Mémoires de la comtesse de Boigne (1921)/Tome III/VII/Chapitre VIII

Émile-Paul Frères, Éditeurs (Tome iii
De 1820 à 1830.
p. 93-104).


CHAPITRE viii


Madame de Duras fait nommer le duc de Rauzan. — La guerre d’Espagne. — Départ de monsieur le duc d’Angoulême. — Marchés de Bayonne. — Habileté d’Ouvrard. — Intrigues du parti ultra. — Sagesse de monsieur le duc d’Angoulême. — Mécontentement contre lui. — Madame de Meffray. — Campagne en Espagne. — Prise du Trocadéro. — Conduite du prince de Carignan. — Les grenadiers lui donnent des épaulettes en laine. — Mot du duc de Reichstadt à ce sujet. — Madame à Bordeaux. — Le baron de Damas remplace le maréchal de Bellune. — Retour de monsieur le duc d’Angoulême.

J’ai souvent remarqué avec étonnement que les femmes, même les plus dévouées, même les plus distinguées, ne peuvent guère se garantir d’afficher leur crédit lorsque les hommes qu’elles chérissent arrivent au pouvoir. Elles ne sauraient pourtant leur rendre plus mauvais service.

Madame de Duras tomba dans ce piège de la fortune d’autant plus facilement qu’elle commençait à être fort inquiète de l’attachement de monsieur de Chateaubriand pour madame Récamier. Elle exigea de lui de nommer son gendre, le duc de Rauzan, chef des travaux politiques. Ce poste avait toujours été rempli par quelque diplomate consommé, vieilli dans les bureaux.

Monsieur de Chateaubriand sentit l’absurdité de le confier à un jeune homme qui avait été trois mois attaché à l’ambassade de Rome et six semaines secrétaire de légation à Berlin. Ne sachant comment se tirer d’une promesse arrachée à sa faiblesse, [il] s’avisa d’écrire à madame de Duras qu’il craignait que cette nomination, où on reconnaîtrait tout son empire, ne la compromît et ne lui attirât des ennemis. J’ai vu le billet où elle lui répondait qu’elle exigeait l’accomplissement de sa parole, qu’elle se faisait gloire de son attachement pour lui et ne craignait, en aucune façon, les propos malveillants qu’on pourrait tenir sur une liaison dont il avait bien soin qu’elle ne connût que les amertumes.

Monsieur de Chateaubriand n’osa pas résister davantage. Cette intempestive nomination eut lieu. Elle fut généralement blâmée, ridiculisée, et nuisit tout d’abord à sa considération. Chacun y reconnut la volonté impérieuse de madame de Duras et elle ne s’en cacha pas, et pourtant elle aurait tout sacrifié à cette gloire qu’elle immolait à l’autel de sa vanité.

La guerre d’Espagne étant décidée, il fallut s’occuper des préparatifs. Il semblait qu’il ne dut y avoir qu’un ordre à expédier pour entrer en campagne. La fièvre jaune, qui désolait la péninsule, avait autorisé l’établissement d’un cordon sanitaire sur la frontière, et, depuis que la peste révolutionnaire s’y était ajoutée, le nombre des troupes avait été considérablement accru.

Toutefois, les répugnances politiques et financières de monsieur de Villèle s’étaient également opposées à ce qu’elles fussent mises sur le pied de guerre. L’incapacité du maréchal duc de Bellune, aussi bien que la vénalité de ses entours, avaient servi les vœux du président du conseil, sans les partager.

Monsieur le duc d’Angoulême fut nommé généralissime et partit au commencement du printemps. J’ai lieu de croire qu’il n’était nullement partisan de cette guerre, mais il ne savait jamais qu’obéir au Roi.

En arrivant à Bayonne, il trouva que rien n’avait été préparé pour l’entrée en campagne. Il expédia un courrier porteur des plaintes les plus amères. Il démontrait combien il serait fâcheux, aux yeux de la France et de l’Europe, d’être arrêté dès ce premier pas et de confirmer, en apparence, les propos de l’opposition qui proclamait que le Roi n’oserait réunir une armée parce qu’elle se déclarerait contre son gouvernement.

Le télégraphe porta au prince l’autorisation de prendre sur lui toutes les mesures nécessaires pour concentrer les troupes et leur procurer des subsistances. Le ministre de la guerre, nommé major général de son armée, partit en poste pour Bayonne. Le conseil espérait ainsi s’en débarrasser sans offenser les ultras qui le chérissaient ; mais monsieur le duc d’Angoulême ne voulut pas même le voir.

