Mémoires du Général Baron de Marbot/Tome 1/Chapitre XX

CHAPITRE XX

Augereau. — Divers épisodes de sa carrière.

Je dois maintenant vous donner la biographie du maréchal Augereau.

La plupart des généraux qui se firent un nom dans les premières guerres de la Révolution étant sortis des rangs inférieurs de la société, on s’est imaginé, à tort, qu’ils n’avaient reçu aucune éducation, et n’avaient dû leurs succès qu’à leur bouillant courage. Augereau surtout a été fort mal jugé. On s’est complu à le représenter comme une espèce de sacripant, dur, tapageur et méchant ; c’est une erreur, car bien que sa jeunesse ait été fort orageuse, et qu’il soit tombé dans plusieurs erreurs politiques, il était bon, poli, affectueux, et je déclare que des cinq maréchaux auprès desquels j’ai servi, c’était incontestablement celui qui allégeait le plus les maux de la guerre, qui était le plus favorable aux populations et traitait le mieux ses officiers, avec lesquels il vivait comme un père au milieu de ses enfants. La vie du maréchal Augereau fut des plus agitées ; mais, avant de la juger, il faut se reporter aux usages et coutumes de l’époque.

Pierre Augereau naquit à Paris en 1757. Son père faisait un commerce de fruits fort étendu, et avait acquis une fortune qui lui permit de faire bien élever ses enfants. Sa mère était née à Munich ; elle eut le bon esprit de ne jamais employer avec son fils que la langue allemande, que celui-ci parlait parfaitement, et cette circonstance lui fut fort utile dans ses voyages, ainsi qu’à la guerre. Augereau avait une belle figure ; il était grand et bien constitué. Il aimait tous les exercices du corps, pour lesquels il avait une très grande aptitude. Il était bon écuyer et excellent tireur. À l'âge de dix-sept ans, Augereau ayant perdu sa mère, un frère de celle-ci, employé dans les bureaux de Monsieur, le fit entrer dans les carabiniers, dont ce prince était colonel propriétaire.

Il passa plusieurs années à Saumur, garnison habituelle des carabiniers. Sa manière de servir et sa bonne conduite le portèrent bientôt au grade de sous-officier. Malheureusement, on avait à cette époque la manie des duels. La réputation d’excellent tireur qu’avait Augereau le contraignit à en avoir plusieurs, car le grand genre parmi les bretteurs était de ne souffrir aucune supériorité. Les gentilshommes, les officiers, les soldats, se battaient pour les motifs les plus futiles. Ainsi, Augereau se trouvant en semestre à Paris, le célèbre maître d’escrime Saint-George, le voyant passer, dit en présence de plusieurs tireurs que c’était une des meilleures lames de France. Là-dessus, un sous-officier de dragons, nommé Belair, qui avait la prétention d’être le plus habile après Saint-George, écrit à Augereau qu’il voulait se battre avec lui, à moins qu’il ne consentît à reconnaître sa supériorité. Augereau lui ayant répondu qu’il n’en ferait rien, ils se rencontrèrent aux Champs-Élysées, et Belair reçut un grand coup d’épée qui le perça de part en part… Ce bretteur guérit, et ayant quitté le service, il se maria et devint père de huit enfants, qu’il ne savait comment nourrir, lorsque, dans les premiers jours de l’Empire, il eut la pensée de s’adresser à son ancien adversaire, devenu maréchal. Cet homme, que j’ai connu, avait de l’esprit et une gaieté fort originale. Il se présenta chez Augereau avec un petit violon sous le bras, et lui dit que, n’ayant pas de quoi donner à dîner à ses huit enfants, il allait leur faire danser des contredanses pour les égayer, à moins que le maréchal ne voulût bien le mettre à même de leur servir une nourriture plus substantielle. Augereau reconnut Belair, l’invita à dîner, lui donna de l’argent, lui fit avoir peu de jours après un très bon emploi dans l’administration des messageries, et fit placer deux de ses fils dans un lycée. Cette conduite n’a pas besoin de commentaires.

