Mémoires de Victor Alfieri, d’Asti/Troisième époque - Jeunesse/Chapitre XIV

Traduction par Antoine de Latour.
Charpentier, Libraire-éditeur (p. 201-214).

CHAPITRE XIV.

Maladie et retour à la santé.

1773. Comme je passai tout le temps que dura cette intrigue à enrager du matin au soir, ma santé s’en trouva aisément altérée, et, en effet, à la fin de 1773, je fis une maladie assez courte, mais très-sérieuse, et si extraordinaire, que les beaux esprits de Turin, c’est un pays où ils ne manquent pas, prétendirent facétieusement que j’étais bien capable de l’avoir inventée pour moi seul. Elle commença par des vomissemens qui durèrent bien pendant trente-six heures de suite, et lorsque mon estomac n’eut plus rien absolument à rendre, le vomissement se convertit en un sanglot laborieux avec d’horribles convulsions au diaphragme, qui ne me permettaient pas d’avaler même de l’eau à très-petites gorgées. Les médecins, craignant l’inflammation, me saignèrent au pied, ce qui fit aussitôt cesser l’effort de ce vomissement ; mais il fut remplacé par des mouvemens convulsifs et une violente surexcitation nerveuse par tout le corps. Dans l’accès de ces secousses terribles, tantôt j’allais donner de la tête contre le chevet de mon lit, si on ne me la tenait pas, tantôt c’étaient mes mains et surtout mes coudes qui se heurtaient à tout ce qui se trouvait là. Aucun aliment, aucune boisson ne pouvait se faire passage ; car dès qu’on approchait un vase ou un instrument quel qu’il fût d’un orifice quelconque, avant même de le toucher, j’éprouvais des soubresauts nerveux qu’aucune force au monde ne pouvait empêcher. Au contraire, si on essayait de me retenir par la force, c’était pis encore, et tout malade que j’étais, même après quatre jours d’une diète absolue, épuisé de force, je conservais cependant une telle énergie musculaire, qu’il m’arrivait de faire des efforts dont je n’eusse jamais été capable en pleine santé. Je passai de la sorte cinq jours entiers, durant lesquels je n’avalai peut-être pas vingt ou trente petites gorgées d’eau que je prenais comme par surprise et que souvent je rejetais aussitôt. Enfin, au sixième, les convulsions se calmèrent un peu, grâce aux cinq ou six heures par jour durant lesquelles on me tint dans un bain très-chaud, moitié eau, moitié huile. La voie de l’œsophage une fois rouverte, je bus beaucoup de petit-lait, et en peu de jours je fus guéri. Mais la diète avait duré si long-temps, j’avais fait de tels efforts pour vomir, que dans la fourchette de l’estomac, entre les deux petits os dont elle se compose, il se forma un vide assez grand pour contenir un œuf de moyenne grandeur, et jamais depuis il ne disparut complètement. La rage, la honte et le désespoir où ne cessait de me plonger cet indigne amour avaient été la vraie cause de cette maladie singulière, et ne voyant pas d’issue pour sortir de cet impur labyrinthe, j’espérais, je désirais en mourir. Le cinquième jour, les médecins commençant à craindre sérieusement que je n’en revinsse pas, on députa vers moi un digne cavalier de mes amis, mais beaucoup plus âgé que moi, pour m’engager à faire ce que son air et le préambule de son discours me firent deviner avant qu’il me parlât, c’est-à-dire à me confesser et à dicter mon testament. Je le prévins en demandant à faire l’un et l’autre, et mon âme n’en fut point troublée. Deux ou trois fois, dans ma jeunesse, il m’est arrivé de voir la mort bien en face, et il me semble que je l’ai toujours vue avec le même visage. Qui sait si, lorsqu’elle se représentera sans espérance de retour, je saurai la recevoir avec la même tranquillité ? Cela n’est que trop vrai, il faut que l’homme meure pour donner aux autres et à lui-même la mesure de sa juste valeur.

À peine échappé de cette maladie, je repris tristement mes chaînes amoureuses ; mais pour me soulager de quelque autre, je renonçai aux doux liens du service militaire, qui m’avaient toujours souverainement déplu ; je ne pouvais souffrir ce métier des armes, plus odieux sous le despotisme, toujours incompatible avec ce saint nom de patrie.

