Mémoires de la société géologique de France/1re série/Tome I/5


N" V.


OBSERVATIONS


SUR L’ÉTENDUE DU SYSTÈME TERTIAIRE INFERIEUR


DANS LE MORD DE LA FRANCE,


ET SUR LES DÉPÔTS DE LIGNITE QUI S’Y TROUVENT,


PAR M. L. ÉLIE DE BEAUMONT.



La dénomination de bassin tertiaire de Paris, dans l’acception qu’on lui donne assez généralement, entraîne le plus souvent avec elle l’idée d’un dépôt circonscrit vers le nord et le nord-est par le terrain crétacé. On sait que la craie se montre dans la plupart des vallées du nord de la France, et que le canal de Saint-Quentin franchit la ligne de partage entre les eaux de la Somme et celles de l’Escaut dans un long souterrain creusé en entier dans la craie : cette circonstance semble confirmer au premier abord l’idée à laquelle je viens de faire allusion.

Il est certain en même temps que si des environs de Gisors et de Chaumont on se dirige vers Épernay, en passant par Beaumont-sur-Oise, Clermont en Beauvoisis, Nesle, Ham, La Fère, Laon, Craone et Reims, on marche sur la limite de deux contrées assez distinctes l’une de l’autre, et qui constituent, à certains égards, deux régions physiques différentes dans leur état actuel, mais dont il est aisé de voir cependant que les différences analysées en détail, n’indiquent pas que le bassin tertiaire de Paris ait été limité ainsi qu’on a paru le supposer. En suivant cette ligne courbe, on laisse à droite en la circonscrivant une vaste étendue de calcaire grossier non recouvert, formant des plateaux élevés, terminés par des pentes rapides d’un aspect et d’une composition constante. On laisse au contraire à sa gauche une suite de plateaux, généralement beaucoup plus bas, qui, lorsqu’ils ne présentent pas à découvert la surface de la craie ou la tranche des terrains carbonifère et ardoisier de la lisière des Ardennes, ne sont formés le plus souvent que par un dépôt meuble qui fait continuité avec le grand dépôt de l’étage tertiaire moyen qui recouvre une partie considérable de l’intérieur de la France ; mais au milieu de ces plateaux moins élevés on aperçoit quelques tertres plus ou moins étendus, formés de sables analogues à ceux qui affleurent à la base des plateaux élevés de calcaire grossier dont je viens de parler tout à l’heure. Ces tertres, malgré leur isolement actuel, sont des traces évidentes de la prolongation primitive des assises tertiaires inférieures.

Ces tertres, dont la saillie est quelquefois à peine sensible, présentent des amas de grès quarzeux qui fournissent le pavé de toutes les routes du nord de la France, et qui sont déjà indiqués sur les cartes de Monnet, et sur celle de M. Greenough, sur laquelle ils sont désignés sous le nom de Grey Weathers. MM. de Bonnard, d’Omalius, Rozet, Clère, Poirier Saint-Brice, ont fréquemment mentionné ces grès, dont les dépôts sont très nombreux.

M. d’Omalius-d’Halloy dit dans ses Mémoires géologiques, page 95, qu’il a déjà rencontré sur les craies de la Picardie de véritables grès blancs renfermant des moules de coquilles bivalves qui semblent voisines des Tellines ou des Cythérées. M. Graves m’a montré de son côté des moules de bivalves, qu’il a trouvés dans des grès analogues près de Granvilliers (Somme), et qui lui paraissent appartenir à des espèces propres à la formation du calcaire grossier. J’ai observé moi-même, entre Roye et Péronne, un dépôt de pavés provenant de ces mêmes grès, dont quelques uns m’ont présenté des traces de coquilles bivalves. D’autres pavés du même tas offraient des fragmens arrondis de silex qui donnaient à ces parties du grès une grande ressemblance avec le poudingue siliceux, qui, à Sainte-Marguerite, se trouve en blocs irréguliers dans les sables qui supportent le gîte de lignite, et dont les blocs éboulés constituent les roches d’Ailly.

Ces grès forment rarement des masses continues. Le plus souvent ils ne constituent que des amas enveloppés dans des dépôts de sable qui forment la masse principale du système et dans lesquels les amas de grès ne sont même que des accidens. Ces sables se rapprochent naturellement de ceux qui forment la partie inférieure du lambeau tertiaire de New-Haven (Sussex).

En pénétrant des environs de Compiègne dans les plaines de la Picardie, on remarque déjà de ces dépôts sableux à la sortie de Nesle du côté de Roye, à Marché-Pot, et dans un tertre qui s’élève au milieu de la plaine formée par le terrain meuble du deuxième étage tertiaire, à une lieue de Roye sur la route d’Amiens.

Une sablière est ouverte dans ce dernier tertre. (Voy. pl. VII, fig. 4.) File présente une grande masse de sable jaune renfermant des veines de sable blanc mélangé de grains d’un vert très sombre, et reposant sur un sable fortement chlorité.

L’entaille de la sablière permet de voir le terrain meuble de la plaine mélangé de silex et de blocs de grès hors de place reposer en stratification discontinue sur le sable qui nous occupe.

À la sortie de Nesle, le sable chlorité renferme des silex brisés quelquefois en lames minces.

Ces mêmes sables, tantôt plus ou moins chlorités, tantôt tout-à-fait blancs, sont très développés sur les deux rives de la Somme aux environs de Saint-Quentin, ainsi que sur les deux rives de l’Oise à Moy, Pleineselve, Sérifontaine, Renausart, et ils vont de proche en proche se rattacher à ceux du pied de la montagne de Laon, et des tertres qui, comme celui de Beru, sont isolés sur la craie de la Champagne. À Pleineselve et à Renausart, on voit au-dessus d’eux des argiles vertes. En divers points, notamment à Saint-Simon, entre Ham et La Fère, ils sont agglutinés en un grès très solide qui fournit beaucoup de pavés.