Tous les duels qu’eut Augereau ne se terminèrent pas ainsi. Par suite d’un usage des plus absurdes, il existait entre divers régiments des haines invétérées, dont la cause, fort ancienne, n’était souvent pas bien connue, mais qui, transmise d'âge en âge, donnait lieu à des duels, chaque fois que ces corps se rencontraient. Ainsi, les gendarmes de Lunéville et les carabiniers étaient en guerre depuis plus d’un demi-siècle, bien qu’ils ne se fussent pas vus dans ce long espace de temps. Enfin, au commencement du règne de Louis XVI, ces deux corps furent appelés au camp de Compiègne ; alors, pour ne point paraître moins braves que leurs devanciers, les carabiniers et les gendarmes résolurent de se battre, et cette habitude était tellement invétérée que les chefs crurent devoir fermer les yeux. Cependant, pour éviter la trop grande effusion du sang, ils parvinrent à faire régler qu’il n’y aurait qu’un seul duel, chacun des deux corps devant désigner le combattant qui le représenterait, après quoi, on ferait une trêve. L’amour-propre des deux partis étant engagé à ce que le champion présenté fût victorieux, les carabiniers choisirent leurs douze meilleurs tireurs, parmi lesquels se trouvait Augereau, et l’on convint que le sort désignerait celui auquel la défense de l’honneur du régiment serait confiée. Il fut ce jour-là plus aveugle encore que de coutume, car il indiqua un sous-officier ayant cinq enfants : il s’appelait Donnadieu. Augereau fit observer qu’on n’aurait pas dû mettre parmi les billets celui qui portait le nom d’un père de famille, qu’il demandait donc à être substitué à son camarade. Donnadieu déclare que, puisque le sort l’a désigné, il marchera ; Augereau insiste ; enfin, ce combat de générosité est terminé par les membres de la réunion, qui acceptent la proposition d’Augereau. On apprend bientôt quel est le combattant choisi par les gendarmes, et il ne reste plus qu’à mettre les adversaires en présence, pour qu’un simulacre de querelle serve de motif à la rencontre.

L’adversaire d’Augereau était un homme terrible, tireur excellent et duelliste de profession, qui, pour peloter, en attendant partie, avait les jours précédents tué deux sergents des gardes françaises. Augereau, sans se laisser intimider par la réputation de ce spadassin, se rend au café où il savait qu’il devait venir, et en l’attendant, il s’assied à une table. Le gendarme entre, et dès qu’on lui a désigné le champion des carabiniers, il retrousse les basques de son habit, et va s’asseoir insolemment sur la table, le derrière à un pied de la figure d’Augereau. Celui-ci, qui prenait en ce moment une tasse de café bien chaud, entr’ouvre doucement l’échancrure, appelée ventouse, qui existait alors derrière les culottes de peau des cavaliers, et verse le liquide brûlant sur les fesses de l’impertinent gendarme… Celui-ci se retourne en fureur !… Voilà la querelle engagée, et l’on se rend sur le terrain, suivi d’une foule de carabiniers et de gendarmes. Pendant le trajet, le féroce gendarme, voulant railler celui dont il comptait faire sa victime, demande à Augereau d’un ton goguenard : « Voulez-vous être enterré à la ville ou à la campagne ? » Augereau répondit : « Je préfère la campagne, j’ai toujours aimé le grand air. » — « Eh bien, reprend le gendarme, en s’adressant à son témoin, tu le feras mettre à côté des deux que j’ai expédiés hier et avant-hier. » C’était peu encourageant, et tout autre qu’Augereau aurait pu en être ému. Il ne le fut pas ; mais résolu à défendre chèrement sa vie, il joua, comme on dit, si serré et si bien, que son adversaire, furieux de ne pouvoir le toucher, s’emporta et fit de faux mouvements, dont Augereau, toujours calme, profita pour lui passer son épée au travers du corps, en lui disant : « Vous serez enterré à la campagne. »

Le camp terminé, les carabiniers retournèrent à Saumur. Augereau y continuait paisiblement son service, lorsqu’un événement fatal le jeta dans une vie fort aventureuse.

