Texte établi par Claude-Bernard PetitotFoucault (p. 63-122).


LIVRE DEUXIESME.




CHAPITRE PREMIER.


Libelles publiez contre la maison de Guise. Les religionnaires s’appuyent de la faveur des protestans d’Allemagne et d’Angleterre. Droit de la reyne Elizabeth sur la couronne d’Angleterre. Raisons des pretentions de la reyne Marie Stuart sur le mesme royaume, et de Jacques, roy d’Escosse, son fils. Droit de la maison de Suffolck, des comtes de Huntington, et des comtes de Hereford. Les enfans ne se legitiment point en Angleterre par le mariage subsequent.


C’estoit une chose fort estrange, et du tout contre le devoir naturel d’un bon sujet, principalement d’un François obeissant et fidele à son prince, de luy presenter une requeste à main armée. Ce fait si nouveau engendre une ardeur si grande et si brulante, qu’elle embrasa toutes les provinces de France en diverses factions ; dont une des premieres et plus dangereuses semences vint des libelles diffamatoires[1] qui furent publiez contre la maison de Guise, colorez de prefaces d’honneur quand il estoit question du Roy, afin de lever les accusations publiées par plusieurs edicts et lettres patentes, que ce n’estoit contre Sa Majesté et son Estat que les protestans s’estoient revoltez et vouloient prendre les armes, mais pour la deffence de leurs vies, personnes et biens, et pour le zele qu’ils avoient à leur religion.

Ce que par mesme moyen, et par plusieurs autres intentions, ils s’efforçoient de faire entendre aux princes estrangers, principalement aux protestans d’Allemagne et d’Angleterre, lesquels, se laissans incontinent persuader aux impressions qui leur estoient données, en escrivoient à leurs ambassadeurs residens en France, afin d’animer tous les François contre la maison de Guise. Mais ils s’abusoient, car plus ils escrivoient contr’eux, plus ils rehaussoient leur credit, parce qu’ils avoient les catholiques partisans et favorables avec l’authorité du Roy.

Mais en cet endroit je me licencieray un peu de laisser les affaires de France, pour dire quelque chose des royaumes d’Angleterre et d’Escosse, où j’ay eu à traicter plusieurs grandes et importantes negociations pour le service des roys, tant avec la reyne Elizabeth que Marie Stuart, veuve du roy François second. Quant à Elizabeth, reyne d’Angleterre, aucuns ont voulu discourir et escrire de son titre à la couronne d’Angleterre, peut-estre selon leurs opinions et passions. Tant y a qu’il est certain que Henry huictiesme, roy d’Angleterre, son pere, estoit de la maison de Lancastre du costé paternel, et d’Yorck du costé maternel, toutes deux reunies ensemble ; ce qui appaisa toutes les guerres civiles et troubles du royaume.

Le roy Henry avoit un frere aisné nommé Artus, et deux sœurs, Marguerite et Marie, dont l’aisnée fut mariée en premieres nopces à Jacques quatrieme, roy d’Escosse, duquel mariage est issu Jacques cinquieme, aussi roy d’Escosse, lequel espousa Antoinette de Lorraine, de la maison de Guise, veuve du duc de Longueville, et fut pere de Marie Stuart à présent regnante. Marguerite d’Angleterre, veuve de Jacques quatrieme, roy d’Escosse, espousa Archambaut Duglas, comte d’Angus[2] Escossois, qui eut la teste tranchée par le commandement de Jacques cinquieme, roy d’Escosse, et laissa une fille nommée Marguerite, qui fut mariée à Matthieu Stuart, comte de Lenox, duquel mariage sont issus deux fils, Henry et Charles. Henry espousa Marie Stuart sa cousine germaine, reyne d’Escosse, veuve du feu roy François second : je fus envoyé pour consentir et approuver leur mariage de la part du roy Charles neufiesme. Et de ce mariage de Henry et Marie est issu Jacques sixieme, prince d’Escosse, qui est aujourd’huy. De Charles l’autre frere, et d’une fille de la maison de Candish, est venue Arbelle.

Et quant à Marie, l’autre sœur puisnée du roy Henry d’Angleterre, elle espousa le roy Louis douziesme de France, lequel estant decedé trois mois après, elle s’en retourna en Angleterre, où le roy Henry son frere la remaria à Charles Brandon, un sien favory, qu’il fit duc de Suffolck : duquel mariage deux filles sont sorties. La premiere nommée Françoise, qui fut mariée à Henry Grey, que le roy Henry huictieme fit marquis de Dorset, et par succession des droits de sa femme fut fait duc de Suffolck : dont sont issues trois filles, Jeanne, Catherine et Marie. Jeanne, l’aisnée, pour avoir esté appellée à la couronne devant la reyne Marie, par le moyen du duc de Northumberland, duquel elle avoit espousé le fils aisné, après avoir regné sept jours, fut deposée, et après decapitée dedans la tour de Londres, et son mary dehors, tous deux à mesme heure et jour, et le duc de Northumberland peu de temps après. Catherine, qui estoit la seconde, fut mariée avec Henry Herbert, fils aisné du comte de Pembrock ; mais pour estre tous deux trop jeunes, l’on dit que le mariage ne fut point consommé, et Marie venant à regner en fit le divorce. Du regne de la reyne Elizabeth, ladite Catherine et le comte de Hereford se marierent clandestinement contre les loix et ordonnances du royaume d’Angleterre. A cette occasion ils furent tous deux emprisonnez en la tour de Londres l’espace de trois ans, où neantmoins ils trouverent moyen de se frequenter et faire deux fils. Marie, qui fut la troisieme fille, nourrie à la cour avec la reyne Elizabeth, espousa clandestinement aussi un capitaine de la porte, avec le grand mecontentement de la Reyne, mais peu de temps après ils moururent tous deux. Marguerite, qui fut la seconde fille de Charles Brandon, duc de Suffolck, espousa le comte de Cumberlant, dont est issue Marie à present femme du comte de Derby, de laquelle et dudit comte sont issus trois fils. Françoise, premiere fille dudit Charles Brandon, après la mort de Henry Grey, fait duc de Suffolck, son premier mary, espousa un nommé Adrian Stoc son serviteur, et en eut deux enfans.

Outre ceux que nous avons deduit, il y a le comte de Huntington qui pretend aussi quelque droit à la couronne : mais il n’y pourroit venir par droit successif qu’après les enfans du comte de Derby, d’autant qu’il est issu de Georges duc de Clarence, frere du roy Edouard quatriesme, qui ne laissa qu’une fille, laquelle fut mariée au comte de Salisbury ; duquel mariage sont issus trois fils : Henry, Paul cardinal, et Artus. De Henry sont issues deux filles, dont l’aisnée est morte sans enfans. De la seconde sont issues Marie et Marguerite.

Quant aux enfans du comte de Hereford qu’il a eu de Catherine, il y a eu sentence donnée par l’archevesque de Cantorbery, qu’ils n’estoient pas legitimes, de laquelle il y a eu appel, qui n’est pas decidé : car en Angleterre, s’il n’y a contract de mariage verifié par ecrit, ou par temoins, avant la consommation d’iceluy, les enfans nez auparavant le contract sont tenus pour bastards, et ne se peuvent legitimer par mariage subsequent. Mais si les parties contractent mariage estant la femme grosse, voire preste à se delivrer, pourvu qu’elle ne soit encores accouchée, les enfans seront legitimes, horsmis, comme l’on dit, les princes du sang, qui ne se peuvent marier sans congé du Roy, sur peine que les enfans soient declarez bastards, et le mariage nul. Vray est que le second fils du comte de Hereford est né après que les deux parties declarerent en jugement qu’ils estoient mariez. Or tous les susdits ne peuvent succeder à la couronne d’Angleterre, la reyne Elisabeth mourant sans enfans devant la reyne d’Escosse, petite-fille de Marguerite, sœur aisnée du roy Henry huictiesme.


CHAPITRE II.


Histoire des amours de Henry VIII, roy d’Angleterre, avec Anne de Boulen, qu’il espouse nonobstant son mariage avec Catherine d’Espagne, qu’il pretend nul. Cela cause le schisme et l’heresie en Angleterre. Le repude de Catherine improuvé par les religionnaires d’Allemagne et de Geneve, qui refusent l’alliance de Henry. Raison pour laquelle le roy François I souhaitta la nullité du premier mariage dudict roy Henry, declaré valide en cour de Rome. Mort d’Anne de Boulen et de Thomas Morus. Raison du titre de Defenseur de la Foy, porté par le roy d’Angleterre. Le roy Henry se fait chef de l’Eglise anglicane. Continuation de ses mariages.


Et pour mieux esclaircir cette genealogie où nous sommes entrez, je reprendray comme ledit roy Henry VIII espousa Catherine d’Espagne sa belle sœur, après la mort d’Artus son frere, par dispense du pape Jules second, à condition toutesfois qu’Artus n’eust point eu copulation avec elle : et de ce mariage fut procreée Marie, sœur aisnée d’Elisabeth, qui depuis fut reyne. Mais il advint que le roy Henry devint amoureux d’une jeune dame rare en beauté et d’illustre maison d’Angleterre, nommée Anne de Boulen, marquise de Pembrock, niepce de Thomas Howart, duc de Nortfolck, laquelle, ne voulant pas servir de concubine au Roy, desiroit ou feignoit, comme elle estoit prudente et advisée, de se vouloir marier avec un seigneur du pays. Le Roy, le voulant empescher, vaincu d’amour comme il y estoit suject, se resolut de l’espouser pour n’avoir point de compagnon. Mais pour ce faire, il fut conseillé qu’il estoit necessaire de repudier Catherine, non pour autre sujet que d’avoir esté auparavant femme d’Artus son frere. Ce qui fut advisé par un subtil moyen du cardinal d’York[3], Anglois, sur ce qu’il montra que le Roy n’avoit peu legitimement espouser la veuve de feu son frere Artus.

Et à ces fins le cardinal Campeje fut deputé, lequel vint en Angleterre, et fit information de la verité avec le cardinal d’York, delegué pour luy assister. Et depuis, après avoir trouvé qu’il estoit vray, firent aperte demonstration d’estre fort scandalisez, et y avoir grande charge de conscience en un tel mariage. Dès-lors ils firent deffense au roy Henry et à la reyne Catherine sa femme de plus se frequenter, jusques à ce qu’ils eussent fait leur rapport au Pape. Cependant le roy Henry, impatient de ce nouvel amour, ne pouvant supporter la longueur qu’il voyoit au jugement de la repudiation, espousa ladite Anne de Boulen, dont est issue Elisabeth à present regnante, née le septiesme jour de septembre 1533.