On a dit que, par une intrigue d’Ouvrard, tous les préparatifs faits par l’administration de la guerre s’étaient éclipsés. Il la fallait habilement ourdie car le duc de Bellune, si intéressé à prouver le contraire, fut obligé de convenir que tout manquait. Il fut désespéré, contresigna les arrangements arrêtés par le prince avec Ouvrard et reprit le chemin de Paris où il arriva au grand désappointement de ses collègues.

Il retrouva son cabinet et tout l’hôtel intacts. La maréchale en avait soutenu le siège et refusé l’entrée au général Digeon, ayant le portefeuille par intérim et destiné à remplacer le maréchal. La duchesse de Bellune l’avait relégué dans les bureaux, et cette défense matérielle de la place de son mari n’avait pas été sans quelque influence pour la lui conserver.

À peine dix jours écoulés depuis qu’Ouvrard avait été nommé fournisseur général, l’armée, réunie à Bayonne, se trouva dans l’abondance. Je ne sais si cette péripétie fut amenée par d’habiles fripons et s’il y eut bien des tours de bâton dans ce coup de baguette. Beaucoup de noms honorables y furent compromis. Je n’ai pas de renseignements assez exacts pour m’être formé une opinion à ce sujet.

Ce que je sais, c’est que monsieur le duc d’Angoulême agit avec autant de prudence que de fermeté. L’important, en ce moment, n’était pas tant de payer les rations quelques centimes de plus ; l’important était de marcher en avant et de ne point laisser aux malveillants le temps de travailler le moral des soldats en reculant devant des difficultés matérielles auxquelles personne n’aurait voulu croire.

Déjà monsieur le duc d’Angoulême avait montré une grande sagesse en soutenant le général Guilleminot contre une de ces intrigues que le parti ultra avait l’habitude d’exploiter. Une malle adressée à un aide de camp de Guilleminot fut saisie à la diligence. Elle avait été dénoncée et se trouva contenir des uniformes et des cocardes du temps de l’Empire.

L’officier, mandé à Paris, prouva si victorieusement n’avoir jamais eu un rapport quelconque avec cette malle que l’on fut obligé d’abandonner ce moyen, dont on avait fait grand bruit, et qui fut tracé jusqu’en assez saint lieu pour que tout le monde dût se taire. Le but de cette machination était d’inspirer de la défiance contre le général Guilleminot et de le faire remplacer par un homme de la Congrégation ; mais monsieur le duc d’Angoulême traita le général avec d’autant plus de bonté et de distinction.

J’ai déjà dit que le prince n’était nullement sous la gouverne des prêtres. Pieux comme un ange, ayant toujours mené la vie la plus exemplaire, il n’avait pas besoin d’intermédiaire vis-à-vis du ciel. Il respectait les prêtres à l’autel, mais ne leur accordait aucune influence dans les affaires temporelles. Il n’a jamais eu d’aumônier particulier et refusa même d’en emmener dans cette campagne. Il disait que l’Espagne était un pays suffisamment catholique pour qu’il n’y manquât pas de prêtres. Chaque jour il entendait la messe, dite par le curé du lieu où il se trouvait et, les jours fixés pour ses dévotions, il avait de même recours au ministère du premier ecclésiastique, comprenant le français, qu’il trouvait sur sa route.

Un jour, un abbé, expédié de Paris et armé d’un brevet d’aumônier de l’état-major, se présenta au quartier général. Monsieur le duc d’Angoulême voulait le renvoyer. Messieurs Guilleminot et de Martignac, qui craignirent de s’attirer les foudres de la Congrégation, opinèrent pour qu’il restât ; le prince reprit : « Vous le voulez, messieurs, vous ne tarderez guère à vous en repentir. »

En effet, l’abbé établit un foyer d’intrigue ; et on sut bientôt qu’il était le centre d’une petite réunion d’où il partait des notes, adressées à Paris, sur la conduite privée de tous les officiers de l’armée. Le prince se procura une de ces listes annotées, fit venir l’abbé, la lui montra en lui remettant son ordre de route et lui disant : « Partez, et taisez-vous. Je ne veux pas d’espions en soutane. »

Tandis qu’il déployait cette sagesse dans le conseil, monsieur le duc d’Angoulême montrait une bravoure froide et sans aucune forfanterie sur le champ de bataille ; il partageait les fatigues du soldat et les supportait mieux que sa frêle apparence ne semblait l’annoncer.

