Texte établi par Claude-Bernard PetitotFoucault (p. 428-504).



LIVRE SEPTIESME


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CHAPITRE PREMIER.


La paix publiée à Paris, troublée par des defiances mutuelles et par l’ambition des grands. La Rochelle refuse l’obeyssance, et les huguenots de France arment pour le secours de ceux des Pays-Bas. Coqueville defait et decapité. Bulles pour l’alienation du temporel des ecclesiatiques, suspectes aux huguenots, et autres motifs de leur defiance. Le prince de Condé et l’Admiral se retirent à La Rochelle. Le cardinal de Chastillon se sauve en Angleterre. Tout se dispose à la guerre, et la reyne de Navarre se jette dans La Rochelle avec son fils. Le sieur d’Andelot et autres chefs huguenots s'y vont joindre.


Il sembloit en apparence que la France, qui avoit esté tant persecutée d’un des plus grands fleaux de la justice divine, dust plus longuement jouir de la douceur de la paix, par le moyen de l’edict qui fut publié[1] à Paris le vingt-troisiesme mars mil cinq cens soixante-huit, confîrmatif de celuy cy-devant fait le septiesme dudit mois mil cinq cens soixante et deux, pour estre iceluy observé en ses points et articles selon sa première forme et teneur, levant toutes restrictions, modifications et declarations qui avoient esté faites jusques à la publication dudit edict.

Mais la defiance mutuelle des catholiques et des huguenots, jointe à l’ambition des grands et au ressouvenir que l’on avoit à la Cour de l’entreprise de Meaux, fit bientost renaistre d’autres nouveaux troubles, autant ou plus dangereux que les premiers et seconds ; les fondemens desquels d’aucuns attribuoient à la desobesysance de quelques villes qui ne vouloient absolument se soumettre à la puissance de Sa Majesté, entre lesquelles les plus mutines estoient Sancerre, Montauban, et quelques autres de Quercy, Vivarez et Languedoc, comme aussi La Rochelle, qui ne voulut recevoir les garnisons que Jarnac, son ancien gouverneur, y voulut mettre, et depuis, le mareschal de Vieilleville, par le commandement de Sa Majesté, ny souffrir que les catholiques y fussent restablis en leurs biens, charges et offices, et jouissent de l’edict de pacification ; au contraire, contrevenant à iceluy, continuoit ses fortifications, equipoit grand nombre de navires de guerre ; ce qui estoit autant prejudiciable au service du Boy, que les troupes que plusieurs capitaines huguenots menoient en Flandre, au secours du prince d’Orange contre le duc d’Alve, estoient levées et conduites sans son pouvoir et commission, entre lesquelles celles que Coqueville avoit fait en Normandie (desavoué toutesfois par le prince de Condé) furent defaites à Valéry par le mareschal de Cossé, lequel luy fit trancher la teste et à quelques autres chefs de ses regimens.

D’autre part, les poursuites que l’on faisoit en Cour de Rome pour obtenir bulles de Sa Sainteté, afin qu’il fust permis aliener du temporel de l’Église jusques à cent cinquante mille escus de rente pour employer les deniers qui proviendroient de cette vente, à l’extermination de la religion huguenotte ; les confrairies et assemblées fréquentes qui se faisoient en Bourgogne, et, comme les huguenots disoient, par les pratiques de Tavannes, serviteur de la maison de Guise ; les regimens de Brissac et des enseignes de gendarmes qui s’acheminoient en cette province pour surprendre, disoit-on, le prince de Condé, qui s’estoit retiré en sa ville de Noyers, et l’Admiral à Tanlay ; l’entretenement des Suisses et des troupes italiennes qu’on envoyoit en garnison à Tours, Orleans et autres villes principales ; le grand nombre de cavalerie et infanterie qui estoit es environs de Paris pour la garde de Sa Majesté, mettoient les huguenots en grande defiance.

Sujet que prit le prince de Condé (après avoir envoyé la marquise de Botelin, et depuis Telligny, à Leurs Majestez, avec lettres de créance qui portoient les causes de ses défiances et de ses plaintes contre ceux qui abusoient de l’authorité du Roy pour ruiner l’Estat et rendre le prince odieux) de partir de Noyers[2] le vingt-cinquiesme aoust mil cinq cens soixante-huit, avec la princesse sa femme, qui estoit grosse, accompagné de l’Admiral qui l’estoit venu trouver avec quarante ou cinquante chevaux seulement, pour se retirer à La Rochelle : le cardinal de Chastillon en mesme temps se sauva aussi dans une barque en Angleterre, après avoir esté vivement poursuivy. Ainsi, le masque estant levé, chacun derechef se dispose à la guerre.

Lors la Reyne mère est conseillée, outre les troupes qui estoient entretenues, de faire expedier force commissions, et donner le rendez-vous en Poictou à toutes les troupes, où desjà Soubise, Verac et autres de leur party, commençoient à faire leurs levées, et tous ceux de leur faction se rallioient pour estre près de leurs chefs et de La Rochelle, la meilleure place qu’ils eussent. La reyne de Navarre, qui estoit en Bearn, bien advertie pour se mettre à l’abry, comme elle le disoit, avec le prince son fils, accompagnée de Fonterailles, seneschal d’Armagnac, Saint-Megrin, Piles, et autres de ses serviteurs, avec trois mille hommes de pied et quatre cens chevaux, s’y retira aussi le mois de septembre, passant toute la Guyenne nonobstant les efforts de Montluc et d’Escars, gouverneur de Limousin, ayant sur le chemin despesché La Mothe-Fenelon à Leurs Majestez, pour leur faire entendre les causes qui l’avoient portée à se joindre et s’unir, et le prince son fils, au prince de Condé et ceux de sa religion, seulement pour la conservation d’icelle et pour le service du Roy.

D’Andelot, Montgommery, le vidame de Chartres, La Noue, Barbezieux et autres chefs huguenots, ayant aussi assemblé huit cens chevaux et deux mille hommes de pied, qu’ils avoient levez en Bretagne, Anjou, le Maine et autres endroits, s’acheminerent pour joindre le prince de Condé ; dont estant adverty, le vicomte de Martigues, comme il s’avançoit avec douze enseignes de gens de pied et quatre cornettes, pour aller trouver le duc de Montpensier qui estoit à Saumur, afin d’empescher leur passage, fit rencontre de quelques-unes de leurs troupes en un village près Sainct-Mathurin, logées assez à l’escart, desquelles il en défit deux compagnies, avec perte de quinze ou vingt des siens et de son lieutenant ; d’Andeloty fut en danger de sa personne, ayant esté contraint de quitter son disner pour remonter à cheval ; mais ayant rallié ses troupes deux ou trois jours après, il les fit passer à gué, laissant un extresme regret au duc de Montpensier et vicomte de Martigues, qui estoient partis ce jour-là de Saumur à dessein de les combattre, d’avoir esté trop tardifs en leurs affaires, et perdu une si belle occasion ; et, passant en Poictou, il prit Touars.


CHAPITRE II.


Le Roy revoque les edicts faits en faveur des huguenots et de l’exercice de leur religion. Prise de plusieurs places en Poictou et pays d’Aunis par les huguenots. Leur défaite à Messignac par le duc de Montpensier. Le sieur d’Acier joint le prince de Condé. Le duc d’Anjou vient contre luy avec toutes les forces de France. Stratagesme du vicomte de Martigues pour sa retraite. Le prince de Condé se saisit de l’abbaye de Sainct-Florent, presente la bataille au duc d’Anjou. Les huguenots vendent les biens de l’Eglise. La reyne d’Angleterre envoye des munitions à La Rochelle.


Or pendant que le duc d’Anjou assembloit des forces de toutes parts pour exterminer les huguenots, le Roy, d’autre costé, s’armant de ses edicts, revoque tous ceux qui avoient esté faits en faveur d’iceux, et defend en son royaume toute autre religion que la catholique, apostolique et romaine, sous les peines aux contrevenans de confiscation de corps et de biens, avec commandement aux ministres d’en sortir dans quinze jours ; et par un autre, qui fut aussi publié à Paris, suspend de leurs estats et chargea tous les officiers qui font prefession de la nouvelle opinion, desquels Sa Majesté declare ne se vouloir servir : edicts qui servent d’autant d’esperons pour faire haster tous les huguenots de France de se liguer et prendre les armes, mesme ceux qui escoutoient en leurs maisons, desquels le prince de Condé et l’Admiral ne font pas grand estat, sinon pour s’en servir vers les princes estrangers de leur opinion, à tous lesquels ils escrivent pour leur faire entendre que l’on ne les poursuit pas comme rebelles et séditieux, mais pour le seul fait de la religion.

Et cependant, en peu de temps, ils se rendent maistres de plusieurs bonnes villes, comme de Sainct-Maixent, Fontenay, Niort, Sainct-Jean d’Angely, Pons, Blaye, Taillebourg et Angoulesme, sans que le duc de Montpensier y pust donner secours, en partie à cause de la descente des Provençaux, sous la conduite d’Acier, de Mouvans, d’Ambres, Montbrun, Pierre Gourde, et autres chefs huguenots du pays, qui, ayans passé la Dordogne, s’avançoient pour se joindre au prince de Condé, le passage desquels il vouloit empescher ; et pour cet effet les ayant joints et rencontrez auprès de Messignac, il tailla en pièces plus de trois mille hommes de pied, et près de trois cens chevaux, en laquelle defaite Mouvans et Pierre Gourde perdirent la vie.

Peu de jours après, d’Acier ayant recueilly le reste de leurs forces, qui estoient encore de plus de quatre mille hommes et cinq cens chevaux, s’achemina à Aubeterre, où l’Admiral et le Prince les furent trouver ; et pour revanche, estant leurs forces jointes, ils délibererent de poursuivre à leur tour le duc de Montpensier : de fait ils le talonnerent de si près quatre ou cinq jours, qu’ils arrivoient tousjours le lendemain matin au lieu où il avoit couché ; mais s’estant le duc de Montpensier retiré à Chastelleraut, l’armée huguenotte prit le chemin du bas Poictou.

Cependant le duc d’Anjou, lieutenant general de l’armée, avec toutes ses forces et canons, estant party de Paris, s’acheminoit en la plus grande diligence qu’il pouvoit pour joindre celles des ducs de Montpensier et de Guise, vicomte de Martigues et de Brissac, qui l’attendoient avec impatience pour combattre le prince de Condé ; lequel, poussé de ce mesme desir, ayant eu advis que le duc s’avançoit avec son armée, délibera d’aller au-devant de luy : si bien que, les deux armées estant près l’une de l’autre, il se rencontra que les deux avant-gardes avoient un mesme dessein, qui estoit de loger à Pamprou, bourg qui est à cinq lieues de Poictiers, lequel après avoir esté dispute des mareschaux des logis et avant-coureurs des deux armées, qui s’en chassèrent et rechasserent, enfin demeura au Prince et à l’Admiral, qui y logèrent.

La nuit venue, le vicomte de Martigues, qui conduisoit l’avant-garde, voyant l’incommodité et desavantage du lieu où il estoit, ayant commandé à ses gens de pied de faire des feux en divers endroits, et jetter forces mesches allumées sur les buissons pour amuser l’ennemy, fit cependant sa retraite à Jasenueil, où le duc estoit avec la bataille. Le lendemain le prince de Condé et l’Admiral, ayans marché sur ses mesmes pas, envoyèrent descouvrir l’estat et disposition de l’armée du duc, en résolution de le combattre ; mais, advertis de l’avantage du lieu, tant pour avoir les advenues difficiles que pour estre bien retranché et flanqué, ayant paru dans la plaine de Jasenueil, firent tenir bride en main à leur cavalerie, pendant que leur infanterie employoit le reste du jour en escarmouches avec celle du duc, lequel, le lendemain, prit le chemin de Poictiers.

Le prince de Condé lors, après plusieurs desseins, delibera de s’asseurer d’un passage sur la riviere de Loire, pour plus librement rallier ses partisans, qui n’estoient encore tous avec luy ; et, pour cet effet, s’achemina avec l’Admiral et son armée à Touars, et de là tira à Saumur, où Sainct-Sevar commandoit avec forte garnison ; et d’autant que l’abbaye Sainct-Florent, où il y avoit quelques gens de pied, leur importoit pour la facilité du passage, d’Andelot l’assiege et la prend ; et, pour revanche des soldats qui avoient esté tuez à Mirebeau, que Brissac et du Lude avoient pris quelques jours auparavant, ayant la capitulation par eux esté mal gardée, passe au fil de l’espée tous les soldats de la garnison.

Cependant le duc d’Anjou s’acheminoit à Loudun pour l’assiéger, ce qui fit changer le dessein du prince de Condé, qui alla aussi-tost au-devant de luy, en intention de luy presenter la bataille, et furent trois ou quatre jours les deux armées à une lieue l’une de l’autre devant cette ville, avec une fiere et esgale contenance, sans beaucoup d’effet ; mais enfin les plaintes universelles des soldats, ne pouvant permettre aux chefs de les tenir davantage à descouvert contre les glaces et l’aspreté d’un hyver tel qu’il faisoit lors, les fit separer le quatriesme jour ; de sorte que le duc d’Anjou se retira à Chinon et de là envoya son armée en Limousin, et les princes avec l’Admiral à Niort, où la reyne de Navarre les vint trouver quelques jours après, avec laquelle ils delibererent de vendre et engager le temporel des ecclésiastiques pour subvenir aux affaires de leur party, comme ils firent, et dont ils tirerent beaucoup d’argent.

La reyne d’Angleterre aussi, en ce mesme temps, à la sollicitation du cardinal de Chastillon, envoya à La Rochelle six canons, avec poudre, munitions et argent, et le prince de Condé, pour son remboursement, luy fit delivrer force metail, cloches et laines.


CHAPITRE III.


La Reyne mere offre la paix au prince de Condé. Siège de Sancerre par les catholiques levé. Prise de l’abbaye de Sainct Michel et des places de Saincte-Foy et Bergerac par les huguenots. Défaite de Montgommery ; son entreprise sur Lusignan manquée. Entreprise sur Dieppe par Cateville et Lyndebeuf, découverts et chastiez. Autre entreprise des huguenots sur le Havre. Exploits du duc d’Anjou en Angoumois. Son dessein sur Coignac. Il passe la Charente pour aller aux ennemis. Son stratagesme pour leur oster la cognoissance de son passage.


Lors la Reyne mere, fort ennuyée des troubles qui travailloient ce royaume, et toujours désireuse de chercher quelque remède au mal qui alloit croissant, envoya un nommé Portal[3], qui avoit esté long-temps prisonnier à la Conciegerie, au prince de Condé, pour luy faire quelque ouverture de paix, laquelle le Roy son fils et elle embrasseroient avec toute sorte d’affection, s’il y vouloit entendre ; et, après plusieurs demandes et repliques de part et d’autre, sans rien conclure, Portal ne remporta autre chose que des paroles pleines d’obeyssance et de service à Leurs Majestez, avec une lettre assez piquante contre ceux qui abusoient de leur authorité pour troubler le royaume, sous prétexte de religion.

Sur la fin de l’année, le comte de Martinengue, La Chastre et Antragues, assiegerent la ville de Sancerre, où, après avoir changé de batterie deux ou trois fois, et donné plusieurs assauts, enfin levèrent le siege au mois de janvier 1569, pour joindre leurs forces aux ducs de Nemours et d’Aumale, commandez pour aller en Champagne, avec une grande et forte armée, afin d’empescher l’entrée du royaume au duc des Deux-Ponts ; leur retraite ayant enflé tellement le courage des habitans de Sancerre, qu’ils entreprirent de bastir un fort sur la rivière de Loire, près du port Sainct-Thibaut, pour s’asseurer du passage, et arrester les vaisseaux des marchands qui passeroient par-là ; mais, bien-tost après, les plus hardis d’entre eux furent desfaits par les garnisons des villes de La Charité, Nevers, et habitans d’icelles qui s’assemblèrent.

