Mémoires de la comtesse de Boigne (1921)/Tome II/VI/Chapitre XVII

Émile-Paul Frères, Éditeurs (Tome ii
1815. — L’Angleterre et la France de 1816 à 1820.
p. 302-313).


CHAPITRE xvii


Le comte Decazes veut changer de ministère. — Intrigues contre le duc de Richelieu. — Il donne sa démission. — Le général Dessolle lui succède. — Mariage de monsieur Decazes. — Le comte de Sainte-Aulaire. — Mon père demande à se retirer. — Il est remplacé par le marquis de La Tour-Maubourg. — Le Roi est mécontent de mon père. — Mes idées sur la carrière diplomatique. — Une fournée de pairs. — Monsieur de Barthélemy.

On devait croire qu’après ses succès d’Aix-la-Chapelle le président du conseil reviendrait à Paris tout-puissant. Il en fut autrement. Les deux oppositions de droite et de gauche se coalisèrent pour amoindrir le résultat obtenu, et le parti ministériel, sous l’influence de monsieur Decazes, ne se donna que peu de soins pour le montrer dans toute son importance.

Monsieur de Richelieu était personnellement l’homme le moins propre à exploiter un succès, mais monsieur Decazes s’y entendait fort bien. Dans cette circonstance, il négligea de le vouloir. Des intrigues intérieures dans le sein du ministère en furent cause. Monsieur Decazes s’était uni à un parti semi-libéral qui, depuis, a produit ce qu’on a appelé les doctrinaires. Ce parti avait longtemps crié contre le ministère de la police et il persuada à monsieur Decazes qu’en faisant réformer ce ministère au départ des étrangers il semblerait n’avoir été créé que pour un moment de crise et que le Roi ferait un acte habile dont la popularité rejaillirait sur lui.

Monsieur Decazes goûtait cette pensée mais à condition, bien entendu, qu’il resterait ministre et ministre influent. Il en parla à monsieur de Richelieu qui adopta l’idée. Monsieur Lainé, ministre de l’intérieur, professait sans cesse de son désintéressement, de son abnégation de toute ambition et de son ennui des affaires.

Monsieur de Richelieu, qui avait, à cette époque, parfaite confiance en lui et en ses paroles, alla avec la candeur de son caractère lui demander de céder son portefeuille à Decazes qui en avait envie. Monsieur Lainé se mit en fureur contre une telle proposition, et le duc de Richelieu, avec la gaucherie habituelle de sa loyale franchise, s’en alla rapporter à monsieur Decazes qu’il ne fallait plus penser à son projet parce que monsieur Lainé ne voulait pas y consentir. Il reconnaissait bien du reste la convenance de renoncer à avoir un ministère spécial de la police ; il avouait tous les inconvénients que monsieur Decazes signalait à le maintenir, mais il faudrait aviser à un autre moyen de le supprimer.

Après avoir donné ces étranges satisfactions à messieurs Decazes et Lainé, il partit pour Aix-la-Chapelle en complète sécurité des bonnes dispositions de ses collègues envers lui. Il put en voir la vanité au retour.

Je ne sais pas au juste les intrigues qu’on fit jouer ni les dégoûts dont on l’entoura, mais, à la fin de l’année, il dut donner sa démission ainsi que messieurs Pasquier, Molé, Lainé et Corvetto. Le général Dessolle devint le chef ostensible du nouveau cabinet dont monsieur Decazes était le directeur véritable.

Je n’ai jamais pu comprendre que monsieur Decazes n’ait pas senti que le beau manteau de cristal pur, dont la présidence de monsieur de Richelieu couvrait son favoritisme, était nécessaire à la durée de son crédit. Il ne pouvait soutenir le poids des haines dirigées contre lui que sous cette noble et transparente égide.

Monsieur de Richelieu ne lui enviait en aucune façon sa faveur et lui en laissait toute la puissance, toute l’importance, tous les profits et aussi tous les ennuis ; car ce n’était pas tout à fait un bénéfice sans charge de devoir amuser un vieux monarque valétudinaire tourmenté dans son intérieur.