Des grès et des sables de ce même système constituent le petit plateau des bois de Bourlon à l’ouest de Cambray, et plusieurs tertres analogues aux environs d’Arras et de Douai. Les mêmes sables se présentent avec une certaine puissance aux environs du Cateau-Cambresis. Cette même formation de sables et de grès constitue la surface du sol dans presque tous les environs de Valenciennes et de Condé, notamment dans la forêt de Raismes. Dans les flancs de la colline qui forme la rive droite de la Scarpe, en face de Saint-Amand, j’ai observé un grès un peu chlorité avec fossiles cylindroïdes analogues à des tiges d’alcyons, et un grès un peu ferrugineux formant dans le sable des blocs irréguliers et des veines.

Le sol de la forêt de Condé est formé par le même sable dans lequel les veines ferrugineuses deviennent assez abondantes, et assez riches pour être exploitées comme minerai de fer.

Depuis Marlemont jusqu’au-delà de Maubeuge, en passant par la Rouiller, Landrecies, Berlaimont, le dépôt de sable tertiaire avec concrétions de grès recouvre l’affleurement de la craie le long du calcaire carbonifère.

C’est presque uniquement par ce dépôt si incohérent qu’est formé, ainsi que l’a remarqué depuis long-temps M. d’Omalius d’Halloy, le massif de la forêt de Mormal, qui fait rebrousser chemin à la Sambre, et à la grande et petite Helpe, à partir des environs de Landrecies, et oblige leurs eaux à aller se jeter dans la Meuse à Namur, au lieu de se diriger vers l’Escaut comme elles y semblaient naturellement destinées.

Les lambeaux de ce système s’étendent sur la surface des terrains carbonifère et de transition. M. d’Omalius d’Halloy, dans ses Mémoires géologiques, cite parmi ces lambeaux des sables à argiles plastiques et à lignite. D’après ses observations, ces dépôts sont caractérisés par la présence d’une argile plastique, ordinairement grisâtre, quelquefois rougeâtre et même blanchâtre, qui est ordinairement accompagnée de sables blancs, passant quelquefois au jaune et au rougeâtre, et qui renferme souvent du lignite, et fréquemment aussi du succin. Cette substance se rencontre particulièrement à Berlaimont, entre Landrecies et Maubeuge, où M. Clère, ingénieur en chef des mines, en a recueilli de nombreux échantillons, qui rappellent tout-à-fait le succin de Dangu et Noyers (Eure). Le gîte le plus important des argiles plastiques comprises dans ces lambeaux est celui d’Andenne, à l’est d’Avesnes. À Trelon et à Glageon, arrondissement d’Avesnes, on a ouvert dans un de ces lambeaux d’importantes carrières de pavés de grès.

C’est encore, à ce qu’il paraît, dans ces lambeaux tertiaires que se trouvent une partie, au moins, des minerais de fer dits d’alluvion qui s’exploitent en un grand nombre de points de la surface des Ardennes, et j’ajouterai même que je ne vois pas de raison pour ne pas ranger dans la même catégorie beaucoup de minerais de fer, exploités sur la surface des terrains calcaires de l’est de la France, tels que ceux de Saint-Pancré (Moselle), et de Poisson (Haute-Marne).

D’après les observations que M. Clère, ingénieur en chef des mines, a eu la bonté de me communiquer, l’une des plus hautes sommités des Ardennes françaises, près du moulin de Revin, sur le bord de la vallée de la Meuse, route de Fumay à Rocroy, est couronnée par un poudingue ferrugineux qui appartient vraisemblablement à la même formation de minerai de fer. L’élévation qu’atteint ici ce dépôt, qui dans tous les cas est très moderne, vient évidemment à l’appui de l’opinion de M. d’Omalius d’Halloy, qui regarde les Ardennes comme devant une partie de leur hauteur actuelle à un soulèvement très moderne, et la vallée de fracture dans laquelle coule la Meuse, de Charleville à Namur, comme résultant d’un déchirement produit par ce même soulèvement. La même idée s’appliquerait sans doute à la vallée du Rhin, de Bingen à Cologne.

Dans un grand nombre de cas ces dépôts de sables et de grès sont entièrement recouverts par le terrain meuble des plateaux bas ; de telle sorte qu’au premier abord on pourrait les croire compris dans ce dernier terrain ; mais cette idée n’étant fondée sur aucune preuve directe, doit céder aux preuves de l’opinion contraire qui ressortent à chaque pas de l’étude des tertres sableux, dont nous nous occupons.

Le plus remarquable de ces tertres, quoiqu’à la vérité un peu excentrique, est peut-être celui sur lequel est bâtie la ville de Cassel (département du Nord) ; il est formé en entier de sables, en partie coquilliers, dont le grand développement n’empêche pas de reconnaître la complète analogie, d’une part, avec ceux qui forment la base des plateaux de calcaire grossier des environs de Compiègne, de Laon et de Reims, et de l’autre, avec ceux qui, aux environs de Londres, servent de support au London-Clay.