Et d’autant que Charles cinquiesme, Empereur, portoit impatiemment cette repudiation faite de sa tante, et que le Pape trouvoit estranges ces nouvelles nopces, mesmes du vivant de Catherine qui avoit esté quelques années avec le Roy, estant dispensé, comme j’ay dit, le roy d’Angleterre commença de se fascher contre le Pape, et, comme l’on dit, estant persuadé par sa nouvelle espouse, qui se ressentoit de la religion des protestans, se declare chef de l’eglise d’Angleterre, et fit mettre le cardinal d’York en prison, qui avoit changé de volonté, ayant ecrit au Pape que le roy d’Angleterre avoit espousé une lutherienne.

Sur cela le roy Henry envoya en Allemagne et à Geneve, offrant de se faire chef des protestans[4], et mener dix mille Anglois à la guerre, et contribuer cent mille livres sterlins, qui valent un million de livres tournois. Mais ils ne voulurent jamais approuver la repudiation, horsmis Erasme de Rotterdam, combien qu’auparavant, et dès l’an 1530, il avoit eu advis des universitez de Bologne, de Padoue, d’Orleans, de Bourges, d’Angers, de Toulouse et de Paris, où les docteurs en theologie baillerent, comme l’on dit, sous les seels des universitez, que le pape Jules second n’avoit peu le dispenser de prendre la vefve de son frere, mort sans enfans, et que la loy de Dieu qui commandoit expressement au frere de prendre la vefve de son frere pour luy susciter un heritier, n’estoit que figure. Vray est que le bruit estoit que le roy Henry n’y espargna rien. Lesdites consultations ont depuis esté publiées et imprimées en Angleterre.

Cependant le procès fut depuis intenté à Rome par-devant le pape Clement septiesme, à l’instance de l’ambassadeur de l’Empereur vers ledit Pape, auquel fut envoyé Estienne Gardiner, docteur ès droits, et depuis evesque de Winchester, pour soustenir que la repudiation avoit esté juste, et la dispense du pape Jules illicite de droit divin et humain. Le bruit estoit commun que le roy François premier avoit eu volonté de marier sa sœur, vefve du feu duc d’Alençon, au roy d’Angleterre, laquelle depuis espousa Henry d’Albret, roy de Navarre, et qu’il avoit incité le cardinal d’York, pour lors ambassadeur en France, de tenir la main à ce que la dispense de Jules deuxiesme fust jugée abusive. Mais deux choses empescherent le mariage : l’une, qu’il craignoit que la repudiation fust trouvée mauvaise ; l’autre, que le roy d’Angleterre n’aimoit pas madame la duchesse d’Alençon, son but estant d’espouser Anne de Boulen pour sa beauté.

Et d’autant que l’ambassadeur d’Espagne pressoit le Pape de faire juger le procès, le Pape differoit, tant pour la crainte d’offenser l’Empereur, qui avoit de grandes forces en Italie, s’il donnoit jugement au profit du roy d’Angleterre, qu’aussi donnant la sentence au contraire, ledit Roy ne se retirast du tout de l’obeissance de l’Eglise et du Saint Siege apostolique, et se declarast particulierement ennemi de l’Eglise romaine, et en ce faisant qu’il exemptast son royaume de la Foy et hommage que les roys ses predecesseurs avoient toujours rendu audit Siege depuis le roy Jean, surnommé Sans-Terre, payans par chacun an quatre mille ducats à la chambre du Pape, pour le cens feodal convenu en l’investiture faite par le pape Innocent troisiesme audit roy Jean, du consentement des seigneurs et barons d’Angleterre.

Mais le Pape, ne pouvant plus reculer, fit juger le procès à Rome, où il fut dit par sentence que le Roy n’avoit pu repudier Catherine d’Espagne, et moins encore espouser Anne de Boulen, laquelle pendant le procès avoit esté executée à mort, comme atteinte et convaincue d’adultere, lequel toutefois n’estoit pas bien verifié, ainsi que plusieurs disoient ; et croyoit-on que les catholiques, qui avoient fort mauvaise opinion de ladite Anne de Boulen, luy firent de très-mauvais offices, tant pour avoir esté cause de la repudiation d’une autre reyne, que pour estre lutherienne, et avoir fait changer au roy Henry sa religion, disans que c’estoit pour troubler le royaume, et mesmement pour avoir fait mourir Thomas Morus, chancelier d’Angleterre, l’un des plus grands personnages de son temps, parce qu’il avoit dit que le roy Henry ne se pouvoit faire chef de l’Eglise anglicane. D’où on jugeoit qu’ayant gasté le Roy, elle gasteroit aussi le royaume, qui estoit auparavant si contraire aux heresies, que le mesme Roy avoit fait un livre contre Martin Luther, pour lequel il fut grandement honoré par le pape Jules deuxiesme, qui lui donna le titre de Defenseur de la Foy catholique, et un chapeau et une espée. Et ce titre de defenseur de la Foy a depuis esté porté par tous les enfans dudit roy Henry, comme la reyne Elisabeth, à present regnante, le porte encore.

Le roy Henry estant adverty de cette sentence, non-seulement persista en sa declaration, après s’estre fait chef de l’Eglise anglicane, mais desavoua le Pape pour seigneur feodal, chassant ses receveurs d’Angleterre, et par mesme moyen changea la forme de la religion, et fit abattre quelques images, et fondre des reliques. Auparavant, le roy François premier avoit adverty le pape Clement, par son ambassadeur, qu’il se gardast bien de juger contre le roy d’Angleterre, car en ce faisant il perdroit l’obeissance de ce royaume-là : toutesfois cet advertissement arriva trop tard à Rome, parce que la sentence estoit desjà donnée. En ce tems le roy d’Angleterre fit assembler ses estats, et par iceux fit declarer le mariage de Catherine d’Espagne illegitime, et qu’après son decès la couronne viendroit aux enfans de luy et de Jeanne de Seimour, laquelle il espousa depuis, et fut incisée par le costé pour avoir son enfant, dont elle mourut : et pour cette cause l’enfant fut appellé Edouart Cesar. Pour la quatriesme femme le Roy prit Anne, sœur du duc de Cleves, qu’il repudia bientost après. Pour la cinquiesme il espousa Catherine de Hawart, qu’il fit decapiter devant que l’an fust passé. Et pour la sixiesme il espousa Jeanne, vefve du seigneur de Latimer. Et par son testament, fait en decembre 1546, il institua Edouart son fils successeur à la couronne, auquel il substitue Marie sa fille aisnée ; et à Marie il substitua Elizabeth, ratifiant en cela la volonté des estats d’Angleterre, qui l’avoient ainsi ordonné.



CHAPITRE III.


Regne de Marie, reyne d’Angleterre. Refusée en mariage par Henry de Courtenay, comte de Worcester. Elizabeth, sœur et rivale de la Reyne, mise en prison ; delivrée par l’entremise de Philippe II, roy d’Espagne, qui pretendoit l’espouser après la mort de sa sœur.


Ainsi Marie succeda au royaume après la mort du jeune roy Edouart son frere, ce qui n’estoit advenu depuis quatorze cens ans. Car, combien que Tacite, en la vie de son beau pere Agricola, escrive que les peuples d’Angleterre de son temps estoient commandez par une reyne, et qu’ils recevoient à la succession de la couronne les filles aussi bien que les masles, si est-ce que, depuis ce temps-là jusques à Marie, il ne s’en trouve pas une seule. Car mesme Estienne, comte de Boulogne, gendre seulement de Henry I, roy d’Angleterre[5], fut preposé à Mahaut, appellée imperatrice, fille dudict Henry, femme de Godefroy Plantagenet, comte d’Anjou, qui succeda à la couronne, et duquel sont tous issus les princes, roys et reynes d’Angleterre, qui ont esté depuis quatre cens ans jusques à present.

Donc Marie se voyant asseurée de la couronne et estat d’Angleterre, et qu’elle avoit passé l’âge de quarante-sept ans[6], pour s’asseurer encore davantage, voulut espouser le comte de Worcester, nommé Henry de Courtenay, qu’elle avoit fait premier gentilhomme de sa chambre : lequel estoit issu des princes du sang de France du costé paternel (dit le sieur Tillet), et du costé maternel des roys d’Angleterre de la maison d’York, joint aussi qu’il estoit l’un des plus beaux entre lesjeunes seigneurs de son aage. Mais luy n’avoit pas son affection à la reyne Marie, mais bien à Elisabeth sa jeune sœur, qui luy portoit beaucoup d’affection, comme l’on disoit. Ce que la reyne Marie ayant decouvert, et que plusieurs du royaume d’Angleterre, impatiens, et qui tenoient pour chose nouvelle d’estre commandez par une femme, jettoient les yeux sur milord de Courtenay, et eussent bien desiré l’avoir pour roy, et qu’il espousast Elisabeth, il delibera de sortir du royaume pour eviter le courroux et animosité de la reyne Marie, et alla à Venise, où bien-tost après il mourut de poison, comme l’on dict.

Et Elisabeth fut constituée prisonniere par le commandement de Marie, en fort grand hazard de perdre la vie, comme elle m’a dit souvent qu’elle s’y estoit resolue, tant pour la mauvaise volonté qu’elle sçavoit que luy portoit ladite reyne Marie sa sœur, que pour avoir inventé contre elle des accusations, d’avoir escrit au feu roy Henry II en France, et avoir des intelligences avec Sa Majesté, et cognoistre en elle une affection toute françoise. Elle m’a dit aussi qu’estant du tout hors d’esperance d’eschapper, elle desiroit faire une seule requeste à la Reyne sa sœur, qu’elle eust la teste couppée comme l’on fait en France avec une espée, et non avec une doloire à la façon d’Angleterre, priant que pour cette execution l’on envoyast querir un bourreau en France.

Toutefois elle ne courut autre chose de ce danger que la peur ; car Philippe, roy d’Espagne, qui avoit espousé ladite reyne Marie, moyenna sa liberté, et la fit sortir de prison, esperant de l’espouser au cas que Marie mourust sans enfans, comme il advint. Et ledict Philippe, qui estoit pour lors au Pays-Bas, envoya des ambassadeurs en Angleterre, et fit grande instance pour avoir en mariage ladicte Elisabeth, laquelle n’y voulut aucunement prester l’oreille, pour n’y avoir point d’affection ; ce qu’elle m’a souvent dict, et qu’elle ne croyoit aussi estre honneste et licite entre chrestiens d’espouser le mary de sa sœur, bien que le roy d’Espagne fut asseuré de sa dispense si elle l’eust voulu espouser ; comme aussi il a facilement obtenu d’espouser sa niepce, fille de sa sœur et de son cousin germain, encore que plusieurs tiennent que le Pape ne peut dispenser de telle consanguinité ; ce que mesme les Romains payens tenoient pour un inceste. Et outre le peu de volonté que ladite Reyne avoit de l’espouser, il y avoit encore un grand empeschement pour la diversité des religions ; joint aussi que les Espagnols estoient fort mal-voulus des Anglois, qui avoient du temps de la reyne Marie fait plusieurs desseins de leur faire mauvais party ; de sorte que le roy d’Espagne fut contrainct d’avoir une garde angloise, lesdits Anglois s’estans persuadez que les Espagnols, voyans la sterilité de Marie, avoient dessein d’usurper le royaume, parce que cette nation est fort ambitieuse et en possession de s’aggrandir par prétextes d’alliance.