Monsieur Decazes avait épousé depuis quelques mois mademoiselle de Sainte-Aulaire, fille de qualité riche et ayant par sa mère, mademoiselle de Soyecourt, des alliances presque royales. Ces relations flattaient monsieur Decazes et plaisaient au Roi. Aussi ce mariage lui avait été assez agréable pour qu’il s’en mêlât personnellement, et cette circonstance avait été une occasion de rapprochement avec une nuance d’opposition hostile à laquelle appartenait monsieur de Sainte-Aulaire. Je professe pour celui-ci une amitié qui dure tantôt depuis trente ans. Toutefois je dois avouer que, dans les premiers moments de la Restauration, il s’était conduit, au moins, avec maladresse.

Il avait successivement renié Napoléon dont il était chambellan en 1814, et Louis xviii en 1815, dans les deux villes de Bar-le-Duc et de Toulouse dont il se trouvait préfet à ces deux époques, d’une manière ostensible et injurieuse qui ne convenait pas mieux à sa position qu’à son caractère et à son esprit, un des plus doux et des plus agréables que je connaisse. Mais il y a des circonstances si écrasantes qu’elles trouvent bien peu d’hommes à leur niveau, surtout parmi les gens d’esprit. Les bêtes s’en tirent mieux parce qu’elles ne les comprennent pas.

Sa conduite pendant les Cent-Jours avait jeté monsieur de Sainte-Aulaire dans les rangs de la gauche. Le mariage de monsieur Decazes avec mademoiselle de Sainte-Aulaire, au lieu de rapprocher le ministre du parti aristocratique auquel elle appartenait par sa naissance, l’avait mis dans la société de l’opposition et lui donnait, fort à tort, une nuance de couleur révolutionnaire que les ultras enluminaient de leur palette la mieux chargée.

Je n’oserais pas assurer que leurs cris, sans cesse répétés, n’eussent exercé, à notre insu, quelque influence même sur nous à Londres.

La nouvelle de la retraite de monsieur de Richelieu, à laquelle il ne s’attendait nullement, fut un coup très sensible à mon père. J’ai déjà dit que les affaires importantes de l’ambassade se traitaient entre eux, sans passer par les bureaux, dans des lettres confidentielles et autographes. Mon père n’avait aucun rapport personnel avec monsieur Dessolle et ne pouvait continuer avec lui une pareille correspondance.

Il reçut du nouveau ministre une espèce de circulaire fort polie dans laquelle, après force compliments, on l’avertissait que la politique du cabinet était changée.

Mon père avait déjà bien bonne envie de suivre son chef ; cette lettre le décida. Il répondit que sa tâche était accomplie. Ainsi que le duc de Richelieu, il avait cru devoir rester à son poste jusqu’à la retraite complète des étrangers, les négociations entamées devant, autant que possible, être conduites par les mêmes mains, mais qu’une nouvelle ère semblant commencer dans un autre esprit, il profitait de l’occasion pour demander un repos que son âge réclamait.

Nous fûmes charmées, ma mère et moi, de cette décision. La vie diplomatique m’était odieuse, et ma mère ne pouvait supporter la séparation de mon frère. D’ailleurs, nous nous apercevions que le travail auquel il s’était consciencieusement astreint fatiguait trop mon père. Sa bonne judiciaire conservait toute sa force primitive, mais déjà nous remarquions que sa mémoire faiblissait.

Lorsqu’un homme a été depuis l’âge de trente ans jusqu’à soixante hors des affaires et qu’il y rentre, ou il les fait très mal, ou bien elles l’écrasent. C’est ce qui arrivait à mon père.

Monsieur Dessolle lui répondit en l’engageant à revenir sur sa décision, mais il y persista. Ce n’était pas, disait-il, avec l’intention de refuser son assentiment au gouvernement du Roi, mais dans la pensée qu’un ambassadeur nouvellement nommé serait mieux placé vis-à-vis du cabinet anglais qu’un homme qui semblerait appelé à se contredire lui-même.