La base de la montagne est composée d’un sable quarzeux jaunâtre, dans lequel on trouve des veines assez nombreuses d’un grès très ferrugineux. Aux deux tiers de sa hauteur sur la route de Lille, on exploite un sable micacé, mélangé de grains verts, qui ne différent en rien de ce qu’on appelle chlorite, dans les couches inférieures du calcaire grossier parisien. Certaines parties de ce sable sont tout-à-fait friables ; d’autres faiblement aglutinées par un ciment calcaire, fournissent de mauvais moellon. Quelques portions, tant des parties friables que des parties solides, sont extrêmement coquillières. On y trouve un très grand nombre de nummulites, des individus souvent très grands du Cerithium giganteum, un nautile probablement identique avec celui que M. Dufrénoy a trouvé à Vaugirard et à Chaumont (Oise). Plusieurs espèces d’huîtres, dont une lisse et une striée, qui toutes deux me paraissent difficiles à séparer des huîtres lisses et striées qu’on trouve à Chaumont ; des moules d’une grande crassatelle (probablement la Crassatella tumida), et beaucoup d’autres coquilles.

Au-dessus des assises coquillières se trouve une assise de sable fin un peu argileux, très chlorité. C’est probablement à des assises de cette nature, intercalées dans le sable, que sont dues quelques sources qui suintent vers la partie supérieure de la montagne. Il paraît qu’il y a encore des assises coquillières vers le sommet, dans la ville même de Cassel.

D’après la comparaison des fossiles recueillis à Cassel et à Chaumont, l’identité de formation de ces deux gîtes coquilliers me paraît difficile à révoquer en doute. L’identité de formation des sables coquilliers de ces deux localités et de ceux de la montagne de Laon, me semble également incontestable. Cette identité me paraît importante à signaler, comme propre à donner plus de poids aux ressemblances de différens genres que présentent les dépôts tertiaires plus ou moins dégradés de localités isolées, situées dans l’intérieur ou dans le voisinage du triangle déterminé par les trois points dont s’agit.

Ces tertres détachés que les Anglais nommeraient outlyers, sont autant de témoins de l’ancienne étendue du terrain tertiaire inférieur, qui, des environs de Compiègne et de Laon, s’étendait d’une manière continue, d’une part, vers la mer du Nord, sur les rivages de laquelle il constitue en partie le sol de la Belgique et des côtes de l’Angleterre qui lui sont opposées. D’une autre part, ce même terrain s’étendait vers les falaises de la Manche, où on les voit paraître à Saint-Valery, à Creil, à Sainte-Maguerite, en regard des dépôts analogues de Newhaven et de l’île de Wight, passant ainsi entre les protubérances crayeuses du pays de Bray et des Wealds, suivant une direction parallèle à celle des Pyrénées, et à celle de la plus grande longueur du massif principal du calcaire grossier qui, ainsi que je l’ai indiqué ailleurs, s’étend de Venables, près Louviers (Eure), au tertre de Mont-Aimé, près Vertus (Marne). L’ancienne liaison présumée des terrains tertiaires de l’île de Wight et de la côte de Picardie est déjà indiquée sur la carte géologique de l’Angleterre, jointe aux Outlines of Geology of England and Wales de MM. Conybeare et Philipps. Pour éclaircir ce qui a été dit ci-dessus sur l’ancienne étendue du terrain tertiaire inférieur, je joins à cette note une esquisse géographique de l’état de la France pendant la période où son dépôt s’est opéré. (Pl. VII, fig. 5.)

Les deux rivières que j’ai figurées comme débouchant dans la mer de la première période tertiaire, l’une vers les lieux où se trouve aujourd’hui Vervins, et l’autre vers ceux où se trouve l’île de Portland, rivières dont l’ancienne existence me paraît fort probable, expliqueraient d’une manière très naturelle la plus grande accumulation des lignites dans les parties du dépôt tertiaire inférieur où se trouvent aujourd’hui Soissons d’une part, et Alun-Bay de l’autre.

Les grains quarzeux de tous les sables mentionnés ci-dessus, et même leurs grains glauconieux, rappellent les parties les plus fines des sables qui, dans le pays de Bray et les Wealds du Kent, se trouvent entre les couches inférieures de la formation waldienne et la craie chloritée. Les protubérances crayeuses du pays de Bray et des Wealds ayant été soulevées avant le dépôt des premières assises tertiaires, et leurs diverses couches ayant été par cela même exposées aux dégradations atmosphériques, il me paraît assez probable que les sables tertiaires dont je viens de parler proviennent, au moins en partie, du lavage des sables du pays de Bray et des Wealds, opéré durant la première période tertiaire, par les eaux pluviales, torrentielles et fluviatiles.

C’est en partie dans les flancs des tertres isolés qui se trouvent dans l’intérieur ou dans le voisinage du triangle formé par les collines de Chaumont, Laon et Cassel, que sont exploités les lignites désignés par M. Brongniart, sous le nom de lignites soissonnais.

L’exemple de superposition dont je vais chercher à déduire une confirmation de la position géologique que M. Brongniart a assignée à ces lignites, est situé presque au centre de ce même triangle entre Saint-Quentin et Péronne.

La vallée de la Somme près de Saint-Quentin, et les vallons qui y affluent, sont creusés dans la craie blanche, sur laquelle, ainsi que je l’ai déjà dit plus haut, s’élèvent çà et là des tertres sablonneux. Entre ces tertres et à leur pied, on observe sur la surface de la craie un dépôt de glaise sableuse de couleur ochreuse assez analogue par sa consistance au lehm de l’Alsace. Ce dépôt forme des plateaux très vastes et assez fertiles, qui s’étendent au loin dans un grand nombre de directions, notamment dans celles de Péronne et de Nesle. Arrivés à cette distance, ils commencent à présenter des silex mélangés à l’argile sableuse, et le dépôt qui les compose prend insensiblement la composition qu’il présente habituellement dans les plateaux de la Picardie, de l’Artois et de la haute Normandie.

