autre dans le cas où les premières ordonnées sont égales à zéro ; cependant, si l’on voulait une construction générale pour tous les cas possibles, on pourrait la trouver moyennant les formules précédentes. Car on sait que les expressions de ne sont autre chose que les différentielles de celles de en prenant le seul temps pour variable et effaçant le donc, si après avoir réduit la première partie de l’expression de qui contient seulement les par la méthode donnée (39), on différence la formule qui en résulte, en ne regardant que le temps pour variable, on aura la formule qui donne la valeur de la première partie de l’expression de et qui contient aussi les seules quantités De même, si l’on intègre par la formule réduite de la seconde partie de l’expression de où se trouvent les seules quantités et qui est semblable à celle de pour les quantités comme on a vu (38), on aura la formule qui donnera la valeur de la seconde partie de l’expression de qui contient de même les seules quantités Ces calculs sont assez longs et compliqués, et ils demandent d’ailleurs beaucoup de circonspection ; c’est pourquoi je ne fais que les indiquer ici pour montrer la route qu’on devrait tenir pour parvenir à une réduction directe et générale des expressions données. Il est cependant visible qu’on pourra aisément s’en passer, si l’on veut se contenter d’une construction des quantités et pour chaque temps dérivée de celle qu’on a trouvée (39).

Soit donc, comme dans le numéro cité (fig. 10, p. 106), la figure dont les ordonnées représentent les premières excursions et (fig. 11) celle dont les ordonnées expriment les vitesses initiales

Fig. 11

Qu’on réitère leur description de part et d’autre à l’infini de la manière enseignée ; qu’on construise ensuite deux autres courbes infinies (fig. 12 et 13) dont la première soit telle, que chaque ordonnée qui répond à l’abscisse soit toujours quatrième proportionnelle à la sous-tangente au point à l’ordonnée et à la

quantité constante et que la seconde ait ses ordonnées égales aux aires qui répondent aux abscisses ces aires
Fig. 12.
Fig. 13.

étant divisées par Par le moyen de ces quatre courbes que je nommerai, comme celles de M. d’Alembert, courbes génératrices, on aura toujours l’ordonnée et la vitesse pour chaque abscisse et pour quelque temps que ce soit. Car on n’aura qu’à prendre dans la courbe la demi-somme des ordonnées qui répondent aux abscisses et et dans la courbe la demi-différence des ordonnées qui répondront aux mêmes abscisses, et la somme totale de ces quantités sera l’ordonnée cherchée. De même, pour la vitesse on prendra dans la courbe la demi-somme des ordonnées qui appartiennent aux abscisses et et dans la courbe la demi-différence des ordonnées qui répondent aux mêmes abscisses ; et la somme totale de ces quantités donnera la valeur cherchée de la vitesse

Quoique cette construction soit entièrement fondée sur les tangentes et sur la quadrature des courbes génératrices trouvées, il ne paraît cependant pas qu’elle puisse être sujette aux difficultés que nous avons exposées (5). Car, la construction des courbes génératrices une fois établie, il n’est plus besoin d’avoir recours aux théories du calcul différentiel et intégral, pour en déduire celles des autres courbes cherchées ; puisqu’on peut, indépendamment de ces calculs, par la simple considération des tangentes et des quadratures, démontrer que ces courbes résolvent le problème sans avoir en aucune façon égard à la loi de continuité dans leurs équations.

Si l’on prend pour la courbe la courbe initiale de la corde tendue, et que l’autre courbe anb représente les vitesses qu’on donne à tous ses points en la relâcbant tout à coup, on aura de cette façon la solution générale du problème des cordes vibrantes telle que M. d’Alembert l’a eue en vue dans les articles XXIII et suivants de son Mémoire. Il est vrai que ce grand homme ne cesse d’inculquer que les expressions des vitesses et des excursions initiales des points de la corde ne peuvent pas être données à volonté (34), ce qu’il répète encore expressément dans l’article II de son Addition. Mais nous avons fait voir plus haut les raisons qui obligeaient cet Auteur à penser ainsi, et ces raisons cessent d’avoir lieu dès qu’on considère tous les points de la corde comme isolés dans leurs mouvements, comme nous l’avons fait dans les calculs précédents.


CHAPITRE VII.
théorie des cordes de musique et des flutes.

46. Les cordes dont on se sert ordinairement pour les instruments de musique sont de boyau, ou d’acier, ou de cuivre ; à l’égard des premières, elles n’ont presque point d’autre élasticité que celle qui est produite par la tension, mais il n’en est pas de même des autres, dont la roideur se manifeste, même lorsqu’elles sont tout à fait lâches. Cependant il est aisé de voir que la force de cette roideur, pour mouvoir la corde, doit être bien petite par rapport à celle qui naît de la tension, d’où il s’ensuit que nous pouvons, sans crainte d’erreur, supposer toutes les cordes parfaitement flexibles, en tenant compte seulement de l’effet de la tension donnée. La manière commune de les mettre en vibration, en les touchant par quelqu’un de leurs points, soit avec un archet ou quelque autre instrument, consiste à les faire sortir de leur état de repos et à donner à tous leurs points des impulsions quelconques. Donc, si l’on a une corde uniformément épaisse, dont la masse et la longueur soient données, et la tension soit exprimée par un poids équivalent, on pourra toujours, par la théorie exposée dans les Chapitres précédents, trouver le mouvement de cette corde pour un temps quelconque, de quelque façon que ses vibrations aient été d’abord produites. Mais la connaissance des mouvements particuliers des cordes est de peu de conséquence dans la pratique, et ce n’est qu’à la durée de leurs vibrations qu’il est important d’avoir égard, puisque c’est de là que dépend, selon le sentiment généralement reçu par tous les Physiciens, le ton grave ou aigu qu’elles doivent rendre.

Or, si l’on examine la construction des courbes génératrices exposée (45), on s’apercevra aisément que leur nature est telle, que si l’on augmente ou qu’on diminue les abscisses d’un multiple quelconque de les ordonnées correspondantes demeurent tout à fait les mêmes ; donc, si l’on fait que la quantité qui doit être ajoutée et retranchée de chaque abscisse devienne un multiple quelconque de on aura la valeur du temps après lequel la corde reprendra sa première situation, avec les mêmes vitesses dans tous ses points. Ce temps sera donc égal à quelque nombre entier positif qu’on pose au lieu de C’est pourquoi le temps des oscillations sera toujours le même pour la même corde, et il ne dépendra en aucune façon du premier ébranlement qui peut varier à l’infini. Pour connaître plus exactement ce temps, qui est égal à on n’a qu’à remettre au lieu de sa valeur première (25), et on aura pour le temps d’une oscillation entière, composée d’une allée et d’une revenue, où est la longueur de la corde, son poids, le poids qui est égal à la force de tension ; or, comme exprime (6) la hauteur d’où un corps pesant peut tomber librement durant le temps si l’on fait ce temps d’une seconde, on aura le temps cherché exprimé de même en secondes de cette façon Supposons que le rapport du poids de la corde à celui qui la tend soit sera une quantité qui ne dépendra que de l’épaisseur et de la gravité spécifique de la corde ; on aura donc et par conséquent la formule du temps des vibrations entières deviendra et une oscillation simple devra être censée d’une durée égale à tout de même comme si la corde eût toujours fait ses mouvements selon les lois de M. Taylor. Cette formule a été regardée jusqu’à présent pour vraie par tous les Auteurs qui ont écrit d’Acoustique, parce qu’elle s’accorde entièrement avec les proportions connues des divers tons des cordes, qu’on a toujours fait dépendre de la durée de leurs oscillations. C’est aussi par cette raison que plusieurs d’entre eux ont cru qu’une corde tendue ne pouvait résonner à moins que ses vibrations ne fussent toutes régulières et isochrones comme celles des pendules ; ce qui paraît sans doute inconcevable, vu qu’une même corde rend toujours le même son lorsqu’elle est pincée ou ébranlée de quelque façon que ce soit. La démonstration que nous venons de donner peut donc servir à établir ces vérités généralement admises, savoir : que le ton d’une corde est toujours proportionnel au nombre de ses vibrations dans un temps donné, et que ce ton se conserve toujours le même, tandis que la corde reste dans les mêmes circonstances.