Mon frère l’accompagnait en qualité d’aide de camp, et je tiens de lui une multitude de traits, pas assez importants pour être rapportés, mais qui militent à confirmer la sage fermeté de l’ensemble de la conduite du prince. Aussi était-il abhorré par les courtisans de son père et de sa belle-sœur. Une puérile circonstance donnera mieux l’idée de la manière dont ils l’envisageaient que de longs développements.

À un déjeuner, assez nombreux, donné par le comte et la comtesse Fernand de Chabot pour l’inauguration d’un nouvel appartement, quelqu’un, impatienté des impertinences qu’on débitait sur monsieur le duc d’Angoulême, s’amusa à dire qu’il avait passé à l’ennemi à la tête de quatre régiments. « Vraiment, s’écria madame de Meffray, dame et favorite de madame la duchesse de Berry, vraiment ! est-il possible ? Je savais bien que monsieur le duc d’Angoulême pensait très mal, mais je ne le croyais pas encore capable de cela ! » Sans doute madame de Meffray était une niaise, mais ses paroles indiquent le diapason de l’intérieur où elle vivait.

Lors de la sage ordonnance d’Andujar, les clameurs contre le prince furent telles que le ministère fut obligé de la casser. À dater de ce moment, monsieur le duc d’Angoulême cessa de prendre aucune part politique aux affaires de la Péninsule, se bornant à ses devoirs militaires.

Il avait été grandement dégoûté par les procédés du roi Ferdinand VII qui, non seulement ne lui avait accordé aucune confiance, mais avait même affecté des formes grossièrement arrogantes vis-à-vis de lui. Ainsi, par exemple, lorsque monsieur le duc d’Angoulême, au moment où le Roi débarquait à Port-Sainte-Marie, lui avait présenté son épée en s’agenouillant, il lui avait laissé accomplir cette cérémonie de courtoisie, à la grande indignation des français présents, et se relever sans lui offrir d’assistance.

L’absurde étalage qu’on a fait de la prise du Trocadéro a rendu ridicule jusqu’au nom d’un très joli fait de guerre qui décida la prise de Cadix et termina la campagne, si on peut donner ce nom à une marche triomphale de Bayonne à Cadix. Les partisans des Cortès se défendirent dans quelques villes ; mais, en général, l’armée française fut accueillie partout avec une grande joie.

Les populations des villages accouraient à sa rencontre. Le prince était reçu avec acclamation : « Viva el duca ! Viva le Bourbone ! Viva el re netto ? Viva la sacra santo inquisition ! », criait la foule qui couvrait l’escouade royale de fleurs et de guirlandes et déployait des tapis sous les pieds des chevaux.

Aussi le maréchal Oudinot disait-il en soupirant : « Ce qu’il y a de déplorable, dans cette affaire-ci, c’est que nos gens se persuadent qu’ils font la guerre. » Malgré cette exclamation chagrine du vieux soldat, nos jeunes troupes, toutes les fois qu’elles en eurent occasion, montrèrent leur zèle et leur intrépidité accoutumés ; et j’ai entendu dire à des officiers, ayant fait la vraie guerre, que notamment le petit fort du Trocadéro avait été emporté avec une vigueur digne des grenadiers de la grande armée.

Le prince de Carignan s’y distingua particulièrement. On lui a fort reproché d’avoir fait cette campagne contre les révolutionnaires. Elle lui avait été imposée comme amende honorable par la Cour de Sardaigne, et tout lui était bon pour sortir de la position intolérable où il se trouvait à Florence. Mais, quelque opinion qu’on puisse avoir sur la convenance de sa présence auprès de monsieur le duc d’Angoulême, tout le monde doit approuver la conduite qu’il y tint en passant, avec les premiers grenadiers, le fossé plein d’eau qui entourait la redoute.

Le lendemain, à la parade, une députation des grenadiers s’avança vers le prince et lui offrit, au nom du corps, une paire d’épaulettes de laine, appartenant à un des camarades tué à ses côtés pendant la périlleuse traversée du large fossé, et le proclama grenadier français.