Si l’on se rend de Saint-Quentin à Péronne, en passant par Holnon, Marteville, Pœuilly et Cartigny (voy. la coupe pl. VII, fig. 1), on marche constamment sur ce dépôt de glaise sableuse jaunâtre, excepté dans les vallées où la craie est à découvert, et sur le large tertre des bois de Vermand qui domine le plateau formé par cette même glaise, et qui n’a jamais pu en être recouvert. La coupe figure 1 indique la disposition du terrain. Au pied occidental du plateau des bois de Vermand, en descendant vers Marteville, on voit la craie recouverte immédiatement par un sable quarzeux, parsemé de grains verts, et analogue à ceux que j’ai déjà mentionnés. Il renferme quelques concrétions ferrugineuses analogues à des oetites. Ce sable forme, évidemment la base du plateau sur lequel croissent les bois ; mais la coupe du terrain ne peut être suivie d’une manière continue jusqu’au niveau du plateau.

Du côté oriental on trouve, en sortant le village de Holnon pour se rendre dans les mêmes bois, une sablière profondément excavée à travers la glaise sableuse qui forme la surface du plateau cultivé, inférieur par son niveau à celui sur lequel croissent les bois.

Cette sablière présente un sable chlorité, tout pareil à celui de la descente du côté de Marteville, et sans doute le fond de la sablière est peu éloigné de la craie. Dans la partie inférieure de l’excavation, le sable devient plus chlorité, et présente en même temps des veines ochreuses. Au-dessus de ce sable s’étend une série d’assises argileuses très minces, rouges, jaunes et noires, qu’on reconnaît aisément pour le rudiment d’une couche de lignite (c fig. 2). Cette série de petites couches minces, dont l’épaisseur totale n’est que de quelques décimètres, est recouverte par une certaine épaisseur d’une argile verdâtre schistoïde, qui rappelle assez bien les fausses glaises des environs de Gisors (d fig. 2).

Ces couches argileuses ne se présentent pas au même niveau dans toute l’étendue de la sablière. Elles sont divisées en deux parties de niveau différent par une faille oblique (fig. 2), qui traverse aussi le sable qui les supporte. Suivant la règle ordinaire, les portions de couches situées du côté vers lequel la faille incline sont les plus basses. Cette faille est dirigée au N. 22" O.

La surface supérieure du dépôt de sable et d’argiles bariolées et verdâtres est très irrégulière, comme le montre la figure ; et la glaise sableuse couleur de rouille qui constitue le plateau moderne, la recouvre en stratification tout-à-fait discontinue (e fig. 2). La faille ne se prolonge pas dans ce terrain superficiel, et il est présumable que sa formation appartient à l’époque de dislocation qui a établi une ligne de démarcation entre les étages tertiaires inférieur et moyen, et qui a mis les lambeaux de l’étage inférieur dans le cas de conserver une position dominante, par rapport au terrain qui constitue les plateaux bas qui les entourent.

Si de l’entrée de la sablière d’Holnon on suit le chemin qui conduit à Marteville, en passant sur le large tertre des bois de Vermand, on ne tarde pas à s’élever au-dessus du niveau du plateau de glaise sableuse, et on se trouve aussitôt sur une argile verdâtre micacée un peu schisteuse, qui n’est évidemment autre chose que la partie supérieure de l’assise, dont une petite épaisseur se montre déjà dans la sablière. Cette argile a par conséquent une épaisseur totale assez considérable que j’estime à 8 à 10 mètres au moins. Elle présente des impressions végétales.

À l’entrée du bois on atteint la partie supérieure de l’assise argileuse dont il s’agit. Les empreintes végétales y augmentent en nombre, sans jamais être très distinctes, ni surtout faciles à extraire. La matière de la couche devient complètement noire, tache les doigts, se couvre d’efflorescences blanchâtres, d’une saveur styptique. C’est une terre vitriolique ou un lignite imparfait, qui, sans être exploitable en ce point, ne peut manquer d’être reconnu comme un des membres de la formation de lignites de ces contrées.

Cette argile charbonneuse est immédiatement recouverte par une couche de 3 à 4 mètres d’épaisseur (fig. 1), d’un sable argileux rougeâtre dans lequel se trouvent des rognons d’un calcaire dur, blanchâtre, un peu celluleux, renfermant un grand nombre de nummulites, de polypiers, de coquilles turriculées (Turritelles ?), et des bivalves striées.

Ce sable avec rognons calcaires, pétri de nummulites, fait déjà évidemment partie du calcaire grossier proprement dit. Comme il forme le plateau sur lequel s’étendent les bois de Vermand, rien n’a pu s’ébouler par-dessus lui, et cacher sa superposition aux couches de la formation de lignite ; superposition qu’on cherche souvent sans succès sur les flancs de tertres plus élevés, et sur lesquels les couches sableuses inférieures du calcaire grossier ont conservé un plus grand développement.

Il est évident, d’après cette coupe, que le dépôt de lignite, en supposant qu’il n’y en ait qu’un seul, appartient au terrain tertiaire inférieur qui constitue les tertres épars çà et là sur la surface des plateaux de la Picardie et de la Champagne septentrionale, et non au dépôt-meuble de l’étage tertiaire moyen, qui constitue le sol d’une partie de ces mêmes plateaux, et qui enveloppe la base des tertres qui les surmontent. Je n’ai jamais observé dans ce dépôt-meuble la moindre trace de lignite.