CHAPITRE IV.


Elizabeth succede à la couronne d’Angleterre. Marie Stuart, reyne de France et d’Escosse, y pretend. Raisons d’Estat pour l’abolition de la religion catholique en Angleterre. Marie Stuart insiste pour ses droits. Repartie des Anglais à ses pretentions. Elizabeth, pour se maintenir, brouille l’Escosse avec la France par ses intelligences avec les heretiques. Dangereux conseil de la maison de Guyse à la reyne regente d’Escosse contre les religionnaires du pays, qui revolte le pays, et ruine la religion catholique.


Donc par la mort de Marie, causée de quelque jalousie qu’elle avoit du roy d’Espagne son mary, comme aucuns ont voulu dire, Elizabeth ayant succedé à la couronne d’Angleterre, suivant le testament du roy Henry son pere, et le droit des Estats estably vingt-neuf ans auparavant au parlement d’Angleterre, fut receue avec grande joie et allegresse, le dix-septieme novembre 1559[7].

Marie Stuart, reyne de France et d’Escosse, en estant advertie, prit les armes d’Angleterre, et les fit conjoindre et ecarteler avec celles d’Escosse, et poser publiquement à Paris en plusieurs lieux et portes, par les herauts du dauphin de France, lorsqu’il espousa ladicte Marie, avec les titres qui s’en suivent : Franciscus et Maria, Dei gratia rex et regina Franciœ, Scotiœ, Angliœ et Hiberniœ ; ce que l’ambassadeur d’Angleterre ayant veu, demanda audience, et fit de grandes plaintes de l’injure faite à sa maistresse ; auquel on fit seulement response qu’il y seroit pourveu, sans toutes-fois rien changer ny aux armes ny aux qualitez ; car l’on craignoit faire un prejudice irreparable à la reyne d’Escosse, pour le droict qu’elle pretendoit au royaume d’Angleterre et d’Irlande.

La reyne Elizabeth en estant advertie par son ambassadeur, prevoyoit bien qu’elle estoit pour courir la fortune d’une guerre contre la France et l’Escosse, et mesme contre quelque partie de ses sujets qui estoient catholiques, et portoient très-impatiemment d’estre frustrez de l’exercice de leur religion, qu’elle avoit changée, par le consentement des trois estats, trois mois après son advenement à la couronne, ce qu’elle pratiqua fort subtilement sans aucun remuement ny alteration ; car, voyant que les protestans qui s’estoient absentez d’Angleterre sous le regne de Marie estoient de retour en leurs maisons, et qu’une partie des peuples et de la noblesse estoient mal affectionnez à la religion catholique, pour establir cette religion protestestante à laquelle elle estoit affectionnée, et pour plus seurement regner, elle ne voulut pas user de force, mais prit resolution de faire assembler presque tous les evesques d’Angleterre, ausquels elle fit entendre qu’elle vouloit regler le faict de la religion, et suivre leur advis en tout et partout : de quoy les catholiques estoient bien aises, estimans qu’ils le gagneroient, estant la chose mise à la pluralité des suffrages, d’autant que les evesques estoient, comme ils devoient ou sembloient estre, catholiques, pour le moins en plus grand nombre que les protestans. Mais sur cette deliberation la pluspart d’iceux furent gagnez[8] par le conseil de la Reyne, les uns par bienfaits, les autres par promesses, et les autres par crainte qu’ils avoient de luy desplaire. Joint aussi qu’une partie des comtes, barons, nobles et roturiers, deputez par le peuple aux estats, demandoient le changement, d’autant qu’ils esperoient d’estre pourveus des biens des ecclesiastiques et des confiscations, excepté seulement les eveschez qui sont encore entre les mains de personnes qui se disent evesques, ou pour le moins en ont l’habit et jouissent du revenu. Par ce moyen la religion fut remise en l’estat auquel l’avoit laissée trois ans auparavant le roy Edouart sixiesme, et toute autre religion deffendue.

Cependant Marie Stuart, reyne de France et d’Escosse, soutenoit par livres publiés qu’elle avoit droict à la couronne d’Angleterre, tant par la loy de nature et droit successif, que par le jugement rendu contre la repudiation de Catherine d’Espagne, ce qui rendoit nul le mariage d’Anne de Boulen ; d’où s’ensuivoit que la reyne Elizabeth n’estoit habile à succeder. Les Anglois disoient que les estats d’Angleterre, au parlement qui fut tenu l’an 1525, donnerent toute puissance au roy Henry huictiesme de nommer et designer un successeur à la couronne, et neantmoins nommerent Edouart sixiesme, et luy substituerent Marie, et à Marie Elizabeth : et depuis, le roy Henry, par son testament, appella les mesmes personnes, comme nous avons dit cy devant, et après Elizabeth ordonna que les enfans de Françoise et de Leonor, ses niepces, filles de Marie sa sœur puisnée, et de Charles Brandon, duc de Suffolck, succedassent, et que si elles mouroient sans hoirs legitimes, les plus proches y fussent appellez. De sorte qu’il sembloit qu’il eust totalement exclu les enfans de Marguerite sa sœur aisnée, d’où estoit issue la reyne d’Escosse, qui debattoit le testament de plusieurs nullitez.

Pour s’assurer donc, la reyne Elizabeth avoit de long-temps commencé de s’allier le plus qu’elle pouvoit avec les Escossois, tant pour le pretexte d’une mesme religion que pour les distraire du tout, si elle pouvoit, de l’amitié et alliance de France, qui avoit duré huit cens ans[9], et avoit esté comme un frein à l’Angleterre, pour empescher la grandeur et accroissement de ce royaume-là, comme aussi les François ont maintenu souvent l’Escosse contre l’oppression des Anglois, jusques au changement de religion et au regne d’Elizabeth, laquelle prit fort à propos l’occasion des troubles advenus en Escosse l’année que le roy Henry mourut ; car auparavant tout y estoit paisible, par la patience et prudence de la douairiere d’Escosse, regente et mere de Marie, femme du roy François second ; laquelle ne vouloit, voyant qu’elle ne le pouvoit, forcer la conscience des protestans, qui estoient desjà en grand nombre en Escosse, et se multiplioient tous les jours, comme en cette nation les esprits sont prompts et faciles à mutation, dont j’ay veu infinis exemples en vingt-trois ans que j’ay traicté plusieurs grandes affaires en ce royaume.

Or ceux de Guise, freres de la regente d’Escosse, voyans que les protestans y prenoient grand pied, et devenoient les plus forts, et qu’il estoit impossible à leur sœur d’en venir à bout, la conseillerent de faire dresser et publier edicts fort rigoureux contre les protestans ; et pour les executer envoyerent Nicolas de Pellevé, evesque d’Amiens, à present cardinal, et La Brosse, qui voulurent tout soudain contraindre un chacun d’aller à la messe, reprochans à la regente que sa douceur et souffrance avoit tout gasté. Elle, au contraire, combien qu’elle fust du tout catholique, persistoit en son opinion, disant qu’il ne falloit rien changer ni altérer pour le fait de la religion, craignant et leur predisant la rebellion des sujets qui advint incontinent apres.

Mais elle ne fut pas creuë : qui fut cause que la pluspart de la noblesse escossoise, courageuse, et grand nombre des peuples, prompts et remuans, commencerent à se mutiner, non pas tant pour le fait de la religion, que parce qu’ils disoient que l’on les vouloit commander par force, et asservir leur liberté aux François, disans pour pretexte qu’à la fin ils emporteroient les plus belles charges et offices du royaume : aussi ne manquent jamais de pretextes ceux qui se veulent mutiner. Cependant la reyne Elizabeth et ses conseillers ne perdoient pas de temps pour nourrir et augmenter cette division et revolte des Escossois mal contens et protestans, qui, se joignans les uns avec les autres, prirent les armes, et commencerent à donner la chasse aux ecclesiastiques, et enfin reduisirent la Regente et son conseil à cette necessite de recevoir la loy de ses sujets.



CHAPITRE V.


La reyne Elizabeth se declare pour les heretiques d’Escosse, et commence la guerre avec la France. Protestation de la part du Roy contre l’infraction de la paix par ladicte Reyne. Ses responses ausdictes protestations. Dessein de la reyne d’Escosse sur l’Angleterre, et de la reyne d’Angleterre en Escosse. Traité entre les Escossois et les Anglois.


Sur cela le sieur de Montluc, evesque de Valence, fut envoyé en Escosse, pour voir quel remede il y auroit de leur faire poser les armes : mais n’y en trouvant point, il fut soudain renvoyé en France pour avoir secours. Ce que voyant, la reyne d’Angleterre, qui avoit desjà conclu l’alliance avec les Escossois mutins, fit dresser deux armées, par mer et par terre, et expédier des lettres patentes qu’elle publia en Angleterre, par lesquelles elle se plaignoit du tort que l’on luy avoit fait en France, et principalement d’avoir souffert que Marie, reyne d’Escosse, se qualifiast reyne d’Angleterre et d’Irlande, avec les armes ecartelées d’Escosse et d’Angleterre : et encore, sous couleur de vouloir chastier quelques sujets d’Escosse, l’on dressoit une armée en France pour attenter à l’Angleterre, dont elle estoit menacée. Elle fit aussi remonstrer et prier le Roy que l’on laissast l’Escosse en paix, et la forme du royaume en l’estat auquel il estoit, et que l’on retirast tous les François qui y estoient desjà. Autrement elle s’armeroit pour garder qu’il ne s’attentast quelque chose contre l’Angleterre, protestant que tout le mal qui adviendroit pour ce regard ne luy pourroit estre imputé. Et voyant que les forces de France s’approchoient d’Escosse, elle commença la guerre contre quelques vaisseaux françois qui estoient pour lors audict Escosse.

Cela fut cause que l’on fit protester le chevalier de Saivre, de la part du Roy, à la reyne d’Angleterre de l’infraction de paix, et de l’ouverture de guerre qu’elle avoit commencé, sous couleur que la reyne d’Escosse avoit pris les armes d’Angleterre avec celles d’Escosse, et vouloit reduire ses sujets rebelles sous son obeissance, et que le roy François second avoit fait offre à la reyne d’Angleterre de deputer gens de sa part, pourvu qu’elle en nommast aussi de son costé, afin de vuider leurs differens snivant les articles de la paix. Chose que la reyne d’Angleterre n’auroit acceptée, mais auroit limité certain jour, auquel elle vouloit pour tous delais que le Roy retirast tous les François qui estoient en Escosse, sans vouloir entrer en accord, n’ayant autre but que de clorre le chemin aux François, et les chasser tous d’Escosse.