Je dois convenir cependant ici que dans ma honte la part de Vénus était plus grande que celle de Mars. Quoi qu’il en soit, j’allai chez mon colonel, et alléguant l’état de ma santé, je le priai de recevoir ma démission d’un service que, à vrai dire, je n’avais jamais fait ; car des huit ans que j’avais porté l’uniforme, j’en avais passé cinq hors du pays, et pendant les trois autres, j’avais à peine assisté à cinq revues : il n’y en avait que deux par année dans ces régimens des milices provinciales où je servais. Le colonel voulut m’y laisser penser plus à loisir avant de solliciter ma démission. Je me rendis à ses conseils par courtoisie, et feignant d’y avoir, réfléchi pendant quinze jours, je renouvelai ma démarche avec plus d’instance encore, et ma démission fut acceptée.

1774. Cependant je continuais à traîner mes jours dans la servitude, honteux de moi-même, ennuyeux et ennuyé, évitant mes connaissances, fuyant mes amis, qui ne me laissaient que trop bien lire dans l’expression silencieuse de leur visage le reproche de ma misérable faiblesse. Au mois de janvier 1774, ma maîtresse fut attaquée d’un mal dont je pouvais bien être la cause, quoique ma conviction à cet égard ne fût pas entière, et comme son mal exigeait un repos et un silence absolus, je me tenais fidèlement assis au pied de son lit pour la servir : j’y demeurais du matin au soir, évitant même d’ouvrir la bouche, de peur de l’incommoder en la faisant parler. Pendant l’une de ces factions assurément peu divertissantes, l’ennui me poussant, je m’emparai de cinq ou six feuilles de papier qui me tombèrent sous la main, et je commençai ainsi au hasard et sans aucun plan à griffonner une scène, dirai-je, de tragédie ou de comédie, je ne sais ; cela devait-il avoir un acte, ou cinq, ou dix, je serais embarrassé de le dire. C’étaient des paroles en forme de dialogue et en façon de vers, entre un individu que j’appelais Photin, une dame, et Cléopâtre qui survenait, après que les deux autres personnes avaient devisé tout à leur aise. Comme il fallait bien donner un nom à la dame, et qu’il ne m’en vint pas d’autre sur l’heure, je lui appliquai celui de Lachésis, oubliant que Lachésis était une des Parques. Et maintenant que j’y songe, cette velléité soudaine me paraît d’autant plus étrange que depuis plus de six ans je n’avais pas écrit un mot en italien ; c’était tout au plus si j’en avais lu un très-petit nombre de pages, assez rarement d’ailleurs, et à des intervalles fort éloignés. Et voilà que tout d’un coup, je ne saurais dire pourquoi ni comment, je m’avisai d’écrire ces scènes en italien et en vers. Mais afin que le lecteur puisse juger par lui-même de la pauvreté de mon bagage poétique à cette époque, je transcrirai ici au bas de la page(*), en manière de note, un fragment assez considérable de cette composition, et je le transcrirai très-fidèlement d’après l’original que je conserve encore, avec toutes ses sottises, y compris les fautes d’orthographe qui sont dans le manuscrit, et ces vers, je l’espère, auront du moins l’avantage de faire rire celui qui voudra bien y jeter un coup d’œil, comme ils me font rire moi-même, à mesure que je les transcris, surtout la scène entre Cléopâtre et Photin. J’ajouterai une observation que voici : lorsque je commençai à noircir ces feuilles de papier, si je fis parler Cléopâtre de préférence à Bérénice, à Zénobie ou à toute autre reine bonne à mettre en tragédie, la seule raison que j’en eusse, c’est que depuis un siècle je voyais dans l’antichambre de ma maîtresse de fort belles tapisseries où était représentée toute l’histoire de Cléopâtre et d’Antoine.

Ma maîtresse fut guérie de son indisposition, et sans m’inquiéter autrement de ce ridicule essai de bavardage dramatique, je le plaçai sous un des coussins de son lit de repos, où il resta oublié pendant une année, et c’est ainsi que tant par cette dame qui s’y tenait habituellement, que par beaucoup d’autres, que le hasard y faisait asseoir, entre ce lit et le coussin furent couvées, pour ainsi dire, mes prémices tragiques.