Un jeune officier d’une grande naissance et d’un caractère très emporté, ayant trouvé quelque chose à redire dans la manière dont on faisait le pansage des chevaux, s’en prit à Augereau, et, dans un accès de colère, voulut le frapper de sa cravache, en présence de tout l’escadron. Augereau, indigné, fit voler au loin la cravache de l’imprudent officier. Celui-ci, furieux, mit l’épée à la main et fondit sur Augereau, en lui disant : « Défendez-vous ! » Augereau se borna d’abord à parer ; mais ayant été blessé, il finit par riposter, et l’officier tomba raide mort !

Le général comte de Malseigne, qui commandait les carabiniers au nom de Monsieur, fut bientôt instruit de cette affaire, et bien que les témoins oculaires s’accordassent à dire qu’Augereau, provoqué par la plus injuste agression, s’était trouvé dans le cas de légitime défense, le général, qui portait intérêt à Augereau, jugea convenable de le faire éloigner. Pour cela, il fit venir un carabinier natif de Genève, nommé Papon, dont le temps de service expirait dans quelques jours, et l’invita à remettre sa feuille de route à Augereau, lui promettant de lui en faire délivrer plus tard une seconde. Papon consentit, et Augereau lui en témoigna toujours une vive reconnaissance. Augereau, arrivé à Genève, apprit que le conseil de guerre, nonobstant les déclarations des témoins, l’avait condamné à la peine de mort, pour avoir osé mettre l’épée à la main contre un officier !

La famille Papon faisait de grands envois de montres en Orient. Augereau résolut d’accompagner le commis qu’elle y envoyait, et se rendit avec lui en Grèce, dans l’archipel Ionien, à Constantinople et sur le littoral de la mer Noire. Il se trouvait en Crimée, lorsqu’un colonel russe, jugeant à sa belle prestance qu’il avait été militaire, lui offrit le grade de sergent. Augereau l’accepta, servit plusieurs années dans l’armée russe, que le célèbre Souwaroff commandait contre les Turcs, et fut blessé à l’assaut d’Ismaïloff. La paix ayant été faite entre la Porte et la Russie, le régiment dans lequel servait Augereau fut dirigé vers la Pologne ; mais celui-ci, ne voulant pas rester davantage parmi les Russes, alors à demi barbares, déserta et gagna la Prusse, où il servit d’abord dans le régiment du prince Henri ; puis sa haute taille et sa bonne mine le firent admettre dans le célèbre régiment des gardes du grand Frédéric. Il y était depuis deux ans, et son capitaine lui faisait espérer de l’avancement, lorsque le Roi, passant la revue de ses gardes, s’arrêta devant Augereau en disant : « Voilà un beau grenadier !… De quel pays est-il ? — Il est Français, Sire. — Tant pis ! répondit Frédéric, qui avait fini par détester les Français autant qu’il les avait aimés, tant pis ! car s’il eût été Suisse ou Allemand, nous en eussions fait quelque chose. » Augereau, persuadé dès lors qu’il ne serait jamais rien en Prusse, puisqu’il le tenait de la propre bouche du Roi, résolut de quitter ce pays ; mais la chose était on ne peut plus difficile, parce que, dès que la désertion d’un soldat était signalée par un coup de canon, les populations se mettaient à sa poursuite pour gagner la récompense promise, et, le déserteur pris, on le fusillait sans rémission.