47. Quoique la connaissance absolue de la durée de chaque vibration dans une corde donnée ne soit guère d’usage dans la pratique ordinaire, elle est cependant nécessaire pour la détermination d’un son fixe, tel que M. Sauveur l’a eue en vue dans l’Histoire de l’Académie des Sciences de Paris pour l’année 1700. La méthode que ce savant Auteur a imaginée pour cela est à la vérité fort ingénieuse, mais elle est presque impraticable à cause de l’extrême délicatesse d’oreille qu’il faut pour apprécier les moments des battements de plusieurs sons, et de la grande difficulté qu’on rencontre à mesurer au juste l’intervalle du temps qui se passe entre deux de ces battements consécutifs. Si la détermination de ce son fixe est de tant de conséquence, comme elle l’a paru à M. Sauveur, je crois qu’on pourra la tirer avec plus d’exactitude et de facilité de la formule trouvée, qui ne requiert d’autres données que la longueur de la corde, sa gravité spécifique et la raison de son poids à celui par lequel elle est tendue. Par exemple, si l’on veut, selon M. Sauveur, que le son fixe rende vibrations dans une seconde, on fera d’où, et étant donnés, on tirera

48. Nous venons de voir que le nombre des vibrations d’une corde donnée est généralement toujours le même ; il est cependant quelques cas particuliers où ce nombre peut être diminué et réduit à la moitié, au tiers, etc. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à réfléchir que la corde vibrante ne revient à son premier état que parce que la construction des courbes génératrices est telle, qu’en levant ou ajoutant aux abscisses les temps donnés, les ordonnées demeurent les mêmes. Donc, si l’on suppose que la figure initiale de la corde participe déjà à cette propriété, savoir qu’elle contienne deux ou trois, ou plusieurs ventres égaux et disposés alternativement au-dessus et au-dessous de l’axe, et qu’il en soit de même pour la courbe des vitesses, on verra aisément que les courbes génératrices déduites de celles-ci rendront la corde à son premier état dans la moitié, le tiers, etc., du temps donné. Ainsi la durée d’une oscillation se réduira dans ce cas à exprime le nombre des ventres primitifs. Il n’en sera pas de même si les ventres ne se trouvent pas égaux et disposés de la façon qu’on a dit, car il sera toujours facile de démontrer que les courbes résultantes ne pourront jamais avoir les propriétés nécessaires afin que les vibrations puissent s’achever dans un temps différent de celui qui convient à la nature de la corde donnée. M. Euler avait déjà fait cette importante remarque, pour le seul cas où la corde part du repos, dans les Mémoires cités de l’ Académie de Berlin.

49. Lorsqu’une corde est en vibration, il n’y a généralement parlant que les deux bouts qui restent toujours immobiles ; cependant, si l’on fait attention aux cas particuliers qu’on vient d’examiner, on voit clairement que tous les points où la figure initiale de la corde coupe l’axe doivent nécessairement demeurer en repos, puisqu’il y a de part et d’autre des branches semblables situées alternativement au-dessus et audessous de l’axe. Voyons donc s’il ne pourrait pas y avoir d’autres points qui fussent revêtus des mêmes propriétés.

Qu’on se représente pour cela une branche entière de la courbe génératrice pour la corde et qu’on suppose qu’un de ses points quelconque doive rester immobile (fig. 14). Il est d’abord évident

Fig. 14.



qu’elle devra couper l’axe dans ce même point ; il faudra ensuite que la partie de la courbe soit égale et semblable à la partie afin que la demi-somme des ordonnées également distantes de part et d’autre soit toujours nulle, d’où il s’ensuit qu’à moins que le point ne soit à la moitié de l’axe le point tombera hors du point et ainsi la courbe cherchée coupera toujours l’axe en deux points et Elle sera par conséquent composée de trois parties et dont les deux premières sont égales par supposition, et la troisième est encore arbitraire. Or je dis que la courbe doit avoir toutes ces parties égales, semblables et situées alternativement au-dessus et au-dessous de l’axe Pour s’en convaincre, qu’on réfléchisse que, puisque les branches qui se trouvent situées de part et d’autre des deux points et doivent être semblables et égales dans toute la courbe génératrice engendrée par la description réitérée de celle-ci, il faut que cette courbe ait toutes ses parties de même nature que celle qui est comprise entre les points et d’où il suit que la partie de l’axe ne peut être qu’égale à la partie ou double, ou triple, etc., ou encore la moitié, ou le

tiers, etc., de sorte que l’axe entier puisse se diviser en un nombre de parties égales et aliquotes aux deux parties données et Et toute la courbe devra, dans ce cas, couper l’axe à chaque point de ces divisions, et elle devra contenir de plus autant de ventres égaux correspondants.

On conclura donc que nul point d’une corde de musique vibrante ne pourra demeurer en repos, à moins qu’il ne la divise en deux parties commensurables entre elles ; que dans ce cas la figure initiale de la corde et la courbe des premières vitesses devront nécessairement avoir autant de branches égales et semblables qu’il y aura d’unités dans les deux parties et qui seront de plus situées alternativement audessus et au-dessous de chacune des parties aliquotes, dans lesquelles tout l’axe sera divisé. Si donc, en mettant une corde en vibration, on fait en sorte qu’un point quelconque reste immobile, sans empêcher que la vibration ne se communique et ne s’étende de part et d’autre à toute la corde, cette corde se divisera tout naturellement en autant de parties égales qu’il en faut pour rendre commensurables les deux parties coupées par le point immobile. D’où il s’ensuit que, lorsque ces deux parties sont en elles-mêmes incommensurables, il sera impossible que le point de leur division puisse jamais rester en repos, et la corde, dans ce cas, sera obligée de changer de signe d’un instant à l’autre, ce qui détruira nécessairement l’isochronisme et la régularité de ses vibrations. Mais dans le cas où le point immobile divise toute la corde en parties commensurables, il se formera pour lors un nombre de points de repos naturels, et la corde continuera de faire des oscillations régulières et isochrones, dont la durée ne sera que la moitié, le tiers, le quart, etc., de la durée des oscillations entières, selon que les deux parties auront pour commune mesure la moitié, le tiers, le quart, etc., de toute la corde, comme on l’a démontré (48).

Par un semblable raisonnement, on trouvera que si les points supposés immobiles coupent la corde en un nombre de parties quelconques, elle se divisera en autant de parties égales qu’il en faudra pour que chacune d’elles mesure exactement chacune des premières parties coupées ; par conséquent, si ces parties sont entre elles incommensurables, les mouvements de la corde deviendront irréguliers, pendant que dans tout autre cas les vibrations s’achèveront dans un temps proportionnel réciproquement à celui des ventres naturels de la corde.

50. On s’est aperçu depuis longtemps qu’une corde pouvait rendre dans certaines circonstances des sons aigus, qui différaient plus ou moins du son naturel, et on a même reconnu que ces sons n’étaient presque jamais que l’octave au-dessus, l’octave de la quinte et la double octave de la tierce.

M. Sauveur, qui a fort bien traité cette matière, dans son Système général d’Acoustique imprimé parmi les Mémoires de l’Académie royale de Paris pour l’année 1701, s’est appliqué le premier, que je sache, à découvrir la véritable origine de ces divers sons rendus par une même corde, qu’il appelle sons harmoniques ; il prend (fig. 15) pour cela une

Fig. 15.
Lagrange - Œuvres (1867) vol. 1.p181
Lagrange - Œuvres (1867) vol. 1.p181

corde d’une longueur quelconque qui, étant pincée à vide, forme des vibrations simples et uniques qui rendent le son naturel de la corde qu’il nomme son fondamental ; il divise ensuite cette corde en un nombre de parties égales, et mettant un chevalet mobile ou un autre obstacle quelconque léger au premier point marqué des divisions, de sorte que le mouvement qu’on donne a la corde puisse se communiquer de part et d’autre, et que l’obstacle posé ne fasse d’autre effet que d’obliger le point où il est appliqué à rester toujours en repos, cet Auteur observe que si l’on ébranle la corde dans cet état, elle se divise naturellement par une espèce d’ondulation en autant de ventres égaux, dont les extrémités qui restent immobiles répondent précisément aux points marqués des divisions ; car ayant mis sur la corde divers morceaux de papier, il trouve que ceux qui sont sur les nœuds ne sont point du tout déplacés, les autres au contraire tombent aussitôt que la corde commence de se mouvoir. M. Sauveur compare de plus les sons harmoniques produits par

une telle corde avec les sons naturels d’autres cordes semblables, et il reconnaît que la longueur de celles-ci doit toujours égaler celle de la partie de la corde donnée qui est interceptée entre le chevalet et le bout le plus proche. Il en est de même si le chevalet est placé à la seconde, troisième, … division, et en général la corde forme toujours autant de nœuds, immobiles à égale distance les uns des autres, qu’il en faut pour que le chevalet réponde à l’un d’eux, et le son rendu est toujours semblable au son que produirait une des parties de la corde comprise entre deux des points de repos naturels. Que si le chevalet divise la corde en deux parties incommensurables, la corde ne fait pour lors que frémir, sans résonner, et l’on n’entend qu’une espèce de bruit confus et désagréable à l’oreille.