En ce mesme temps, quelques huguenots du bas-Poictou prirent l’abbaye Sainct Michel[4], où les religieux ne furent pas mieux traitez que les soldats qui estoient en garnison. Cependant l’armée huguenotte, qui avoit passé une partie de l’hyver en Poictou, s’acheminoit pour aller au-devant des forces des vicomtes de Monclar, Bourniquet, Paulin, Gourdon et autres chefs, qui avoient cinq à six mille hommes de pied et six cens chevaux. Piles, ayant esté auparavant despesché vers eux pour les persuader de venir en l’armée, à quoy ne les ayant pu porter pour ne vouloir abandonner leur pays à la mercy des catholiques, et Montauban leur plus asseurée retraite en ce pays-là, reprit son chemin pour s’en revenir au camp des princes, et, passant en Perigord avec huit cens arquebusiers et six vingts chevaux qu’il y avoit levez, après avoir pris Saincte-Foy et Bergerac, mit tout à feu et à sang partout où il passa, pour venger, disoit-il, la mort de Mouvans et ses compagnons.

En ce mesme temps, le comte de Brissac, qui veilloit à toutes occasions, deffit la compagnie de Bressaut, et, peu de jours après, estant party de Lusignan avec son regiment et quelque cavalerie, chargea les troupes du comte de Montgommery, ainsi qu’il repaissoit à un village appelle La Motte-Sainct-Eloy, auquel plus de cinquante des siens furent couchez sur la place, et luy contraint de se sauver au chasteau, et abandonner son jeune frère, lequel fut pris et amené à Lusignan : ce qui donna sujet au comte, quelque temps après, de rechercher les moyens d’avoir la place par intelligence, et pour cet effet pratiqua le lieutenant de Guron, qui en estoit gouverneur, lequel luy promit de la luy mettre entre les mains ; mais, n’ayant pu exécuter son malheureux dessein, après avoir tué quelques soldats qui estoient demeurez au chasteau pour la garde de la porte, pendant que les capitaines, accompagnez de la pluspart de leurs soldats, festinoient à la ville, fut payé enfin de sa perfidie ; car le gouverneur, ayant gagné le donjon, assisté de ses compagnons, qui vinrent à son secours en fort grande diligence, sur l’advertissement qu’ils eurent de la trahison par un soldat qui s’estoit eschappé, luy fit quitter le chasteau avec la vie, et à tous ceux de son complot.

Il y eut aussi en ce mesme temps quelque entreprise sur Dieppe par Cateville et Lyndebeuf, laquelle estant decouverte par un sergent, le gouverneur en donna aussi-tost advis à La Meilleraye, lieutenant pour le Roy en Normandie, qui les envoya querir, et les ayant mis entre les mains du parlement de Rouen, ils eurent bien-tost après les testes tranchées par arrest du parlement ; aucuns de la noblesse huguenotte du pays entreprirent aussi de se rendre maistres du Havre par le moyen de plusieurs partisans qu’ils avoient en la ville, lesquels, la nuit que l’execution de leur dessein se devoit faire, avoient promis de cadenasser et barrer les portes des catholiques, comme ils firent ; mais Sarlabos, gouverneur de la ville, au premier bruit et allarme, donna si bon ordre aux portes et aux murailles, et à tous les endroits de la place, que par sa vigilance il empescha qu’elle ne tombast ce jour-là entre les mains des huguenots, beaucoup desquels de ceux de la ville se sauverent en Angleterre ; les autres, qui furent apprehendez, furent bien-tost executez.

Cependant le duc d’Anjou, qui avoit reçu les troupes du comte de Tende, gouverneur de Provence, et qui attendoit de jour à autre les deux mille reistres que le comte Rhingrave et Bassompierre avoie amenez, lesquels s’estoient rafraîchis autour de Poictiers, prit resolution de s’acheminer avec son armée en Angoumois pour combattre les princes avant que leurs forces fussent unies avec celles des vicomtes, qu’ils alloient prendre, et au secours qu’ils attendoient d’Allemagne. Pour cet effet, après avoir pris Ruffec et Meles en passant, il fit acheminer son avant-garde, conduite par le duc de Montpensier, à Chasteau-Neuf, où estant arrivé le mercredy, neuviesme du mois de mars, envoya un trompette au capitaine du chasteau qui estoit escossois, pour le sommer de le luy remettre entre les mains, lequel fit au commencement contenance de se vouloir defendre ; mais enfin, voyant arriver le mesme jour le duc d’Anjou avec le reste de l’armée, n’ayant que cinquante ou soixante soldats, et se voyant forcé, il se rendit à sa volonté et discrétion. Lors le duc, estant maistre du chasteau, résolut d’y séjourner le lendemain, afin d’aviser à ce qui seroit de faire, tant pour l’ordre des magazins pour la suite de l’armée, qu’en attendant la réfection du pont de la rivière de la Charante, que les ennemis avoient rompu, dont la charge fut donnée au président de Birague, qui s’en acquitta fort bien.

Le vendredi, cinquiesme du mois, le duc, ayant advis que ses ennemis estoient à Coignac, resolut pour deux raisons d’aller devant cette ville : l’une, que se présentant devant icelle, si l’armée huguenotte y estoit, comme il se disoit, il esperoit qu’elle sortiroit, et que, ce faisant, il pourroit l’attirer au combat ; l’autre, qu’au pis aller il recognoistroit la place pour après l’attaquer. Pour ces causes donc, s’y estant acheminé, il commanda au comte de Brissac, qui avoit avec lui la plus grande partie de la jeunesse, d’approcher le plus près qu’il pourroit, ce qu’il fit de telle façon, qu’il donna jusques dans les barrieres de la ville, d’où il ne sortit personne qu’un nommé Cabriane, qui fut prisonnier ; cependant le comte recognut fort bien la place, comme firent, par le commandement du duc, les sieurs de Tavannes et de Losse, encore que l’on tirast infinis coups d’artillerie. Peu après, les ennemis se monstrerent de-là la rivière au-devant de Coignac venant de Xaintes, et demeurèrent long-temps en bataille à la vue de nostre armée, qui s’avança à marcher vers Jarnac, tousjours estant la riviere entre nous et eux ; et voyant le duc d’Anjou qu’il estoit dejà tard, il se retira au Chasteau-Neuf où il arriva la nuit. Le samedy douziesme il y sejourna à cause que les ponts, tant le vieux que le nouveau, que l’on faisoit de batteaux, ausquels Birague faisoit travailler avec toute la diligence possible, n’estoient encore parfaits. Cependant l’avant-garde de l’armée huguenotte parut sur une montagne au-devant d’iceux ponts, ce qui donna occasion à quelques soldats des nostres de se débander pour attaquer l’escarmouche, lesquels furent aussi-tost commandez de se retirer à leurs drapeaux, attendant la réfection des ponts qui furent achevez sur la minuit.

Lors le passage estant ouvert, il fut résolu que deux heures après la cavalerie passeroit sur le vieux pont, et les Suisses et autres regimens de gens de pied sur celuy de bateaux, qui se rompit neantmoins pour l’extresme desir que chacun avoit d’estre de-là l’eau et voir les ennemis. Après avoir esté refait du mieux que l’on put, trois heures après, toute l’infanterie passa, hormis huit cens hommes de pied et quatre cens chevaux que le duc avoit ordonnés dès le soir pour demeurer deçà l’eau, sur le haut de la montagne, près de Chasteau-Neuf, pour couvrir le bagage que l’on avoit laissé, et faire croire aux ennemis que c’estoit le gros de l’armée, ce qui servit bien, estant donc nostre armée passée en cette sorte avec toute la diligence qu’il fut possible, aussi peu prévue par le prince de Condé et l’Admiral, qu’elle fut bien entreprise par le duc d’Anjou et heureusement conduite par Tavannes et Biron.


CHAPITRE IV.


Le duc d’Anjou se prepare à donner bataille. Premières approches de la bataille de Jarnac. Le sieur de Castelnau Mauvissiere employé en cette fameuse journée. L’Admiral contraint d’accepter le combat. Attaque du duc de Montpensier. Arrivée du prince de Condé au combat. Il charge le duc d’Anjou. Sa mort. Défaite des huguenots. Leur retraite, et du sieur d’Acier. Nombre des morts et des prisonniers à la bataille de Jarnac. Le duc d’Anjou donne au duc de Longueville le corps du prince de Condé, et depesche à la Cour le sieur de Castelnau Mauvissière.


Le duc, voyant que ce jour il seroit prest de voir les ennemis, ayant suivy sa bonne et louable coustume, qui estoit de commencer sa matinée par se recommander à Dieu, voulut recevoir le corps précieux de Nostre Seigneur, comme firent les princes et quelques capitaines de notre armée ; puis après commanda aux sieurs de Carnavalet et de Losse d’aller recognoistre l’endroit où estoit l’ennemi. Ils n’eurent pas fait long chemin qu’ils virent paroistre soixante chevaux au haut de la montagne ; et, quasi en mesme temps, un capitaine provençal nommé Vins, de la maison du duc, et neveu de Carces, qui conduisoit cinquante arquebusiers à cheval, s’avança à eux, et les ayant joints, leur dit qu’il avoit eu commandement de faire ce qu’ils luy ordonneroient. Lors Carnavalet et de Losse luy donnerent advis d’aller jusques au village qui estoit bien près de-là, ce qu’il fit et y donna si furieusement, que trouvant une cornette des ennemis il la mit en tel desordre, que beaucoup d’iceux s’estans plus aidez de leurs espérons que de leurs espées, il en amena quinze ou vingt prisonniers, qui asseurèrent que l’Admiral et d’Andelot estoient avec toutes les forces de l’armée, et y avoit apparence de bataille. Cependant le duc d’Anjou, pour gagner tousjours temps, fit avancer son avant-garde, conduite, comme j’ay dit, par le duc de Montpensier, de façon que presque en mesme temps arrivèrent le duc de Guise et le vicomte de Martigues, qui marchoient devant avec leurs regimens de cavalerie.

Lors l’ennemy parut en bien grand nombre, estant desjà entre dix à onze heures du matin au bas de la montagne, du costé de Jarnac ; au mesme temps le vicomte de Martigues, assisté de Malicorne, de Pompadour, Lanssac, Fervacques, Fontaines et autres, qui faisoient près de six cens chevaux, attaqua l’escarmouche de telle sorte, qu’ayant donné en queue sur le régiment de Paviaut, qui partoit de Vibrac, il tailla en pièces quelques-uns et mit les autres en grand desordre, qui se retirèrent vers Jarnac, et, rencontrans quelques troupes des leurs sur le haut d’une petite montagne, firent teste en cet endroit, aussi qu’il y avoit un ruisseau bien mal aise à passer, où l’Admiral avoit envoyé mille arquebusiers pour garder ce passage avec quelque cavalerie commandée par La Loue, afin d’avoir cependant moyen de rassembler de tous costez les forces de leur armée, qui estoient fort séparées.

Lors le duc de Montpensier commanda à Cossins et à moy d’aller recognoistre le ruisseau, pour voir s’il seroit aisé à passer, lequel ayant bien recognu et fait nostre rapport, suivant nostre advis, le duc commanda au comte de Brissac avec son regiment de gagner le passage du ruisseau, ce qui fut fait et passé à la vue de la cavalerie des ennemis, qui vinrent au-devant et fort bien à la charge, et sur tous autres d’Andelot. La Nouë et la Louë, qui firent tout devoir de bons combattans ; mais, voyans les arquebusiers en fort grand desordre, et qu’ils estoient attaquez en divers endroits, et que toute nostre armée s’avançoit à eux, commencerent à se retirer peu à peu.

Lors l’Admiral, lequel ne s’estoit jusques-là pu resoudre à la bataille, d’autant qu’il estoit beaucoup plus foible et qu’il vouloit attendre qu’il eust uni ses forces, se voyant forcé de combattre, envoya Montaigu au prince de Condé qui estoit à Jarnac, afin qu’il s’avançast avec la bataille, à cause qu’il ne pouvoit plus reculer. Cependant le duc de Montpensier, qui avoit reçu le commandement du duc de combattre, et passer sur le ventre à tout ce qui se rencontreroit devant luy, estant accompagné de Montsallais, de Clermont-Tallard, du baron de Senecé, Praslin et plusieurs autres, qui avoient des compagnies de gens-d’armes et de chevaux légers, donna avec grande furie sur la queue des ennemis, entre lesquels l’Admiral, d’Andelot et La Noue, qui rallierent ce qu’ils avoient de cavalerie, firent un tel effort pour soustenir le choc, que plusieurs, de part et d’autre, furent tuez et blessez, comme aussi en un passage que Fontrailles, qui commandoit à un régiment de mille hommes, avec Clavau et Languillier, avoient quelque temps deffendu sur une chaussée d’estang, dans lequel après avoir esté forcez, plusieurs furent vus tomber par la presse qu’ils avoient au passage. Ce que voyant, le prince de Condé qui y estoit arrivé en la plus grande diligence qu’il avoit pu, ayant avec lui Montgommery, les comtes de La Rochefoucauld et de Choisy, Chandenier, le baron de Montandre, Rosny, Pxenty, Montjan, Chastelier, Portaut, et plusieurs autres qui avoient des troupes, vint si furieusement à la charge, qu’il arresta fort court nostre avant-garde, et renversa les premiers qui l’affrontèrent ; mais à l’instant le duc d’Anjou, qui avoit tousjours auprès de luy Tavannes, comme l’un des plus expérimentez capitaines de nostre armée, s’estant avancé à la main droite du costé de l’estang, accompagné du comte Rhingrave et Bassompierre avec leurs reistres et autres troupes françoises du comte de Tende, le chargea en flanc avec tant de furie, que beaucoup ne pouvans soustenir une si rude rencontre, estans en fort grand désordre, furent mis à vauderoute ; quelques-uns tinrent ferme et aimèrent mieux mourir en combattant, ou tomber à la mercy de leurs ennemis, que de tourner le dos ; quelques autres se retirèrent.

Ce fut lors que le prince de Condé, ayant eu son cheval blessé, et luy porté par terre, et abandonné des siens, appella Argens, qui passoit devant luy, auquel il donna sa foy et son espée pour estre son prisonnier ; mais bientost après ayant esté recognu, il reçut un coup de pistolet par Montesquiou, dont il mourut aussi-tost[5], laissant à la posterité memoire d’un des plus genereux princes qui ayent esté en son temps. Lors l’Admiral et d’Andelot, ne pouvans arrester le cours de leur cavallerie, et aussi peu leur infanterie, firent leur retraite avec peu de gens à Sainct-Jean d’Angely, d’où après ils partirent pour aller trouver les jeunes princes de Navarre et de Condé, qui s’estoient retirez à Xaintes, où une partie de leur cavallerie se rendit, et toute leur infanterie à Coignac. D’Acier, qui en estoit parti ce matin-là, faisoit marcher en la plus grande diligence qu’il pouvoit trois mille arquebusiers pour se trouver à la bataille ; mais, estant adverty sur le chemin de la perte d’icelle, par ceux qui n’avoient attendu d’en voir la fin, fit avancer son infanterie vers Jarnac : et tost après, sçachant que nostre armée s’y acheminoit, il passa l’eau avec ses gens de pied pour reprendre la route de Coignac, ayant fait rompre les ponts pour favoriser sa retraite.