Pour éviter ce malheur et reconquérir sa liberté, Augereau, qui savait qu’un grand tiers des gardes, étrangers comme lui, n’aspirait qu’à s’éloigner de la Prusse, s’aboucha avec une soixantaine des plus courageux, auxquels il fit comprendre qu’en désertant isolément, on se perdrait, parce qu’il suffirait de deux ou trois hommes pour vous arrêter ; mais qu’il fallait partir tous ensemble, avec armes et munitions, afin de pouvoir se défendre. C’est ce qu’ils firent, sous la conduite d’Augereau. Ces hommes déterminés, attaqués en route par des paysans et même par un détachement de soldats, perdirent plusieurs des leurs, mais tuèrent plus d’ennemis, et gagnèrent, en une nuit, un petit pays appartenant à la Saxe et qui n’est qu’à dix lieues de Potsdam. Augereau se rendit à Dresde, où il donna des leçons de danse et d’escrime, jusqu’à l’époque de la naissance du premier Dauphin, fils de Louis XVI, naissance que le gouvernement français célébra en amnistiant tous les déserteurs, ce qui permit à Augereau non seulement de revenir à Paris, mais aussi de rentrer aux carabiniers, son jugement ayant été cassé, et le général de Malseigne le réclamant comme un des meilleurs sous-officiers du corps. Augereau avait donc recouvré son grade et sa position, lorsqu’en 1788, le roi de Naples, sentant le besoin de remettre son armée sur un bon pied, pria le roi de France de lui envoyer un certain nombre d’officiers et de sous-officiers instructeurs, auxquels il donnerait le grade supérieur au leur. M. le comte de Pommereul, qui devint plus tard général et préfet de l’Empire, fut le directeur de tous les instructeurs envoyés à Naples. Augereau fit partie de ce détachement, et reçut le grade de sous-lieutenant, en arrivant à Naples. Il y servit plusieurs années, et venait d’être fait lieutenant, lorsque, s’étant épris de la fille d’un négociant grec, il la demanda en mariage. Celui-ci n’ayant pas voulu consentir à cette union, les deux amants se marièrent en secret, puis, montant sur le premier navire qu’ils trouvèrent en partance, ils se rendirent à Lisbonne, où ils vécurent paisiblement pendant quelque temps.

On était à la fin de 1792. La Révolution française marchait à grands pas, et tous les souverains de l’Europe, redoutant de voir introduire dans leurs États les principes nouveaux, étaient devenus fort sévères pour tout ce qui était Français. Augereau m’a souvent assuré que pendant son séjour en Portugal, il n’avait jamais rien fait, ni dit, qui pût alarmer le gouvernement ; il fut cependant arrêté et conduit dans les prisons de l’Inquisition ! Il y languissait depuis quelques mois, lorsque Mme Augereau, femme d’un grand courage, ayant vu entrer dans le port un navire avec un pavillon tricolore, se rendit à bord, pour remettre au capitaine une lettre par laquelle elle informait le gouvernement français de l’arrestation arbitraire de son mari. Bien que le capitaine du navire français n’appartînt pas à la marine militaire, il se rendit résolument auprès des ministres portugais, réclama son compatriote détenu à l’Inquisition, et sur leur refus, il leur déclara fièrement la guerre au nom de la France ! Soit que les Portugais fussent effrayés, soit qu’ils comprissent qu’ils avaient agi injustement, Augereau fut rendu à la liberté et revint au Havre, ainsi que sa femme, sur le navire de ce brave capitaine.

Arrivé à Paris, Augereau fut nommé capitaine et envoyé dans la Vendée, où il sauva, par ses conseils et son courage, l’armée de l’incapable général Roucin, ce qui lui valut le grade de chef de bataillon. Dégoûté de combattre contre des Français, Augereau demanda à aller aux Pyrénées et fut envoyé au camp de Toulouse, commandé par mon père, qui, très satisfait de sa manière de servir, le fit nommer adjudant général (colonel d’état-major) et le combla de marques d’affection, ce qu’Augereau n’oublia jamais. Devenu général, il se distingua dans les guerres d’Espagne, puis en Italie, principalement à Castiglione.

La veille de cette bataille, l’armée française, cernée de toutes parts, se trouvait dans la position la plus critique, lorsque le général en chef Bonaparte convoqua un conseil de guerre, le seul qu’il ait jamais consulté. Tous les généraux, même Masséna, opinèrent pour la retraite, lorsque Augereau, expliquant ce qu’il fallait faire pour sortir d’embarras, termina en disant : « Dussiez-vous tous partir, je reste, et, avec ma division, j’attaque l’ennemi au point du jour. » Bonaparte, frappé des raisons qui venaient d’être produites par Augereau, lui dit : « Eh bien ! je resterai avec toi ! » Dès lors, il ne fut plus question de retraite, et le lendemain, une éclatante victoire, due en grande partie à la valeur et aux belles manœuvres d’Augereau, raffermit pour longtemps la position des armées françaises en Italie. Aussi, lorsque quelques jaloux se permettaient de gloser contre Augereau en présence de l’Empereur, il répondait : « N’oublions pas qu’il nous a sauvés à Castiglione. » Et lorsqu’il créa une nouvelle noblesse, il nomma Augereau duc de Castiglione.