51. On sait qu’en prenant le son d’une corde pour fondamental, sa moitié rend l’octave au-dessus, son tiers rend l’octave de la quinte, son quart rend la double octave du son fondamental, et la cinquième rend la double octave de la tierce ; les autres divisions ne forment plus que des dissonances avec le son principal, à moins qu’elles ne donnent des octaves de ceux-ci. D’où il s’ensuit que l’on ne peut tirer d’une même corde d’autres sons harmoniques que la quinte ou la tierce, en omettantles octaves qui peuvent être regardées comme des répétitions de leurs sons principaux. Ainsi la trompette marine, qui est composée d’une seule corde à laquelle on applique le doigt en la faisant résonner avec un archet, ne produit jamais d’autres sons que ceux qu’on vient de nommer, et le doigt tient lieu de l’obstacle léger qui divise les vibrations de toute la corde.

On a encore heureusement appliqué cette théorie à toutes les espèces de violons où, par le moyen d’une légère pression de doigt, on produit des sons harmoniques très-agréables à l’oreille et qui s’approchent beaucoup du son des flûtes ; on pourrait même, je crois, avec beaucoup d’exercice, parvenir à exécuter sur le violon une pièce quelconque de musique par des sons toujours harmoniques, car, pour en tirer tous les sons nécessaires, il ne s’agirait que d’ajuster sur les cordes deux doigts, dont l’un fût appuyé fortement sur le manche, comme on le fait ordinairement, en appliquant en même temps l’autre au tiers, ou au cinquième de la corde, pour lui donner le son harmonique convenable. C’est aux habiles musiciens à juger si l’exécution de ce projet n’est pas sujette à d’autres difficultés capables de rebuter les meilleurs artistes.

52. Nous avons fait voir (9) que les mouvements des parties de l’air, qui composent une fibre élastique continue, ne diffèrent nullement de ceux des cordes vibrantes, si ce n’est en ce que les vibrations de celles-ci sont perpendiculaires à l’axe au lieu que les autres sont longitudinales. Donc, si l’on considère une fibre quelconque d’air ou bien un amas de plusieurs fibres renfermées dans un tuyau qui les borne et les distingue de la masse continue de l’air extérieur, ces fibres pourront recevoir dans toutes leurs parties des mouvements semblables à ceux des points d’une corde de musique d’égale longueur et d’égal poids, et dont la force de tension soit équivalente à celle de l’élasticité naturelle de l’air. Si donc les mouvements de ces fibres peuvent se communiquer à l’air extérieur, il en résultera un son qui sera de même nature que celui qui serait produit par la corde correspondante.

Voilà le principe et l’origine de tous les instruments à vent, qui constituent une classe d’instruments de musique non moins étendue et non moins importante que celle des instruments à cordes.

Le célèbre M. Euler a tâché le premier de rapprocher les théories de ces deux espèces d’instruments dans une Thèse sur le Son, imprimée à Bàle l’année 1727, puis dans son excellent Traité de Musique qui a paru l’année 1739. Il compare en effet dans ces endroits la colonne d’air contenue dans un tuyau à une corde du même poids et de même longueur, et qui serait tendue par un poids égal à celui d’un cylindre de mercure, dont la base fût la même que celle du tuyau et la hauteur celle du baromètre. Par cette comparaison, il détermine le son que doit rendre une flûte quelconque donnée et il le trouve entièrement d’accord avec l’expérience. Il faut avouer que cette théorie a été portée par ce savant Auteur au plus haut degré de perfection, et qu’il n’y restait rien à désirer qu’une démonstration analytique et tirée de la nature même des mouvements qu’il a comparés ensemble. Mais, pour mettre cette importante matière dans tout son jour, développons-en ici encore quelque cas particulier. Soit une flûte de longueur a depuis l’embouchure jusqu’à l’autre extrémité, soit la largeur de sa base que je suppose être partout la même ; on aura (46) pour la durée d’une oscillation aérienne est le poids de la colonne d’air contenue dans la flûte et son élasticité naturelle. Supposons donc égal à la hauteur barométrique, et la raison de la gravité spécifique de l’air à celle du mercure, on aura égal au poids d’une colonne de mercure dont la base est et la longueur et égal au poids d’une semblable colonne dont la longueur est seulement d’où et par conséquent le temps d’une oscillation sera

ce qui fait voir que ces temps, toutes choses d’ailleurs égales, sont comme les longueurs des flûtes auxquelles les tons répondent, comme l’expérience nous l’enseigne en effet. Si l’on veut que la flûte achève vibrations dans une seconde, ce qui produit le son fixe de M. Sauveur, on fera d’où or exprime précisément la hauteur de l’air supposé homogène qui se trouve à peu près égale à pieds, et est de pieds environ ; donc

dont la racine carrée se trouve ce qui étant divisé par donne pour la longueur du tuyau pieds et millièmes de pied.

Il est vrai que M. Sauveur trouve, d’après ses expériences des battements, que le tuyau d’orgue qui rend le son fixe est seulement de pieds, ce qui donnerait suivant la théorie environ le double des vibrations que cet Auteur a déterminées pour chaque seconde ; mais il est aisé de trouver la raison de cette différence, si l’on réfléchit que les vibrations de deux cordes ne sont réellement concurrentes, c’est-à-dire commençantes en même temps et se faisant dans le même sens, qu’après un nombre de vibrations double de celui qui est porté par la nature des deux cordes données ; d’où il suit que, puisque les battements ne consistent que dans la concurrence des vibrations, le nombre déterminé par l’expérience de M. Sauveur sera précisément la moitié de ce qu’il est en effet, et dans ce cas les résultats de l’expérience s’accordent assez bien avec ceux de la théorie.

53. Puisque les mouvements des parties de l’air contenu dans une flûte quelconque sont les mêmes que ceux d’une corde de musique correspondante, il s’ensuit que la durée de leurs vibrations pourra de même, dans certains cas particuliers, devenir moindre qu’à l’ordinaire, et n’en être plus que la moitié, le tiers, le quart, etc., comme nous l’avons démontré dans les cordes vibrantes, lorsqu’elles se divisent en plusieurs ventres égaux. Or ceci arrive précisément dans les instruments à vent lorsqu’on augmente d’une certaine façon la force du souffle ; car c’est une vérité de longtemps reconnue dans les trompettes et dans toutes sortes de flûtes, et surtout dans les traversières, que par un simple changement d’embouchure on obtient depuis le son grave ou fondamental ceux qui y répondent comme les nombres savoir l’octave au-dessus, la douzième, la quinzième et la dix-septième majeure ; car le son suivant est proscrit de l’harmonie du son principal.

Au reste, quelque fondée et plausible que soit cette théorie des instruments à vent, il faut pourtant avouer qu’on ne saurait encore par son moyen rendre raison de toutes les propriétés qu’on y observe et qui regardent la forme de l’instrument, la largeur et la position des trous. Car ayant mesuré au juste leurs distances dans de bonnes flûtes traversières et douces, je ne les ai point trouvées tout à fait proportionnelles aux tons correspondants. De plus, on sait que pour rendre certains tons, il faut une combinaison donnée de trous ouverts et bouchés, ou entièrement, ou à demi seulement, ce qui me paraît fort difficile à expliquer par la simple comparaison des cordes vibrantes. Comme cette matière demande un examen long et exact de toutes les circonstances qui entrent dans chaque cas particulier, et que d’ailleurs cette pièce est actuellement sous presse, j’ai cru devoir différer ces recherches pour une autre occasion où, suivant quelques vues que j’ai déjà formées, j’espère pouvoir ramener aux lois de la théorie ci-dessus établie la plupart des bizarreries qui se rencontrent dans ces sortes d’instruments.