Mais plus ennuyé, plus furieux que jamais de cette vie d’esclave, au mois de mai de cette même année 1774, je pris tout-à-coup la résolution de partir pour Rome, pour voir enfin si les voyages et l’absence pourraient me guérir de cette passion maladive. Je saisis l’occasion d’une violente querelle que j’eus avec ma maîtresse (ces occasions n’étaient que trop fréquentes), et le soir, je revins chez moi sans rien dire. J’employai tout le jour suivant à faire mes préparatifs. Ce jour-là, je ne retournai pas chez elle, et le lendemain, au petit point du jour, je pris la route de Milan. La dame ne le sut que la veille au soir (elle l’apprit sans doute de quelqu’un de mes gens) ; ce même soir, assez tard, elle me renvoya, suivant l’usage, mes lettres et mon portrait. Ce message commença déjà à me troubler, et ma résolution chancela ; toutefois, ayant repris courage, je partis pour Milan, comme je l’ai dit. J’arrivai le soir à Novarre. Tout le jour, j’avais été tiraillé par cette passion déplorable, et voici que le repentir, la douleur, la lâcheté, me donnent au cœur un si terrible assaut, que toute raison devenant vaine, sourd à la vérité, je change tout-à-coup de résolution. J’avais pris avec moi un abbé français ; je le laisse continuer le voyage avec ma voiture et mes domestiques, et leur dis d’aller m’attendre à Milan. Resté seul sur la route, je saute sur un cheval, six heures avant le jour, avec un postillon pour guide ; je cours toute la nuit, et le lendemain de bonne heure je me retrouve à Turin ; mais ne voulant pas, en m’y montrant, devenir la fable de tout le monde, je n’entre pas dans la ville : je m’arrête dans une mauvaise petite auberge du faubourg, d’où j’écris humblement à ma maîtresse irritée, la suppliant de me pardonner ce coup de tête et de vouloir bien m’écouter un moment. La réponse ne se fait pas attendre : c’est Élie qui me la rapporte, Élie que j’avais laissé à Turin pour prendre soin de mes affaires pendant mon voyage, qui devait être d’un an, Élie toujours destiné à guérir mes blessures ou à les cacher. L’audience m’est accordée, je pénètre dans la ville, comme un proscrit, au tomber de la nuit, j’obtiens dans toute son étendue le plus honteux des pardons, et, au point du jour, je repars pour Milan. Il avait été convenu entre nous que dans cinq ou six semaines, ma santé me fournirait un prétexte pour revenir à Turin. Et tour à tour ainsi ballotté entre la raison et la folie, la paix était à peine conclue que de nouveau, seul avec mes pensées sur la grande route, je ne me retrouvai plus sensible qu’à la honte de ma faiblesse et de ma lâcheté. C’est ainsi que j’arrivai à Milan, déchiré de remords, dans un état ridicule tout à la fois et digne de pitié. Je ne savais pas alors, mais je sentais par expérience cette belle, élégante et profonde parole de Pétrarque, de notre maître en amour :

« Que celui qui comprend est vaincu par celui qui veut. »

Je restai à peine deux jours à Milan, toujours rêvant, et cherchant tantôt le moyen d’abréger ce maudit voyage, tantôt un prétexte pour le prolonger, au lieu de revenir comme je l’avais promis. J’aurais voulu me voir libre, mais je ne savais ni ne pouvais reconquérir ma liberté. Cependant, comme il n’y avait pour moi de paix que dans le mouvement et la distraction des voyages, je me rendis en toute hâte à Florence, en passant par Modène, Parme et Bologne. De Florence, où je ne pus m’arrêter plus de deux jours, je partis aussitôt pour Pise et Livourne. Dans cette dernière ville, je reçus les premières lettres de ma maîtresse, et ne pouvant rester loin d’elle plus long-temps, je pris immédiatement la route de Lerici et de Gènes. À Gènes, je laissai mon abbé et ma voiture, qui avait besoin d’être réparée, et je partis à franc étrier pour Turin, où j’arrivai dix-huit jours après en être sorti pour un voyage d’un an. Cette fois encore, j’y entrai de nuit pour ne pas me faire chansonner d’un chacun. Voyage vraiment burlesque, qui cependant me coûta bien des larmes.