Les observations que je viens de rapporter, et les conséquences qui me paraissent s’en déduire, ne conduisent pas en elles-mêmes à préjuger qu’il n’existe pas dans le Soissonnais de gîtes de lignites intercalés dans les assises moyennes ou supérieures du calcaire grossier ; gîtes qui correspondraient, par exemple, à celui dont M. Desnoyers a signalé l’existence dans les carrières de Vaugirard. Peut-être un jour découvrira-t-on un pareil dépôt de lignites ; mais il me semble que de fortes considérations s’opposent à ce que l’on considère les gîtes de lignites non recouverts qui ont été observés jusqu’ici dans le Soissonnais, et en partie décrits, comme se trouvant dans ce cas, et qu’on est au contraire conduit à les rapporter au même étage que les lignites des bois de Vermand. Passons en effet en revue quelques uns de ces gîtes de lignites qui aujourd’hui sont à découvert, et qui, pour le dire en passant, pourraient bien n’avoir été mis dans cet état que par l’effet d’une dénudation opérée par les courans diluviens, à la suite d’un grand mouvement du sol.

La craie se relève fortement au nord de Compiègne, pour former le coteau de Marigny et quelques autres qui lui sont contigus. La hauteur remarquable qu’elle y atteint est dans un rapport évident avec celle à laquelle se trouve aujourd’hui porté le calcaire grossier qui constitue le plateau élevé et les flancs abruptes du mont Ganellon. Ce relèvement de la craie et des couches tertiaires est comparable à celui qui amène de même la craie au jour dans le bassin de Beaumont-sur-Oise et de Chambly, et dans la vallée de Vigny (Seine-et-Oise) ; et il est bien remarquable de voir que ces trois points sont presque exactement sur une même ligne droite, tirée parallèlement à la chaîne principale des Alpes (du Valais en Autriche), et dont le prolongement irait traverser la contrée volcanique des bords du Rhin.

En s’avançant de la côte de Marigny vers le nord et le nord-ouest, on voit la craie s’abaisser à peu près suivant la même progression que les couches tertiaires, qui finissent par la cacher entièrement, ou du moins par ne la laisser paraître que dans quelques vallées.

Dans le fond du vallon qui descend de Cuvilly vers la rivière de Matz, au pied des tertres de Séchelles et de Sorel, on voit la surface profondément sillonnée de la craie recouverte par un dépôt de sable très chlorité, et de silex qui pénètre dans toutes ses anfractuosités, et qui se fait remarquer par la disposition irrégulière de ses strates. Les silex sont usés et presque arrondis, et constamment recouverts d’un enduit de cette matière verte, si abondante dans les assises inférieures du calcaire grossier. Ce premier dépôt paraît recouvert par des sables, en partie chlorités, que surmontent des assises alternatives de terres noires et de dépôts très coquilliers. La présence de ces dernières assises vers la partie supérieure des tertres de Séchelles et de Sorel est la seule circonstance qui les distingue des tertres uniquement sableux que j’ai signalés sur les plateaux de la Picardie ; et si jamais on parvient à découvrir à leur cime, aujourd’hui couverte de végétation, le moindre lambeau de calcaire grossier, ils se trouveront correspondre exactement, sous tous les rapports, au tertre des bois de Vermand.

J’ai trouvé une occasion favorable pour étudier la succession des diverses couches qui constituent ces tertres dans la pente septentrionale du vallon qui passe à Biermont, et que traverse la grande route entre Orvillé et Conchy-les-Pots.

Sur la route même, ce vallon n’entame pas la craie, qu’il atteint, sans doute, un peu plus bas ; mais son fond est creusé dans des sables quarzeux chlorités, qui probablement la recouvrent presque immédiatement. Une sablière ouverte entre le vallon de Biermont et Conchy-les-Pots (fig. 3) m’a permis d’observer dans ce sable un lit de rognons formés de calcaire blanchâtre un peu terreux, mélangé d’une assez grande quantité d’argile et de beaucoup, de grains de quarz. J’ai eu récemment occasion d’observer des lits de rognons tout-à-fait analogues dans les assises inférieures du sable coquillier de Belan (Oise), qui fait suite à celui de Chaumont. Ici ces rognons forment la partie inférieure de cette série de concrétions noduleuses, qui se remarquent dans les sables coquilliers de la partie inférieure du calcaire grossier, soit à Chaumont, soit dans la forêt de Compiègne, et au mont Ganellon ; mais à Belan et à Chaumont ils sont supérieurs aux couches marno-charbonneuses, tandis qu’au sud de Conchy-les-Pots ils leur sont inférieurs. Les inductions qu’on peut tirer de l’existence de ces rognons, et des caractères des sables qui les contiennent, pour montrer que les couches de lignites de ces contrées sont intercalées dans les assises inférieures du système du calcaire grossier, ne seraient peut-être que d’une faible importance si elles étaient isolées ; mais elles sont complètement en accord avec toutes les observations qui vont suivre.

En approchant davantage de Conchy-les-Pots, on voit une excavation ouverte à un niveau plus élevé que la sablière. Cette excavation m’a présenté au-dessus des sables ci-dessus une couche d’argile plastique grisâtre recouverte par un sable bariolé de rouge, renfermant des rognons de grès, et présentant des traces peu distinctes d’empreintes végétales. Ce sable est recouvert par une petite couche de lignite. Les trois couches réunies ont une épaisseur d’environ 1 pied. Elles sont immédiatement recouvertes par une argile ou marne bleuâtre renfermant des rognons calcaires d’une texture oolitique, et à celle-ci succède une argile grise renfermant un très grand nombre de cérithes, d’huîtres et de bivalves, qui sont probablement des cyrènes, coquilles dont l’association m’a immédiatement rappelé celles qui accompagnent le gîte de lignite de Sainte-Marguerite, Pourville et Varengeville près de Dieppe, et celles qui se trouvent dans le petit lambeau de terrain tertiaire de Newhaven (Sussex).