Séparateur
SECTION SECONDE.
DE LA PROPAGATION DU SON.

CHAPITRE PREMIER.
de la vitesse du son.

54. Imaginons une fibre élastique composée d’un nombre infini de particules d’air, dont une quelconque reçoive par l’ébranlement des parties du corps sonore une impulsion donnée il s’agit de déterminer la loi suivant laquelle ce mouvement se communiquera aux autres particules de la même fibre. Soient (fig. 15, p. 121) la longueur de toute la fibre égale à la distance de la particule qui est frappée par le corps sonore, égale à et la distance d’une autre particule quelconque dont on veut savoir le mouvement, égale à on trouvera, par l’application des formules données (35), que la vitesse de cette particule sera exprimée par une seule série infinie, comme il suit

car tous les termes évanouissent par supposition, et les autres se réduisent à Qu’on change maintenant le produit de par ainsi que les produits des sinus et des cosinus des autres angles multiples en de simples sinus, et l’équation ci-dessus deviendra

On démontrera ici, de la même manière que nous avons fait (38) suides formules semblables, que ces deux suites infinies sont toujours égales à zéro, excepté dans le cas où dans la première, et dans la seconde, deviennent égaux à dénotant un nombre quelconque entier positif ou négatif ; d’où il s’ensuit que la vitesse dans chaque particule ne sera, pour ainsi dire, qu’instantanée, et qu’elle n’obtiendra jamais aucune valeur réelle que lorsque

quels que soient les signes qu’on y veuille prendre.

Cette équation contient, comme on le voit, un certain rapport entre les espaces et les temps les autres quantités demeurant constantes. Elle contiendra donc la loi générale suivant laquelle se fait la propagation du son.

55. Pour développer cette importante matière autant qu’il est possible, imaginons que la particule qui reçoit son petit mouvement instantané au bout du temps soit éloignée par de la première particule qui a reçu l’impulsion extérieure ; on aura donc

laquelle valeur substituée dans l’équation ci-dessus donnera

et multipliant par et transportant les termes,

et ces deux équations satisferont toujours également en prenant les signes ambigus comme on voudra. Or, puisque le temps doit toujours être positif, l’ambiguïté des signes tombera nécessairement sur la quantité qui pourra par conséquent avoir des valeurs positives et négatives ; d’où il suit que le son partant du point se propagera également de part et d’autre vers et vers De plus, il est visible par ces formules que la communication du mouvement d’une particule à l’autre sera toujours uniforme, et qu’elle se fera avec une vitesse qui ne dépendra en rien de la première vitesse imprimée extérieurement, puisque l’expression de cette vitesse ne se rencontre nulle part dans la formule trouvée. Voici donc les lois que les sons doivent toujours suivre dans leur propagation.

Une particule quelconque d’air ébranlée par le mouvement d’oscillation d’un corps sonore mettra en mouvement les particules circonvoisines, et celles-ci les autres qui les suivent dans les fibres rectilignes, qui partent toutes du même point-comme d’un centre commun ; ces mouvements dans chaque particule seront instantanés et se communiqueront toujours avec une même vitesse constante, quelle que soit l’impulsion que la première particule ait reçue, d’où dépend la force ou la faiblesse du son. Ce n’est donc pas par une espèce d’ondulation que le son se propage, comme l’ont cru jusqu’ici tous les Physiciens d’après M. Newton ; en effet, on a fait voir dans l’Introduction que cette hypothèse est insuffisante pour en expliquer les principaux phénomènes, et qu’elle est, outre cela, sujette à beaucoup d’autres difficultés qui la rendent tout à fait insoutenable.

On voit de là que le nombre des coups d’air, qui viennent frapper nos organes, doit nécessairement répondre au nombre des vibrations des particules des corps sonores. Donc, puisque dans les cordes de musique la durée de leurs vibrations ne dépend que de leur nature, et nullement des ébranlements extérieurs, on a la raison pour laquelle chaque corde rend généralement toujours le même ton, quelle que soit la manière avec laquelle on la mette d’abord en vibration, ce ton ne dépendant que de la grosseur, de la longueur et de la tension de la corde, comme on le savait déjà d’après la seule expérience. On appliquera encore le même raisonnement aux flûtes, dont les mouvements ont été prouvés semblables à ceux des cordes vibrantes ; et, si on veut juger par analogie, on pourra l’étendre à tous les autres corps sonores qui ont lieu dans la nature, et dont les oscillations ne paraissent pas susceptibles d’une juste estimation analytique.

56. Mais, pour retourner à notre formule, on a posé (35)

par conséquent on aura

et faisant les mêmes suppositions qu’au no 52, on trouvera

par ce moyen, on aura

d’où l’on tire, par la différenciation,

qui est l’expression de la vitesse absolue du son, soit qu’il se propage de vers ou de vers

On peut évaluer cette expression comme dans le numéro cité, mais afin de la pouvoir plus commodément comparer avec les formules déjà connues, il sera utile de la réduire aux mesures ordinaires des oscillations des pendules. Soit la longueur du pendule simple isochrone, qui fait une oscillation dans le temps on sait qu’un corps pesant parcourt un espace dans un temps qui est à comme le diamètre du cercle est à la circonférence ; on aura donc pour ce temps et comme les espaces parcourus en tombant sont comme les carrés des temps, on aura de plus

d’où l’on tire

qui donnera

c’est pourquoi l’espace parcouru par le son dans le temps d’une oscillation du pendule sera

Il est à remarquer en premier lieu que la longueur de la fibre aérienne ne se trouve plus dans cette formule de la vitesse du son, d’où il suit qu’elle doit toujours être la même, soit que le son se propage dans des lieux ouverts où l’atmosphère peut être considérée comme continuée à

l’infini de toute part, soit qu’il se trouve renfermé dans des détroits quelconques où les fibres aériennes ne peuvent être que d’une longueur donnée.

L’expérience est encore d’accord sur ce point, de l’aveu de tous les Physiciens ; mais il y a plus : la formule que nous venons de trouver est la même qui avait déjà été donnée par MM. Newton et Bernoulli, et dont les résultats se trouvent assez conformes à la vérité, quoique ces deux Auteurs l’aient tirée de principes insuffisants et même fautifs, comme on l’a fait voir au commencement de cette pièce. Pour se convaincre de l’identité de ces formules nous n’avons qu’à nous rappeler la Proposition XLIX du no 4, où il est dit que le son doit parcourir un espace égal à la circonférence du cercle dont le rayon est ou bien dans le temps qu’un pendule de même longueur fait une oscillation entière composée d’une allée et d’une revenue ; donc, puisque M. Newton suppose le mouvement du son uniforme, et que les temps des oscillations des pendules sont comme les racines carrées de leurs longueurs, on aura pour le rapport de l’espace parcouru par le son dans le temps d’une oscillation simple du pendule à l’espace qu’il parcourrait dans le temps d’une semblable oscillation du pendule d’où l’on tire pour cet espace

tout de même comme on l’a trouvé par notre calcul.

57. Les résultats de cette formule étant assez connus, je ne crois pas devoir m’arrêter à les examiner. On sait effectivement qu’elle ne donne que pieds pour chaque seconde, au lieu que les expériences moyennes donnent un espace de Cette différence, quoique assez grande en elle-même, ne monte néanmoins qu’environ à de l’espace total. D’ailleurs M. Newton expose, dans le scolie à la Proposition XLIX du second Livre des Principes, quelles peuvent en être les raisons ; au reste il ne doit pas être étonnant que la théorie diffère tant soit peu de l’expérience à l’égard des quantités absolues ; car on sait que les expériences toujours assez compliquées ne peuvent jamais fournir des données simples et débarrassées de conditions étrangères, telles que l’analyse pure les demanderait.