J’avais une égide contre les railleries de mes connaissances et de mes amis ; ce n’était pas une bonne conscience, mais un visage sérieux et froid comme le marbre. Aucun d’eux ne s’avisa de me faire compliment sur mon heureux retour, retour malheureux au contraire ; car devenu à mes yeux le plus méprisable des hommes, je tombai dans un tel abaissement et dans une mélancolie si profonde, que si cette situation se fût prolongée, je devenais fou, ou mon front éclatait, comme, en effet, l’un ou l’autre faillit m’arriver.

Cependant je traînai encore ces viles chaînes depuis la fin de juin 1774, où je revins de cette espèce de voyage, jusqu’en janvier 1775, que ma rage long-temps comprimée ayant atteint le dernier degré de la violence, finit par éclater.


(*) PREMIÈRE CLÉOPÂTRE.
Grossière Ébauche.

SCÈNE PREMIÈRE.
LACHÉSIS, PHOTIN.
PHOTIN.

Quiconque est né sur les bords du Nil ne saurait souffrir plus long-temps les outrages et la honte de notre reine affligée ; les nations de l’Égypte seront promptes à la vengeance, là où le conseil pourrait éveiller un cœur indolent qui ne préfère pas la vengeance à l’amour.

LACHÉSIS.

Notre auguste reine te paraît dénuée de sens ; ce sont là les pensées fières et audacieuses de ton cœur superbe ; mais tourne vers elle des regards plus compatissans, et alors peut-être tes paroles fortes et amères se fondant en larmes, tu verras que d’abord elle fut femme, reine ensuite.

PHOTIN.

Rassure-toi ; jamais douleur ne fut égale à celle qui me dévore et me consume. L’illustre souche des Ptolémées s’éteint ; avec elle tombe la déplorable Égypte. Quoique né dans l’air perfide d’une cour, ce n’est pas pour moi un vain nom ou mensonge, que ce beau nom de patrie, et qui vainement brûle dans mon cœur comme un foyer divin. Mais alors que la destinée des états dépend d’un seul, celui-là rend tous les autres malheureux.

LACHÉSIS.

Inutiles réflexions : parmi les maux qui nous, menacent, qu’il faille le moindre. Dieu puissant, vous qui gouvernez de là haut la vie et les destinées des misérables mortels[1], que ma mort soit prompte. Ah ! si ma mort suffit à calmer tous vos ressentimens… la victime…[2] le sort fatal de l’infortuné Antoine…… Qui désormais…… Mais que vois-je, voici que s’avance Cléopâtre troublée.


SCÈNE SECONDE.
CLÉOPÂTRE, PHOTIN, LACHÉSIS.
CLÉOPÂTRE.

Amis, s’il vous reste encore quelque pitié dans le cœur, si, fidèles à votre reine, vous ne dédaignez pas, vous qui avez eu part à mes gloires, d’être les compagnons de mes infortunes, ne craignez pas de courir avec moi sur la mer, ou[3] par les montagnes, dans les plaines, ou dans les forêts, à la poursuite de celui que j’aime plus que la vie. L’amour a ébranlé le pied imprévoyant du trône qui chancelle. Déjà je vois le vainqueur qui aborde de notre côté sur les trames audacieuses d’une fortune injuste… Que l’amour me mène à la mort plutôt qu’à l’outrage et à la honte funeste[4]. Ce sont là plutôt, je le sais, les sentimens et les actions d’une amante infortunée que d’une reine altière. Les dieux, peut-être, m’ont choisie pour donner un cruel exemple, pour montrer à la nation la plus grossière, que le maître qui la gouverne, indigne et sacrilége, en fait, pour une passion vile, un carnage barbare.

PHOTIN.