Avec le prince de Condé plus de cent gentils-hommes huguenots finirent leurs jours en cette bataille, et entrautres Monte j an, de Bretagne ; Chandenier, Chatelier, Portaut, les deux Mambrez, du Maine, Renty, Guitinière, Janissac, Bussière, Stuart, escossois, qui tua le Connestable, le capitaine Chaumont, le chevalier de Goullaine, Préaux, Bilernac, Vines, cornette du prince de Navarre, les deux Vandeuvres, Beaumont, qui blessa le duc de Nevers, Sainct-Brice, La Paillière, Mesanchere, et plusieurs autres. Le nombre des prisonniers ne fut pas moindre, et entr’autres La Noue, qui a depuis esté eschangé avec Sessac, lieutenant du duc de Guise, qui avoit esté pris quelque temps auparavant en une hostellerie, s’acheminant de la Cour en nostre camp, et avec luy Pont, de Bretagne, Corbouson, lieutenant du prince de Condé, et son enseigne Fonteraille, Spondillan, capitaine de ses gardes ; l’evesque de Cominges, bastard du feu roy de Navarre, le comte de Choisy, Saincte-Mesme, le baron de Rosny, le fils aisné de Clermont d’Amboise, Linière, Guercby, enseigne de l’Admiral, Belleville, Languillier, le jeune Chaumont, Cognée, Bigni, et plusieurs autres. Des nostres furent tuez Montsallays, le baron d’Ingrande et de Prunay, Moncauré, le jeune Marcins, Nostraure, Mangotière et le capitaine Gardouch, du régiment du comte de Brissac, peu d’autres. Entre les blessez, les plus signalez furent Bassompierre, Clermont-Tallard, Praslin, le baron de Senecé, le comte de La Mirande, La Riviere, capitaine des gardes du duc, Aussun, Yves, lieutenant de Chauvigny, Vince, escuyer d’escurie du duc, le jeune Lanssac, le chevalier de Chemeraut, Mutio Frangipani, et quelques autres.

Après cette victoire, le duc s’estant retiré le treiziesme mars à Jarnac, abandonné des ennemis (lieu où il donna le corps du prince de Condé mort au duc de Longueville[6], sur la requeste qu’il luy en fit), ayant rendu grâce à Dieu, il despescha le soir mesme Losse pour faire sçavoir l’heureux succez de ses armes à Leurs Majestez, lesquelles je fus trouver quatre jours après de la part du duc, pour faire avancer les levées des reistres que le marquis de Bade avoit promis de faire pour le service du Roy, qui luy avoit fait tenir de l’argent pour cet effet, il y avoit desjà quelque temps.


CHAPITRE V.


Le sieur de Castelnau Mauvissiere, envoyé par le Roy querir du secours en Allemagne, l’amene en quinze jours ; est renvoyé en Flandre vers le duc d’Alve pour un autre secours. Raison du secours promis par le duc d’Alve. Vanité du duc d’Alve, ses exécutions sanglantes aux Pays-Bas. Diligence du sieur de Castelnau Mauvissiere en la conduite du secours donné au Roy par le duc d’Alve. Mésintelligence pernicieuse entre les ducs de Nemours et d’Aumale y favorable au passage du duc de Deux-Ponts. Escarmouche de Nuyts. Le duc de Deux-Ponts passe partout à la vue de nostre armée par la faute des chefs ; prend la ville de La Charité-sur-Loire.


Je ne fus pas si-tost arrivé près de Leurs Majestez, qu’après leur avoir reconfirmé ce que Losse leur avoit dit, à quoy je ne pus rien adjouster, sinon le nombre plus asseuré des morts, prisonniers et blessez de part et d’autre, qu’il n’avoit pu sçavoir au vray à cause de son soudain partement, qu’ils me despescherent aussitost vers le marquis, pour le faire haster de venir ; ce que je fis avec telle diligence, qu’en quinze jours je luy fis passer le Rhin, nonobstant les levées que faisoit le duc de Deux-Ponts, qui pouvoient estre cinq mille reistres et quatre mille lanskenets.

Estant arrivé à Mets avec le marquis, Sa Majesté me commanda incontinent après d’aller trouver le duc d’Alve, et le prier d’un second secours, et tel que l’ambassadeur du roy d’Espagne avoit fait espérer au Roy, comme estant leurs interests joints et communs à la ruine des huguenots, autant factieux et rebelles en Flandre que nos huguenots en France ; s’asseurant qu’estant son secours joint à l’armée que commandoient les ducs de Nemours et d’Aumale, lesquels Sa Majesté avoit fait alternativement ses lieutenans-generaux en l’armée de Champagne, il empescheroit l’entrée du royaume au duc des Deux-Ponts, où pour le moins, avant qu’il passast plus avant, seroit combattu en telle sorte qu’il ne luy resteroit qu’un repentir d’avoir entrepris legerement l’injuste defense de mauvais sujets contre leur Roy.

Ce qu’ayant fait entendre au duc, je le trouvay beaucoup plus prompt au secours que je luy demandois, qu’il n’avoit esté avant la bataille Sainct-Denys ; aussi qu’il estoit piqué au jeu, et fort animé contre les huguenots de France, qui avoient, incontinent après la publication de la paix et de l’edict en France, aidé à entretenir en Flandre la guerre qu’il faisoit au prince d’Orange, comte Ludovic, son frère, et de Mansfeld, ayant envoyé douze cornettes et deux mille hommes de pied sous la charge de Genlis, Morvilliers, marquis de Renel, et Dautricour, Mouy, Renty, Esternay, Feuquières et quelques autres, lesquels estans demeurez en Brabant après ces troisiesmes troubles et retraites des princes à La Rochelle, ne s’estoient voulu hasarder de venir en France, et la traverser : ce qu’ils n’eussent pu faire aussi sans grand péril ; lesquelles troupes ont depuis bien aidé à faciliter le passage du duc des Deux-Ponts.

Mais, pour retourner au duc d’Alve, après m’avoir fait mille protestations du desir qu’il avoit de servir Leurs Majestez en cette occasion et en toutes autres, il m’asseura qu’il me donneroit dans dix jours deux mille hommes de pied, et deux mille cinq cens bons reistres, sous la charge du comte de Mansfeld, gouverneur de Luxembourg, me priant d’en escrire à Leurs Majestez, et leur confirmer toutes assurances de son entière affection à leur service, leur donnant conseil et advis de ne faire jamais paix avec leurs sujets rebelles, et encore moins avec des huguenots ; mais bien de les exterminer, et traiter les chefs, s’ils pouvoient jamais tomber entre leurs mains, de mesme qu’il avoit fait les comtes d’Egmont et de Horne, ausquels il avoit fait trancher les testes, pour avoir esté factieux et rebelles au roy d’Espagne leur maistre, bien que tous deux fussent fort recommandables pour la grandeur de leurs maisons et de leurs services, s’estant le comte d’Egmont fort signalé à la journée de Sainct-Quentin, pour avoir bien fait et esté en partie cause du désastre des François et prise du Connestable, comme aussi de la défaite du mareschal de Termes à Gravelines, adjoustant le duc d’Alve beaucoup de discours de ses faits et de la bataille d’Emden[7], qu’il avoit gagnée sur les Gueux, avec mille paroles pleines de braveries et d’ostentations accoustumées à ceux de sa nation, qui seroient trop inutiles d’inserer en ces Mémoires.

Donc, pour ne perdre temps pendant mon séjour, ayant donné l’ordre que ses troupes fussent prestes, après qu’elles eurent fait monstre, et que j’eus pris congé de luy, je les fis acheminer avec telle diligence, qu’en moins de dix jours nous joignismes l’armée des ducs de Nemours et d’Aumale en Bourgogne, assez à temps pour combattre le duc des Deux-Ponts, aussi fort en cavalerie, mais moindre en infanterie que nous, si ces deux généraux eussent esté bien unis, et eussent pris les occasions qui s’offrirent deux ou trois fois de le combattre avec avantage, en dix-sept jours que nostre armée costoya la sienne, qui ne fut jamais attaquée qu’en quelques logemens, à diverses et legeres escarmouches, sinon à Nuyts au passage de la rivière, auquel il sembloit que le combat dust estre plus grand qu’il ne fut.

Mais le duc d’Aumale se contenta, pour ce jour là, de repousser un regiment de cavalerie commandé par Schomberg, lequel le duc des Deux-Ponts, qui estoit logé à l’abbaye de Cisteaux, avoit fait avancer pour passer la rivière ; ce qu’ayant fait, fut contraint de retourner avec perte de quarante ou cinquante des siens, avec quelques prisonniers ; mais estant soustenu de leur cavalerie, il fit ferme. Lors le duc d’Aumale commanda au comte de Charny, qui avoit commencé cette première charge avec les compagnies du duc de Lorraine, du marquis de Pont son fils, et autres troupes, de tenir bride en main, en partie à cause que l’artillerie des huguenots, qui estoit pointée sur une colline du costé de l’abbaye, endommageoit nostre cavalerie ; ce qui fut cause que chascun regardant la contenance de son compagnon pour prendre son advantage, le reste du jour se passa en escarmouches assez legeres entre les gens de pied.

Le lendemain, le duc des Deux-Ponts, qui n’avoit autre but que de tirer pays, se remit en campagne, et, s’estant avancé quelques jours sur nostre armée (qui, après cette journée, demeura derriere), prit le chemin de la ville de Beaune, devant laquelle il sejourna deux jours, attendant ses chariots et bagages ; de là fut à Treschasteau, où il passa la riviere avec aussi peu de peine qu’il avoit fait auparavant celle de Saverne, encore que l’armée des ducs de Nemours et d’Aumale fust campée à Sainct-Jean près de là, pour le passage du Pont-sur-Saosne, qu’il passa aussi sans contredit, la rivière estant gueable en plusieurs endroits : c’est ce qui fut cause que les gens de pied que le duc d’Aumale avoit envoyez pour garder, tant ce passage que celuy de Montreuil, l’abandonnèrent.

Mais, pour retourner au lieu où j’ay fait la disgression de Treschasteau, le duc des Deux-Ponts, ayant gagné le pays d’Auxerrois, ne pensa plus qu’à s’asseurer d’un passage sur la riviere de Loire : pour cet effet, ayant eu advis par Guerchi, qui estoit venu au devant de luy, du peu de gens de guerre qu’il y avoit dans La Charité, prit résolution de l’assieger, et aussi-tost envoya le marquis de Renel, Mouy, Hautricour, avec six cens chevaux et autant d’arquebusiers à cheval, pour l’investir ; lesquels, après avoir passé l’eau à Pouilly, gagnèrent bientost le faux-bourg du Pont, où ils se logerent. Peu après, le duc estant arrivé avec son armée, qui fut environ le dixiesme de may, fit camper ses lanskenets aux deux vallons lesquels regardent la porte de Nevers : estant iceux couverts de vignes qui sont là autour, et ayant logé trois coulevrines sur un terrain qui est elevé, fit battre la porte de Nevers et sa courtine. Le marquis de Renel, d’autre part, avec trois moyennes, faisoit battre tout le long de la courtine pour empescher les assiegez de reparer les bresches qu’y faisoit la batterie du duc, qui continuoit sans relasche, en sorte que le capitaine ayant abandonné la place sur le prétexte qu’il prit (fort mauvais, toutesfois) d’aller luy-mesme donner advis au duc d’Anjou du peu de moyen qu’il y avoit de conserver la ville, si elle n’estoit promptement secourue, les habitans bientost après demandèrent à parlementer pour avoir armes, vies et bagues sauves : mais les François, autant desireux de l’honneur que du butin, s’estant hasardez de monter la nuit par une corde en un certain endroit de la muraille mal gardé, qui leur fut enseigné par quelques gens de la ville, entrerent file à file les uns après les autres, et bientost après les lanskenets les suivirent pour avoir leur bonne part du butin. Le duc perdit fort peu de gens ; entr’autres Duilly, lorrain, gendre du mareschal Vieilleville, y fut frappé d’un boulet d’une des pièces qui sortit de la ville, dont il mourut ; de ceux de la ville il y en eut bien soixante de tuez ; Guerchi y fut laissé gouverneur avec cinq compagnies de gens de pied et quelque cavalerie.


CHAPITRE VI.


Importance de la perte de La Charité. Le roy de Navarre fait chef du party huguenot par la mort du prince de Condé, conjointement avec le jeune prince de Condé. Le sieur de Castelnau Mauvissiere envoyé a la Cour par le duc d’Aumale, renvoyé par le Roy au duc d’Anjou. Exploits du duc d’Anjou en Xaintonge, Angoumois et Limousin. Mecontentement de son armée. La Reyne mere vient à Limoges pour y mettre ordre. Subvention des ecclesiastiques de France par la vente de leur temporel. Le sieur de Terride fait la guerre a la reyne de Navarre. Mort du duc des Deux-Fonts. L’Admiral arrive à l’armée du duc. Medaille de la reyne de Navarre, et sa devise. Remonstrance des huguenots au Roy, et leur manifeste. Response du Roy. Lettres et protestations de l’Admiral au mareschal de Montmorency.


Par la prise de cette place, le duc des Deux-Ponts advança son chemin de beaucoup de pays qu’il luy eust fallu traverser pour joindre le camp des princes de Navarre et de Condé[8], le premier ayant esté eslu chef des huguenots incontinent après la mort du prince de Condé, auquel le jeune prince son fils fut donné pour adjoint, l’Admiral demeurant tousjours le principal gouverneur et conseiller en toutes les affaires des huguenots, que je laisseray acheminer en Angoumois et Périgueux, sur l’advis qu’ils eurent de la prise de La Charité, et venue du duc des Deux-Ponts, pour aller au-devant de luy, afin de retourner au duc d’Aumale : lequel estant demeuré seul lieutenant-général à l’occasion de la maladie du duc de Nemours, qui s’estoit retiré, et une partie de l’armée desbandée, deux jours après la rencontre de Nuyts, ayant tenu conseil de ce qu’il avoit à faire, me choisit pour aller trouver Leurs Majestez, afin de leur faire entendre ce qui s’estoit passé en tout son voyage, et aussi pour remettre la charge de lieutenant-général de l’armée qu’il commandoit, entre les mains du duc d’Anjou, et leur oster la mauvaise impression qu’on avoit voulu donner de luy, pour n’avoir empesché l’entrée du royaume au duc des Deux-Ponts, et se justifier d’autres mauvais offices que quelques-uns luy avoient voulu rendre à la Cour et au conseil.

Estant donc arrivé près de Leurs Majestez, après leur avoir rendu compte de mon voyage vers le duc d’Albe, et de beaucoup de particularitez des ducs de Nemours et d’Aumale, dont estant mieux esclaircies elles demeurèrent plus satisfaites, deux ou trois jours après, elles me commandèrent d’aller trouver le duc d’Anjou, lequel, courant la Xaintonge, l’Angoumois et Limousin, avoit reduit en l’obeyssance du Roy les places de Mussidan et Aubeterre, afin qu’il fist advancer le reste des forces qui estoient avec le duc d’Aumale, pour combattre les princes avant qu’ils pussent estre unis au duc de Deux-Ponts, estant leurs conjonctions l’establissement de toutes leurs affaires. Or, comme j’avois recogneu Leurs Majestez mal-satisfaites des ducs de Nemours et d’Aumale, je trouvay que le duc d’Anjou ne l’estoit pas moins de beaucoup de capitaines de son armée, qui, à faute de payement, demandoient congé de se retirer en leurs maisons, comme quelques-uns avoient fait ; la pluspart aussi des soldats se desbandoient tous les jours, tant à faute de payement que pour ce qu’ils avoient grandement paty en l’armée, en partie à cause de l’hyver, qui avoit esté fort grand cette année, et de beaucoup de maladies qu’ils avoient reçues, dont grand nombre estoient morts ; en sorte que l’infanterie estoit reduite à une moitié, la cavallerie au tiers, à qui il estoit deu près de trois mois de leurs services : ce qui donnoit beaucoup de mescontentement au duc, qui recevoit les plaintes d’un chacun ; aussi blasmoit-il fort ceux qui estoient du conseil de Leurs Majestez, pour le peu d’ordre qu’ils apportoient de faire tenir de l’argent, à quoy, de leur costé, ils estoient assez empeschez, s’estonnans comme les huguenots, qui en devoient bien avoir moins, pouvoient entretenir si long-temps une armée sur pied, et faire venir tant d’estrangers, ausquels il falloit beaucoup d’argent.

Ce qui fit resoudre la Reyne mere quelques jours après de venir à Limoges, tant pour voir quels moyens il y auroit de faire une bonne paix, que pour adviser, en cas qu’elle ne se peust faire si-tost, aux remedes nécessaires pour la conservation de l’Estat, comme aussi pour donner courage aux gens de guerre, et les contenter par belles paroles et promesses, attendant que partie de la levée fust faite des deniers de la subvention que les ecclésiastiques faisoient à Sa Majesté par la vente et alienation de leur temporel, jusques à la concurence de cinquante mille escus de rente, suivant la bulle et permission du Pape.