M. Euler a donné à la vérité, dans les endroits cités dans l’Introduction, une formule plus approchante du vrai, qui est d’un espace égal à ce qui revient à pieds par seconde dans les plus grandes chaleurs, et à dans les plus grands froids. Mais comme cet Auteur n’a pas laissé voir l’analyse qui l’a conduit à ce résultat, nous ne pouvons porter aucun jugement là-dessus. Je remarquerai seulement que M. Euler suppose, sans le démontrer, que chaque globule d’air subisse des dilatations et des contractions successives qui se communiquent, suivant les lois de la communication du mouvement, aux particules contenues dans la même fibre, avec une vitesse constante et la même pour tous les sons soit forts, soit faibles [voyez la Thèse citée (52), où il a donné pour la première fois la formule qu’il a ensuite répétée dans la Dissertation du Feu), ce qui peut servir, pour le dire en passant, à faire voir de combien notre théorie doit être préférable, malgré son inexactitude sur ce point.


chapitre ii.
de la réflexion du son, ou des échos.

58. Nous avons trouvé dans le Chapitre précédent que les lois de la propagation du son sont contenues dans les deux formules générales

Or il y a ici trois cas à distinguer :

1o Quand l’air est tout à fait libre, ce qui donne et

2o Quand l’air n’est libre que d’un côté, par exemple quand il y a au point de la fibre aérienne un obstacle invincible qui lui sert d’appui ; dans ce cas on aura de même a=\infty, mais l’ qui est égal à sera fini, puisqu’il dénote la distance du corps sonore à l’obstacle qui est en

3o Quand les fibres de l’air sont terminées des deux côtés par des obstacles inébranlables aux extrémités et on aura, dans ce cas, a fini et égal à la distance des deux obstacles, et sera de même fini et exprimera la distance du corps sonore au premier obstacle

Examinons avec soin ces cas l’un après l’autre. Soient en premier lieu et sera un infini moindre que parce qu’on doit toujours regarder la fibre comme infinie de part et d’autre du point ainsi l’on aura et les deux équations ci-dessus deviendront

Il est visible que, étant infini, le temps n’obtiendra des valeurs finies que dans la première de ces équations, et dans le cas de car on a ici

où l’alternative des signes est nécessaire afin que le temps puisse toujours être positif, soit que soit positif ou négatif. Donc il n’y aura dans ce cas qu’un instant donné, dans lequel chaque particule soit ébranlée ; d’où il s’ensuit que dans l’air tout à fait libre le son sera unique, et qu’on cessera de l’entendre quand le corps sonore aura fini ses vibrations.

59. Supposons en second lieu infini et fini ; on tirera des valeurs finies de des deux formules générales en posant la première nous donnera

et la seconde

Chaque particule sera donc ébranlée deux fois de suite ; le premier ébranlement arrivera comme dans le cas précédent, le second lui succédera après un intervalle de temps fini, qui dépendra des deux distances et Donc, quand il se trouve un obstacle quelconque qui peut terminer les fibres aériennes d’un côté, il se formera une répétition du même son, laquelle sera distinguée du son primitif si l’intervalle du temps entre l’un et l’autre ne se trouve pas moindre de de seconde, qui est le moindre espace requis pour que l’oreille puisse percevoir distinctement deux sons successifs.

Pour mesurer au juste cet intervalle, on distinguera deux cas : lorsque est positif, et lorsqu’il est négatif. Dans le premier, on aura

dont la différence est

dans le second, on aura de même

dont la différence se trouvera

Cette différence sera donc dans le premier cas égale au temps que le même son met à parcourir un espace et dans le second égale au temps qu’il lui faudrait pour parcourir l’espace Or, comme le son qui part du point (fig. 15, p. 121) se propage de part et d’autre, on concevra clairement la formation du son répété, si l’on imagine que celui qui est propagé vers soit pour ainsi dire réfléchi par le point et qu’il retourne en arrière avec la même vitesse ; ainsi, lorsque est positif et que l’oreille est en de l’autre part de l’obstacle, elle recevra premièrement l’impression du son qui a parcouru l’espace ensuite elle sera de nouveau frappée par un semblable son, qui aura parcouru l’espace savoir ce qui donne précisément, pour la différence des temps, un temps proportionnel à l’espace Au contraire, si est négatif et que l’oreille soit placée en entre le corps sonore et l’obstacle, ce sera le même son qui part de vers qui se fera entendre deux fois ; le premier temps répondra à l’espace et le second à l’espace dont l’intervalle répond au juste à l’espace

Le phénomène de la répétition du même son est un des plus connus dans la nature ; on l’appelle ordinairement écho, et l’on voit en effet qu’il est produit par des obstacles quelconques, qui interceptent le son et l’obligent pour ainsi dire à rebrousser chemin ; tels sont par exemple les montagnes, les bois épais, les rochers, les cavernes et même les nuées qui se trouvent à côté des corps sonores.

60. Mais achevons l’examen de nos formules et passons au troisième cas, où et sont deux quantités finies. Il est d’abord évident que les deux équations nous donneront ici une infinité de valeurs pour le temps qui répondront à autant d’instants où une même particule d’air sera remuée. Pour les développer, supposons successivement égal à

on tirera de la première équation

La seconde nous donnera

On conclut de là que quand les fibres sonores de l’air sont terminées des deux côtés par des obstacles immobiles, qui en appuient et soutiennent les extrémités, il doit pour lors y avoir une infinité de répétitions du même son, savoir un écho composé qui durerait toujours, si la constitution de ces fibres ne pouvait jamais être altérée. Pour connaître la progression des temps au bout desquels doit se faire une des répétitions, nous remarquerons que chacun des temps dans les équations précédentes, est égal au temps que le son emploie à parcourir les espaces correspondants

Donc, si l’on considère toujours ces espaces positifs, on pourra les représenter par les parties de la ligne de la manière suivante :

Première série
Seconde série.
Si l’on conjoint ces deux séries, on en tirera ces deux-ci :

La nature et l’arrangement des termes qui composent ces progressions font assez connaître comment le même son, qui part du corps sonore qui est en doit revenir plusieurs fois frapper l’oreille au même endroit Car on voit aisément que la première de ces dernières suites exprime le chemin du son propagé de vers et réfléchi d’abord par l’obstacle ensuite par et de nouveau par et ainsi à l’infini. Au contraire la seconde exprime de même les lois des allées et revenues du son qui, partant du même endroit se meut d’abord vers d’où il est ensuite porté vers et de là de nouveau vers et ainsi alternativement. Et ces deux sons achèvent pour ainsi dire leurs mouvements dans le même espace et dans le même temps, sans se troubler ou s’entre-empêcher en aucune façon dans leurs rencontres. Donc, toutes les fois que chacun d’eux passera par le même point on entendra dans cet endroit une répétition ou bien un écho du son primitif.

C’est ainsi que se forment les échos composés qui répètent plusieurs fois" le même son, en différents temps qui ne sont pas toujours égaux entre eux, selon que le corps sonore et le point d’où l’on veut entendre l’écho se trouvent différemment placés sur la ligne qui joint les deux obstacles.

61. Les Physiciens rapportent quelques exemples de ces échos composés, entre lesquels il en est qui répètent le même son plus de cinquante fois de suite, et on observe toujours qu’ils sont produits par des murs ou des rochers ou d’autres obstacles quelconques situés presque vis-à-vis. La plupart d’entre eux ont cru pouvoir expliquer ces phénomènes par la théorie de la réflexion ; car, disent-ils, les particules de l’air qui est en vibration, rencontrant des obstacles invincibles, sont réfléchies à peu près comme on conçoit que le sont les rayons de la lumière par les surfaces unies des miroirs ; et cette explication paraît d’autant plus plausible, qu’on trouve en effet par expérience que l’intervalle du temps écoulé entre deux sons consécutifs est précisément tel qu’il le faut, pour que le son principal puisse être réfléchi par les obstacles donnés et revenir à l’oreille.