Le rapprochement des couches coquillières de Conchy-les-Pots avec celles de Newhaven, que les géologues anglais se sont accordés jusqu’ici à regarder comme inférieures au London-Clay, ne se fonde pas sur une simple ressemblance dans l’association de coquilles des deux localités ; l’ensemble des circonstances du gisement est fort analogue de part et d’autre.

Le pied de la falaise de Castle-Hill, près de Newhaven, est formé de craie blanche avec lits de rognons et couches de silex. Elle s’élève à environ 13 mètres, et est terminée supérieurement par une surface irrégulière. Au-dessus se trouve un sable quarzeux ferrugineux, contenant des veines très chargées d’oxide de fer. Dans quelques points des environs, ce sable est remplacé par un conglomérat à fragmens de silex, et à ciment très ferrugineux. Dans ce sable, ou plutôt à sa ligne de jonction avec la craie, se trouvent des cristaux de chaux sulfatée, et des rognons d’aluminate (Webstérite) auxquels cette localité doit une partie de sa célébrité. Au-dessus de ce même sable, on observe des couches d’argile d’un gris plus ou moins foncé passant au gris bleuâtre, et tournant au jaune par l’effet de la décomposition. Quelques unes de ces couches argileuses contiennent une grande quantité de coquilles, qui sont pour la plupart des huîtres, des cérites ou turritelles et des bivalves analogues aux cyrènes. Les deux dernières espèces sont réduites en une matière blanche très friable, ce qui rend très difficile d’en recueillir des échantillons déterminables. Cette même argile présente des traces de lignite ; elle n’est pas recouverte.

Si les bivalves analogues à des cyrènes dont je viens de parler étaient assez bien conservées pour qu’il fût possible de les déterminer rigoureusement, et si la position géologique d’une couche pouvait être fixée d’après une seule espèce de fossiles, on y trouverait une raison décisive pour placer les couches qui nous occupent près de Conchy-les-Pots, au même niveau que les couches à cyrènes du puits de Marly, dont la position ne présente rien de douteux, mais dont les fossiles, à la vérité, sont eux-mêmes fort mal conservés.

Voici en quels termes MM. Cuvier et Brongniart parlent de ces dernières couches dans la description géologique des environs de Paris. (Recherches sur les ossemens fossiles, t. II, p. 259, édit. de 1822.)

En creusant, en 1810, des puits destinés à l’établissement d’une nouvelle machine hydraulique (à Marly), on est parvenu, après avoir traversé toute la formation de calcaire grossier, à un banc puissant composé de deux couches distinctes : la plus inférieure, ayant plus de 10 mètres d’épaisseur, est une argile plastique grisâtre, marbrée de rouge, et ne renfermant aucune coquille ; au-dessus est un banc de sable, mêlé de pyrites, d’argile, et d’une multitude de coquilles très altérées, très brisées, et qui ne peuvent être rapportées avec certitude à aucune espèce connue ni même à aucun genre, mais qui semblent cependant avoir des rapports, non pas avec des cythérées, comme nous l’avions dit, mais avec les cyrènes, genre de coquille bivalve, fluviatile, assez voisin des cyclades.

Le lignite n’est représenté ici que par des empreintes charbonneuses de feuilles et de tiges, et par une poussière noire, charbonneuse, qui colore le sable. Les résines succiniques y sont comme indiquées par des nodules d’aspect bitumineux. »

Plus loin, page 345, M. Brongniart dit dans une note, en parlant du gîte de lignite de Sainte-Marguerite : « C’est l’observation de ce lieu, où je vis si clairement la position de l’argile plastique et du sable sur la craie, et l’association des lignites pyriteux avec les huîtres et les cérithes dans les parties supérieures » de ce dépôt, qui me conduisit à regarder comme de formation identique les lignites de Marly, du Soissonnais, etc. »

J’ajouterai à la description des couches du fond des puits de Marly, donnée, par M. Brongniart, que l’École des Mines possède des échantillons du sable à lignites et à coquilles retiré de ce puits, qui rappellent tout-à-fait quelques uns des sables dont j’ai parlé précédemment ; et que les échantillons coquilliers sont d’un grain plus fin, et mélangés d’une argile grise qu’on est assez naturellement porté à regarder comme l’équivalent de celle de Conchy-les-Pots, etc. L’étiquette de la collection de l’École des Mines, outre les bivalves qui sont encore très distinctes dans le morceau, indique aussi des coquilles turriculées, ce qui constitue un nouveau motif de rapprochement. Il faut cependant avouer que ces rapprochemens, basés sur des ressemblances extérieures, qui, à la vérité, sont de quelque poids, lorsqu’elles portent sur plusieurs espèces de fossiles, associées de part et d’autre d’une manière semblable, sont rendus assez précaires par suite du mauvais état des échantillons recueillis, qui ne permet pas d’en déterminer les espèces d’une manière rigoureuse.

Ces mêmes rapprochemens sont en outre combattus par une induction qui, du moins au premier abord, semble diamétralement opposée. En effet, suivant la communication faite à la Société géologique, dans sa dernière séance, par M. C. Prévost, les coquilles qui accompagnent certains lignites du Soissonnais ayant été soumises à l’examen de M. Deshayes, ce savant conchyliologie leur a trouvé plus de rapports avec celles de la partie supérieure d’Headen-Hill qu’avec celles du London-Clay, ou du calcaire grossier inférieur. Mais il me semble que M. C. Prévost a donné lui-même, depuis longtemps, dans son ingénieuse Théorie des affluens, la solution de cette difficulté. Les coquilles des lignites qui ont vécu sur des plages où sont venus se déposer de si nombreux débris de la végétation terrestre de leur époque, étaient probablement des coquilles d’embouchure, comme il est reconnu aujourd’hui que l’ont été celles d’Headen-Hill. La série entière de couches d’Alun-Bay et d’Headen-Hill correspond probablement à la partie des terrains tertiaires de Paris, qui est inférieure au grès de Fontainebleau ; et entre les divers dépôts coquilliers de cette période géologique, il n’y a peut-être de différence bien essentielle que celle qui est inhérente à la nature des localités où ils se sont formés.