Le général Hoche venait de mourir ; Augereau le remplaça à l’armée du Rhin, et fut chargé, après l’établissement du consulat, de la direction de l’armée gallo-batave, composée de troupes françaises et hollandaises, avec lesquelles il fit en Franconie la belle campagne de 1800, et gagna la bataille de Burg-Eberach.

Après la paix, il acheta la terre et le château de La Houssaye. Je dirai, à propos de cette acquisition, qu’on a fort exagéré la fortune de certains généraux de l’armée d’Italie. Augereau, après avoir touché pendant vingt ans les appointements de général en chef ou de maréchal, avoir joui pendant sept ans d’une dotation de deux cent mille francs et du traitement de vingt-cinq mille francs sur la Légion d’honneur, n’a laissé à sa mort que quarante-huit mille francs de rente. Jamais homme ne fut plus généreux, plus désintéressé, plus obligeant. Je pourrais en citer plusieurs exemples ; je me bornerai à deux.

Le général Bonaparte, après son élévation au consulat, forma une garde nombreuse, dont il mit l’infanterie sous le commandement du général Lannes. Celui-ci, militaire des plus distingués, mais nullement au fait de l’administration, au lieu de se conformer au tarif établi pour l’achat des draps, toiles et autres objets, ne trouvait jamais rien d’assez beau, de sorte que les employés de l’habillement et de l’équipement de la garde, enchantés de pouvoir traiter de gré à gré avec les fournisseurs, afin d’en obtenir des pots-de-vin, croyant du reste leurs déprédations couvertes par le nom du général Lannes, ami du premier Consul, établirent les uniformes avec un tel luxe, que lorsqu’il fallut régler les comptes, ils dépassaient de trois cent mille francs la somme accordée par les règlements ministériels. Le premier Consul, qui avait résolu de rétablir l’ordre dans les finances, et de forcer les chefs de corps à ne pas outrepasser les crédits alloués, voulut faire un exemple, et bien qu’il eût de l’affection pour le général Lannes et fût convaincu que pas un centime n’était entré dans sa poche, il le déclara responsable du déficit de trois cent mille francs, ne lui laissant que huit jours pour verser cette somme dans les caisses de la garde, sous peine d’être traduit devant un conseil de guerre ! Cette sévère décision produisit un excellent effet, en mettant un terme au gaspillage qui s’était introduit dans la comptabilité des corps ; mais le général Lannes, quoique récemment marié à la fille du sénateur Guéhéneuc, était dans l’impossibilité de payer, lorsque Augereau, informé de la fâcheuse position de son ami, court chez son notaire, prend trois cent mille francs, et charge son secrétaire de les verser au nom du général Lannes dans les caisses de la garde ! Le premier Consul, informé de cette action, en sut un gré infini au général Augereau, et pour mettre Lannes en état de s’acquitter envers celui-ci, il lui donna l’ambassade de Lisbonne, qui était fort lucrative.

Voici un autre exemple de la générosité d’Augereau. Il était peu lié avec le général Bernadotte. Celui-ci venait d’acheter la terre de Lagrange, qu’il comptait payer avec la dot de sa femme ; mais ces fonds ne lui ayant pas été exactement remis, et ses créanciers le pressant, il pria Augereau de lui prêter deux cent mille francs pour cinq ans. Augereau y ayant consenti, Mme Bernadotte s’avisa de lui demander quel serait l’intérêt qu’il prendrait. « Madame, répondit Augereau, je conçois que les banquiers, les agents d’affaires retirent un produit des fonds qu’ils prêtent ; mais lorsqu’un maréchal est assez heureux pour obliger un camarade, il ne doit en recevoir d’autre intérêt que le plaisir de lui rendre service. »

Voilà cependant l’homme qu’on a représenté comme dur et avide ! Je me bornerai, pour le moment, à ne rien citer de plus de la vie d’Augereau ; le surplus de sa biographie se déroulera avec ma narration, qui signalera ses fautes, comme elle a fait et fera connaître ses belles qualités.