Cependant, à examiner la chose à fond, on sera obligé de convenir que le principe de la réflexion, comme on la conçoit ordinairement dans le choc des corps, ou dans la lumière, est ici un principe tout à fait illusoire. Car l’expérience nous montre que l’écho ne dépend en rien du poli de la surface réfléchissante, puisqu’il arrive que des surfaces en apparence polies ne produisent point d’écho, au lieu qu’on l’entend souvent dans des lieux remplis de mille inégalités. En effet, comment concevoir que des rochers, des forêts, des nuées, soient propres à produire dans l’air une réflexion semblable à celle des rayons de la lumière sur les miroirs ? Rien donc n’est moins fondé que cette catoptrique des sons, que l’on a inventée pour rendre raison des propriétés de l’écho. M. d’Alembert est peut-être le premier qui ait senti l’insuffisance de cette théorie, dans l’Encyclopédie, au mot Écho. Mais ni lui, ni aucun autre que je sache n’a jamais entrepris de donner des explications plus fondées de ce phénomène.

La théorie que nous venons de déduire de nos formules est, ce me semble, tout à fait à l’abri de ces difficultés ; car il ne faut autre chose pour produire l’écho, sinon que les extrémités des fibres aériennes sonores trouvent un appui fixe, de quelque nature qu’il soit. S’il n’y a qu’un obstacle d’un côté, le son ne sera renvoyé qu’une fois ; c’est l’écho simple. S’il y en a deux qui terminent la fibre de part et d’autre, les sons seront renvoyés réciproquement, ce qui formera des échos composés qui dureront autant que la constitution des fibres sonores pourra subsister ; si donc ces sortes d’échos durent plus ou moins, ce sont toujours quelques circonstances extérieures qui en sont cause. Mais, dira+on, pourquoi n’entend-on pas d’écho toutes les fois que l’air est renfermé entre quelques obstacles ? Les Physiciens ont déjà répondu à cette difficulté en faisant voir qu’il faut une certaine distance entre le point d’où l’on veut entendre l’écho et l’obstacle qui doit le renvoyer, de même qu’entre le corps sonore et cet obstacle, afin qu’on puisse le distinguer du son primitif. Sans cela le son réfléchi se confond entièrement avec le direct et ne fait qu’en augmenter la force, comme on l’observe tous les jours. Il faut de plus que l’espace que l’écho doit parcourir ne soit embarrassé par aucun corps qui en empêche la propagation. Lorsque ces conditions auront lieu, je ne doute pas qu’il n’y ait toujours des échos ; la construction des échos artificiels est appuyée sur ces seuls principes.


chapitre iii.
du mélange et du rapport des sons.

62. Je n’ai traité jusqu’ici de la propagation du son que dans le cas d’un seul corps sonore qui communique ses vibrations aux parties contiguës de l’air ; il nous reste à voir si les lois trouvées ont de même lieu quand plusieurs sons sont excités en même temps dans divers endroits, et en quelle manière ces sons peuvent se répandre dans le même espace sans se troubler ou se confondre en aucune façon, comme nous le montre l’expérience journalière.

Concevons donc dans la même fibre aérienne sonore (fig. 16)

Fig. 16.



divers points physiques qui soient frappés en même temps par des corps sonores, qui diffèrent les uns des autres comme on voudra ;

soient représentées par les impulsions ou les vitesses communiquées à ces points, et que désignent leurs distances de la première extrémité donnée on trouvera, pour la vitesse d’un point quelconque de la même fibre qui est éloigné de par l’intervalle l’expression générale suivante :

On ramènera ces expressions à la forme de celles du no 54, et il viendra, comme il est aisé de le voir, une suite de formules toutes semblables entre elles, et semblables à celle qu’on a trouvée pour le cas d’une seule impulsion donnée Or, afin de connaître ce qui arrivera lorsqu’une même particule d’air sera ébranlée par plusieurs sons divers, il faut chercher la valeur de au moment de l’ébranlement, et en suivant le même procédé qu’on a enseigné (38), on trouvera que chacune des expressions qui composent la valeur générale de se réduira à selon que le temps répondra aux formules

où il est à remarquer que l’alternative des signes des quantités doit répondre exactement à celle des quantités

On voit de là que lorsqu’il n’y a qu’une de ces équations qui soit vérifiée, retient la même valeur qu’il a eue au commencement ; mais quand plusieurs ont lieu en même temps, la valeur de devient composée des premières valeurs Donc, puisque chacune des équations répond, pour ainsi dire, à chacun des sons particuliers propagés ensemble, cette propagation se fera toujours de la même manière par rapport à chacun d’eux, comme s’il eût été seul, et il se communiquera d’une particule à l’autre la même impulsion qui a été produite par le corps sonore ; par conséquent, lorsque deux ou plusieurs sons se rencontreront, la particule d’air qui se trouve dans leur point de rencontre recevra une impulsion composée des impulsions particulières qui constituent la nature de chacun d’eux ; et passé ce moment, ils continueront leur chemin comme auparavant, tout de même comme on a vu qu’il arrive dans les échos composés.

63. Nous avons donc trouvé dans nos formules le développement d’un des principaux points de la théorie du son, qui regarde la manière avec laquelle l’air est capable de transmettre à l’oreille sans mélange les impressions de plusieurs sons différents. Cette vérité, qui est une des plus connues par expérience, a cependant embarrassé si fort les Physiciens jusqu’à présent, que les plus habiles ont été obligés de recourir à des systèmes pour en rendre raison. Les principaux se réduisent à deux : celui du mélange des vibrations isochrones, proposé par M. Daniel Bernoulli, et celui de la différente élasticité des particules de l’air, inventé par M. de Mairan. Pour ce qui est du premier, nous en avons vu l’insuffisance dans le Chapitre V. À l’égard de l’autre, il suffira de remarquer que la différente nature des particules de l’air ne peut influer que sur la vitesse du son, comme il résulte de la formule donnée (56) ; mais que pour ce qui est de leur ébranlement, il ne dépend que de la nature du corps sonore, dont les parties frappent dans leurs oscillations indistinctement toutes celles de l’air contigu. On peut voir dans l’article Fondamental de l’Encyclopédie les autres raisons qui rendent ces deux systèmes insoutenables ; c’est pourquoi je ne m’y arrêterai pas davantage.

64. Nous venons de voir que la particule d’air qui se trouve dans la rencontre de deux sons reçoit un ébranlement différent de celui qui est produit par chaque son en particulier ; donc, si les sons sont de telle nature que leurs vibrations concourent toujours après un certain temps donné, l’impression suivie et régulière de ces ébranlements composés pourra être distinguée des autres impressions particulières, et une oreille assez exercée entendra un troisième son, dont le rapport avec les autres se trouvera en comparant le nombre des vibrations particulières que chacun d’eux achève entre deux concurrences successives. On devra donc entendre ce troisième son précisément au point milieu de la ligne qui joint les deux corps sonores, parce que, les sons ayant toujours une même vitesse, c’est là qu’ils doivent nécessairement se rencontrer ; cependant, si l’on considère la masse continue de l’air, on voit que chaque particule d’une fibre sonore doit être considérée comme le centre d’une infinité d’autres fibres, auxquelles elle peut aussi communiquer du mouvement, ce qui fait que le son se propage en tous sens ; d’où il suit que l’ébranlement composé pourra être de même porté à l’oreille dans une infinité d’autres endroits, quoique avec moins de force et moins distinctement, à cause de la diminution et de l’altération causées par les résistances des particules hétérogènes dont toute la masse de l’air est parsemée.

Il faut une extrême finesse d’oreille pour percevoir ces sons composés ; aussi n’y a-t-il que quelques-uns des plus habiles artistes qui les aient reconnus. M. Tartini est le premier, que je sache, qui se soit attaché à les examiner avec soin, comme on peut le voir dans son Traité de Musique imprimé à Padoue l’année 1754. Ce célèbre Auteur nous apprend qu’en tirant d’un même instrument capable de tenue, comme les violons, les trompettes, etc., deux sons à la fois, ou bien en les tirant de deux instruments éloignés l’un de l’autre de quelques pas, on en entend un troisième, qui est d’autant plus sensible qu’on se rapproche plus du point milieu de l’intervalle donné.