Toutefois, le vingtiesme jour d’avril 1560, la reyue d’Angleterre, comme par une forme de response, se plaignit derechef, comme elle avoit desjà faict, de ce que la reyne d’Escosse avoit pris et portoit le nom, tiltre et armes d’Angleterre et d’Irlande, qu’elle n’avoit voulu quitter, quelque remonstrance et priere qui luy en eust esté faite par ses ambassadeurs, qu’elle disoit aussi avoir esté maltraitez : qui estoient, comme elle disoit, tous signes evidens que les forces menées en Escosse, et celles qui se preparoient encore, estoient pour surpendre l’Angleterre. Elle se plaignoit aussi d’un grand nombre de pirates francois, seulement contre les Anglois, et du support qui leur estoit donné ; et davantage de ce que l’on avoit remonstré et faict instance au Pape, pour declarer qu’elle n’estoit pas Reyne et la vraye heritiere d’Angleterre, et que l’on avoit voulu capituler avec des Allemans et lanskenets pour passer en Escosse avec les François pour la conqueste d’Angleterre ; disant encore que le cardinal de Lorraine avoit soutenu au traité de Cambresis la ville de Calais devoir plustost estre à la reyne d’Escosse qu’à elle. Et quant aux forces qu’elle avoit envoyées vers l’Escosse, elle disoit que c’estoit seulement pour la forteresse et ville de Warvick, frontiere principale de l’Angleterre, et que le tout y avoit esté conduit sans aucun acte d’hostilité : alleguant sur cela qu’il n’estoit pas question de mener en Escosse une si grande armée de François pour chastier les rebelles. Elle fit aussi declarer les torts et injures que les Escossois disoient avoir receu des François, qui estoit l’occasion et le commencement des troubles et divisions d’Escosse ; protestant neanmoins qu’elle ne voudroit soutenir la rebellion des sujets d’Escosse contre leur Reyne, mais seulement se vouloit garder des surprises que l’on luy pourroit faire, et conserver son Estat.

Ces protestations, ainsi faites d’une part et d’autre, sembloient contraires aux effets ; car, combien que la reyne d’Escosse ne pensast lors qu’à appaiser les troubles de son Estat, si est-ce que la pluspart jugeoient que si elle en eust pu venir à bout, elle eust passé en Angleterre avec les forces de France et d’Escosse, par l’intelligence qu’elle pensoit avoir avec grand nombre de catholiques qui estoient audict Angleterre, attendu qu’il n’y a ny mer ny fleuves, ny montagnes, ny forteresses, qui separent les deux royaumes, mais seulement un petit ruisseau qui se passe à gué de tous costez. Aussi la reyne d’Angleterre ne pouvoit avoir plus grand plaisir que de voir les troubles et les sujets divisez en Escosse, et la religion des protestans s’y establir, et faisoit entendre aux Escossois qu’ils ne devoient endurer la domination des François en leur pays ; pensant que c’estoit un très-grand moyen pour conserver son Estat et la religion protestante, de diviser ces deux nations, qui avaient si long-temps maintenu une estroite alliance contre les Anglois, anciens ennemis des uns et des autres.

Or en ce temps le sieur de Glaion et l’evesque d’Aquila, ambassadeurs du roy d’Espagne, taschoient de moyenner la paix, et faire en sorte que la reyne d’Angleterre ne s’entremeslast point des affaires d’Escosse ; ce qu’ils ne peurent obtenir. Mais au contraire la reyne d’Angleterre reçut favorablement tous les Escossois qui se voulurent mettre en sa protection, lesquels la supplierent (par pratique faite) de faire alliance avec eux, et de les aider, comme elle fit bientost après. Mais les Escossois furent advisez par la capitulation qu’ils firent avec elle, qu’ils ne bailleroient aucunes places fortes aux Anglois, comme aussi n’y en a-t-il guere, mais seulement que la reyne d’Angleterre bailleroit des ostages qui seroient renouvellez de six en six mois. Aussi est-il bien à craindre, quand les protecteurs ont des forteresses des alliez, qu’ils ne les rendent jamais, comme il est advenu de nostre temps des villes imperiales comme Utrecht, Constance, Cambray et autres, qui ont esté assujetties à ceux qui les tenoient sous leur protection ; dequoy l’empereur Charles v a montré assez d’exemples. Or ce traicté conclu et arresté entre la reyne d’Angleterre et les Escossois, et l’union qu’ils firent de leurs religions, èsquelles ils ne vouloient estre forcez, apporta la guerre ouverte.


CHAPITRE VI.


Guerre en Escosse contre les François, qu’on ne peut secourir. Passage du sieur de Castelnau de Mauvissiere par le Portugal, avec les galeres de France. Les perils qu’il courut sur la mer avec l’armée navale. Paix faicte en Escosse. Articles de ladicte paix entre la France et l’Angleterre. Avantage des Anglais et desavantage des François en la guerre d’Escosse. Jugement du sieur de Castelnau sur la protection donnée par nos roys aux heretiques et protestans.


Cela fit deslors cognoistre la difficulté qu’il y avoit de forcer les consciences des sujets qui estoient en si grand nombre, mesmement des Escossois, nation farouche, opiniastre et belliqueuse, et qui ne se peut pas dompter par force, si l’on ne les extermine du tout, ce qui seroit trop difficile, attendu la nature du pays : aussi ne faut-il pas apprivoiser les esprits sauvages à coups de baston, mais en les traitant par douceur et courtoisie. Donc les choses estant venues à l’extremité de la guerre, les François qui estoient en Escosse, se voyans les plus foibles, ne voulurent pas se hazarder au combat, mais se retirerent dedans la ville de Petitlit[10], où ils furent assiegez par mer et par terre des Escossois et des Anglois, avec telle violence, que, ne pouvans plus tenir pour n’avoir ny vivres ny munitions de guerre, et n’ayans aucune esperance de secours, après plusieurs escarmouches et sorties, Sebastien de Luxembourg, vicomte de Martigues, qui estoit colonel des gens de pied, et le sieur d’Oysel, qui avoit long-temps esté ambassadeur, et commandé à quelques troupes françaises qui avoient esté avec la Regente, et tous ensemble resolurent de faire plustost quelque honorable composition, que de se perdre sans raison ny profit en une des plus mechantes places du monde, où il n’y avoit autre forteresse qu’un retranchement.

Et combien que l’on preparast en France des forces pour les secourir, dont le marquis d’Elbœuf estoit le chef et conducteur, si est-ce qu’elles ne pouvoient venir à temps, veu mesme que, s’estant embarqué en Normandie, il eut tant de fortune sur la mer, qu’il luy fallut relascher d’où il estoit party, avec l’entiere ruine de tout ce qui estoit avec luy.

Ce qui advança encore la composition moins avantageuse pour les François, est aussi que le grand prieur de Lorraine, frere du duc de Guise, lequel je suivis en ce voyage, qui devoit commander à l’armée navale, estant general des galeres de France, et en amenoit dix des meilleures qui fussent au service du Roy, lesquelles il avoit desjà trajectées de la mer Mediterranée en l’Ocean, et passé le detroit de Gibraltar et la coste d’Espagne, s’arresta à une infinité de rafraischissemens, et semblablement auprès du roy de Portugal dom Sebastien, pour lors jeune enfant, qui me donna, et la Reyne sa grand’mere, et le cardinal dom Henry (qui depuis fut roy après que son neveu se perdit en Afrique), un prisonnier fort estroitement detenu, et accusé de plusieurs pratiques au royaume de Portugal ; lequel trafiquoit de plus de cent mille escus, qui luy eussent esté confisquez, et l’eust-on fait mourir, si je ne l’eusse sauvé, avec beaucoup de difficulté. Mais je reçus cette particuliere faveur, pour les recommandations d’une infinité de marchands françois et italiens, qui me prierent de faire cette requeste au petit roy de Portugal et à son conseil.

Or nous eusmes nouvelles en Portugal que, si les galeres et toute l’armée navale n’estoient ensemble en Escosse dedans vingt jours, l’accord se feroit au Petitlit, comme il fut fait. Lors le grand prieur fit estat de partir aussi-tost que le vent pourroit servir pour sortir les galeres de Lisbonne : et, vingt-trois heures après, firent voile, et eurent bon temps jusques au cap de Fin-de-terre en Espagne. Mais là ayans fait aiguade pour prendre la pleine mer et laisser la coste, afin d’accourcir le chemin, lesdictes galeres n’estoient pas encore trente milles en mer, qu’elles furent agitées d’une horrible tempeste, et en très-grand danger de périr, courans cette fortune jusques aux landes de Bordeaux et près de la tour de Cordouan, sans qu’aucun pilote peust cognoistre ny ciel ny terre, ny le lieu où nous estions prests à nous perdre, sinon un pauvre vieil pilote pescheur qu’avoit pris le capitaine Albise, lequel, de fortune, voyant le peril où nous estions, dit à son capitaine que s’il n’avançoit sa galere pour piloter les autres par le chemin qu’il leur monstreroit, elles estoient toutes perdues, ce qui estoit vray ; et ainsi le capitaine Albise et son pilote, laissans les loix de la mer en telle necessité, se licencierent d’avancer leur galere devant la Reale, laquelle autrement alloit la premiere donner à travers d’infinis ecueils. Ainsi nous echapasmes ce danger, et Saint-Gouart, qui estoit esdites galeres, fut le premier qui recognut la terre et les sables d’Aulonne, comme nous en pensions estre à plus de cinquante lieues. L’extremité du peril estoit si grand, que l’argousin Real et le patron, qui n’avoient plus d’esperance qu’au hazard de la fortune, prirent leurs bourses, en resolution de se jetter sur quelque ecueil, attendans que la tempeste cesseroit, comme elle fit en cet endroit, où les galeres ayant quelque rafraichissement, le grand prieur fit diligence de les amener jusques à Nantes, où estans arrivées, je fus envoyé vers le roy François second, pour sçavoir ce qu’il luy plairoit que tissent lesdictes galeres, et si elles prendroient la route d’Escosse, et demander de l’argent pour les faire partir. Mais, arrivant à la Cour, je trouvay que la composition estoit faicte en Escosse, et le Petitlit rendu au mois de juillet 1560.