Il ne me paraît même pas très étonnant de voir des coquilles qui abondent dans les argiles à lignites de quelques points du Soissonnais, manquer complètement dans d’autres gisemens du même dépôt. Il me semble qu’on aurait pu facilement prévoir que ces dépôts coquilliers, si remarquables par les nombreuses alternatives de productions marines et fluviatiles qu’on y a observées, seraient plus sujets à manquer que les dépôts coquilliers tout-à-fait marins.

On a déjà remarqué plus d’une fois, que les dépôts d’eau douce de toute la partie inférieure du terrain parisien ont quelque chose de local.

Le peu de précision et d’accord des caractères paléontologiques constatés, me ramène nécessairement à chercher des argumens dans des caractères purement géognostiques, et il me semble qu’on en trouve un assez concluant en faveur de mon opinion, dans la ressemblance qui existe entre les argiles et marnes grises et verdâtres, auxquelles sont associés les lignites non recouverts, dont j’ai parlé ci-dessus, et celles qui accompagnent les lignites des bois de Vermand et qui sur toute la ligne que j’ai indiquée, des environs de Gisors, vers Épernay, se montre constamment entre les sables tertiaires inférieurs et les premières assises de calcaire grossier.

La succession des sables, des argiles à lignite et des calcaires, qu’on observe sur le pourtour extérieur de la région occupée par le calcaire grossier, en montant de n’importe quelle dépression où la craie affleure sur l’un quelconque des plateaux, présente une constance remarquable. La masse d’argile, d’un gris verdâtre, dont je viens de parler, et dans laquelle les lignites se présentent accidentellement, est en elle-même une des assises les plus constantes, dans les parties inférieures du système du calcaire grossier, des contrées qui nous occupent. Elle correspond aux fausses glaises des environs de Gisors, dans lesquelles se trouve le succin de Dangu[1] ; elle se retrouve même, avec une puissance considérable et une couleur d’un gris bleuâtre très prononcé, plus à l’ouest encore, à mi-côte du tertre de Beauregard, sur la route de Tillière à Vernon (Eure), et elle y est recouverte par le calcaire grossier qui supporte les moulins bâtis au sommet de ce tertre. J’ai retrouvé l’équivalent de cette masse d’argile verdâtre près de Saint-Thierry, au N.-O. de Reims, au milieu du tertre sablonneux qui conduit au plateau de calcaire grossier ; et sa place, marquée en général par des sources et des bouquets d’arbres amis de l’humidité, se dessine presque constatent à la même hauteur, sur la pente des coteaux de calcaire grossier de cette partie de la France. Cette assise beaucoup plus constante que l’argile plastique proprement dite, qui ne forme souvent que des dépôts isolés, placés dans des dépressions accidentelles de la craie, pourrait être regardée comme un des meilleurs horizons géognostiques que présente la partie inférieure des dépôts tertiaires, au N.-E. de Paris.

Je terminerai cette note par quelques observations sur les environs de Reims et d’Épemay, canton particulièrement remarquable par le passage latéral qui s’y opère du calcaire grossier au calcaire siliceux, et dans lequel on peut acquérir une idée complète du rôle, quelquefois beaucoup plus considérable que je ne viens de l’indiquer, que jouent les masses argileuses verdâtres, dans le dépôt tertiaire inférieur, et des rapports qui existent entre le gisement des lignites et ces masses argileuses.

Lorsque des environs de Reims on s’avance vers Épernay et Vertus, on observe que le calcaire grossier est progressivement remplacé par des marnes verdâtres, dans lesquelles, avant de disparaître, il semble ne former, pendant quelque temps, que de larges masses lenticulaires et au milieu desquelles se développent progressivement des masses de calcaire siliceux et de meulières, comme M. Dufrénoy a observé que la chose a lieu sur les confins N.-O. de la Brie, en approchant de Paris. Déjà au N.-O. de Reims, le calcaire grossier qui couronne les plateaux de Saint-Thierry, présente, dans ses parties supérieures, des alternances de marne verte.

La route de Reims à Épernay passe par-dessus un promontoire très élevé de terrain tertiaire, qui s’avance sur la craie et sur lequel s’étendent les bois dits de la montagne de Reims. Avant d’atteindre le pied de ce promontoire, la route traverse pendant deux lieues une plaine ondulée, où la craie est partout à découvert. En arrivant au pied de la côte de Monchenot, on voit paraître immédiatement au-dessus de la craie, une assise puissante d’un sable blanc qui est exploité pour diverses verreries, telles que celles de Saint-Gobain, Saint-Quirin, Saint-Louis, Bacarat. Ces dernières sont dans les Vosges et néanmoins le gîte de sable blanc de Monchenot est le plus voisin où elles trouvent à s’approvisionner. On sait que le sable blanc d’Alun-Bay, dans l’île de Wight, situé à la partie supérieure de l’argile de Londres, est de même exploité pour des verreries fort éloignées ; je crois qu’il est employé jusque dans celles de Newcastle-upon-Tyne. Je dois toutefois ajouter que les sables de Monchenot et de la base d’Headen-Hill, ne me paraissent pas correspondre aussi exactement l’un à l’autre que les lignites du Soissonnais et d’Alun-Bay ; car les sables de Monchenot me paraissent inférieurs à toute la série du calcaire grossier proprement dit, tandis que ceux de la base d’Headen-Hill, supérieurs à l’argile de Londres, occupent à peu près la même place que le sable coquillier de Beauchamp dans la vallée de Montmorency. À Monchenot même, je n’ai aperçu aucune trace de lignite, mais on en exploite sur le prolongement de la bande sableuse qui tourne autour du promontoire tertiaire, à Rigny-la-Montagne, à Chigny, à Mailly, et nous verrons bientôt que du lignite intercalé à des sables se trouve sur la pente opposée du même promontoire, sur les flancs de la vallée de la Marne.