Après beaucoup d’expériences sur ce sujet, M. Tartini conclut que si l’on considère la suite des fractions et qu’on ajuste autant de sons qui aient le même rapport entre eux que les termes de cette suite, deux sons voisins quelconques produiront toujours, pour troisième son, le premier son qui répond au terme Or, en examinant la concurrence des vibrations de tous ces sons, on trouve qu’elle ne peut avoir lieu qu’après un nombre de vibrations égal au dénominateur de la fraction qui exprime les sons correspondants ; ainsi les deux sons exprimés par et par ne deviennent concurrents qu’après cinq vibrations du premier et six du second, et ainsi des autres ; d’où il s’ensuit qu’en comparant le nombre des concurrences au nombre des vibrations de chaque son particulier, le troisième son produit par deux de la série précédente devrait toujours être exprimé par ce qui donne proprement l’octave de celui qui est résulté à M. Tartini. Mais on sait que la différence entre un son et son octave est souvent insensible à l’oreille, par la facilité naturelle que nous avons de les confondre ensemble ; donc, si l’on substitue au troisième son de M. Tartini son octave au-dessous, les résultats de ces expériences deviendront en tout conformes à ceux que nous donne notre théorie. On doit être d’autant plus porté à admettre cet échange d’un son dans son octave, que M. Serre, dans son ouvrage sur les Principes de l’Harmonie de 1753, en faisant mention des expériences de M. Tartini, nous rapporte que les troisièmes sons produits par des tierces majeures et mineures se trouvent précisément à l’octave basse de ceux de M. Tartini.

Nous avons parlé plus haut de l’expérience des battements de M. Sauveur, et nous avons vu qu’ils répondent exactement aux concurrences des vibrations ; il y a donc tout lieu de croire qu’ils sont de même formés par la rencontre de deux sons, et qu’ainsi leur explication dépend entièrement de la théorie que nous venons de donner. Il est donc vraisemblable que le troisième son de M. Tartini n’est produit que par une suite de battements, et dans ce cas il est très-aisé de reconnaître que le troisième son doit avoir avec les deux sons primitifs le rapport que nous avons ci-dessus établi.

Ce serait ici le lieu d’examiner la nature et la source des consonnances et des dissonances ; mais il faut avouer que, malgré les efforts de plusieurs habiles musiciens, on n’est pas encore parvenu à établir là-dessus des-fondements constants et généraux. M. Sauveur est dans l’idée qu’un accord plaît d’autant plus à l’oreille que ses battements sont plus fréquents, et qu’ils restent pour cela moins sensibles ; d’où il suit que les accords consonnants doivent être précisément ceux dont les vibrations sont les plus concurrentes, et qu’au contraire les accords deviendraient dissonants lorsque la concurrence des vibrations est telle, qu’elle peut aisément être perçue par l’oreille. M. Tartini tire aussi de ses expériences du troisième son plusieurs conséquences pour la nature de l’harmonie. Il prétend que le troisième son est toujours la vraie basse dont les sons particuliers sont les dessus, et c’est sur cela qu’il a principalement fonde son système de Musique. Quoi qu’il en soit, il est au moins certain, par ce que nous venons de démontrer, que, de quelque façon qu’on prenne la chose, la concurrence des vibrations en est toujours le fondement, quoique présentée sous des points de vue différents ; nous verrons encore ci-après que le principe de l’harmonie, qu’on prétend trouver dans la nature même des corps sonores, revient encore à celui-ci.

65. Lorsque les parties des corps sonores sont ébranlées, l’air reçoit autant d’impressions successives que ces parties font de vibrations, et ces impressions se répandent partout, sans se multiplier ou se troubler en passant d’une particule d’air dans l’autre. Donc, si le corps sonore est de telle nature que les vibrations de ses parties commencent toutes et s’achèvent toujours dans le même temps, l’oreille sera frappée à la fois par plusieurs petits coups qui se succéderont par des intervalles de temps égaux, et cette uniformité d’impressions produira ce sentiment agréable qu’on appelle son ; au contraire, si les vibrations des parties du corps sonore diffèrent les unes des autres, c’est-à-dire qu’elles ne soient pas toutes d’égale durée, notre organe recevra à chaque instant des ébranlements différents, et on n’entendra dans ce cas qu’un bruit confus. Cette vérité, qui a été dès longtemps reconnue, est une suite nécessaire de ce que l’on a démontré sur les mouvements des cordes vibrantes et sur ceux des fibres élastiques d’air ; car on éprouve tous les jours que les cordes qui produisent les meilleurs sons sont toujours celles qui ont une plus grande uniformité dans toute leur extension, ce qui les rend plus capables des mouvements réguliers et isochrones que nous avons déterminés dans le Chapitre VII. Ainsi l’explication du son et du bruit, que quelques Auteurs ont voulu donner en disant que tout bruit est un, et qu’au contraire tout son est composé, tombe ici d’elle-même, puisqu’elle est tout à fait opposée à ce que nous venons de démontrer.

Supposons à présent que pendant qu’une corde résonne il y ait près d’elle plusieurs autres cordes tendues, il est clair que l’air ébranlé par la première frappera toutes les autres, et que les impulsions reçues par celles-ci répondront parfaitement à chacune des vibrations de celle qu’on fait résonner ; donc, à force de coups réitérés, elles devront de même entrer en vibration ; or, puisque la durée des vibrations des cordes est absolument déterminée par la constitution de la corde même, il s’ensuit que si toutes les cordes sont de même nature, les vibrations naissantes de celles qui sont ébranlées par l’air pur seront toujours favorisées par des impulsions continues qui procèdent de la corde principale ; c’est pourquoi au bout d’un certain temps elles seront aussi forcées de résonner. Au contraire, si les cordes sont telles, que leurs vibrations ne puissent jamais être concurrentes, elles seront tantôt favorisées et tantôt troublées par les impulsions qui procèdent de la corde principale, et ainsi il sera impossible qu’elles reçoivent jamais un mouvement sensible et capable de produire le son qui leur est propre. Supposons à présent que les cordes tendues ne soient pas à l’unisson de celle qu’on fait résonner, mais qu’elles y répondent comme nombre à nombre, il faudra ici distinguer deux cas : lorsque le son de la corde principale est mesuré exactement par ceux des autres cordes, et lorsque ces sons sont seulement commensurables entre eux. Il est visible que dans le premier de ces cas, les vibrations des cordes qu’on laisse en repos seront toujours favorisées par celles de la corde principale qu’on ébranle, et par conséquent ces cordes devront de même raisonner comme si elles étaient à l’unisson ; dans l’autre cas, les cordes ne pourront résonner dans leur totalité, car elles seront toujours en partie troublées et en partie favorisées par les vibrations de la principale ; et comme les impulsions contraires et favorables sont toujours uniformes, elles les forceront de prendre des figures telles, que leurs vibrations puissent toujours être favorisées. Il faudra donc qu’elles se divisent en plusieurs ventres égaux, de sorte que le son de chacun de ces ventres soit, ou à l’unisson de celui de la corde principale, ou bien qu’il le mesure toujours exactement comme dans le premier cas. Or, puisqu’il n’y a rien qui retienne fixes les nœuds formés par les ventres naturels de ces cordes, il arrivera facilement que les vibrations particulières se dérangent les unes les autres, ce qui en détruira l’uniformité et empêchera par conséquent les cordes de résonner ; elles ne feront donc que frémir au son de la principale, et se diviseront, en frémissant, par une espèce d’ondulation, comme on le voit dans les sons harmoniques.

Ce phénomène a été observé par MM. Wallis et Mersenne, les premiers, puis par M. Sauveur dans la dissertation citée (50). Tout le monde le reconnaît aujourd’hui, et on convient généralement que l’air ébranlé par les oscillations d’une corde est celui qui met les autres en mouvement ; mais il restait encore à donner la raison pourquoi, de plusieurs cordes frappées également par les mêmes coups d’air, il n’y a que les harmoniques qui puissent résonner ou frémir simplement. C’est à quoi il me paraît avoir entièrement satisfait par tout ce qui a été démontré jusqu’à présent.