Le prince attacha les épaulettes sur son uniforme, et certainement ce moment a été un des plus heureux de sa vie, quoique son visage se trouvât tout à coup inondé de larmes. Tous les assistants étaient émus de cet épisode improvisé auquel personne ne s’attendait.

Il me rappelle une circonstance, bien postérieure, mais que je placerai ici, d’autant que je ne pense pas conduire ces récits jusqu’à l’époque où elle a eu lieu.

Le colonel de La Rue se trouvant à Vienne en 1832 avec le jeune duc de Reichstadt, celui-ci, qui cherchait sans cesse à le faire parler sur les armées de France, lui demanda si, en effet, le roi de Sardaigne avait payé de sa personne autant qu’on l’avait dit.

Monsieur de La Rue, témoin et acteur au Trocadéro, lui raconta ce qui s’y était passé, ainsi que la démarche des grenadiers, et il ajouta :

« Et je vous assure, monseigneur, que le prince était bien content.

— Sacrebleu, je le crois bien ! répondit le jeune homme en frappant du pied. » Puis il reprit après un assez long silence :

« Voyez la différence des pays, mon cher La Rue ; chez eux (il désignait du doigt l’ambassadeur de Russie), chez eux quand on veut humilier un officier, on le fait soldat. Chez nous quand on veut honorer un prince, on le fait grenadier ! Ah ! chère France ! » Et il s’éloigna du colonel pour cacher une émotion qu’il venait de lui faire partager.

Ce même monsieur de La Rue possède une pièce assez curieuse. La veille de son départ de Vienne, il adressa à monsieur le duc de Reichstadt, qu’il rencontrait dans le monde tous les soirs, cette phrase banale :

« Monseigneur a-t-il des ordres à me donner pour Paris ?

— Des ordres pour Paris ! moi ? Moi ! oh ! non, cher La Rue ! » Et il sentit trembler la main qu’on lui avait tendue.

Il se retira affligé de l’effet produit sur le prince par son inadvertance. Au moment où il montait en voiture le lendemain, un valet de pied lui remit un paquet. C’était un grand papier plié en quatre, sur le milieu duquel était écrit de la main du duc : « Présentez mes respects à la colonne. »

Il n’y a ni date ni signature, mais l’enveloppe, mise par un secrétaire, est contresignée de tous les titres et qualités de S. A. I. le duc de Reichstadt et porte l’assurance que l’intérieur est de son écriture. Est-ce un usage allemand pour les lettres des princes ou une précaution particulière pour celle-là ? Je l’ignore.

Monsieur de La Rue me l’a confiée, pendant une absence qu’il a faite, mais il me l’a redemandée ; et je n’ai pas osé lui témoigner le désir que j’aurais eu de la conserver.

Je reprends le fil de mon discours. Madame la duchesse d’Angoulême s’était établie à Bordeaux, pendant la guerre d’Espagne, pour être plus à portée des nouvelles. Le même motif y conduisit ma belle-sœur. Cette similitude d’intérêt la rapprocha de la princesse, beaucoup plus gracieuse en général lorsqu’elle s’éloignait de Paris, et qui, dans cette circonstance, montra à madame d’Osmond des bontés qu’elle lui a toujours continuées.

Elle n’était pas précisément de son intimité, mais du petit nombre des personnes qu’elle accueillait avec faveur, distinction d’autant plus appréciée qu’elle était moins prodiguée, aussi ma belle-sœur lui est-elle très dévouée. Le naturel de son esprit lui a fait trouver grâce devant Madame. Madame d’Osmond est la seule personne d’un esprit remarquable que je lui ai vu ne point repousser. Il y a fort à parier que, sans le séjour de Bordeaux, elle serait restée dans la disgrâce qu’elle méritait sous ce rapport.

L’animadversion de monsieur le duc d’Angoulême pour le duc de Bellune était si hautement prononcée qu’il fallait bien songer à le remplacer. Monsieur de Villèle en faisait d’autant plus volontiers le sacrifice qu’il désirait fort s’en débarrasser et était charmé d’en laisser l’impopularité au prince.