Mais, pour retourner à l’armée des princes, laquelle, comme j’ay dit, s’estoit acheminée sur la fin de may pour venir au-devant du duc à Nantrou, qui fut pris sur quelques soixante soldats, les princes et l’Admiral y ayans sejourné deux jours, ils despescherent le comte de Montgommery pour aller en Gascogne, afin de commander à l’armée des vicomtes, qui ne pouvoient s’accorder pour la jalousie du commandement, et aussi pour s’opposer aux desseins de Terride, qui commençoit fort à ruiner les affaires de la reyne de Navarre ; et ayant passé la Vienne deux lieues au-dessus de Limoges, le neuviesme juin arriverent à Chalus : le gué de Verthamont, proche le village de mesme nom, est sur la rivière de Vienne à cette distance de Limoges, d’où l’Admiral partit avec quelques chefs de l’armée huguenotte, pour aller recevoir le duc des Deux-Ponts ; mais l’onziesme il le trouva mort à Escars, ayant long-temps auparavant esté travaillé d’une fièvre quarte, ensuite de laquelle une fièvre continue luy fit perdre l’esperance de venir à chef de son dessein encommencé, lequel il exhorta tous les chefs de son armée de suivre avec la mesme resolution qu’il quittoit la lumière du jour pour jouir de celle du ciel, estant le deuil et tristesse par la mort de ce prince, à la charge duquel succéda le comte de Mansfeld, entremeslée de joye que les chefs avoient de se voir.

L’Admiral fit présent aux principaux d’une quantité de chaisnes d’or, avec quelques médailles, retirant[9] à une portugaise, que la reyne de Navarre avoit fait faite par son conseil, sur lesquelles ces mots estoient engravez : paix asseurée, victoire entière, ou mort honneste, et au revers le nom d’elle et de son fils, prince de Bearn, pour montrer la résolution qu’elle et son fils avoient prise de mourir constamment pour la deffence d’une mesme religion, et aussi pour unir davantage les cœurs et volontez de ceste armée estrangere, en la continuation de ceste guerre et association de leurs armées, desquelles la jonction entière se fit à Sainct-Yrier le vingt-troisiesme de juin 1569, où, par le commandement des princes, les reistres ayant fait la reveue de leurs gens, ils firent monstre et receurent argent. Peu de jours après, les princes, de l’advis de l’Admiral, firent dresser une requeste pour l’envoyer au Roy, au nom de tous les huguenots de France, par laquelle ils exposoient toutes les causes de leurs plaintes, et justes deffences pour le fait de leur religion, l’exercice de laquelle ils supplioient très-humblement Sa Majesté de vouloir octroyer libre à ses sujets, avec les seuretez requises, sans aucune exception ny modification, protestant que si, en quelques points de la confession de foy auparavant presentée à Sa Majesté par les Eglises de France, on leur pouvoit enseigner par la parole de Dieu comprise es livres canoniques qu’ils estoient esloignez de la doctrine des apostres et prophetes, de ceder très-volontiers à ceux qui les instruiroient mieux. C’estoit le sommaire de leur demande, de laquelle ces deux articles estoient les plus importans, et de plus difficile accommodement. Ils asseuroient aussi Sa Majesté qu’ils ne desiroient rien plus que la convocation d’un concile libre et general, et protestoient, encore qu’ils eussent uny toutes leurs forces, d’entendre plus volontiers qu’auparavant a une bonne paix, le seul et unique moyen de reconcilier et reunir tous ses sujets à son obéissance.

L’Estrange ayant esté deputé pour la présenter à Sa Majesté, fut trouver le duc d’Anjou de la part des princes, pour avoir son passeport ; mais il ne put tirer autre response, sinon qu’il en donneroit advis à Sa Majesté, pour sçavoir si elle auroit agreable qu’elle l’octroyast : et d’autant que l’on jugeoit bien que cette requeste n’avoit esté faite que par forme, et que leur intention n’estoit pas de desarmer, que sous des conditions trop avantageuses, le Roy ne fit autre response, sinon qu’il ne vouloit rien voir ny entendre, que premierement les huguenots ne se fussent rangez au devoir que des fideles sujets doivent à leur prince ; mais le mareschal de Montmorency, à qui l’Admiral en avoit escrit et renvoyé copie de la requeste, l’asseura, par la response qu’il luy fit, que Sa Majesté, lors que les huguenots de France se seroient mis à leur devoir, les recevroit tousjours comme ses sujets, et oubliroit le passé. Quelques jours après, l’Admiral luy en escrivit une autre, par laquelle il tesmoignoit avoir une extresme compassion de voir la ruine et desolation prochaine de la France, à quoy, puisque ses ennemis ne vouloient apporter autre remede, il avoit au moins ce contentement d’avoir rechercbé, autant qu’il luy avoit esté possible, de pacifier les troubles de ce royaume, appellant Dieu et tous les princes de l’Europe pour juges de son intention, qui seroit tousjours portée au service du Roy, et à se maintenir avec tous les protestans de France, en l’exercice de sa religion contre la violence de ses ennemis : ce sont les mesmes termes de sa lettre.


CHAPITRE VII.


La Reyne veut voir en bataille l’armée du duc d’Anjou, qui vouloit combattre les huguenots. L’Admiral le vient attaquer ; et, après une sanglante escarmouche, les deux armées se séparent. Le comte du Lude assiege Niort ; il est contraint de lever le siège, et les huguenots prennent plusieurs places en Poictou. Dessein de l’Admiral sur le Poictou. Le duc de Guise se jette dans Poictiers. Attaque des faubourgs de Poictiers, secourus par le duc de Guise, et enfin emportez. Poictiers assiégé par l’Admiral. Les sieurs d’Onoux et de Briançon tuez au siège. Le duc de Guise et le comte du Lude encouragent les habitans. Grand service du duc de Guise en la defense de Poictiers, et du comte du Lude. Second assaut bravement soutenu par ceux de Poictiers. Siège de Chastelleraut par le duc d’Anjou, pour faire diversion et faire lever celuy de Poictiers.


Cependant le duc d’Anjou, qui avoit reçu le reste des forces du duc d’Aumale, comme aussi le secours de trois mille hommes de pied et douze cens chevaux que le Pape envoya à Sa Majesté, sous la conduite du comte Santafior[10] son neveu, lesquelles troupes ne remplaçoient toutesfois pas celles qui s’estoient desbandées, et à qui il avoit esté contraint de donner congé, comme j’ay dit cy-dessus ; après avoir esté quelques jours à Limoges avec la Reyne sa mere, laquelle, accompagnée des cardinaux de Bourbon et de Lorraine, voulut voir l’armée en bataille, visiter toutes les bandes, et exhorter les capitaines et soldats de faire leur devoir, leur promettant qu’outre leur solde qu’ils recevroient bientost, Sa Majesté recognoistroit leur fidele service, fit dessein de s’approcher plus près des ennemis afin de les combattre, selon l’occasion et le lieu qui luy seroit plus favorable et avantageux : resolution toutesfois prise contre l’opinion du cardinal de Lorraine et autres chefs de l’armée, qui estoient d’advis qu’il falloit attendre que les troupes qui s’estoient allées rafraischir fussent venues, et toutes les forces du Roy ensemble, pour venir à un combat general, comme il s’est fait depuis.

Le duc neantmoins ayant suivi sa resolution première, son armée ne fut pas campée à La Rochelabeille, environ une lieue de Sainct-Yrier, que, bien que les avenues fussent assez difficiles, tant pour la situation du lieu que pour les retranchemens que le duc avoit fait faire, le lendemain matin l’armée huguenotte ne marchast en bataille, en sorte que le premier corps de garde, composé du régiment de Strossi, qui s’estoit avancé au-delà de la chaussée de l’estang, l’eut bientost sur les bras ; Piles, avec son regiment ayant commencé la charge, de prime abord fut repoussé si brusquement qu’il en demeura plus de cinquante des siens sur la place ; et les autres commençoient desjà à prendre party de se retirer, lorsque l’Admirai, qui menoit l’avant-garde, commanda à Moüy et Rouvré avec leurs regimens de s’avancer pour les soustenir, et en mesme temps Beauvais La Nocle et La Louë, avec trois cens chevaux, les chargèrent en flanc, si bien que le capitaine Sainct Loup, lieutenant de Strossi, qui s’estoit avancé au-delà du vallon, soustenu de quatre cornettes italiennes, fut contraint de se retirer dans ses barricades, lesquelles estant assaillies en divers endroits, tant de la cavalerie que de l’infanterie, enfin furent forcées, et Strossi, après avoir fait tout devoir de bon capitaine, ne voulant gagner la montagne, comme quelques autres firent, fut prisonnier, et son lieutenant tué sur la place, auquel plus de quatre cens soldats des siens firent compagnie ; lors l’Admiral ne voulant se hasarder de passer plus outre et poursuivre le premier succès de cette charge, commanda a la cavalerie de se retirer chacun sous sa cornette et l’infanterie sous son drapeau, aussi que nostre artillerie pointée sur une colline commençoit fort à les endommager.

La pluye, qui fut continuelle ce jour-là, fut aussi en partie cause que le duc d’Anjou ne voulut hasarder la bataille ; le lendemain se passa en legeres escarmouches, et le troisiesme jour l’armée des princes s’estant éloignée de la nostre, le duc résolut de la licencier pour l’envoyer rafraischir aux garnisons prochaines de la Guyenne, tant parce qu’elle estoit fort harassée à cause des grandes traités et continuelles courvées qu’elle avoit fait, que pour la disette et nécessité de vivres qu’il y avoit en Limousin ; en sorte que la pluspart des soldats y mouroient de faim, et n’y trouvoit-on plus de foin ny d’avoine pour les chevaux : peu de jours après, le duc d’Anjou partit pour aller à Tours, où il demeura quelque temps avec Leurs Majestez.

Cependant le comte du Lude, qui estoit demeuré en Poictou avec quatre mille hommes de pied et quelque cavalerie, tant pour la conservation des villes qui estoient sous l’obeyssance du Roy, que pour reduire, comme il se promettoit faire, celles qui tenoient contre son service, estoit bien empesché au siège de Niort, où, après avoir esté quelque temps et donné plusieurs assauts, il fut contraint, par le secours de Telligny et Pivaut, d’en lever le siège avec perte de plus de trois cens des siens, et ainsi se retira à Poictiers afin de pourvoir à la conservation de la ville, où je le laisseray jusques à ce qu’il y soit assiégé, pour retourner à l’armée des princes, laquelle incontinent après le licenciement de la nostre, prit plusieurs petites places, comme Saint-Sulpice, Branthome, Chasteau-l’Evesque, La Chapelle, Coniblan, Chabannois et autres, tant pour tenir le pays en subjection, que pour faire contribuer les habitans d’icelles, et de quelques autres en donner le pillage à ses soldats ; puis, sur la fin de juin, s’achemina en Poictou, où l’Admiral avoit basti les desseins de sa première conqueste et plus asseurée retraite.

Et d’autant que Poictiers est la principale de la province, et celle qui pouvoit plus nuire et servir à leurs desseins, avant que d’entreprendre le siège comme il avoit projette, il fut d’avis, pour la resserrer davantage, de commencer aux plus faciles ; pour cet effet, ayant envoyé La Louë devant Chastelleraut, par l’intelligence qu’il avoit avec aucuns habitans, quelques jours après il la prit par composition, ensuite de laquelle Lusignan assiégé et battu furieusement, Guron, gouverneur de la place, la rendit aussi par composition, qui fut de sortir vie et bagues sauves.

Cependant le duc d’Anjou, prevoyant le siege de Poictiers, pour l’asseurer depescha le duc de Guise avec douze cens chevaux, ainsi qu’il avoit demandé, pour le désir qu’il avoit de faire un service signalé à Sa Majesté en cette occasion ; lequel, suivant l’ancienne valeur de ses peres, estant accompagné du marquis du Maine[11] son frere, de Sforce, frere du comte de Santafior, Montpesat, Mortemar et plusieurs autres gentilshommes françois, y entra le deuxiesme de juillet 1569, deux jours auparavant que l’armée des princes y arrivast, qui y campa le vingt-quatriesme du mois, auquel lieu l’avant-garde de l’armée huguenotte se presenta en bataille jusques sur les dubes du fauxbourg Sainct-Ladre, où Piles, qui s’estoit avancé par le commandement de l’Admiral, donna d’abord si furieusement avec son regiment, et quelques cornettes de reistres, qu’ayant faussé les premières barricades et retranchemens que le capitaine Boisvert avoit fait (lequel y avoit sa compagnie logée), il le contraignit, après avoir fait quelque resistance, de se retirer dans les maisons du fauxbourg, lequel ce jour là eust esté emporté si le duc de Guise, accompagné de Rufec, de Briançon, d’Argence, Bort, Fervacques et autres gentilshommes, avec six cens chevaux, tant françois qu’italiens, n’eust fait une sortie sur eux ; de sorte que, les ayant repoussez hors du faux-bourg à la faveur des pieces pointées sur la plate-forme qui estoit entre le chasteau et le faux-bourg, ils furent contraints de se retirer jusques au village Saincte-Alarne, qui est à deux lieues de Poictiers.

Le reste du jour, le duc de Guise l’employa à faire brûler une partie des maisons du faux-bourg qui estoient plus proches de la porte, pour empescher les assiegeans d’y loger ; à quoy si l’on eust pourveu de meilleure heure, et que la compassion de beaucoup de pauvres artisans n’eust empesché de raser les autres, l’armée ennemie n’y eust pas esté logée si commodément, et avec tant d’avantage sur la ville, comme elle fut trois ou quatre jours après qu’ils furent tous gagnés par les huguenots, fors celuy de Rochereuil.

Lors l’Admiral, les approches faites, ayant fait loger une partie de l’artillerie sur les rochers, et l’autre partie sur le bord du pré, fit commencer la batterie, qui estoit de treize pièces d’artillerie et quelques coulevrines, au pont et porte du pont Anjoubert, laquelle fut continuée l’espace de trois jours en telle sorte, que les assiegez, qui tenoient encore quelques maisons plus proches des portes des faux-bourgs, par le moyen desquelles ils sortoient à couvert, furent contraints de les abandonner. L’Admiral ayant aussi fait pointer quelques pieces au-dessus de Sainct-Cyprien, fit battre une tour qui estoit plus avancée sur le faux-bourg, au moyen de laquelle ceux qui estoient logez à l’abbaye recevoient beaucoup de dommage et d’incommodité par ceux qui la gardoient, qui furent contraints de la quitter, après avoir fait des barricades pour empescher les huguenots de s’y loger. Deux ou trois jours après, l’Admiral fit aussi battre la muraille du pré l’Abesse et ses deffenses, avec un moulin qui estoit près de là, la ruine duquel apporta beaucoup d’incommodité aux assiegez, qui s’employoient à faire force retranchemens et tranchées dans ce pré, et faisoient aussi tout le devoir possible de reparer leur bresche, et, avec pots et grenades, et autres feux artificiels qu’ils jettoient sans cesse, travailloient autant qu’ils pouvoient les assiegeans ; lesquels, après avoir continué leur batterie l’espace de quelques jours, et fait bresche raisonnable se resolurent de donner l’assaut ; et d’autant qu’il falloit passer la riviere avant que d’y venir, ils dresserent la nuit un pont de tonneaux liez avec forces cables, et autre bois qu’ils avoient amassé, pour porter l’infanterie, et le lendemain ils marcherent en bataille sur les costeaux, prests à descendre, ayant la chemise blanche sur le dos pour se recognoistre : lors huit cens des enfans perdus firent l’essay du pont, lequel ayant esté trouvé trop foible, furent contraints de se retirer et mettre la partie à une autre fois. La nuit venue, le duc de Guise envoya couper les cordages, et rompre le pont, pendant que quelques arquebusiers attaquoient par une feinte escarmouche le corps de garde des huguenots, lesquels continuèrent leur batterie jusques au vingt-neufviesme du mois d’aoust, attendant que deux autres ponts qu’ils faisoient faire fussent parfaits ; l’un desquels ils dressèrent devant le faux-bourg Sainct-Sornin pour passer au pré-l’Evesque ; l’autre fut mis à quelques cinquante pas d’iceluy sur la mesme riviere, où plusieurs soldats huguenots furent tuez et blessez, encore qu’ils eussent dressé force gabions pour se mettre à couvert des arquebusades qu’on tiroit de la muraille, nonobstant lesquelles ils gagnèrent une des bresches du pré, et une vieille tourelle où ils se logèrent ; mais ce ne fut pas sans perte de deux ou trois capitaines du regiment d’Ambres.