Et fut dit par l’accord que les armes avoient esté prises, tant du costé du Roy que de la reyne d’Angleterre, pour le bien des sujets d’Escosse et la conservation de l’Estat, sans que de là en avant les Escossois, pour quelque cause que ce fust, en pussent estre recherchez ; que les protestans sortiroient de l’Isle-bourg, horsmis ceux qui estoient bourgeois de la ville, que tous les protestans demeureroient bons et fidelles sujets au Roy, à la reyne d’Escosse, et à la Regente sa mere, demeurans neantmoins les loix du pays en leur force et vertu ; et que les catholiques et gens d’eglise ne seroient troublez en leurs religions, personnes ny biens ; que le dixieme jour suivant seroit tenu le parlement d’Escosse, pour accorder amiablement tous les differens de la religion, que douze personnes seroient establies en Escosse, dont les sept seroient nommez par le Roy, et les autres par les estats des ecclesiastiques, de la noblesse, du peuple, et seroit resolu que toutes les dignitez, offices et estats, seroient baillez aux Escossois seulement, et que la forteresse du Petitlit seroit abatue ; que les capitaines et gens de guerre estrangers qui estoient dedans et en tout le pays d’Escosse sortiroient, et que la ville de l’Islebourg auroit tel exercice de religion qu’il luy plairoit, pour y vivre un chacun en liberté de conscience ; que les protestans ne seroient aucunement molestez pour le fait de leur religion ; que la reyne d’Angleterre retireroit aussi toutes ses forces, et ne s’entremesleroit plus des affaires d’Escosse ; que le traité fait au Casteau Cambresis demeureroit en sa force et vertu, et que la reyne Marie d’Escosse laisseroit les titres et armes d’Angleterre.

Voilà sommairement ce qui fut capitulé au Petitlit. Par cet accord fait et executé, la guerre d’Escosse prit fin. Par lequel la reyne d’Angleterre commença tellement d’asseurer son Estat et sa religion jusques à present, qu’elle peut dire avoir plus fait que tous les roys ses predecesseurs, dont le principal point est d’avoir divisé les François d’avec les Escossois, et avoir jusques aujourd’huy nourry et entretenu cette division, par le moyen de laquelle elle a affoibli les uns et les autres, et s’en est fortifiée. Aussi plusieurs sont de cette opinion, que la puissance d’un prince et d’un Estat ne gist pas tant en sa force qu’en la foiblesse et ruine de ses voisins, mesmement ennemis, comme furent les François et les Escossois, de long-temps confederez et alliez, et ennemis des Anglois, et plus encore les Escossois que les François. A quoy ceux qui ont manié ces affaires n’ont pas bien préveu ; car ils ont fait une playe fort sanglante en France, ayant esté d’advis d’envoyer des François pour faire la guerre à l’Escosse, qui estoit un rempart pour la France, lorsque les Anglois y vouloient entreprendre quelque chose, dont ils estoient advertis par les Escossois, et envoyoient leurs forces en Escosse, sans que les Anglois y pussent remedier, qui leur estoit une grande epine au pied. Et quoy qu’il fust dict par le traité du Petitlit que la reyne d’Angleterre ne s’entremesleroit plus des affaires d’Escosse, ce fut un article inutile, et qui ne servit que de couleur et palliation ; car les Anglois ne pretendent pas beaucoup en Escosse, mais il leur suffira d’en avoir chassé les François. Et il est aisé à voir que s’ils vouloient tenter d’y retourner pour s’y faire les plus forts, les Anglois s’armeroient incontinent, et se joindroient avec les Escossois, qui, estans pour la pluspart protestans, ont encore une recente impression de cette nouvelle amitié et alliance faite avec la reyne Elizabeth d’Angleterre, qui leur remet souvent devant les yeux, par quelques bienfaits et pensions, que c’est elle qui les a delivrez de la subjection des François, et est cause qu’ils ont la religion protestante. Et si l’on veut dire que c’estoit bien fait de ruiner les protestans d’Escosse, qui, à la verité, ont esté la seule occasion d’y faire la guerre, à cela l’on peut respondre qu’il falloit plustost s’attaquer à ceux d’Angleterre que d’Escosse, n’estant pas plus mal-aisé l’un que l’autre. Et tant s’en faut que l’on soit parvenu à l’effet que l’on pretendoit, que ceste guerre a fait perdre l’estat d’Escosse à la France, et l’a acquis à l’Angleterre.

Et ceux qui donnerent ce conseil n’avoient pas esté si conscientieux sept ou huit ans auparavant, ayant fait lever une puissante armée au roy Henry deuxiesme, et hazarder sa personne et son Estat, pour faire la guerre à l’Empereur et aux princes catholiques d’Allemagne, afin de mettre les princes protestans et leurs partisans en liberté de leur Estat et de leur religion ; lesquels tost après ce nonobstant s’allierent ensemble au traité de Passau pour prendre leur revanche et attraper le Roy, et firent une grande entreprise contre son royaume, lequel, au jugement de plusieurs, eust eu fort affaire si l’Empereur eust repris la ville de Mets. Mais son malheur fut qu’ayant fait une breche de cent pas, il en fut vigoureusement repoussé par le duc de Guise qui y commandoit et avoit avec luy la pluspart des princes et de la noblesse de France, qui ne laisserent rien en arriere pour employer leurs vies, afin de soutenir un siege de telle importance. Les princes catholiques d’Allemagne ont dit depuis que ce siege fut cause de la ruine de leur religion et party.

L’année suivante, 1554, que les cantons catholiques de Suisse voulurent faire la guerre aux cantons protestans, à la suasion de l’evesque de Terracine, nonce du Pape, les François n’entreprirent pas d’aider les catholiques ; ains au contraire le Roy, par ses ambassadeurs, empescha la guerre, menaçant les catholiques de se joindre aux protestans. Et si le Roy eust fait autrement, il perdoit l’amitié des cantons protestans, et le secours des cantons catholiques, et eust esté contraint d’employer ses forces et ses finances pour la guerre des Suisses : cependant les Anglois et les Imperiaux eussent eu bon marché de la France, et eust-on ruiné aussi bien la religion catholique en Suisse comme l’on a fait en Escosse, vu que de six cantons protestans celuy de Berne estoit plus fort que tous les catholiques.



CHAPITRE VII.


Resolution prise au conseil du Roy d’arrester le prince de Condé. Il se relire en Bearn, et se faict chef des protestans. Raisons pour laquelle lesdicts protestans furent appelez Huguenots. Nouveau different entre les maisons de Guyse et de Montmorency. Advis donné par La Planche à la Reyne mere contre ceux de Guyse. Libelles publiez contre la maison de Guyse. Le vidame de Chartres, arresté prisonnier, meurt à la Bastille. Le connestable ecrit au prince de Condé. La maison de Guyse faict lever des troupes en Allemagne.


Mais, laissant cette discussion des pays et affaires estrangeres, je reviens aux nostres, et sur ce que nous avons dit que le prince de Condé avoit demandé permission au Roy de se retirer en sa maison. À peine eut-il tourné visage, que le cardinal de Lorraine, de son naturel assez soupçonneux, pensa bien que le mécontentement qu’avoit eu ledict prince, qui estoit de grand courage, luy donneroit occasion de s’en ressentir. Ce qui fut cause que le conseil fut donné au Roy de le mettre prisonnier, à quoy l’on dit que le duc de Guise estoit d’opinion contraire, qui se monstroit en affaires d’Estat très-politique et prudent, et remonstra que la conséquence de cet emprisonnement pourroit causer plus de mal que de bien. Toutefois le Roy ne se departit point de son premier conseil, de quelque part qu’il fust donné à Sa Majesté. Et comme les preparatifs s’en dressoient, le prince de Condé en eut quelque advertissement. Aussi est-il mal aisé d’esventer quelque Chose à la cour des roys et grands princes, et le communiquer à plusieurs, que l’on n’en sçache bien-tost des nouvelles : car bien souvent les roys n’ont pas moins d’espions que de serviteurs en leurs maisons. Lors le prince de Condé fit semblant d’aller à la Cour, et, envoyant son train à Blois, tourna soudain vers Poictiers, où il trouva Genlis, lequel il chargea d’asseurer la Reyne sa mere de son très-humble service, et qu’il estoit entierement resolu de leur estre très-bon sujet et serviteur, les suppliant de luy permettre qu’il pust vivre en liberté de conscience ; et de là tira droit en Bearn vers le roy de Navarre.

Genlis ayant dit sa charge au Roy et à ceux de Guyse, desquels il estoit particulierement serviteur, l’on jugea dèslors et prit-on pour un argument très-certain que le prince de Condé, avec les autres advis que l’on en avoit, se feroit chef des protestans, qui depuis s’appellerent huguenots[11] en France : dont l’étymologie fut prise à la conjuration d’Amboise, lors que ceux qui devaient présenter la requeste, comme eperdus de crainte, fuyoient de tous costez. Quelques femmes des villages dirent que destoient pauvres gens, qui ne valloient pas des huguenots, qui estoit une fort petite monnoye, encore pire que des mailles, du temps de Hugues Capet ; d’où vint en usage que par moquerie l’on les appelloit huguenots, et se nommerent tels quand ils prirent les armes, comme nous dirons en son lieu.

L’opinion se conceut que le prince de Condé tailleroit bien de la besogne, comme il fit depuis. Quoy voyant, il fut deliberé que le mareschal de Sainct-André iroit en Gascogne sous ombre de visiter les terres de sa femme, et par mesme moyen verroit les contenances et actions du roy de Navarre et du prince de Condé, qui en furent aussi-tost advertis. Mais il ne se put trouver que le roy de Navarre eust volonté de rien changer ny alterer dans l’Estat. Au mesme temps survint un different entre le connestable et ceux de Guise pour la comté de Dammartin[12], chacun s’en disant seigneur, pour le droit par eux acquis de divers héritiers ; mais le connestable tenoit le chasteau. Et la Reyne mere du Roy, qui sçavoit que d’ailleurs il estoit assez mal content, craignoit qu’il se voulust joindre avec le prince de Condé, et donner courage au roy de Navarre d’estre de la partie. Mais pour en estre plus asseurée, et en tirer la vérité, Sa Majesté envoya querir un homme de lettres nommé La Planche[13], capable de grandes affaires, et serviteur domestique du mareschal de Montmorency, lequel estant arrivé, fut interrogé par la Reyne mere du Roy dedans son cabinet, pour sçavoir ce qu’il jugeoit de estat des affaires de France, estant le cardinal de Lorraine caché derriere la tapisserie.

Et là ledit La Planche discourut bien au long de tout ce qui luy en sembloit ; car il estoit eloquent et persuasif, comme je l’ay cogneu : depuis il fit imprimer et publier son advis, duquel, pour le faire court, le but estoit que pour appaiser la France et la garantir de troubles et divisions, et remettre l’obeissance du Roy, il estoit necessaire que ceux de Guise fussent esloignez de la Cour, et faire appeler les princes du sang au conseil du Roy, et près de sa personne ; lesquels en estans separez, et les estrangers tenans les premieres dignités, il ne falloit esperer aucun repos. Par où l’on pouvoit cognoistre la mauvaise volonté qu’il portoit à la maison de Guise, laquelle il appelloit estrangere, combien que les princes de cette maison fussent nez en France, et naturels sujets du Roy, de pere en fils. Et d’autant que l’on soupçonnoit que ledict La Planche eust part en la conjuration d’Amboise, il fut retenu prisonnier, et quatre jours après eslargy. Le mareschal de Montmorency, qui aimoit uniquement ledict La Planche, estima que l’on luy faisoit injure, dont il chargeoit ceux de Guise : ce qui aida encore à nourrir et augmenter l’inimitié entre ces deux maisons.