Ta douleur, ô Reine, n’entraînerait pas seulement a la pitié, mais à la démence les hommes et les bêtes… Quel cœur de diamant entre les pôles[5] résisterait à tes plaintes amères[6] Dépose ta faute, en la confessant, et tu seras peut-être, entre les rois superbes, la première qui ait plié son front altier sous le joug de la raison, la raison que vos pareils ignorent, ou qu’ils ne distinguent pas bien encore de la force. Ma langue ne s’est jamais souillée du lâche style des adulateurs iniques[7] Je t’ai toujours dit la vérité, tu le sais, ô Reine ! Je te la dirai tant que le misérable fil de la vie me tiendra enchaîné à ta destinée. Un aveugle amour, une gloire vaine, ont fini par te pousser à cette dure extrémité, et ton pied ne s’est pas détourné ; aujourd’hui Photin ne voit de salut que dans le bras et dans l’audace d’Antoine… qu’elle le cherche… Je cours sur ses pas. L’heureux Octave ne me semble ni moins superbe, ni moins cruel que lui, mais il est bien plus injuste. Ah ! si les tristes discordes, si les atroces injures sous le poids desquelles gémit la triste humanité vous sont connues dans le ciel, vous devriez dans votre pitié foudroyer ceux qui, injustes et coupables, s’en viennent ici-bas prendre votre figure, ô Dieu. (Il sort.)[8]


SCÈNE TROISIÈME.
CLÉOPÂTRE et LACHÉSIS.
LACHÉSIS

Ô ami sincère ! ô race… don du ciel… avares[9] envers les rois d’un tel don.

CLÉOPÂTRE.

Tes paroles sont vraies, mais elles seront inutiles, si le bras invincible d’Antoine ne se tient pas à mon côté pour prendre soin de ma gloire[10] Que faire dans mon désespoir ? Où aller ? Il me faudra donc, humble et suppliante, tendre aux infâmes liens et à la chaîne servile d’un vainqueur superbe, ce col et ces bras naguère liés d’un si beau nœud… nœud fatal !…[11] amour funeste ! qui d’abord m’a fait esclave pour me faire ensuite celle d’un tyran.

LACHÉSIS.

Reine, tu n’as peut-être pas sondé les derniers gués du sort ennemi ; qui sait, si la fortune n’aurait pas tourné le dos aux troupes ennemies, si Antoine, rentré en lui-même, n’a pas avec des guerriers fidèles et hardis, arraché la victoire de leurs mains iniques.

CLÉOPÂTRE.

Ah ! non, fidèle seulement à l’amour, il n’a plus aucun souci de l’honneur. Seule j’ai été insensée, seule malheureuse, puisse-je du moins apaiser la colère du ciel ; mais s’il me réserve à un affront public, je saurai peut-être, d’une main généreuse et forte, faire mentir ses injustes décrets. Ne crois pas qu’il n’y ait dans mon sein que le cœur d’une amante, il y a encore celui d’une noble reine, et ce cœur m’excite à une fin généreuse… L’infamie appartient au lâche, la mort au brave. Entre ces deux extrémités le choix n’est pas douteux ; mais du moins que ne puis-je encore de Marcus[12]… Dis-moi, ne le reverrai-je pas ?… Je tombe pour lui… Hélas ! dois-je mourir sans lui ?

Et ce beau drame continua du même train aussi long-temps que le papier dura. Il arriva ainsi jusqu’au milieu de la première scène du troisième acte ; et alors, soit que la raison qui faisait écrire l’auteur n’existât plus, soit qu’il n’eût plus rien dans sa plume, sa pauvre petite barque demeura engravée pour le moment, étant d’ailleurs trop mal lestée, et n’ayant pas même une charge qui l’aidât seulement à faire naufrage.

C’est déjà trop je pense, des vers que je viens de transcrire pour donner une idée non équivoque du savoir faire de l’auteur au mois de janvier 1774.


  1. Vers un peu trop court. (A.)
  2. Ce vers n’est pas venu à terme, (A.) — Il n’y a qu’un mot dans l’original. (N. du T)
  3. Sur la terre est resté au bout de la plume. (A.)
  4. Vers un peu long. Un savant l’appellerait hypercatalectique. (A.)
  5. Remarquez cet « entre les pôles  », expression exquise. (A.)
  6. Encore fallait-il ici un point d’interrogation. (A.)
  7. L’écrivain était un ennemi juré du point. (A.)
  8. Ici une confuse réminiscence de Métastase entraînait l’auteur à rimer sans qu’il s’en aperçût. (A.) — Les deux derniers vers de ce morceau sont rimés dans le texte. (N. du T.)
  9. L’auteur a écrit avari pour avaro. (A.)
  10. Je veux être damné, s’il m’échappe jamais un seul point. (A.)
  11. Cet auteur était né avec une furieuse prédilection pour les virgules. (A.)
  12. Deux syllabes restées au bout de la plume, par l’effet du délire de la passion. (A.)