Onoux, duquel le service est signalé en ce siège, par le secours de cinq cens hommes qu’il amena au commencement d’iceluy, ayant esté avec bon nombre pour leur faire abandonner cette bresche, ne put remporter autre chose qu’une arquebusade en la teste ; Briancon, frère du comte du Lude, aussi fort recommandable par le soin et la vigilance qu’il apporta pour la conservation de cette ville, comme il visitoit la plateforme des Carmes eut la teste emportée d’un coup de canon. Les assiegeans voyans que la bresche de ce pré ne leur apportoit pas tant d’avantage à cause de l’eau qui croissoit d’heure en autre par le moyen de palles que les assiegez avoient fait faire pour arrester son cours, afin de la faire regorger dans le pré (après avoir fait tirer plusieurs coups de canon contre ces palles sans beaucoup d’effet, au moyen de deux murailles que le comte du Lude avoit fait faire sous les arches de derrière qu’il avoit fait remplir de terre, et au devant desquelles l’on avoit mis force balles de laine, bien liées et attachées contre les palles pour amortir les coups), changerent leur batterie aux ponts et gabions que les assiégez avoient dressez à Sainct-Sornin, par le moyen de laquelle ils empeschoient qu’on ne pust reparer la muraille, ce qui donnoit beaucoup d’estonnement aux habitans, qui commençoient fort à s’ennuyer, tant pour les continuelles corvées, veilles et gardes qu’il leur falloit faire, que pour autres incommoditez de la vie qu’ils commençoient à souffrir.

Mais, voyant que le duc de Guise et le comte du Lude, accompagnez d’une infinité de noblesse, s’estoient resolus de mourir sur la bresche, plustost que de faire un pas en arrière pour l’abandonner, commencerent à reprendre courage et à se rasseurer ; quelques-uns d’entr’eux mesme se resolurent de les y accompagner pour soustenir l’assaut qu’ils croyoient que les huguenots deussent ce jour-là donner, comme ils s’y estoient preparez ; mais l’Admiral ayant fait recognoistre la profondeur du ruisseau qui couloit le long de la muraille de la ville et au pied de la bresche, laquelle bien que raisonnable, il se trouva que le canal estoit plus profond qu’il ne pensoit ; ce qui fut cause qu’il fit remettre la partie à un autre jour, attendant que les fossez, à quoy il fit travailler en plusieurs endroits, fussent faits, pour faire écouler l’eau.

Cependant le duc de Guise ne perdoit temps à faire reparer la bresche, comme aussi à faire travailler aux retranchemens et autres lieux les plus foibles de la ville, où il donna si bon ordre, que, sans sa presence et bonne conduite, sans doute les assiegeans n’eussent pas eu tant d’affaires, lesquels enfin vovant qu’ils ne pouvoient destourner l’eau, se resolurent d’attaquer le faux-bourg de Rochereuil, par le moyen duquel les assiegez la retenoient et faisoient deborder : et pour cet effet l’Admiral fit commencer la batterie à la tour du pont, de laquelle les deffenses estant abbatuës, peu après les lanskenets avec quelques François, gagnèrent une vigne qui panchoit sur la rue du faux-bourg, la perte de laquelle, outre la mort de quelques capitaines qui y furent tuez en la deffendant, eust apporté beaucoup davantage d’incommodité aux soldats destinez pour la garde d’iceluy, si la nuit ensuivant le comte du Lude n’eust fait dresser quantité de tonneaux couverts d’ais et autres bois le long du pont et de la rue du faux-bourg, faisant aussi tendre aux lieux les plus decouverts force linceux pour couvrir les soldats qui alloient et venoient.

Le reste du mois, l’Amiral le fit employer à faire une autre batterie contre les tours et galleries du chasteau, comme aussi une muraille faite en forme d’esperon, derriere laquelle les soldats qui y estoient logez tiroient aisement ceux qui venoient des prez et noyers à la porte et muraille de la ville ; il fit aussi pointer quelques pieces à la Cueille pour battre ceux qui estoient es defenses du chasteau, afin qu’ils ne pussent facilement tirer ceux qui viendroient à l’assaut, qui fut tenté le troisième jour de septembre, auquel Piles, qui s’estoit avancé avec son régiment, soustenu de celuy de Sainct-André, et d’un autre de lanskenets, pour recognoistre la bresche, fut salué de tant d’arquebusades qu’entre autres une luy perça la cuisse ; la pluspart des capitaines, qui accompagnoient leurs chefs, assez mal suivis de leurs soldats, n’en eurent gueres meilleur marché : ce que voyant l’Admiral, et qu’ils ne pouvoient emporter que des coups, à cause que le lieu où ils avoient tenté l’assaut estoit trop avantageux aux assiegez, tant pour les deffenses du chasteau que pour les ravelins et esperons qu’ils avoient fait faire, munis de plusieurs pieces qui les defendoient, commanda aux François et lanskenets de faire retraite.

Voilà à peu près l’estat des assiegeans et des assiegez, qui, d’heure à autre, attendoient le secours que le duc d’Anjou leur avoit fait esperer au commencement de septembre ; lequel, averty de la grande necessité de vivres qu’ils avoient, se resolut, avec ce qu’il avoit de cavalerie et d’infanterie, qui pouvoit estre de neuf mille hommes de pied et de trois mille chevaux, tant François, reistres, qu’italiens, attendant que toutes les forces qu’il avoit mandé fussent ensemble, d’assieger Chastelleraut, croyant bien que les huguenots, pour ne laisser perdre cette place qui leur estoit trop importante, seroient contraints, pour la secourir, de lever le siege de Poictiers.


CHAPITRE VIII.


Voyage du comte de Montgommery en Bearn, au secours de la reyne de Navarre contre le sieur de Terride. Il fait lever le siège de Navarrin, prend Ortez, et fait Terride prisonnier contre la foy de la capitulation ; restablit la reyne de Navarre, et revient joindre l’armée des princes. Surprise d’Aurillac par les huguenots. Levée du siège de La Charité par les catholiques. Continuation du siège de Chastelleraut. Assaut donné a ladicte ville par les Italiens. L’Admiral leve le siege de Poictiers pour secourir Chastelleraut, qu’il secourt, et le duc d’Anjou quitte le siege et ravitaille Poictiers. Arrest de mort contre l’Admiral, le comte de Montgommery et le vidame de Chartres. La teste de l’Admiral mise à prix. Sentiment de l’autheur sur cette proscription. Grand service des sieurs de Biron et de Tavannes. L’Admiral presente la bataille au duc d’Anjou, qui fortifie son armée, et le suit vers Montcontour qu’il avoit pris. Advantage du duc d’Anjou en un combat.


Mais avant que d’entrer plus avant en ce discours, l’ordre du temps m’oblige de reprendre le voyage que le comte de Montgommery avoit fait en Gascogne, par le commandement des princes, pour conquerir les places que Terride, lieutenant general pour le Roy en Quercy, avoit prises sur la reyne de Navarre, après que Sa Majesté l’eust fait sommer de se departir, avec le prince son fils, du secours qu’elle donnoit aux huguenots. Le comte ayant donc assemblé les forces des vicomtes, et plusieurs autres tirées des garnisons de Castres, Castelnaudarry et autres lieux, il fit telle diligence, qu’estant party au mois de juillet mil cinq cens soixante et neuf, prenant son chemin par le comté de Foix et montagnes vers Mauleon, combien que le mareschal d’Anville, Montluc, Negrepelisse, Bellegarde et autres seigneurs du pays, eussent des forces bastantes pour luy rompre ses desseins, il arriva neantmoins par sa grande diligence en Bearn, où aussitost il contraignit Terride de lever le siege de Navarrin, seule place qui estoit restée à la reyne de Navarre, laquelle il tenoit assiegée il y avoit plus de deux mois, le pressant en telle sorte qu’il le força (ne s’estimant pas assez fort pour tenir la campagne) de se jetter dans Ortez, ville qui fut autresfois la principale demeure des comtes de Foix ; et, après avoir pris la ville d’assaut, réduite à feu et à sang, s’estant retiré au chasteau avec les principaux, enfin se rendit par composition, qui fut de sortir vie et bagues sauves : ce qui toutesfois ne fut accomply en tout ; car le comte le retint prisonnier pour l’eschanger avec son frere, pris à La Motte en Poictou, comme j’ay dit cy-devant ; et quant à Sainte-Colombe, Favas, Pordiac et autres, quelques jours après, comme sujets de la reyne de Navarre, ayant esté declarez criminels de leze-majesté, on les fit mourir miserablement. Ayant remis les autres places en l’obeyssance de la Reyne, auxquelles il mit bonnes garnisons, il se retira à Nerac, et de là se rendit à Saincte-Marie, où il joignit les princes après la bataille de Montcontour, comme je diray en son lieu.

En ce mesme temps, les huguenots d’Auvergne surprirent Aurillac sur les catholiques ; et Sansac, qui tenoit La Charité assiegée avec plus de trois mille hommes de pied et cinq cens chevaux, qu’il avoit tiré des garnisons d’Orléans, Nevers, Bourges, Gien et autres lieux, après un mois de temps, ayant donné deux ou trois assauts, en leva le siège, avec perte de plus de trois cens soldats, pour venir au siege de Chastelleraut, suivant le mandement du duc d’Anjou, qui, s’estant acheminé avec les forces que j’ay cy-devant dit, le cinquiesme septembre se rendit à Ingrande, et, deux jours après, les approches faites et l’artillerie logée, fit battre la ville du costé de la porte Saincte-Catherine, où, aussi-tost que la breche fut jugée raisonnable, les François, Italiens et lanskenets en disputèrent la pointe, contention aussi généreuse que le procedé du duc fut louable ; car, pour ne donner de la jalousie aux capitaines et soldats, il ordonna que leur différend seroit jugé au sort du dé, lequel estant tombé en faveur des Italiens, firent tout devoir de gens de bien, et monterent aussi hardiment sur la brèche, qu’ils en furent repoussez par La Louë ; lequel, après leur avoir fait faire une salve de plusieurs arquebusades, avec quatre cens hommes bien armez, sortit des gabions et barrieres qu’il avoit fait faire aux deux costez de la breche, en sorte qu’après avoir quelque temps combattu main à main, il contraignit Octavian de Montalte et Malateste (deux braves colonels estans fort blessez) de se retirer avec perte de six vingts soldats et de quatre ou cinq capitaines.

Au bruit de ce premier assaut, les huguenots ayant levé le siege, passerent la Vienne le huitiesme septembre ; dequoy estant adverty le duc d’Anjou, et du secours qui estoit entré dans la ville par le moyen du pont qui leur donnoit l’entrée, bien content d’avoir effectué son dessein, et attendant que toutes ses forces fussent ensemble, repassa la Creuse au port de Ples, avec son armée qui campa à La Celle, lieu fort avantageux, et en mesme temps depescha le comte de Sanzay, avec six compagnies de gens de pied, et quelque cavalerie, pour entrer à Poictiers, luy ayant fait donner force poudre, munitions et autres choses necessaires pour le rafraischissement de la ville, d’où sortit le duc de Guise, avec cinq cens chevaux et bon nombre de noblesse, le mesme jour que le comte y entra, qui fut le neuviesme du mois, et aussi-tost alla à Tours trouver Leurs Majestez, qui luy firent toutes les bonnes cheres et remercimens dus à son affection et au service qu’il leur avoit rendu en la conservation et deffense de cette place, laquelle fut cause de la mort de trois mille huguenots, dont une partie mourut de maladie.

En ce mesme temps la cour du parlement de Paris, à la requeste du procureur general Bourdin, donna arrest de mort[12] contre l’Admiral et le comte de Montgommery et vidame de Chartres, comme rebelles, atteints et convaincus de crime de leze-majesté ; et le mesme jour furent mis en effigie. L’arrest aussi portoit promesse de cinquante mille escus à celuy qui livreroit l’Admirai au Roy et à la justice, soit estranger ou son domestique, avec abolition du crime par luy commis s’il estoit adherant ou complice de sa rebellion ; lequel arrest fut depuis, à la requeste du procureur general, interpreté, mort ou vif, pour oster le doute que ceux, qui voudroient entreprendre de le representer en pourroient avoir : arrests que quelques politiques estimoient estre donnez à contre temps, et qui servoient plustost d’allumettes pour augmenter le feu des guerres civiles, que pour l’esteindre, estant leur party trop fort pour donner de la terreur par de l’encre et de la peinture, à ceux qui n’en prenoient point devant des armées de trente mille hommes, et aux plus furieuses charges des combats, comme ils firent bien paroistre lors que nostre armée deslogea ; car la leur la nuit mesme la suivit de si près, que, sans la vigilance de Biron à faire retirer l’artillerie à force de bras, outre les chevaux qu’on y employa, et la bonne conduite de Tavannes à faire passer l’armée en diligence, et loger fort à propos trois regimens au port de Piles pour garder le passage, et arrester les forces que l’Admiral y envoyoit, comme ils firent, attendant que nostre armée fust logée à La Celle, sans doute le duc d’Anjou eust esté forcé de venir au combat ce jour-là.

Le lendemain l’Admiral, voyant que ceux qu’il avoit envoyez n’avoient pu forcer ce passage, adverty qu’il y en avoit un autre plus haut à main droite et plus facile, entre le port de Piles et La Haye en Touraine, y fit passer l’armée, en resolution de forcer le duc de venir au combat ; pour cet effet il demeura un jour en bataille, le conviant par de frequentes escarmouches de venir aux mains ; mais voyant qu’il ne le pouvoit attirer à la bataille, encore moins l’y forcer, tant pour estre le lieu trop bien retranché et flanqué, que pour avoir la riviere d’un costé et un bois de l’autre, qui le rendoit plus advantageux, et les advenues plus difficiles, repassa la Creuse et la Vienne pour estendre l’armée huguenotte à Faye la Vineuse et lieux circonvoisins, afin de la faire vivre plus commodément.

Et le duc d’Anjou, après avoir sejourné cinq ou six jours à La Celle, prit le chemin de Chinon, où il demeura quelques jours, attendant que son armée fust complette, laquelle estant renforcée de plusieurs compagnies de gens d’armes et de cornettes de cavalerie, outre celle que le duc de Guise luy amena, comme aussi des Suisses et autres regimens françois qu’il avoit envoyez en garnison, delibéra de suivre à son tour ses ennemis ; si bien qu’ayant repassé la Vienne avec toutes ses forces fraisches et gaillardes, qui estoient de plus de sept mille chevaux et dix-huit mille hommes de pied, y compris les Suisses, il n’eut pas fait long chemin qu’il fut adverty que l’armée des princes tiroit vers Montcontour, où l’Admiral avoit envoyé devant La Nouë avec quelque cavallerie et infanterie pour s’en saisir, comme il fit avant que nostre armée y arrivast, laquelle se campa à Sainct-Clair le premier jour d’octobre, près du lieu où, le jour auparavant, la rencontre de l’avant-garde des deux armées s’estoit faite si advantageusement pour les nostres, que, si la nuict n’eust arresté leur poursuite, et favorise la retraicte des huguenots, sans doute leur deroute eust esté plus grande et plus honteuse aux François qu’aux reistres et lanskenets, ausquels l’Admiral, qui estoit demeuré avec la bataille, donna l’honneur d’avoir bien combattu sous la conduite du comte de Mansfeld, qui seul fut cause de sauver l’avant-garde, et duquel le lieutenant, nommé le comte Charles, et quatre ou cinq autres capitaines avec luy demeurerent sur le champ, ausquels plus de cent cinquante de ceux de Mouy, et de la compagnie de Beauvais La Nocle, qui avoient soustenu la première charge que Martigues leur fit, y tinrent compagnie ; et entre autres, d’Audancour, lieutenant de Mouy, y fut tué.