Au mesme temps l’on publia un livre en forme de requeste adressée au roy de Navarre et autres princes du sang par les sujets du Roy, plein de contumelies et injures contre la maison de Lorraine, qu’il n’est icy besoin de reciter, mais seulement la conclusion, qui estoit pour délivrer la France de sa domination par les princes du sang. Cela estoit une invention meslée avec l’animosité pour inciter toujours le roy de Navarre, le prince de Condé et les autres princes du sang, les seigneurs et les peuples contre cette maison-là, contre laquelle à tous propos les huguenots faisoient imprimer quelques libelles injurieux. Sur quoi on prit un imprimeur qui avoit imprimé un petit livre intitulé le Tigre, dont l’auteur présumé[14] et un marchand furent pendus pour cette cause.

En ce temps le prince de Condé, qui ne pouvoit plus temporiser ny dissimuler ce qu’il avoit en l’esprit, écrivit à tous ses amis, les priant qu’ils ne l’abandonnassent au besoin. Mais le porteur de ses lettres avec leurs responses fut surpris et mené à Fontainebleau, entre lesquelles s’en trouva une du vidame de Chartres[15], qui promettoit audit prince de le servir et prendre son parti contre qui que ce fust, sans exception de personne, sinon du Roy, de messieurs ses freres et de la Reyne ; qui fut l’occasion pourquoy le vidame bientost après fut constitué prisonnier et mis en la Bastille à Paris, où il mourut, estant fort regretté de la noblesse et de plusieurs peuples de France, desquels il estoit aimé et estimé pour les bonnes qualitez qui estoient en luy. Il y eut aussi quelques lettres surprises, que le connestable écrivoit au prince de Condé pour le convier d’aller à la Cour, et se purger des calomnies que l’on luy imposoit et vouloit-on mettre sus, en le conseillant de ne tenter la voye des armes et de fait pendant que la porte de justice luy seroit ouverte, luy promettant tout service, amitié et secours, si l’on procedoit contre luy par la voye de rigueur et de force. Ce qu’estant venu à la cognoissance de ceux de Guise, craignans d’estre surpris, envoyerent le comte Rhingrave en Allemagne devers les princes, pour les disposer à entretenir le party en l’alliance du Roy, et par mesme moyen de tenir quelques levées de lanskenets prestes à marcher, voire mesme des reistres, sous sa charge, s’il en estoit besoin.


CHAPITRE VIII.


Conseil des grands du royaume convoque à Fontainebleau. Le roy de Navarre et le prince de Condé refusent de s’y trouver, et le connestable s’y rend avec une grande suite. L’Admiral presente une requeste, et parle pour les huguenots. Le duc de Guise et le cardinal de Lorraine offrent de rendre compte de l’administration des armes et des finances. Raison de la maniere d’opiner dans les conseils du Roy. L’archevesque de Vienne propose l’assemblée d’un concile national et des Estats du royaume. Advis de l’Admiral. Replique du duc de Guyse. Opinion du cardinal de Lorraine suivie. Reflexion sur la mort de l’Admiral.


La Reyne, mere du Roy, voyant que les plus grands princes et seigneurs de France se preparoient à la guerre, et monstroient un general mecontentement les uns des autres, envoya querir le chancelier de L’Hospital et l’Admiral, pour leur demander conseil, comme les estimant très-sages et lors fort affectionnez à la conservation de l’Estat. Ils conseillerent d’assembler les princes et plus grands seigneurs pour prendre avec eux quelque bonne resolution. Surquoy lettres furent expediées de toutes parts pour se trouver le quinziesme du mois d’aoust à Fontainebleau ; mais le roy de Navarre et le prince de Condé furent advertis par leurs amis et serviteurs de n’y aller aucunement, s’ils ne vouloient courir le danger de leur vie. Le connestable, qui avoit amené quelques six cens chevaux, s’y trouva fort bien accompagné ; ce qui donna à penser à ceux de Guise, qui toutefois ne firent semblant d’avoir soupçon de telle suite, et fut le connestable fort bien reçu et caressé du Roy et de la Reyne sa mere.

Enfin le conseil fut tenu le vingtiesme du mois d’aoust audit Fontainebleau, où, avec Leurs Majestés, assisterent messieurs les freres du Roy, les cardinaux de Bourbon, de Lorraine, le duc de Guise, le connestable, le duc d’Aumale, le chancelier de L’Hospital, les mareschaux de Sainct-André et de Brissac, l’admiral de Chastillon, l’archevesque de Vienne, Morvillier, evesque d’Orleans, qui avoit remis ès mains du Roy la garde des sceaux de France, après les avoir tenus trois ou quatre ans, Montluc, evesque de Valence, du Mortier et Davanson, tous conseillers au privé conseil ; où, devant qu’aucun parlast, l’Admiral commença à dire qu’ayant esté en Normandie par le commandement du Roy, pour là sçavoir et apprendre quelle seroit l’occasion des troubles, il auroit trouvé que le tout procedoit des persecutions que l’on faisoit pour le fait de la religion, et que l’on luy avoit baillé une requeste pour la presenter à Sa Majesté, pour la supplier très-humblement d’y mettre quelque bon ordre, disant que, combien que la requeste ne fust signée, toutefois, s’il estoit requis, il s’en trouveroit en Normandie plus de cinquante mille qui la signeroient. Et fit une grande supplication à Leurs Majestez de prendre en bonne part ce qu’il en disoit, et la charge qu’il avoit prise de ladite requeste, qui estoit brieve, et portoit en substance que, pour eviter les calomnies desquelles l’on chargeoit les protestans, il pleust au Roy et à son conseil leur octroyer temples et lieux asseurez, où l’on peust prescher publiquement, et y administrer les sacremens.

La requeste estant leue estonna un chacun ; toutefois le Roy pria et commanda à l’assemblée de luy donner conseil sans aucune passion, et selon que la necessité du temps et des affaires le requeroit. Alors le chancelier prit la parole, et fit une remonstrance grave et pleine d’eloquence, pour faire entendre la cause de la maladie à laquelle il falloit trouver remede convenable. Lors le duc de Guise dit qu’il estoit prest à rendre compte de sa charge pour l’administration des armes et de la lieutenance generale, et le cardinal de Lorraine dit aussi qu’il estoit prest à rendre compte des finances, desquelles il avoit esté sur-intendant. Et, après quelques autres propos de chacun des assistans, bien empeschez à donner quelque bon remede au mal qui se voyoit à l’œil, l’on remit l’assemblée au vingt-troisiesme dudit mois ; et fut baillé à chacun un petit billet, portant brievement les articles sur lesquels le Roy demandoit conseil au jour assigné.

Le Roy commanda à Montluc, evesque de Valence, dernier conseiller au conseil privé, de parler, et après luy les autres, selon leur ordre, qui est la façon de laquelle l’on use en France, que les derniers et plus jeunes conseillers opinent les premiers, afin que la liberté des advis ne soit diminuée ou retranchée par l’authorité des princes ou premiers conseillers et seigneurs ; et que, par ce moyen, le Roy et ceux qui tiennent le premier lieu au conseil, et qui ne sont pas quelquefois les mieux exercitez aux affaires d’Estat, et instruits de ce qui se passe, en soient mieux advertis par ceux qui ont parlé les premiers, afin que, sur les opinions, ils puissent resoudre plus meurement les difficultez qui se proposent en ces lieux-là. Estant escheu de parler à Marillac, evesque de Vienne, il suivit aucunement l’opinion dudict evesque de Valence, et emporta la reputation, comme il estoit eloquent, d’avoir très-bien dict. Son opinion estoit de faire rassembler un concile national de toutes les provinces de France, puisque le Pape avoit refusé à l’Empereur Charles cinquiesme le concile general, lors qu’il fut à Boulogne la Grasse : et après avoir deduit plusieurs moyens pour refermer les abus de l’Eglise, et pour retenir le peuple en obeissance du Roy, conclut qu’il seroit necessaire d’assembler les Estats de France, pour ouyr les plaintes et doleances du peuple, en remonstrant les inconveniens qui adviendroient par faute d’assembler lesdicts Estats.

L’Admiral approuva la harangue et resolution dudit Marillac, et toucha un point qui luy sembloit le plus important de tous, disant que c’estoit une chose de perilleuse consequence de tenir telles gardes que celles qui estoient pour lors auprès du Roy, qui ne servoient qu’à faire du desordre, consommer beaucoup d’argent, et le mettre en defiance et crainte de son peuple, monstrant que Sa Majesté n’estoit point haïe de ses Sujets, et que s’il y avoit quelques uns autour de sa personne qui eussent crainte d’estre offencez, ils en devoient retrancher l’occasion : concluant aussi qu’il falloit faire droict sur la requeste des protestans, et leur permettre l’exercice public de leur religion, en quelques endroits qui leur seroient assignez seulement par provision, jusques à tant que l’on peust assembler le concile national.

Mais le duc de Guise, se sentant piqué par les propos de l’Admiral touchant la garde nouvelle du Roy, prit la parole, disant qu’elle n’avoit esté establie que depuis la conjuration d’Amboise, faite contre la personne de Sa Majesté, et qu’il avoit charge de donner ordre que dès lors en avant le Roy ne tombast plus en si grand inconvenient, que de voir ses sujets luy presenter une requeste avec les armes. Et, quant à ce que ledict Admiral avoit dit qu’il se trouveroit plus de cinquante mille protestans pour signer une requeste, le Roy en trouveroit un million de sa religion qui y seroient contraires. Et pour le regard de tenir et assembler les Estats, qu’il s’en remettoit à la volonté du Roy.

Aussi le cardinal de Lorraine insistoit Fort, et empeschoit que la requeste des protestans ne fust suivie touchant l’exercice de leur religion ; mais il fut d’opinion que l’on assemblast les Estats, et presque tous les autres assistans furent de son advis ; ainsi la requeste de l’Admiral demeura sans effet touchant la provision qu’il demandoit pour les protestans, estant la chose remise jusques à tant que l’on eust assemblé le concile national[16]. Et se peut remarquer en cet endroit qu’après douze ans de cruelles guerres civiles dedans le royaume de France, l’Admiral à pareil jour fut tué à Paris, et plusieurs de sa faction, comme il sera dict en son lieu[17].


CHAPITRE IX.