Une négociation, par exemple, était ouverte pour obtenir du roi des Pays-Bas d’expulser de Belgique le nid de conspirateurs d’où émanaient les brochures et les agitateurs qui troublaient le royaume. Monsieur Decazes mettait la plus grande importance à son succès et en parlait quotidiennement au duc de Richelieu qui, pressé par lui, réclamait les bons offices du cabinet anglais. Un des premiers soins du ministère Dessolle fut d’adresser des remerciements au roi de Hollande pour la noble hospitalité qu’il exerçait envers des réfugiés qu’on espérait voir bientôt rapporter leurs lumières et leurs talents dans la patrie. La copie de cette pièce fut produite à mon père par lord Castlereagh, en réponse à une note qu’il avait passée d’après les anciens documents. Cela était peut-être sage, mais il fallait un nouveau négociateur pour une nouvelle politique.

Il y eut encore une réponse de monsieur Dessolle qui semblait disposé, plus qu’il ne se l’était d’abord proposé, à suivre les traces de son prédécesseur ; mais mon père avait annoncé ses projets de retraite à Londres, et, malgré toutes les obligeantes sollicitations du Régent et de ses ministres, il resta inflexible.

Le marquis de La Tour-Maubourg fut nommé pour le remplacer. Avec la franchise de son caractère, mon père s’occupa tout de suite activement de lui préparer les voies, de façon à rendre la position du nouvel ambassadeur la meilleure possible, dans les affaires et dans la société.

Monsieur de La Tour-Maubourg, qui est aussi éminemment loyal, ressentit vivement ces procédés et en a toujours conservé une sincère reconnaissance. Mon père y ajouta un autre service, car, de retour à Paris et n’y ayant plus d’intérêt personnel, il démontra clairement que l’ambassade de Londres n’était pas suffisamment payée et fit augmenter de soixante mille francs le traitement de son successeur.

Si monsieur de La Tour-Maubourg était touché des procédés de mon père, monsieur Dessolle, en revanche, était piqué de son retour, et monsieur Decazes en était assez blessé pour avoir irrité le roi Louis XVIII contre lui.

Le favori n’avait pas tout à fait tort. La retraite d’un homme aussi considéré que mon père et qui avait jusque-là marché dans les mêmes voies pouvait s’interpréter comme une rupture, et, malgré l’extrême modération des paroles de mon père et de sa famille, les ennemis de monsieur Decazes ne manquèrent pas de s’emparer de ce prétexte pour en profiter contre lui.

Quelques semaines s’étaient écoulées dans les pourparlers entre mon père et le ministre. Quoique sa démission eût suivi immédiatement celle de monsieur de Richelieu, elle ne fut acceptée qu’à la fin de janvier 1819. Je partis aussitôt pour Paris afin d’y préparer les logements.

Je trouvai le Roi fort exaspéré et disant que, jusqu’à cette heure, il avait cru que les ambassadeurs accrédités par lui le représentaient, mais que le marquis d’Osmond aimait mieux ne représenter que monsieur de Richelieu. On voit que le père de la Charte n’avait pas encore tout à fait dépouillé le petit-fils de Louis XIV et tenait le langage de Versailles. Il aurait probablement mieux apprécié la conduite de mon père si elle avait été agréable au favori.

Celui-ci, au reste, m’accueillit avec une bienveillance que j’ai eu lieu de croire peu sincère. Non seulement mon père, qu’on avait comblé d’éloges pendant tout le cours de son ambassade, ne reçut aucune marque de satisfaction, mais il eut même beaucoup de peine à obtenir la pension de retraite à laquelle il avait un droit acquis et indisputable, sous prétexte que les fonds étaient absorbés. Au reste, il ne fut pas seul à souffrir le ben servire e non gradire : les ministres sortants, et surtout monsieur de Richelieu, firent une riche moisson d’ingratitude, à la Cour, aux Chambres et jusque dans le public.

Monsieur et Madame me traitèrent avec plus de bonté que de coutume lorsque j’allai faire ma cour à mon arrivée de Londres. Monsieur le duc de Berry voulut me faire convenir que mon père quittait la partie parce qu’enfin il la voyait entre les mains des Jacobins. Je m’y refusai absolument, me retranchant sur son âge qui réclamait le repos, sur la convenance de quitter les affaires lorsque l’œuvre de la libération du territoire était accomplie, et sur la santé de ma mère. Le prince insista vainement et m’en témoigna un peu d’humeur, mais pourtant avec son amitié accoutumée.