Monsieur de Chateaubriand, qui se savait assez mal dans son esprit, crut faire un acte de haute courtisanerie en poussant à la nomination du baron de Damas, attaché à sa maison. Lorsque monsieur le duc d’Angoulême reçut le courrier qui lui en apportait la nouvelle, il entra dans le salon où étaient réunis ses aides de camp et il leur dit :

« Messieurs, le duc de Bellune n’est plus ministre de la guerre. Devinez qui le remplace. Je vous le donne en dix. Que dis-je, en dix ? Je vous le donne en cent et même cela ne sera pas assez, je vous le donne en mille. »

Quelques noms étranges ayant été prononcés, le prince reprit :

« Non, c’est encore mieux… Vous ne trouverez jamais… C’est le baron de Damas, votre camarade… le bon Damas ! »

Il se prit à rire et tout l’état-major avec lui. On voit comme monsieur de Chateaubriand avait bien réussi à faire sa cour à monsieur le duc d’Angoulême.

À son retour à Paris, le prince se montra aussi simple et aussi modeste qu’il avait été brave et sage en Espagne. Son père le reçut avec une tendresse et une joie toute paternelle, le Roi avec cette pompe théâtrale qui suppléait en lui à la sensibilité.

Madame la duchesse d’Angoulême jouissait des succès de son mari d’une joie si étrangère à sa physionomie qu’elle en était altérée. Cette pauvre princesse a eu si peu d’occasion d’en ressentir qu’elle ne sait comment la porter. Son attachement pour monsieur le duc d’Angoulême était aussi tendre que sincère, quoiqu’il ne partageât pas ses passions politiques.

Le prince était resté en rapport avec les personnes les plus influentes du ministère Richelieu, messieurs Pasquier, Mounier, etc., et surtout monsieur Portal au sage esprit duquel il accordait grande confiance. Il leur parlait volontiers des affaires du moment pour s’éclairer de leurs lumières.

Ces relations, que le prince lui-même ne cherchait point à dissimuler, achevaient de le discréditer auprès des exaltés. Ils s’étaient ameutés contre lui dès ce voyage dans la Vendée où il avait prêché Union et Oubli. L’ordonnance d’Andujar, autre crime de même nature, aurait constaté qu’il était incorrigible et décidément jacobin si, déjà, sa désapprobation formelle de la manière dont monsieur Manuel avait été expulsé de la Chambre avait pu laisser quelques doutes sur ses sentiments.

Peu de jours après son retour, monsieur le duc d’Angoulême, sortant en voiture avec mon frère, fut accueilli de très vives acclamations par la foule assemblée dans la cour des Tuileries. Une fois sur le quai, et les salutations accomplies, il se renfonça dans sa voiture et dit avec un sourire amer :

« Voilà bien ce qui s’appelle, en termes de gazette, un prince adoré ! Il serait bien doux d’y pouvoir croire ! Mais, voyez-vous, d’Osmond, ils crieraient à l’eau, tout aussi volontiers si on les y poussait. »

Au moins ne se faisait-il pas illusion sur sa popularité, malgré les adulations dont les gens qui avaient le plus cherché à le déjouer et à empoisonner sa conduite vis-à-vis du Roi et du public l’étourdissaient. Il en était fort contrarié et l’a souvent témoigné avec son peu de bonne grâce accoutumée, mais avec beaucoup de jugement.

Personne plus que lui n’était impatienté de l’abus fait de ce malheureux nom du Trocadéro. L’esprit courtisan l’avait donné à tout, depuis un ruban jusqu’à une salle de festin à l’hôtel de ville, depuis un joujou du duc de Bordeaux jusqu’à l’arc de triomphe de l’Étoile. Toutefois, monsieur le duc d’Angoulême s’opposa formellement à ce dernier baptême, et cette ridicule appellation tomba vite en désuétude.

Je me livre avec complaisance à parler de monsieur le duc d’Angoulême en ce moment. C’est certainement la plus belle année d’une vie si éprouvée par le malheur. Ce pauvre prince méritait un meilleur sort ; mais la fortune, son éducation, son père, ses entours et même ses vertus lui en ont préparé un si déplorable que l’histoire elle-même l’accablera de dédains, sans rendre justice à des qualités réelles.

Si monsieur le duc d’Angoulême s’était trouvé succéder immédiatement à Louis XVIII, la Restauration aurait probablement marché dans des voies assez sages pour se concilier les suffrages du pays. Pendant bien des années, toutes les espérances se sont tournées vers lui, et c’est seulement lorsqu’on l’a vu suivre les traces de son père que les orages se sont pressés autour du trône et que la foudre populaire l’a renversé.