CHAPITRE IX.


Le duc d’Anjou poursuit les ennemis pour les combattre. Disposition de l’armée du duc. Disposition de celle de l’Admiral, Bataille de Montcontour. Seconde charge, le marquis de Bade tué. Troisième charge par le duc d’Anjou qui fut renversé par terre. Grand service des sieurs de Tavannes et de Biron, et du mareschal de Cossé. Defaite et retraite des huguenots. Nombre des morts, des prisonniers et des blessez. Les huguenots se retirent à Partenay. Ils deputent vers leurs alliez, et fuyent devant les victorieux.


Tous ces corps, percez de coups, estoient encore estendus sur la place, lorsque le duc d’Anjou y arriva, l’objet desquels augmentoit autant l’ardeur de combattre des nostres, que la retraite des ennemis leur donnoit esperance d’une victoire prochaine si l’on venoit à la bataille, à laquelle le duc s’estant resolu avec les principaux chefs de l’armée, fit le lendemain gagner le passage de la rivière d’Yves près de la source, et, le troisiesme jour, l’ayant fait passer au matin sans grande resistance, il la fit advancer plus à gauche, tirant à la plaine d’Assay, pour y rencontrer ses ennemis et empescher leur retraite au bas Poictou, en cas qu’ils s’y voulussent acheminer ; et afin qu’ils ne peussent passer à La Toue, qui leur servoit de barriere du costé droit, il envoya deux compagnies pour se saisir d’Ervaut et de son passage ; mais l’Admiral, d’autre costé, avoit donné ordre de faire garder le pas de Jeu, lieu marécageux entre Touars et Ervaut, et qui pouvoit servir aux siens en cas qu’ils fussent rompus, comme aussi il avoit prevu devant à faire gagner Ervaut pour estre favorable à sa retraite.

Le duc donc, après avoir envoyé descouvrir l’estat de l’armée des princes, pour juger de la disposition et de l’ordre qu’elle tenoit pour la bataille, ayant pris sur tous autres l’advis du mareschal de Cossé et Tavannes pour la disposition de la sienne, donna la conduite de son avant-garde au duc de Montpensier, lequel avoit avec luy cinq regimens françois, et les troupes italiennes separées en deux bataillons, entre lesquels il y avoit neuf pieces d’artillerie à costé gauche des Suisses, qui faisoient un autre bataillon commandé par Clery ; le duc de Guise commandoit un escadron de cavalerie, et Martigues, qui estoit plus avancé du costé des François et Italiens, un autre ; après suivoit le prince Dauphin, accompagné des comtes de Santafior, Paul Sforce, Chavigny, La Valette et plusieurs autres qui avoient troupes ; à la main droite marchoit le duc de Montpensier avec le landgrave de Hesse, le comte Rhingrave, Bassompierre, Chomberg et Vestebourg, qui faisoient douze cornettes de reistres ; la bataille estoit composée d’un autre bataillon de Suisses commandé par Meru, leur colonel-général, de six regimens françois, sçavoir Gohas, Gossins, du jeune Montluc, Rance et les deux Isles, et de huit pieces de canon ; la cavalerie estoit de plus de trois mille chevaux, divisée en trois escadrons, sçavoir deux de reistres et un de François ; le premier estoit commandé par le comte de Mansfeld, celuy que j’avois amené ; le duc marchoit après, accompagné des ducs de Longueville, marquis de Villars, de Toré, La Fayette, Carnavallet, La Vauguyon, Villequier, Mailly et plusieurs autres ; le duc d’Aumale et le marquis de Bade, qui estoit à sa droite, un peu derrière, renfermoit le bataillon des Suisses.

Telle estoit la disposition de nostre armée, que le duc fit marcher en ordre sur les deux heures après midy, ayant demeuré plus de quatre heures faisant halte non gueres loin de l’armée huguenotte, que l’Admiral avoit aussi disposée dès le matin en bataille en une large campagne distante de demy lieue de Montcontour, entre la Dive et la Touë, deux rivières fort peu guéables : à costé gauche de la première, il s’estoit mis pour conduire l’avant-garde, composée des regimens de Piles, absent à cause de sa blessure, d’Ambres, Rouvre, Briquemaut et quelques autres, des deux mille lanskenets commandez par Gresselé, et de six pieces de canon à leur main droite. Mouy et La Loue estoient plus avancés avec trois cens chevaux ; le reste de la cavalerie, qui estoit de seize cornettes, tant reistres que François, estoit séparé en deux escadrons ; l’Admiral estoit au premier, accompagné d’Acier, Telligny Puy-Greffier et autres ; le comte de Mansfeld marchoit après. La bataille, qui estoit à la main droite, tirant à la Touë, estoit conduite par le comte Ludovic, accompagné du prince d’Orange et Henry, ses frères, de Ausbourg, Regnard, Erag, Henry d’Estain, et autres colonels, qui faisoient plus de trois mille chevaux ; l’infanterie de la bataille estoit composée des régimens de Montbrun, Blacons, Mirabel, Beaudiné, Lirieu, et de deux mille autres lanskenets commandez par Gramvilars.

Les deux armées n’eurent pas long-temps marché en cet ordre, que le duc de Montpensier fit commencer la charge aux enfans perdus, soustenus du duc de Guise et du vicomte de Martigues, attaquerent d’abord si furieusement Moüy et La Louë, qu’ayant rompu les premiers rangs de leur cavalerie, tout le reste commença à se débander ; lors le marquis de Renel et d’Autricour partirent de la main pour les soustenir, et firent une charge furieuse au vicomte de Martigues ; mais estant suivy du comte de Santafior avec sa cavalerie italienne, couverte de deux mille arquebusiers commandez par La Barthe et Sarlabous, il les repoussa de telle sorte qu’Autricour y demeura sur la place, et contraignit les autres de se retirer en désordre : ce que voyant l’Admiral, ayant fait avancer trois regimens françois, ausquels il commanda de ne tirer qu’aux chevaux, entreprit de rompre six cornettes de reistres qui faisoient un grand echec sur les troupes d’Acier, et se mesla si avant en ce combat avec Telligny et La Nouë, que si le comte de Mansfeld ne l’eust suivy de bien près pour charger les reistres catholiques, qui commençoient fort à le presser, il couroit fortune de demeurer en cette charge, en laquelle il fut blessé à la joue. Lors le duc d’Anjou, voyant la meslée des deux avant-gardes fort douteuse, et que l’artillerie ennemie endommageoit fort sa bataille, pour secourir ses reistres, qui estoient en fort grand desordre par la charge que le comte de Mansfeld leur fit, commanda au duc d’Aumale et marquis de Bade de s’avancer pour le combattre, contre l’ordre qui avoit esté pris ; lesquels se porterent si avant dans la meslée, que le marquis, avec beaucoup des siens, y demeura sur la place, et le duc d’Aumale eut assez affaire de s’en desgager, ayant le comte de Mansfeld soustenu et mis en route ce qui s’estoit presenté devant luy à cette charge ; et, en mesme temps, le duc d’Anjou, voyant que les ennemis se rallioient pour retourner une autre fois à la charge, devança les Suisses, que le mareschal de Cossé devoit faire marcher devant luy pour charger la bataille où estoit le comte Ludovic, lequel soustint la charge que le duc luy fit, avec tant d’effort, que beaucoup de ceux qui le suivoient, furent mis en grande déroute, et luy-mesme fut en danger de sa personne, ayant eu son cheval porté par terre, et aussi-tost remonté par le marquis de Villars, qui estoit près de luy ; et si lors Tavannes et Biron n’eussent fait tout devoir possible de rallier la cavalerie de la bataille, et que le mareschal de Cossé aussi n’eust fait doubler le pas aux Suisses, la victoire estoit pour demeurer aux huguenots, lesquels se voyans attaquez des Suisses que le mareschal conduisoit, et de l’infanterie françoise, qui se rallia, comme fit aussi nostre cavalerie, commencerent à se desbander, quelques devoirs que l’Admiral et le comte de Mansfeld fissent pour les rallier ; et lors, ne pouvant mieux, ils prirent party pour faire la retraite avec dix cornettes de reistres ensemble, où il y avoit quelques François, abandonnans les lanskenets, qui s’estoient jusques-là maintenus mieux que l’infanterie françoise, à la mercy des Suisses, leurs anciens ennemis, si bien qu’à peine de quatre mille s’en sauva-t-il cinq cens, à beaucoup desquels le duc d’Anjou donna la vie, sur la promesse qu’ils luy firent de servir le Roy fidelement, et renoncer au party des princes.

Plus de deux mille François aussi y finirent leurs jours ; de la cavalerie moins de quatre cens, entr’autres Biron, frere du catholique, Sainct-Bonnet ; Acier y fut prisonnier avec La Nouë et quelques autres, nombre qui eust été plus grand si la nuit n’eust favorisé la course des fuyards, lesquels le duc d’Aumale, Buon Chavigny, La Valette et plusieurs autres, suivirent jusques à Ervaut. Le duc perdit peu d’infanterie, mais de sa cavalerie plus de cinq cens, et, entre les signalez, le comte Khingrave l’aisné, le marquis de Bade comme j’ay dit, et Clermont de Dauphiné ; il y en est aussi beaucoup de blessez, et entr’autres le duc de Guise, le comte de Mansfeld, Chomberg, Bassompierre, les comtes d’Ysti et Sautelles, italiens.

Voilà, mon fils, comme se passa cette journée, de laquelle la victoire fut toute entière au duc d’Anjou ; car, outre le champ de bataille, avec les morts qu’il prit soin de faire enterrer, toute l’artillerie fut gagnée et tout le bagage des reistres pillé : pour celuy des François, une partie qui estoit plus avancée se sauva a Partenay, qui fut le lieu et la retraite des huguenots lesquels y arrivèrent au soir bien tard, les uns toutesfois plustost que les autres, comme ceux qui avoient fait plus de presse de faire compagnie aux jeunes princes de Navarre et de Condé, lesquels l’Admiral avoit conseillé de se retirer au commencement de la charge ; la nuit mesme le duc d’Anjou, de Sainct-Generou sur la Touë, depescha en diligence au Roy qui estoit à Tours, pour luy faire sçavoir cette bonne nouvelle de laquelle Sa Majesté fit part aussi-tost par ses ambassadeurs au Pape, à l’Empereur, au rov d’Espagne, aux Vénitiens et autres princes chrestiens.

Les princes et l’Admiral ayant abandonné Partenay la nuit mesme, gagnerent Niort, d’où ils depescherent aussi à la reyne d’Angleterre et à quelques princes d’Allemagne, pour leur faire entendre le contraire de leur perte, qu’ils asseuroient estre moindre que celle des catholiques, contre lesquels ils esperoient donner en peu de jours une autre bataille, les prians aussi de leur aider de secours d’hommes et argent, pour tousjours mieux se maintenir en la liberté de leur religion. Ainsi, ayant mis ordre à leurs affaires, et laissé Mouy dans Niort, lequel, peu de jours après, ayant esté malheureusement blessé d’un coup de pistolet par Maurevel, qui s’estoit donné à luy, alla finir ses jours à La Rochelle, ils prirent le chemin de Sainct-Jean d Angely, où Ples, qui s’y estoit retiré dès le siège de Poictiers, à cause de sa blessure, demeura pour commander avec douze enseignes de pied et quelque cavalerie ; de là, furent à Xaintes, où ils prirent résolution de tirer vers le Quercy et Montauban, afin de s’acheminer de là en Gascogne et autres provinces de la France, pour s’esloigner de l’armée victorieuse, et pour autres raisons que je diray cy-après.


CHAPITRE X.


Exploits du duc d’Anjou. Surprise de Nismes par les huguenots. Siege de Sainct-Jean-d’Angely par le duc d’Anjou. Brave resistance de Piles. Conditions proposées pour la reduction de cette ville, accordées par le sieur de Piles. Xaintes abandonnée par les huguenots. Secours jetté dans Sainct-Jean-d’Angely par Sainct Surin. Continuation du siege. Réduction de Sainct-Jean-d’Angely à l’obeyssance du Roy. Mort du vicomte de Martigues et d’autres audict siege. Entrée du Roy en la ville. Le sieur de Castelnau Mauvissiere envoyé par la reyne Catherine proposer la paix à la reyne de Navarre. Response de la reyne de Navarre au sieur de Castelnau Mauvissiere, et ses plaintes contre le conseil du Roy.


Cependant, le duc d’Anjou remit en l’obeyssance du Roy Partenay, Niort, Fontenay, Chastelleraut, Lusignan, et autres places de Poictou abandoncées par les garnisons huguenottes, partie desquelles se retira à Sancerre, Le Bourg-Dieu, La Charité, sous la conduite de Briquemaut, et autres vers les princes et à La Rochelle ; Montbrun et Mirabel aussi partirent d’Angoulesme en ce mesme temps pour se retirer en leur pays, tant pour y faire de nouvelles levées, que pour y asseurer Privas et Aubenas, villes que les huguenots tenoient au Vivarès, et s’acheminant en Perigord, avec Verbelet, qui alloient pour commander à Aurillac, ayant deux ou trois cens chevaux et huit cens hommes de pied, plus de deux cens de ceux qui estoient demeurez derrière au passage de la Dordogne, furent defaits par les garnisons de Sarlat et autres du pays.

En ce mesme temps les huguenots de Languedoc surprirent la ville de Nismes sur les catholiques, lesquels, s’estant retirez au chasteau par l’aide et vigilance du capitaine Sainct-Astoul, se maintinrent près de trois mois ; enfin, estant hors d’esperance du secours, sortirent, vie et bagues sauves, cette place ayant depuis servy de retraite à tous les huguenots de ce pays là, lesquels je laisseray attendre la venue des princes, pour parler de ceux de Vezelay en Bourgogne pris par Dutarot et autres gentilshommes du pays quelque temps auparavant, lesquels rendirent les efforts de Sansac aussi inutiles que Guerchy avoit fait ceux qu’il avoit tenté devant la Charité, n’ayant, après plusieurs assauts et avoir changé de batterie deux ou trois fois, remporté autre chose que le deplaisir d’avoir perdu plus de trois cens des siens, nombre qui fut augmenté par Foissi, qui commandoit à son infanterie.

Cependant, le duc d’Anjou s’employoit au siege de Sainct-Jean-d’Angely, attendant la venue de Sa Majesté, qui arriva à Coulonge-les-Royaux le vingt-sixiesme jour d’octobre, en resolution de n’en partir que la ville ne fust prise ; ayant par sa presence autant animé le courage des soldats, que celuy de Piles rendit obstiné les siens de soutenir l’assaut que les nostres luy firent, après avoir changé de batterie en divers endroits de la ville, qui fut continuée jusques à ce jour, auquel plus de catholiques que de huguenots finirent leurs jours ; ce qui fut cause que Biron, par la permission de Sa Majesté, pour espargner la vie de beaucoup de gens de bien, escrivit à Piles pour lui persuader de rendre la ville, laquelle il ne pouvoit conserver, estant foible de munitions, et sans esperance de secours ; l’asseurant pour luy et les siens d’une honneste composition, s’il y vouloit entendre.