Quant aux autres, lorsqu’ils virent qu’aucune de nos allures n’était celles de l’opposition et que, dans la Chambre des pairs, mon père votait avec le ministère, ils renoncèrent à leurs gracieusetés et rentrèrent dans leur froideur habituelle.

Ma mère était tombée dangereusement malade à Douvres et nous donna de vives inquiétudes. Elle put enfin passer la mer et nous nous trouvâmes réunis à Paris à notre très grande joie.

Mon père ne tarda pas à éprouver un peu de l’ennui qui atteint toujours les hommes à leur sortie de l’activité des affaires. Son bon esprit et son admirable caractère en triomphèrent promptement. Il n’y a pas de situation plus propre à faire naître ce genre de regret que celle d’un ambassadeur rentrant dans la vie privée. Toutes ses relations sont rompues ; il est étranger aux personnes influentes de son pays ; il n’est plus au courant de ces petits détails qui occupent les hommes au pouvoir, car, après tout, le commérage règne parmi eux comme parmi nous ; il s’est accoutumé à attacher du prix aux distinctions de société, et elles lui manquent toutes à la fois.

Il n’y a pas de métier plus maussade à mon sens, où l’on joue plus complètement le rôle de l’âne chargé de reliques et où les honneurs qu’on reçoit soient plus indépendants de toute estime, de toute valeur, de toute considération personnelle.

Je sais qu’il est convenu de regarder cette carrière comme la plus agréable, surtout lorsqu’on arrive au rang d’ambassadeur. Je ne l’ai connue que dans cette phase et je la proclame détestable. Lorsqu’on a veillé la nuit pour rendre compte des travaux du jour et qu’on a réussi dans une négociation difficile, épineuse, souvent entravée par des instructions maladroites, tout l’honneur en revient au ministre qui, dans la phrase entortillée de quelque dépêche, vous a laissé deviner ses intentions, précisément assez pour pouvoir vous désavouer si vous échouez. En revanche, si l’affaire manque et s’ébruite, on hausse les épaules et vous êtes proclamé maladroit d’autant plus facilement que, le secret étant la première loi du métier, vous ne pouvez rien apporter pour votre justification.

J’ai vu la carrière diplomatique sous son plus bel aspect, puisque mon père, occupant la première ambassade, y a joui de la confiance entière de son cabinet et d’une grande faveur près de celui de Londres, et pourtant je la proclame, je le répète, une des moins agréables à suivre.

Je comprends qu’un homme politique, dans les convenances duquel une absence peut se trouver entrer momentanément, aille passer quelques mois avec un caractère diplomatique dans une Cour étrangère.

Rien n’est plus mauvais pour les affaires du pays que de pareils ambassadeurs qui s’occupent de toute autre chose ; mais j’admets l’agrément de cette espèce d’exil. Il ne faut pas toutefois s’y résigner trop longtemps, car aucun genre d’absence n’enlève plus promptement et plus complètement la clientèle.

Nous avons vu monsieur de Serre, le premier orateur de la Chambre, ne pouvoir être renommé député après avoir été deux ans ambassadeur à Naples et en mourir de chagrin. Certainement, s’il avait passé ces deux années à la campagne chez lui, dans une retraite absolue, son élection n’aurait pas été contestée et sa carrière d’homme politique serait restée bien plus entière.

Je parle ici pour les hommes à ambition politique, car ceux qui ne veulent que des places et des appointements ont évidemment avantage à préférer l’ambassade à la retraite ; mais aussi, s’ils prolongent leur absence, ils reviennent, au bout de leur carrière, achever dans leur patrie une vie dépourvue de tout intérêt, étrangers à leur famille, isolés de tout intimité et ne s’étant formé aucune des habitudes qui, dans l’âge mûr, suppléent aux goûts de la jeunesse.

Plus le pays auquel on appartient présente de sociabilité, plus ces inconvénients sont réels. Cela est surtout sensible pour les français qui vivent en coteries formées par les sympathies encore plus que par les rapports de rang ou les alliances de famille. Rien n’est plus solide que ces liens et rien n’est plus fragile. Ils sont de verre. Ils peuvent durer éternellement, un rien peut les briser. Ils ne résistent guère à une absence prolongée. On s’aime toujours beaucoup, mais on ne s’entend plus. On croit qu’on aura grande joie à se revoir, et la réunion amène le refroidissement, car on ne parle plus la même langue, on ne s’intéresse plus aux mêmes choses. En un mot, on ne se devine plus. Le lien est brisé. Les français ont si bien l’instinct de ce mouvement de la société que nous voyons nos diplomates empressés de venir fréquemment s’y retremper ; et, de tous les européens, ce sont ceux qui résident le moins constamment dans les Cours où ils sont accrédités.