Je souhaiterais pouvoir expliquer de même la multiplicité des sons harmoniques qui se font sentir en frappant une seule corde, telle que la douzième et la dix-septième au-dessous du son principal. Mais j’avoue qu’après bien des réflexions, je ne suis pas encore parvenu à trouver sur ce sujet rien de satisfaisant. Ayant examiné avec toute l’attention dont je suis capable les oscillations des cordes tendues, je les ai toujours trouvées simples et uniques dans toute leur étendue, d’où il me paraît impossible de concevoir comment divers tons peuvent être engendrés à la fois. Il serait pour cela inutile de recourir aux théories dont on a fait mention (63), puisque nous en avons déjà fait sentir le défaut. Je suis donc enclin à croire que ces sons peuvent être produits par d’autres corps qui résonnent au bruit du son principal, comme on vient de le voir dans les cordes ; et ce qui peut donner quelque poids à cette conjecture, c’est que ce mélange de sons harmonieux n’est guère sensible que dans les clavecins ou dans les autres instruments montés de plusieurs cordes.

Quoi qu’il en soit, je désirerais que des personnes dont l’oreille fût extrêmement fine, et qui ne l’eussent pas beaucoup exercée à entendre de la musique, voulussent bien prendre la peine de répéter ces expériences sur une seule corde fixée par deux chevalets sur une simple table, dans des lieux ouverts de toute part ; dans ce cas, on pourrait être sûr que ni la prévention de l’oreille accoutumée à entendre toujours les sons principaux accompagnés de leurs harmoniques, ni la résonnance des corps circonvoisins ne pourraient y avoir aucune part, et le résultat de l’expérience deviendrait hors de toute atteinte.

M. Rameau, un des plus célèbres artistes de nos jours, et à qui l’art musical est si redevable, a donné en 1750 une démonstration du principe de l’harmonie, fondée sur les expériences rapportées de la résonnance des corps sonores. Cet Auteur croit avoir ainsi découvert dans la nature même les vrais fondements de l’harmonie, qu’on avait avant lui inutilement cherchés par d’autres voies ; mais après tout ce que nous venons de démontrer, on voit évidemment que ce principe même tire son origine de celui de la concurrence des vibrations, principe dès longtemps reconnu pour la source des consonnances et des dissonances, et sur lequel M. Euler a établi sa nouvelle théorie de musique dans le Traité cité (52). Ce célèbre Géomètre a donné en effet à ce principe toute l’étendue dont il paraît capable, et il a tâché par là de ramener à des formules assez simples les principales règles de la composition. On ne doit donc plus regarder le principe de M. Rameau que comme une nouvelle preuve de celui-ci tirée immédiatement de l’expérience ; mais cet Auteur aura toujours le mérite d’avoir su en déduire avec une extrême simplicité la plupart des lois de l’harmonie, que plusieurs expériences détachées et aveugles avaient fait connaître.

Au reste, quelque principe qu’on adopte pour développer la nature des consonnances et des dissonances, il restera toujours à expliquer pourquoi il n’y a d’autres rapports primitifs consonnants que ceux qui sont contenus dans les nombres car il est certain qu’une corde, qui sera la septième partie ou bien le septuple d’une autre, devra résonner dans le premier cas et frémir seulement dans le second, tout de même comme si elle rendait une douzième ou une dix-septième, d’où il résulte que, suivant même le principe de M. Rameau, on devrait regarder les rapports ou pour consonnants, ce qui est néanmoins démenti par l’expérience. Mais ce qui est plus étonnant, c’est que le rapport qui constitue une seconde majeure, est beaucoup moins dissonant que le rapport quoique les concurrences soient plus fréquentes dans celui-ci que dans l’autre. Il y a la même question à faire sur plusieurs accords qui ne sont pas reçus dans l’harmonie, quoiqu’ils contiennent moins de dissonances que d’autres qu’on emploie avec succès. Je crois que, dans quelque système de musique que l’on veuille imaginer, on ne pourra éluder ces difficultés qu’en recourant au goût et au sentiment commun, sur lesquels l’habitude et les préjugés ont peut-être beaucoup plus de pouvoir qu’on ne le pense ordinairement. Mais ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans de telles discussions. Le savant M. d’Alembert en a traité fort au long dans l’article Fondamental de l’Encyclopédie, auquel nous nous contenterons de renvoyer.


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  1. Voici comment parle un des plus célèbres Géomètres de notre temps dans son excellent Traité des Fluides (art. 219) : « Ce serait ici le lieu de donner des méthodes pour déterminer la vitesse du son, mais j’avoue que je ne suis point encore parvenu à trouver sur ce sujet rien qui pût me satisfaire. Je ne connais jusqu’à présent que deux Auteurs qui aient donné des formules pour la vitesse du son, savoir M. Newton dans ses Principes, et M. Euler dans sa Dissertation sur le Feu, qui a partagé le prix de l’Académie en 1738. La formule donnée par M. Euler sans démonstration est fort différente de celle de M. Newton, et j’ignore quel chemin l’y a conduit ; à l’égard de la formule de M. Newton, elle est démontrée dans ses Principes, mais c’est peut-être l’endroit le plus obscur et le plus difficile de cet ouvrage. M. Jean Bernoulli le fils, dans la Pièce sur la Lumière, qui a remporté le prix de l’Académie en 1736, dit qu’il n’oserait pas se flatter d’entendre cet endroit des Principes. »
  2. M. Bernoulli prouve à la vérité, dans l’ouvrage cité, que tout corps qui est tenu en équilibre par deux puissances égales et directement contraires, s’il vient à être tant soit peu déplacé, doit faire autour de son point de repos des oscillations simples et régulières. Mais cette théorie n’est guère applicable qu’au seul cas où il n’y ait qu’un corps mobile. Pour le faire sentir, supposons d’abord, selon cet Auteur, que le corps soit sollicité selon deux directions contraires par les forces égales et il est clair que ces forces ne pourront être que des fonctions de la distance du corps à un point fixe quelconque ; donc, si on lui fait parcourir un espace infiniment petit la somme des accroissements de ces deux forces sera exprimée par ce qui donnera par conséquent la force accélératrice qui porte le corps vers son point d’équilibre ; et comme on ne veut considérer que les mouvements infiniment petits, on supposera constant, d’où la force donnée deviendra proportionnelle à la distance à parcourir et les oscillations se feront selon les lois connues de l’isochronisme. Mais il n’en sera pas de même s’il y a plusieurs corps qui se soutiennent mutuellement en équilibre, quoique rangés tous sur la même droite. Dans ce cas les forces qui agissent sur chacun d’eux seront des fonctions de leurs distances intermédiaires ; ainsi, représentant les déplacements infiniment petits de tous les corps, on aura pour les forces accélératrices des expressions de cette forme peuvent être regardées comme constantes. D’où il est aisé de comprendre que les mouvements des corps ne seront plus astreints au simple isochronisme ; et c’est proprement ce qui arrive aux particules des fibres élastiques de l’air. C’est aussi par cette raison que le calcul qu’on trouve dans le Commentaire des Principes serait encore insuffisant, même quand il ne renfermerait pas des approximations, puisqu’on n’y considère que trois ou quatre particules mobiles. M. d’Alembert a fait sentir cette difficulté pour le cas d’une corde vibrante chargée de plusieurs petits poids, p. 359 des Mémoires de l’Académie de Berlin, pour l’année 1750.
  3. Voyez la suite de l’article des fluides cité ci-dessus ; voyez encore le Mémoire de M. de Mairan dans les Mémoires de l’Académie de Paris, année 1737 ; la Physique de Perrault, et d’autres.
  4. Voyez les Commentaires des Principes.
  5. C’est une justice que l’on doit ici au célèbre M. d’Alembert, que de faire remarquer qu’il avait déjà trouvé ce rapport entre les deux problèmes mentionnés dans l’Article XLVI de son premier Mémoire sur les Cordes vibrantes inséré dans les Mémoires de l’Académie de Berlin ; mais il ne paraît pas, du moins que je sache, qu’il en ait jamais fait aucun usage.
  6. Le savant M. d’Alembert cité ci-dessus, dans l’Article III de son Addition au Mémoire sur les Cordes vibrantes, imprimée dans le tome des Mémoires de l’Académie de Berlin, pour l’année 1750, fait à ce propos la remarque suivante : « Il est vraisemblable qu’en général, quelque figure que la corde prenne, le temps d’une vibration sera toujours le même, et c’est ce que l’expérience paraît confirmer, mais ce qu’il serait difficile, peut-être impossible de démontrer en rigueur par le calcul. » Je ne rapporte ces paroles d’un si grand Géomètre que pour donner une idée de la difficulté du problème que j’ai résolu.