En montant la côte de Monchenot, on ne tarde pas à rencontrer des exploitations de calcaire grossier, dont le niveau semble indiquer qu’il repose sur les sables blancs, et plus haut encore, on trouve une grande épaisseur de marne verte. Le plateau qui porte les bois de la montagne de Reims et le village de Saint-Imoges, est parsemé de fragmens de meulières qui paraissent faire partie de son sol. On se croirait déjà en pleine Brie.

C’est dans ce plateau qu’est creusé le petit vallon de Courtagnon, célèbre par l’abondance et la belle conservation des fossiles que renferme le sable calcaire qui affleure tout près de la ferme de ce nom.

En descendant dans ce vallon, on trouve au-dessous des meulières du plateau une épaisseur considérable de marne verdâtre et de calcaire marneux ; puis une petite couche de calcaire marneux, de consistance crayeuse. Plus bas se trouve une assise de marne verte qui recouvre immédiatement le banc de sable, calcaire coquillier. Les fossiles qu’il contient, semblent le placer à peu près à la même hauteur que celui de Grignon. Plus bas j’ai cru apercevoir encore quelques affleurement de marne verdâtre.

Si du plateau de Saint-Imoges on prend au contraire la route qui descend vers la Marne en face d’Epernay, on aperçoit d’abord au-dessous du dépôt de meulières, une grande épaisseur de marnes blanches et verdâtres, qui forment quelques petits escarpemens. Dans ces marnes se trouvent diverses assises de masses irrégulières de calcaire marneux, ayant toute l’apparence d’un calcaire lacustre, dont les surfaces irrégulières se fondent dans la Marne.

L’une des masses les plus considérables de ce calcaire, située à quelques mètres seulement en dessous du niveau du plateau m’a présenté des rognons siliceux qui lui donnaient une grande ressemblance avec certaines parties du calcaire siliceux de la Brie. La descente est très rapide, et pendant 60 à 80 mètres elle ne présente rien autre chose que les marnes et les grosses concrétions calcaires dont je viens de parler ; Mais ensuite on voit paraître des sables ferrugineux avec des veines d’argile plastique, qui renferment un affleurement de lignite. Plus bas on trouve la craie, et la distance horizontale n’est pas assez grande pour qu’on puisse supposer ici que les couches ne se suivent pas dans l’ordre où on observe leurs affleurement. Entre les marnes et les sables inférieurs, je n’ai rien aperçu qui m’ait rappelé le calcaire grossier de la montée de Monchenot, ni le sable coquillier du vallon de Courtagnon, et cette circonstance a contribué à me donner l’idée que le calcaire grossier solide et le sable coquillier, loin de se présenter en masses continues, ne forment déjà à cette hauteur que de grands amas lenticulaires dans une masse de marne verdâtre, qui repose sur les sables et les lignites.

La disposition que je viens d’indiquer est importante pour l’un des objets de cette note, en ce qu’elle montre que, lorsque les marnes et argiles verdâtres se développent au point de remplacer toutes les couches du système tertiaire inférieur du bassin parisien, les lignites ne se développent pas dans toute leur hauteur, mais restent dans les assises inférieures. De là il résulte que, lorsqu’on trouve des lignites associés à des sables et à des marnes et argiles verdâtres isolés sur la surface de la craie, c’est aux couches inférieures seulement de la montagne de Rbeims, à celles que recouvre le dépôt coquillier de Courtagnon, qu’on est conduit à les assimiler ; ce qui confirme pleinement les observations et les rapprochemens présentés plus haut. Tout concourt donc à prouver que les lignites soissonnais appartiennent, comme l’ont pensé MM. Cuvier et Brongniart, aux assises inférieures du dépôt tertiaire parisien.

Afin de faciliter les moyens de comparer les positions des localités mentionnées dans cette note, j’ai cru devoir reproduire à sa suite une esquisse de la forme de la nappe d’eau sous laquelle se sont déposés les terrains tertiaires inférieurs du nord de la France et de l’Angleterre ; esquisse que j’ai déjà eu occasion de produire dans le cours de géologie de l’École des Mines, en mars 1831.

J’ai dessiné cette esquisse d’après l’ensemble des matériaux existans, en les complétant et les liant, autant qu’il m’a été possible, d’après mes propres observations et d’après les conjectures qui m’ont paru les plus vraisemblables.

J’ai adopté pour dresser cette ébauche de carte marine ancienne d’une partie de l’Europe. la projection stéréographique, sur l’horizon, du Mont-Blanc ; projection qui me paraît une des plus propres à mettre en lumière les rapports de forme et de position des différentes masses minérales dont le sol de l’Europe se compose, et qui possède en même temps des propriétés géométriques, qui pourront être utiles dans la solution des problèmes relatifs aux directions.


  1. Voyez à cet égard les travaux de M. A. Passy sur la constitution géologique des départemens de la Seine-Inférieure et de l’Eure.