Ces réflexions, je les faisais alors aussi bien qu’à présent, et j’eus pleine satisfaction à me retrouver Gros-Jean comme devant.

Notre parti pris de n’être point hostiles au nouveau ministère reçut un échec par la décision de monsieur Decazes de nommer une fournée de soixante pairs (6 mars 1819). Ce n’est pas après avoir retrempé mon éducation britannique, pendant trois années, dans les brouillards de Londres que je pouvais envisager de sang-froid une pareille mesure.

Mon père exigeait mon silence, mais il partageait la pensée que c’était un coup mortel à la pairie. Il a porté ses fruits, car il ne serait pas bien difficile de rattacher la destruction de l’hérédité à la création de ces énormes fournées dont Decazes a donné le premier exemple. La liste de 1815, quoique très nombreuse, porte un caractère tout à fait différent. Il s’agissait de fonder l’institution et non pas de forcer une majorité.

Les nominations de 1819 eurent lieu à l’occasion d’une proposition faite par monsieur de Barthélemy pour la révision de la loi d’élection, loi dont M. Decazes lui-même demanda le rappel peu de mois après. Je ne me suis jamais expliqué comment on était parvenu à obtenir de monsieur de Barthélemy d’attacher le grelot.

Lorsqu’il s’aperçut, à la fin, de tout le bruit qu’il faisait, il pensa en tomber à la renverse. La même chose lui était arrivée lorsque, presque à son insu, il s’était trouvé directeur de la République. La chute avait été plus rude à cette occasion puisqu’elle l’avait envoyé sur les plages insalubres de la Guyane.

Je l’ai beaucoup connu et je n’ai jamais compris ces deux circonstances de sa vie. C’était le plus honnête homme du monde, le plus probe. Il avait de l’esprit et des connaissances, une conversation facile et quelquefois piquante ; mais il était timide, méticuleux, circonspect. Il avait toujours l’inquiétude de déplaire et surtout le besoin de se mettre à la remorque et de se cacher derrière les autres. Jamais homme n’a été moins propre à jouer un rôle ostensible et n’a eu moins d’ambition. Loin de tirer importance d’avoir été un cinquième de roi, il était importuné qu’on s’en souvînt.

Lorsque ce qu’on appela la proposition Barthélemy fit une si terrible explosion dans la Chambre et dans le public, il en fut consterné. Je l’ai vu épouvanté de faire tout ce vacarme au point d’en tomber sérieusement malade. Au reste, ce sont de ces événements dont on s’occupe fort pour un moment et qui laissent moins de trace dans le souvenir qu’ils n’en méritent peut-être, car souvent ils ont porté le germe d’une catastrophe que d’autres événements, également oubliés, ont mûrie jusqu’à ce qu’une dernière circonstance la fasse éclore tout à coup.

Nous eûmes un remaniement du ministère avant la fin de l’année. Monsieur Pasquier devint ministre des affaires étrangères. C’était rentrer dans les errements du cabinet Richelieu, et mon père en fut d’autant moins disposé à s’enrôler sous les drapeaux ultras. Monsieur Roy arriva aux finances et monsieur de La Tour-Maubourg eut le portefeuille de la guerre. Il déploya dans cette nouvelle position la même honnêteté, la même probité, la même incapacité qu’il avait portées à Londres.

Mes fréquents voyages en Angleterre m’avaient empêchée d’aller en Savoie. Je profitai de l’été de 1819 pour faire une visite à monsieur de Boigne et prendre les eaux d’Aix.

Au commencement de l’hiver, je vins m’établir avec mes parents dans une maison que j’avais louée dans la rue de Bourbon. C’est là où j’ai passé les dix années qui ont préparé et amené la chute de cette Restauration que j’avais appelée de vœux si ardents et vu commencer avec des espérances si riantes.