A quoy il fit response qu’il y presteroit volontiers l’oreille, si cela pouvoit apporter une paix générale, laquelle, d’autant qu’elle ne se pouvoit traiter sans sçavoir sur ce premièrement l’intention de Sa Majesté, et en communiquer aux princes, aussi ne pouvoit-il respondre autre chose ; response qui fut bien prise du mareschal de Cosse, Tavannes et autres chefs principaux, qui furent d’avis de luy envoyer un gentilhomme prisonnier, pour luy dire que, s’il vouloit envoyer quelqu’un de sa part pour parlementer, ils en envoyeroient un autre ; à quoy pour satisfaire il envoya La Personne, lequel arrivé à Coulonge-les-Royaux, discourut amplement du bien que la paix pouvoit apporter à tous en general ; auquel fut respondu que, pour l’absence des princes et importance de l’affaire, la paix ne se pouvoit si-tost conclure, et partant qu’il estoit à propos de parler de la paix particuliere de la ville ; à quoy il repliqua qu’il n’avoit aucune charge d’en traiter, mais bien, pour parvenir à une paix generale, d’accepter dix jours de treve, durant lesquels il iroit trouver les princes ou autres, de la part de Piles, pour les y disposer ; ce que on luy accorda, à la charge que, si dans dix jours il n’entroit du secours dedans la ville, elle seroit remise entre les mains de Sa Majesté, aux conditions que tous les capitaines et soldats, et toutes autres personnes qui s’en voudroient aller, sortiroient avec leurs armes, chevaux et bagage, et ceux qui voudroient demeurer ne seroient forcez en leurs consciences.

Piles, qui trouvoit ces conditions de rendre la ville, les dix jours passes, fort rudes, fit quelque difficulté de signer la capitulation que Sa Majesté avoit accordée ; mais enfin, ayant requis qu’il ne seroit tenu de la rendre qu’il n’eust eu auparavant des nouvelles de La Personne, ce qui luy fut accordé, il la signa.

Sur ces entrefaites, ceux de Xaintes ayant eu advis que Piles parlementoit, de crainte d’estre assiegez abandonnerent la ville, où aussitost il fut envoyé dix compagnies de gens de pied et quelque cavalerie. Durant cette trêve, les catholiques et les huguenots se visitoient en toute liberté, et, le temps des dix jours expiré, Biron se présenta pour sommer les assiegez de leur promesse, auquel Ples fit response qu’il ne le pouvoit faire sans attendre nouvelles de La Personne : finalement, après plusieurs repliques de part et d’autre, il accorda que si le lendemain il n’entendoit de ses nouvelles et qu’il n’eust point de secours, il rendroit la place à Guitinières, lequel croyant la reddition, y estoit allé le jour mesme, pour prendre possession du gouvernement que le Roy luy avoit donné.

Le lendemain, dix-huitiesme novembre, Biron ayant envoyé un trompette à Piles pour le sommer de sa promesse, il luy manda qu’il avoit eu le secours qu’il attendoit, qui estoit toutesfois seulement de cinquante chevaux conduits par Sainct-Surin, lequel y entra à six heures du matin, pour le mauvais ordre des corps de gardes qui le laissèrent passer se disant amy et commandé pour les visiter : lors les ostages furent rendus de part et d’autre, et commença-t-on une autre batterie aux tours du chasteau et plates-formes qui estoient au devant d’iceluy, si bien qu’en peu de temps la porte de laquelle les assiegeans sortoient pour aller à la plateforme, et un grand pan de muraille depuis le chasteau jusques à la vieille breche fut par terre, durant laquelle La Motte et Sainct-Surin, avec deux cens arquebusiers et quatre-vingt chevaux seulement, entreprirent de faire une sortie, qui leur réussit ; car, ayant donné dans les tranchées assez nonchalamment gardées, ils tuèrent quelques cinquante soldats ; mais aussitost se voyant chargez de plusieurs compagnies qui accoururent au bruit de l’allarme, ils prirent party de se retirer, ce qui fit redoubler le foudre des canons que l’on avoit pointez sur une plate-forme que l’on avoit elevée sur le bord du fossé pour battre le ravelin d’Aunis et la courtine ; si bien qu’en peu de temps les tours et deffences, depuis le ravelin jusques au chasteau, furent par terre, comme aussi la plate-forme que les assiégez avoient dressée sur pilotis derrière le ravelin ; ce qui leur apporta beaucoup de dommage, d’autant qu’outre la perte de quantité de gens qui y furent tuez, pour le relever et mettre en deffence, ils consommerent du temps bien inutilement, car les baies des pieces ne laissoient de la percer à jour pour estre faite de terre trop fraische.

Ce qui fit resoudre les assiegez, avec le peu de munitions qu’ils avoient, d’accepter la premiere capitulation que Biron leur offrit derechef, suivant le pouvoir qu’il en eut de Sa Majesté, qui la signa à condition qu’ils ne porteroient les armes de quatre mois pour la cause generale de leur religion ; laquelle ne leur fut sitost portée, qu’ils sortirent avec leurs armes et chevaux, enseignes ployées, plus de sept semaines après le siege, qui fut cause de la mort de plus de trois mille catholiques, outre la perte que le Roy fit en la personne du vicomte de Martigues, qui fut atteint d’une arquebusade en la teste de laquelle il mourut.

Piles et ses compagnons ayant pris le chemin d’Angoulesme, y arriverent trois ou quatre jours après, moyennant le sauf-conduit que le Roy leur fit donner, qui ne les garantit toutesfois de l’outrage qui fut rendu, contre l’intention de Sa Majesté, à beaucoup, par l’insolence et liberté des soldats, qui s’émanciperent de devaliser ceux qui estoient mieux accommodez ; sujet que Piles prit de se dispenser de la promesse qu’il avoit faite de ne porter les armes de quatre mois contre Sa Majesté, laquelle entra le jour mesme dans la ville accompagnée de la Reyne sa mere, du cardinal de Lorraine et autres de son conseil, où après avoir pourvu à toutes les places de Poictou et de Xaintonge, èsquelles une partie de l’armée fut distribuée pour la disette de toutes choses et incommodité qu’elle recevoit, ayant decampé de Coulonge-les-Royaux sur la fin du mois de décembre, prit le chemin de Brissac pour se retirer à Angers, où, quelque temps après, les députez pour la paix vinrent trouver Sa Majesté, de laquelle je puis dire avoir porté les premières paroles à la reyne de Navarre, qui estoit à La Rochelle, incontinent après la bataille de Montcontour, par le commandement de la Reyne mere, qui m’avoit chargé de l’asseurer de sa bonne affection, et qu’estant desireuse de son bien et de son repos, comme de celuy de la France, elle porteroit tousjours le Roy son fils à luy accorder, et à tous ceux de son party, des conditions honnestes, lors que, comme bons et fidèles sujets, s’estant mis à leur devoir, ils voudroient entrer en quelque demande et requeste raisonnable ; en quoy la Reyne, après plusieurs complimens et offres de services envers Leurs Majestez, avec un désir extresme de voir quelque bon acheminement à cette ouverture de paix, me tesmoigna avoir, et tous ceux de sa religion, beaucoup de sujet de se defier d’aucuns du conseil, desquels elle disoit l’intention estre bien esloignée de la paix ; et ce qui luy en augmentoit la creance, estoient les pratiques qu’elle disoit que Fourquevaulx faisoit vers le roy d’Espagne, et quelques autres partisans du cardinal de Lorraine, vers le pape ; comme aussi les lettres interceptées du cardinal au duc d’Alve, non seulement pour empescher le secours que les huguenots se promettoient d’Allemagne et d’Angleterre, mais aussi pour favoriser les menées et entreprises que l’on faisoit sur le royaume d’Angleterre, pour avoir après plus de moyen de ruiner les protestans de France ; après lesquels discours et autres touchant les desseins du cardinal de Lorraine, elle me dit qu’elle envoyeroit vers les princes et chefs de l’armée pour, et suivant leur avis, envoyer une humble requeste à Sa Majesté, qui porteroit les articles de leurs justes demandes, tant pour avoir l’exercice libre de leur religion et prescher par toute la France, que pour leurs seuretez desirées : ce qu’ayant rapporté à Leurs Majestez, elles delibererent depuis d’y renvoyer le mareschal de Cossé pour acheminer ce traité de paix ; attendant laquelle avec impatience, il me semble à propos de poursuivre l’ordre du temps, et toucher en passant les plus notables effets et entreprises de gueiTe qui se pratiquèrent en Poictou et autres lieux de la France, avant et après le siège de Sainct-Jean.


CHAPITRE XI.


Entreprise des huguenots sur la ville de Bourges découverte. Exploits du comte du Lude en Bas-Poictou, et du baron de La Garde, general des galères. Lebaron de La Garde, repoussé de devant Tonnay-Charante, se saisit de Broüage. Le sieur de La Noue reprend Marans sur les catholiques, et autres places. Il defait le sieur de Puy-Gaillard, et continue ses conquestes.


Celle que les huguenots de Sancerre et La Charité firent sur la ville de Bourges, par la pratique de deux ou trois soldats de la Tour, qui estoient de Sancerre mesme, et de quelques habitans mal-affectionnez à leurs concitoyens, reussit mal aux entrepreneurs ; car ayant esté decouverte à La Chastre, gouverneur de la ville et du pays de Berry, par un soldat qui en estoit, ceux qui pensoient surprendre la ville au jour convenu furent surpris, et de vingt-cinq ou trente qui estoient desjà entrez par une fausse porte du costé de la Tour, il n’y eut que Renty et deux ou trois autres que La Chastre sauva, qui s’exemptèrent du feu et de la mort ; et Briquemaut, un des chefs de l’entreprise, qui s’estoit avancé avec sept ou huit cens chevaux et quinze cens hommes de pied pour la prise de la place, n’eut que la peine de s’en retourner.

En ce mesme temps le comte du Lude, auquel se joignirent Sanzay et Puy-Gaillard, avec vingt enseignes de gens de pied, et douze cornettes, fut, par le commandement de Sa Majesté, assieger Marans, qu’il prit, ensuite d’icelle assujettit Marennes, Broüage et autres isles de Xaintonge, par la prise desquelles il brida fort les courses que les Rochellois faisoient au bas Poictou, au grand dommage des villes catholiques, lesquelles pour resserrer encore davantage, le baron de La Garde, qui avoit esté remis en sa charge de general des galeres, qu’on luy avoit ostée pour en pourvoir le grand prieur, frere du duc de Guise, en ayant tiré huit de Marseille par le commandement de Sa Majesté, et laissé trois à Bourdeaux, en amena cinq jusques à l’emboucheure de la Charante au passage de Loupin, où estant, peu de jours après sa venue reprit sur les Rochellois ce grand navire que Sore, qui avoit succedé à la charge de vice-admiral par le decès de La Tour, frere du Chastelier Portaut, costoyant la coste d’Angleterre et de Bretagne, avoit pris sur quelques marchands venitiens, que les officiers de la Cause, qu’ils appellent à La Rochelle, avoient declaré de bonne prise, autant pour le butin, qui valoit plus de cent mille escus, que parce qu’ils disoient que la republique de Venise y avoit part, laquelle avoit aidé Sa Majesté d’argent pour leur faire la guerre.

Le baron, pour les incommoder encore davantage, entreprit aussi de leur enlever des mains Tonnay-Charante, seule place qui leur restoit pour passer en Xaintonge ; mais son dessein ne luv réussit pas ; car La Nouë, s’y estant acheminé deux jours auparavant avec cinq cens arquebusiers pour le mieux recevoir, luy fit faire une si rude charge, qu’il fut contraint de se retirer, abandonnant la galere de Beaulieu, qui s’estoit plus avancée que les autres à la mercy des ennemis ; depuis laquelle prise le baron se retira avec ses galères en Broüage, port auquel les Anglois et Allemands avoient accoustumé de descendre pour prendre du sel, en payement duquel ils donnoient d’autres marchandises aux huguenots, lesquels par ce moyen en recevoient grande commodité.

Quelque temps après, Puy-Gaillard, gouverneur d’Angers, commandant trois à quatre mille hommes de pied et trois cens chevaux, suivant le pouvoir et commission de Sa Majesté, au lieu du comte du Lude, assisté de Puytaillé, Rochebaritaut et Fervacques, qui commandoit à Fontenay, fit diverses entreprises sur La Rochelle ; lesquelles ne pouvant reussir, delibera, pour accourcir leurs vivres, et leur oster toutes provisions, de faire dresser nombre de forts es bourgades à une et deux lieues autour de la ville ; mais La Nouë, qui y commandoit, luy fit avorter ses desseins ; et, averty de la mort de Puytaillé, le jeune, gouverneur de Marans, sçachant qu’il y avoit peu de gens pour la defense de cette place, par le changement d’un nouveau gouverneur, domestique du mareschal de Cosse, la reprit et y restablit Pivaut avec son régiment, ensuite de laquelle, après la prise de Luçon, Langon, La Greve, Mareuil et autres petites places, il reconquist les Sables d’Olone, lieu qui auparavant servoit de retraite et port asseuré aux catholiques, qui y avoient une quantité de vaisseaux et d’artillerie avec beaucoup d’autres biens : plus de trois cens y furent tuez, et Landreau, qui y commandoit, fut mené prisonnier à La Rochelle, auquel l’on eust fait mauvais party si Sa Majesté n’eust fait escrire en sa faveur pour lui sauver la vie.

Depuis, ces forts que les huguenots avoient pris en Poictou après la prise de Marans furent repris par Puy-Gaillard, lequel, pour les brider encore davantage, fit dresser un fort à Lusson sur l’avenue des Marets, que La Nouë fut assiéger quelque temps après ; dont Puy-Gaillard averty, après avoir assemblé toutes ses forces, qu’il avoit distribuées es places du bas Poictou, se delibera de luy faire lever le siège ; mais La Nouë l’ayant prevenu, le chargea si inopinément entre Saincte-Gemme et Lusson, comme il ordonnoit de ses forces, qu’elles furent mises à vauderoute, quelque devoir qu’il fist de bon capitaine pour les rallier ; après laquelle defaite, le fort pris, Fontenay, assiegé et battu, fut rendu à composition par les tenans ; et, marchant d’un mesme pas, reduisit Niort, Marennes, Soubise, Broüage, Xaintes et autres places en l’obeyssance des huguenots ; enfin contraignit le baron de La Garde, après avoir tenu la mer quelque temps avec ses galères, de se retirer à Bourdeaux, et Puy-Gaillard, n’ayant des forces bastantes pour s’opposer à ses armes, de prendre le chemin de Sainct-Jean, où je les laisseray prendre haleine pour reprendre le grand voyage de l’armée des princes.


CHAPITRE XII.


Grand voyage de l’armée des princes, afin de faire de l’argent pour le payement des reistres. Leur dessein de revenir devant Paris. Grandes difficultez à l’execution de leurs projets. Response du Roy sur les propositions de paix faites par les huguenots. Les princes et l’Admiral refusent les conditions offertes par le Roy. Le mareschal de Cosse envoyé contre eux. Il presente la bataille devant René-le-Duc à l’Admiral, qui l’evite prudemment. Escarmouche entre les deux armées. Le mareschal revient vers Paris pour le defendre en cas d’attaque. La paix faite avec les princes et le party huguenot, nonobstant les oppositions du Pape et du roy d’Espagne. Grands emplois et belles négociations du sieur de Castelnau Mauvissiere pour le service du Roy, Sentiment dudict sieur de Castelnau touchant les guerres faites pour la religion.


Le progrès de ce voyage depuis Xaintes jusques en Lorraine, seroit autant ennuyeux au lecteur qu’à moy, si je voulois m’amuser à descrire toutes les particularitez, tant des destroits, passages, fleuves, rivieres et montagnes, surprises de villes et bourgades, charges et rencontres qu’ils firent, et qui leur furent faites es pays de Perigord, Limousin, Quercy, Gascogne, Languedoc, Dauphiné, Lyonnois, Forests, Vivarez, Champagne, Bourgogne, et autres de la France qu’ils traverserent avec mille difficultez ; seulement je me contenteray de dire que ce qui porta l’Admiral, comme il m’a dit depuis, à entreprendre ce long voyage, ce ne fut tant pour se rafraischir, comme quelques-uns disoient, que pour payer les reistres de son party (qui commençoient à se mescontenter) du sac de plusieurs villes et bourgades, et pour se fortifier des troupes du comte de Montgommery qui les joignit à Saincte-Marie, et autres de Gascogne et Bearn qui estoient à leur devotion ; qu’aussi pour prendre les forces que Montbrun, Mirabel, Sainct-Romain et autres chefs, se promettoient faire en Languedoc et Dauphiné, attendant le secours d’Allemagne, que le comte Palatin du Rhin, le prince d’Orange et autres, leur faisoient esperer, afin qu’estant toutes ces forces unies et ralliées avec ses Allemands, qu’ils s’attendoient recevoir sur la frontière de Bourgogne, ils pussent estre en estat de venir aux portes de Paris, pour encore tenter une autre fois le hasard et rencontre d’une bataille.