Les Estats du royaume assignez à Meaux. Faute du roy de Navarre de ne s’estre trouvé au conseil de Fontainebleau. Utilité de l’assemblee des Estats. L’interest de la maison de Guyse vouloit que le Roy y fust le plus fort, et que le connestable n’y eust pas l’authorité sur les armes de Sa Majesté. Entreprise des huguenots en Dauphiné. Le Roy en accuse le prince de Condé, et mande au roy de Navarre de luy mettre ce prince entre les mains. L’on fait en sorte de les faire venir à la Cour sur des asseurances, et le roy de Navarre refuse l’assistance des huguenots en ce voyage. Ordres apportez à la maison de Guyse pour estre la plus forte aux Estats. Le prince de Condé mesprise les advis qu’on luy donne de ne point venir aux Estats.


La résolution de ce conseil estant prise, furent expediées lettres patentes à tous les baillifs, seneschaux, juges et magistrats, portans la publication des Estats, et assignation de se trouver à Meaux le neufieme de decembre ensuivant. Et d’autant que le roy de Navarre et le prince de Condé n’estoient point venus, et que l’on pensoit qu’ils fissent amas de gens de guerre, l’on expedia autres lettres patentes à la Cour, par lesquelles la gendarmerie de France estoit departie par les gouvernemens, et sous la charge de ceux desquels l’on se pouvoit asseurer avec le mot que l’on avoit donné, pour empescher ceux qui s’assembleroient en armes, et obvier aux factions qui continuoient par la France.

En quoy plusieurs partisans de la maison de Bourbon jugerent que le roy de Navarre avoit failly de n’estre venu, veu mesme qu’il avoit advertissement du connestable, qu’il y vint si bien accompagné qu’il n’y eust que craindre pour luy : et n’estant point venu, il sembloit que tacitement il se voulust rendre coupable du faict d’Amboise, et monstroit ouvertement qu’il se defioit de ses forces et de ses amis et serviteurs, envers lesquels il perdoit non seulement son credit, mais vers beaucoup de seigneurs, gentilshommes et autres de toutes qualitez, qui avoient les yeux jettez sur luy, et estimoient qu’il ne devoit point douter que, sortant de sa maison, il n’eust trouvé une bonne et grande suite, ausdits Estats, desquels la convocation est chose très belle, lors que les opinions sont libres, pour faire ouverture de justice à tous les sujets, ouyr les plaintes et doleances d’un chacun, afin de remedier aux maladies de ce corps politique, et mesme pour regler l’estat des finances, et trouver les moyens d’acquitter le Roy, qui se trouvoit lors endebté, comme j’ay dict ailleurs, de quarante et deux millions de livres.

Toutefois c’estoit chose perilleuse de tenir lors les Estats, sans accompagner le Roy de bonne et seure garde, et telle que la force luy demeurast en main sans aucune contrarieté, puisque l’on avoit l’exemple si recent d’Amboise, six. mois auparavant. Outre ce, l’on craignoit que le prince de Condé ne se fist le plus fort, veu qu’il conjuroit tous ses amis et serviteurs de l’assister, comme il a esté dict cy-dessus ; qui d’autre costé ne pouvoit souffrir moins que le roy de Navarre, que ceux de Guise eussent la force en main, ce qui les faisoit craindre et defier d’aller seuls ausdits Estats ; desquels les deputez estans en crainte par les divisions et les forces que chacun vouloit avoir en main, je ne parle pas du Roy, ils ne pouvoient librement respirer leurs affections. Et quant à ce que l’Admiral avoit dictque ce n’estoit pas au Roy que le peuple en vouloit, il est bien certain que si Sa Majesté eust esté desarmée, ceux de Guise, desquels il se servoit pour lors, eussent entierement esté exposée à la mercy de leurs ennemis, et en danger de leurs vies.

Il y avoit grande apparence que le connestable devoit demeurer chef de l’armée et des forces du Roy, et que nul ne le devoit estre devant luy, pour la dignité de sa charge, attendu aussi qu’il n’estoit aucunement de la nouvelle religion, et n’approuvoit point la conjuration d’Amboise, quoy qu’il eust offert service et faveur au roy de Navarre. Mais l’inimitié et jalousie qu’il avoit conceue contre la maison de Guise, qui avoit la meilleure part près de Leurs Majestez, estoit une raison assez forte pour l’empescher.

Or, comme l’on estoit sur les deliberations à Fontainebleau, au mesme temps on eut nouvelles que les protestans s’estoient eslevez en Dauphiné sous la conduite de Mouvans et de Montbrun, et que le jeune de Maligny avoit une grande entreprise sur la ville de Lyon, qui la pensa surprendre, et l’eust fait n’eust esté que le roy de Navarre le fit retirer par lettres bien expresses qu’il luy escrivit. Neantmoins son intention decouverte fut cause de faire prendre les armes aux Catholiques, et s’assembler contre les compagnies de Montbrun et de Mouvans, qui furent poursuivis de si près par La Mothe Gondrin, Maugiron et autres forces du Dauphiné, qu’ils furent contraints de quitter le pays et se retirer hors de la France.

Ceux de Guise estant advertis que l’on avoit voulu surprendre la ville de Lyon, et que cela s’estoit fait par le consentement et l’intelligence du prince de Condé, comme l’on l’asseuroit, conseillerent au Roy d’escrire au roy de Navarre qu’il estoit adverty que ledict prince avoit attenté contre son Estat et s’estoit efforcé de prendre ses villes, ce qu’il ne pouvoit croire : mais pour en estre plus certain, Sa Majesté prioit le roy de Navarre de luy envoyer ledict prince, autrement qu’il seroit contraint de l’envoyer querir. A quoy le roy de Navarre fit response qu’il se tenoit si asseuré de la fidelité de son frere envers le Roy, et de son innocence, qu’il aimeroit mieux mourir que d’attenter à l’Estat du Roy, et avoir pensé ce que ses ennemis luy imposoient ; et que s’il croyoit que la voye de justice fust ouverte, il ne feroit difficulté de luy mener sondict frere : ce qu’il ne pouvoit faire voyant ses ennemis avoir l’authorité à la Cour, et abuser des forces de Sa Majesté. Le prince de Condé s’excusa aussi d’y aller, pour les raisons qu’avoit allegué ledict roy de Navarre.

Incontinent le Roy fut conseillé de les asseurer par autres lettres de venir vers luy sans crainte, et qu’ils ne pourroient estre plus seurement en leurs propres maisons ny en autre lieu où ils peussent aller. La Reyne mere du Roy leur donna la mesme asseurance. Et le cardinal de Bourbon leur frere fut envoyé pour les amener : et furent si vivement sollicitez d’aller à la Cour, que le roy de Navarre promit qu’il iroit et meneroit son frere, seulement avec leur train, qui n’estoit pas ce que demandoient leurs serviteurs et les protestans et partisans de leur maison, qui s’offroient en fort grand nombre de les accompagner et servir en toutes choses, pourveu que le roy de Navarre se declarast, l’asseurans qu’il auroit plus de force que ceux de Guise. Et combien que le roy de Navarre eust assisté à plusieurs presches publics que Theodore de Beze avoit faits à Nerac, si est-ce qu’il ne voulut pas se declarer contre eux : tellement que tous ceux qui luy offroient service commençoient dès-lors à se retirer.

Aussi estoit-il à craindre que le roy de Navarre, en monstrant de se defier, et s’accompagner des forces des protestans, ne se rendist desagreable et odieux à Leurs Majestez, qui n’eust pas esté le moyen de justifier le prince son frere. Mais les partisans du roy de Navarre, de la maison de Bourbon, et les protestans qui estoient pour lors en France, s’abusoient de penser estre les plus forts aux Estats, d’autant que le duc de Guise et ses freres, ayans de leur costé la pluspart de la noblesse, le clergé et les villes presque de tout le royaume, avoient donné si bon ordre par tous les gouvernemens, ports et passages, qu’il estoit impossible aux protestans de faire aucunes assemblées, ny de passer d’un lieu en l’autre qu’ils n’eussent esté surpris et descouverts.

Toutefois le prince de Condé eust bien pu eschapper et se retirer en quelque maison forte : aussi le roy de Navarre n’estoit pas responsable de sa personne, et avoit juste occasion, au sujet de ceux de Guise, puisqu’il avoit cette defiance d’eux, de n’aller à la Cour ; et ce d’autant plus que la princesse de Condé sa femme luy avoit mandé qu’elle estoit certainement advertie que l’on avoit resolu, s’il y veuoit, de le prendre prisonnier, luy faire son procès et le faire mourir, le conjurant, d’autant qu’il voudroit eviter la mort, de ne se hazarder d’entreprendre le voyage de la Cour, pour quelque occasion que ce fust : et elle mesme alla en personne pour l’en detourner, ce qu’elle ne put faire : car ledict prince respondit à tous ceux qui le vouloient divertir de ce voyage, qu’il s’asseuroit tant sur les promesses du Roy et parole de la Reyne sa mere, et en la justice de sa cause, qu’il ne pensoit pas qu’il luy en peust arriver mal. Aussi est-il croyable qu’il n’estoit pas adverty des informations que le mareschal de Sainct-André avoit apportées de Lyon, par lesquelles l’on vouloit monstrer qu’il estoit chef de l’entreprise faicte sur ladicte ville de Lyon.



CHAPITRE X.


L’assignation des Estats changée de Meaux à Orleans par ceux de Guyse. Grand appareil du Roy pour son voyage d’Orleans. Raison de l’invention de faire des lieutenans generaux dans les gouvernemens des provinces du royaume. Orleans desarmé. Arrivée du Roy à Orleans, et du roy de Navarre et du prince de Condé. Le prince de Condé arresté. Le roy de Navarre observé. La dame de Roye, belle mere du prince de Condé, et autres, faicts prisonniers. Defence de rien proposer aux Estats en faveur des huguenots. Chefs d’accusation imputez au prince de Condé. Magnanimité dudict prince. Juges mandez pour luy faire son procès.


En ce temps le duc de Guise, craignant peut estre que la ville de Meaux, assignée pour tenir les Estats, ne fust si propre qu’il estoit necessaire pour la seureté du Roy et la sienne, fut d’advis de la changer à celle d’Orleans ; ce qui fut par luy prudemment faict, tant pour rompre les conjurations et pratiques des protestans qui estoient en fort grand nombre à Meaux, que pour empescher les desseins des autres qui y pouvoient venir s’ils sçavoient le lieu assigné : outre ce que la ville d’Orleans estoit forte et presque au milieu de tout le royaume pour y envoyer, s’il estoit besoin, et recevoir advertissemens de tous costez ; car le bruict avoit couru que tous les protestans se mettoient en armes, mesme qu’ils s’estoient voulu saisir de ladite ville d’Orleans, ayans le baillif de la ville, nommé Groslot, pour chef, l’un des plus grands protestans qui fust en tout le pays. Et afin de s’asseurer encore mieux et empescher qu’il n’arrivast aucun inconvenient pour le lieu, ceux de Guise furent aussi d’opinion que le Roy passast par la ville de Paris, accompagné de plusieurs seigneurs et chevaliers de l’Ordre, des deux cens gentilshommes de sa maison et de toutes ses gardes, tant de cheval que de pied, et de tous les officiers, chacun en bon equipage, et avec cela deux cens hommes d’armes ; ce qui estonna fort les protestans, voyans Sa Majesté si bien accompagnée ; laquelle estant arrivée dans la ville d’Orleans, plusieurs des premiers et plus grands seigneurs du royaume, horsmis le connestable et ses neveux de Chastillon, s’y trouverent aussitost.