Desseins appuyez sur grandes considerations, ausquels d’autre costé s’opposoient mille difficultez, pour les longues traités et penibles corvées qu’il leur falloit faire à un si long voyage, auquel il estoit bien croyable qu’ils perdroient autant d’hommes, qui se retireroient ayant gagné le toit de leurs maisons, qu’ils en pourroient acquerir d’autres moins aguerris, sans les continuelles charges et saillies, de tant de villes ennemies qu’il leur faudroit essayer, outre les autres incommoditez de la vie qu’ils endureroient, comme ils firent ; car, au bruit de leur venue, les paysans et autres de la campagne, advertis de la cruauté que beaucoup exerçoient pour avoir de l’argent, abandonnèrent leurs maisons, n’y laissant que les portes et les murailles : il y avoit aussi grande apparence de croire que les reistres, lassez de porter leurs armes, ne pouvant traisner leurs chariots dans les monts Pyrénées et autres, et bien souvent faute de chevaux, seroient contraints de les quitter, lesquels depuis ils eussent bien voulu ravoir, se voyant tous les jours aux mains avec les catholiques.

Si bien que pour ces raisons leur armée, depuis le partement de Xaintes, se trouva diminuée de plus de la moitié à Sainct-Estienne-de-Forests, où elle séjourna quelques jours, tant pour s’y rafraischir qu’en attendant la guerison de l’Admiral, qui y estoit tombé fort malade, lieu où Biron et Malassise, deputez de Leurs Majestez qui estoient alors à Chasteau-Brian en Bretagne, y arrivèrent sur la fin de may, pour faire sçavoir aux princes et l’Admiral, comme ils avoient fait à la reyne de Navarre passant à La Rochelle, la derniere volonté et response de Sa Majesté aux demandes et requestes que Teligny et Beauvais la Nocle luy avoient, dès le mois de janvier, portées à Angers de la part de la reyne de Navarre, princes et autres huguenots de France, qui supplioient Sa Majesté leur permettre l’exercice libre de leur religion par tous les lieux et villes de son royaume, avec cassation de toutes procédures et jugemens donnez contr’eux, et approuvant ce qu’ils avoient fait dedans et dehors iceluy en consequence des guerres ; les restituer en leurs biens, charges et honneurs, comme ils estoient auparavant, et, pour l’establissement et asseurance de ce que dessus, les pourvoir de tel nombre de villes qu’il plairoit à Sa Majesté leur accorder. C’estoit à peu près le sommaire de leurs demandes, ausquelles les députez cy-nommez tirent response que, pour l’exercice de leur religion et seuretez, Sa Majesté leur accordoit volontiers de demeurer et vivre paisiblement en son royaume en toute liberté de conscience, sans que pour ce ils fussent recherchez en leurs maisons, ny contraints à faire chose pour la religion catholique et romaine, contre leur volonté ; ne voulant toutesfois qu’il y eust aucun ministre, ny autre exercice de religion que la sienne, et pour places de seureté leur accordoit deux villes auxquelles ils pourroient faire ce que bon leur sembleroit, sans estre recherchez en façon du monde en ce qui concernoit leur religion ; et toutesfois, afin qu’il ne se fist chose qui contrevint à son autorité, Sa Majesté entendoit pourvoir d’un gouverneur dans chacune, auquel ils seroient tenus d’obeyr, voulant aussi qu’ils fussent remis en tous leurs biens, honneurs et charges, fors celles dont ils avoient esté demis par justice, et pour lesquelles Sa Majesté avoit reçu deniers pour subvenir à la necessité des guerres ; a condition que, comme fideles et obeyssans sujets, ils se departiroient de toute association et cabale qu’ils pourroient avoir dedans et dehors le royaume, et rendroient toutes les places qu’ils tenoient, pour y pourvoir tel que Sa Majesté adviseroit : et après le licenciement de leurs troupes, lequel ils seroient tenus de faire à la moindre foule du peuple, aussitost que Sa Majesté auroit envoyé commissaires et autres pour les conduire au chemin qui leur seroit prescrit, se retireroient chacun en leurs maisons ; leur promettant Sa Majesté, ayant effectué ce que dessus, les entretenir en paix comme ses bons et fideles sujets.

Conditions que les princes et l’Admiral ne voulurent accorder, tant pour n’avoir l’exercice libre de leur religion et prescher par tout le royaume, que pour le peu d’asseurance que l’on leur vouloit donner, comme ils disoient ; de sorte que les deputez partirent sans rien conclure, ce qui fut cause de faire haster le mareschal de Gosse, qui avoit eu la conduite de l’armée nouvelle au lieu du prince Dauphin, qui s’estoit retiré en sa maison pour quelque mescontentement qu’il avoit eu, pour aller prendre les Suisses, qui avoient aussi rebroussé chemin sur la rivière de Loire, n’ayant voulu marcher en Poictou sans estre payez de tout ce qui leur estoit deu ; et, ayant passé la riviere à Desize avec trois mille chevaux et cinq à six mille hommes de pied, sans les Suisses, prit le chemin d’Autun, et de là estant parvenu au mont Sainct-Jean, en partit le vingt-cinquiesme de juin pour camper à René le Duc, en dessein de combattre l’armée des princes, laquelle s’y estoit acheminée, ayant l’Admiral envoyé quelque cavalerie et infanterie devant que le mareschal y pust arriver pour s’en saisir ; ce qui fut cause qu’il disposa son armée en bataille sur une montagne, à la main droite de celle de Sainct-Jean, vis-à-vis et environ une portée de mousquet d’une autre montagne où l’Admiral s’estoit préparé pour attendre le choc.

Deux ruisseaux qui se rencontrent en un endroit, qui coulent de deux estangs qui sont près de là, avec quelques marecages, servoient comme de barrière entre les deux armées, lesquelles marchandèrent à qui passeroit le premier ; mais enfin le mareschal, pour attirer ses ennemis au passage, ayant logé deux mille arquebusiers sur le bord de l’eau, fit advancer un des regimens de l’avant-garde pour commencer l’escarmouche, lequel, avant passé sur la chaussée de l’estang, donna d’abord jusques aux barricades du moulin, où l’Admiral avoit logé deux regimens pour la garde de cette advenue, lesquels firent tel devoir de soustenir la charge que ceux du mareschal luy firent, qu’ils ne se voulurent opiniastrer de les enfoncer davantage, ains se retirerent sur leurs pas, en tel ordre toutesfois que Sainct-Jean[13], qui estoit à la teste de cette infanterie, les ayant menez jusques au ruisseau, ne pust rien gagner sur eux.

Lors l’Admiral, plus foible de gens de pied, et sans aucun attirail de canon, ne voulant rien hazarder, et encore au passage d’une rivière où l’on ne pouvoit passer que file à file, leur commanda de s’arrester, et à Montgommery, qui s’estoit advancé avec partie de l’avant-garde pour les soustenir, de tenir bride en main, attendant l’occasion et le temps plus à propos pour prendre son avantage : le reste du jour se passa en escarmouches entre les gens de pied, sans toutesfois passer le bord de l’eau. Des catholiques, Bellegarde et La Bastide y furent tuez, peu d’autres signalez ; le nombre des blessez fut plus grand : des huguenots, il y eut bien autant et davantage ; le lendemain l’Admiral fut d’advis de desloger avec l’armée pour prendre la route d’Autun, où elle s’achemina en la plus grande diligence quelle put pour venir à La Charité, afin de prendre quelques coulevrines que les reistres avoient laissées, et se fortifier de quelques troupes qui y estoient demeurées en garnison, et autres villes où ils passèrent, comme Autun, Vezelay et Sancerre.

Lors le mareschal de Cossé, voyant qu’il avoit perdu l’occasion de combattre l’armée huguenotte, eut quelque volonté de la suivre ; mais, adverty des grandes traites qu’elle faisoit pour n’avoir aucun attirail de canon, comme j’ay dict cy-dessus, il changea son dessein, qui fut, après avoir despesché La Valette avec cinq cens chevaux pour charger ceux qui demeuroient derriere, de la costoyer par la Bourgogne, et tirant vers la vallée d’Aillan après la prise de Mailly, où quelques protestans de ce pays s’estoient retirez ; de là prit la route de Sens pour asseurer ceux de Paris, et empescher que les huguenots ne s’acheminassent à leurs portes, comme ils disoient, en cas que le traité de la paix, que les deputez négocioient, ne se pust accomplir.

Laquelle enfin, après avoir esté differée quelque temps par les belles remonstrances du nonce du Pape, et promesses de l’ambassadeur d’Espagne, qui offroit à Sa Majesté trois mille chevaux et six mille hommes de pied pour l’extermination des huguenots, fut enfin conclue et arrestée à Sainct-Germain-en-Laye le huitiesme d’aoust 1570, et, trois jours après, emologuée et publiée au parlement de Paris ; laquelle portée par Bauvais La Nocle à la reyne de Navarre, qui estoit à La Rochelle, et par Teligny au camp des princes, qui s’acheminoient sur la frontière du comté de Bourgogne, fut receue avec grande joye et contentement d’un chacun ; et promirent et jurerent lesdits princes avec l’Admiral et autres chefs huguenots de la garder inviolablement, comme Sa Majesté avoit fait, accompagnée de la Reyne sa mere, des ducs d’Anjou et d’Alençon ses frères, et autres de son conseil, laissant à dire la teneur et particularitez de l’edict de paix, d’autant qu’il est imprimé ; par la lecture duquel et le discours des choses qui se sont passées, à beaucoup desquelles j’ay esté employé, tant pour establir à La Rochelle et Guyenne les edicts de pacification, et traiter d’affaires importantes avec la reyne de Navarre, princes et Admiral, et reconfirmer les nouvelles alliances avec l’Angleterre, où, après la Saint-Barthelemy, je fus renvoyé une autre fois, avant d’y estre ambassadeur ordinaire, sur le mescontentement que la reyne d’Angleterre avoit des massacres qui s’estoient commis en beaucoup d’endroits sur les huguenots, afin de la remettre en meilleure intelligence avec le Roy, d’autant qu’elle estoit conseillée de s’en despartir, et pour la prier aussi de lever sur les saincts fonds de baptesme la fille de Sa Majesté avec l’Impératrice, ce qu’elle accorda contre l’opinion de la piuspart de ceux de son conseil, et le désir de tous les Anglois, dont je traiteray sans passion au huitiesme livre[14], tu pourras juger, mon fils, et ceux qui liront ces Memoires, s’ils estoient un jour mis en lumière, à qui il a tenu si l’edict de la paix, tant d’une part que d’autre, a esté mal observé, et cognoistras, parce qui en est depuis advenu, que le glaive spirituel, qui est le bon exemple des gens d’eglise, la charité, la predication, et autres bonnes œuvres, est plus necessaire pour retrancher les heresies, et ramener au bon chemin ceux qui en sont devoyez, que celuy qui respand le sang de son prochain, principalement lors que le mal est monté à tel excez, que plus on le pense guerir par les remèdes violens, c’est lors que l'on l’irrite davantage.



FIN DES MÉMOIRES DE CASTELNAU.
  1. L’edict qui fut publié. L’édit de Longjumcau fut publié à Paris le 27 mai 1568. Celui d’Amboise l'avoit été le 19 mars 1563.
  2. Partir de Noyers. L’historien Mathieu a fait une peinture touchante de cette fuite précipitée. « Le prince, dit-il, partit à peu de bruit, et son équipage touchoit les cœurs de commisération ; car on voyoit un premier prince du sang se mettre en chemin par les chaleurs extrêmes, avec sa femme enceinte, en litière, trois enfans au berceau à leur suite, la famille de l’Admiral, celle de d’Audelot, nombre d’enfans et de nourrices ; pour escorte cent cinquante chevaux, et, pour toute consolation, que la souvenance de cette misère leur seroit aussi douce que le ressentiment en estoit rude.
  3. Un nommé Portal. Si l’on en croit Le Laboureur, le choix de cet envoyé n’étoit pas heureux. « On ne doit point employer, dit-il, dans un mystère si sacré, ny de petites gens, ny des personnes notées, et qui n’ayent pas un fonds de réputation capable de répondre du trésor qu’on leur met entre les mains ; et quand on en use autrement, ce ne sont que des espies ou des personnages comiques d’ambassadeurs, qui sont pour entretenir la scène pendant qu’on médite quelque ruse pour éloigner plutôt que pour conclure la paix, et pour en laisser le reproche à son ennemy. Je ne sçay rien de Bérenger Portal, sinon qu’il estoit receveur-général des finances à Agen ; maia j’ay un arrest du conseil d’Estat, donné à Moulins le 24 janvier 1566, justement deux ans avant son ambassade, par lequel, sur le rapport du premier président Seguier et de l’avocat-général Dumesnil, commis pour l’interroger, il luy est défendu d’approcher la Cour de dix lieues, à peine de la hart, et ce, pour calomnie, et pour avoir accusé Charles Le Prévost, sieur de Grandville, de malversation en sa charge d’intendant des finances, dont il fut renvoyé absous. »
  4. L'abbaye Sainct-Michel. Le siège de cette abbaye offrit une particularité fort singulière. Le chef des assiégeans étoit un moine apostat, nommé Campagnac, et la place étoit défendue par Chateaupers, l'un des religieux.
  5. Dont il mourut aussi-tost. Louis de Bourbon n’étoit âgé que de trente-neuf ans lorsqu’il fut tue par Montesquiou. Il avoit eu deux femmes, Lëonore de Roye et Françoise d’Orléans. De la première il laissa Henri, prince de Condé, François, prince de Conty, et Charles, depuis cardinal de Bourbon ; de la seconde, Charles de Bourbon, comte de Soissons.
  6. Au duc de Longueville. Le duc ce Longueville étoit beau-frère du prince de Condé. La reine de Navarre fit élever à ce prince un tombeau dans la ville de Vendôme.
  7. De la bataille d’Emden. Cette action est plus connue sous le nom de bataille de Gemmingen. Le duc d’Albe y défit le prince Louis de Nassau le 21 juillet 1568.
  8. Des princes de Navarre et de Condé. Le prince de Navarre, qui fut depuis Henri IV, étoit alors dans sa quinzième année. Il fut reconnu par les protestants pour leur généralissime. Mathieu raconte que, quelques jours après, ce jeune prince, ayant commis une faute, Jeanne d’Albret, sa mère, ordonna de le châtier. « Ce seroit, dit-il fièrement. peu de gloire à ma mère, et trop de mocquerie à ma reputation de me traicter en enfant, ayant déjà eu l’honneur de commander à l’armée, et de porter le titre de general. »
  9. Retirant : ressemblant.
  10. Du comte Santafior : Ascagne Sforce, comte de Santafior. Il étoit par son épouse, Marie Nobili, neveu du pape Jules III, mort en 1555.
  11. Du marquis du Maine. Charles de Lorraine, qui devint depuis très-célèbre sous le nom de duc de Mayenne.
  12. Donna arrest de mort. L’arrêt rendu contre Coligny fut traduit en latin, en allemand, en italien, en espagnol et en anglais. Un valet de chambre de l’Amiral, nomme Dominique d’Albe, essaya de l’empoisonner à Faye-la-Vineuse. Son projet ayant été découvert, il fut pendu. Louviers de Maurevert, assassin de profession, tenta aussi de tuer Coligny ; mais, n’ayant pu en trouver l’occasion, il s’attacha à de Mouy, l’un des officiers les plus distingués de l’armée protestante ; et, comme on le verra bientôt, il lui tira un coup de pistolet dans le désordre d’un combat. C’est ce même Maurevert qui, en 1572, blessa l’Amiral d’un coup d’arquebuse, deux jours avant le massacre de la Saint-Barthélemy.
  13. Sainct-Jean : l’un des freres du comte de Montogommery.
  14. Au huitiesme livre. Ce livre n’existe pas.