Et faut remarquer en cet endroict que les gouvernemens baillez au duc de Montpensier et au prince de La Roche-sur-Yon son frere, avoient pour lieutenans, comme aussi la pluspart des autres gouverneurs, ceux que le duc de Guise avoit nommez, comme les sieurs de Chevigny d’une part, et de Sipierre d’autre : lequel, estant arrivé à Orleans au commencement d’octobre, avec lettres patentes portans mandement de luy obeir, d’abord avec quelque pretexte commença à desarmer les habitans, et fit loger les garnisons ès maisons suspectes de la nouvelle opinion, et par ce moyen s’asseura de la ville : et quand bien les protestans eussent voulu, ils n’eussent pu rien executer. De sorte qu’il n’y avoit rien où ceux de Guise n’eussent bien pourveu, pour couper le chemin à ce qu’eussent pu attenter leurs ennemis et à se rendre maistres des Estats.

Le Roy fit son entrée en ladite ville d’Orleans le dix-huictiesme octobre, et fut receu avec les solemnitez accoutumées aux nouveaux roys. La Reyne fit aussi son entrée le jour mesme. Toutefois le duc de Guise, ny ses freres, ne se trouverent ny à l’une ny à l’autre desdictes entrées, pour oster la jalousie qui pouvoit estre aux princes du sang, et le sujet à leurs ennemis de les calomnier : non qu’ils eussent crainte que l’on les tuast, comme l’on leur en avoit donné quelques advertissemens ; ce qui n’estoit pas aisé à faire : aussi ne s’estonnoient-ils point, et ne laissoient de se monstrer et trouver en public et en tous lieux.

Le dernier jour d’octobre, arriverent le roy de Navarre et le prince de Condé en ladicte ville d’Orleans, seulement avec leurs serviteurs et trains ordinaires. Et, apres avoir salué le Roy et la Reyne sa mere, le Roy dit au prince de Condé qu’il avoit advertissement de plusieurs entreprises qu’il avoit faites contre sa personne et son Estat, qui estoit l’occasion de l’avoir mandé pour estre esclairci de la verité d’une chose de telle importance, et contre son devoir de sujet et parent.

Lors le prince, doué de grand courage, et qui disoit aussi bien que prince et gentilhomme qui fust en France, ne s’estonna point, ains deffendit sa cause devant le Roy avec beaucoup de bonnes et fortes raisons ; mais elles ne peurent le garantir que dès lors il ne fust constitué prisonnier et mis ès mains de Chevigny, capitaine des gardes, qui le mena incontinent en une maison de la ville, laquelle fut aussitost fort bien grillée, et flancquée de quelques canonnieres, et fortifiée de soldats, combien que le roy de Navarre suppliast humblement le Roy de luy bailler son frere en garde, ce qui luy fut du tout refusé.

Et mesme le roy de Navarre n’estoit gueres plus asseuré que ledict prince de Condé, parce qu’il se voyoit eclairé de fort près, et environné de la garde, et de plusieurs compagnies de gens de pied qui estoient en la ville.

Au mesme temps Carrouges fut envoyé vers madame de Roye, sœur de l’Admiral, et belle mere du prince de Condé, pour visiter ses papiers, et la faire mener prisonniere à Sainct-Germain-en-Laye, comme ayant eu part à la conjuration d’Amboise : aussi esperoit-on trouver en sa maison plusieurs memoires qui serviroient à faire le procez audict prince. Peu après, son chancelier ou premier conseiller, appellé La Haye, fut aussi fait prisonnier, comme aussi le chancelier du roy de Navarre, nommé Bouchart, qui fut mené à Meaux avec les autres prisonniers qui avoient intelligence à l’entreprise de Lyon : et au mesme temps ledict baillif d’Orleans fut aussi pris, parce qu’il avoit le bruit d’estre fort factieux en la cause des protestans, qui estoient en grand nombre en la ville d’Orleans et ès environs.

Cela se faisoit pour retrancher par la racine la requeste des protestans, qui avoit esté presentée au Roy par l’Admiral, et pour intimider les deputez des provinces de parler en leur faveur. Aussi avoit-on donné bon ordre que nul ne fust deputé par les Estats, qui ne fust bon catholique. Et lors que les deputez arrivoient en la ville d’Orleans, l’on leur faisoit deffences de ne toucher aucunement au faict de la religion.

Et afin que nul ne trouvast estrange, s’il estoit possible, l’emprisonnement du prince de Condé, l’on disoit à la Cour qu’il avoit esté chef de la conjuration d’Amboise, ainsi que plusieurs tesmoins l’avoient deposé, mesmement ceux que l’on avoit fait mourir. Davantage, qu’il avoit juré à Genlis et plusieurs autres qu’il n’iroit jamais à la messe, et, non content de cela, qu’il avoit voulu faire surprendre la ville de Lyon par les pratiques et menées du jeune Maligny, auquel il en avoit donné la charge ; et que par ces moyens il estoit atteint et convaincu de crime de leze-majesté divine et humaine. Et pour rendre la cause plus claire, il fut envoyé un prestre avec son clerc en la chambre où il estoit prisonnier, pour luy dire la messe par commandement du Roy. Auquel le prince de Condé fit response qu’il estoit venu pour se justifier des calomnies que l’on luy avoit imposées, ce qui luy estoit de plus grande importance que d’ouir la messe ; laquelle response fut fort mal prise, et aussi qu’il ne fleschissoit point son grand courage pour estre prisonnier.

Et comme un jour quelques-uns de ses serviteurs et amis, qui avoient licence de le voir et luy parler en presence de sa garde, luy dirent qu’il falloit trouver quelque bon moyen de l’accorder avec ceux de Guise, ses cousins germains, qui luy pourroient faire beaucoup de plaisirs, il respondit, comme piqué de colere, qu’il n’y avoit meilleur moyen d’appointement qu’avec la pointe de la lance. Cette response fut trouvée bien digne de son courage, comme aussi plusieurs autres propos pleins de menaces, desquels il ne se pouvoit retenir, ce qui irritoit le Roy encore davantage et son conseil. De sorte qu’à l’instant l’on envoya querir Christophe de Thou, président, Bartelemy Faye, et Jacques Violle, conseillers au parlement, et Gilles Bourdin, procureur general du Roy, accompagnez du grellier du Tillet, afin de faire son procès.



CHAPITRE XI.


Procedures contre le prince de Condé, qui en appelle. Ruse de la Cour pour le surprendre. Fautes de l’advocat Robert son conseil. Ledict prince condamné à mort. Incompetence de ses juges. Privilege des chevaliers de l’Ordre. Si le Roy peut estre juge des princes du sang et des pairs de France. Divers exemples sur ce sujet. Faute du prince de Condé. Rigueur du Roy envers le prince. Le roy de Navarre en danger.


Les juges arrivez, furent au logis où il estoit prisonnier, et luy dirent la charge qu’ils avoient du Roy, en le priant et interpellant de respondre aux objections. Lors il demanda qu’il luy fust permis de communiquer avec son conseil, ce qui luy fut octroyé, encore qu’en matiere de crimes et principalement de leze-majesté, dont l’on le chargeoit, l’on ne soit pas receu de communiquer au conseil. Aussi-tost il envoya querir Claude Robert et François de Marillac, advocats au parlement de Paris, par lesquels il fut conseillé de ne pas respondre pardevant les commissaires susdicts, ains demander son renvoy pardevant les princes du sang et pairs de France, attendu sa qualité. Neantmoins le president luy fit commandement de respondre, auquel le prince declara qu’il en appelloit.

Le jour suivant, qui fut le quinziesme novembre, il fut dit par le conseil qu’il avoit mal et sans grief appellé ; et, l’arrest du conseil luy estant prononcé, il en appella derechef ; mais d’autant, qu’il n’y a point d’appel du Roy, séant en son conseil, parce que les arrests rendus au conseil privé, n’ont autre jurisdiction que l’absolue declaration de la volonté particuliere du Roy, pour cette cause ledict prince appella du Roy mal conseillé au Roy bien conseillé, à l’exemple d’un nommé Machetas, condamné par Philippe, roy de Macedoine.

Et combien que le president luy eust declaré qu’il eust à respondre pardevant luy, sur peine d’estre atteint et convaincu des crimes dont il estoit chargé, neantmoins, ayant encore appellé en adherantà son premier appel, et le tout rapporté au Roy ; afin que, sous sa taciturnité, il ne fust condamné comme convaincu, il fut advisé qu’il respondroit pardevant ledict Robert, son advocat, auquel il fut enjoint de demander audict prince ce qu’il vouloit dire sur les accusations et crimes que l’on luy mettoit sus, et de luy faire signer sa response, ce qu’il fit. Or, de ladite response l’on ne pouvoit rien tirer pour asseoir jugement sur sa condamnation ; toutefois l’on avoit gagné ce point sur luy, qu’il avoit respondu.

Sur cela l’on assemble grand nombre de chevaliers de l’Ordre et quelques pairs de France, avec plusieurs autres conseillers du privé conseil, par l’advis desquels, ainsi que plusieurs estimoient, après avoir veu les charges et informations, il fut condamné à la mort, dont l’arrest auroit esté signé de la plus grande partie. Cela estant, ledict advocat Robert, qui l’avoit au commencement bien conseillé, sembla avoir fait une grande faute, et luy avoir fait grand prejudice, de le faire respondre aux articles que luy avoit proposez le president ; mais il luy fit encore plus de tort de les luy faire signer, quoy qu’il eust commandement de ce faire : car le Roy ne le pouvoit aucunement contraindre de faire de son advocat son juge.

Et quant à l’incompetence des autres juges, il y avoit quelque apparence par l’ordonnance de Louis xi, parce qu’un simple chevalier de l’Ordre n’estoit tenu de respondre pardevant juges ny commissaires qui ne fussent tous de l’Ordre, ou pour le moins commis du corps et chapitre d’iceluy. A plus forte raison ne pouvoit-on proceder contre un prince du sang, chevalier de l’Ordre, lequel, par les anciennes ordonnances et coustumes en tel cas observées, ne pouvoit estre jugé que par l’assemblée des pairs de France, encore qu’il ne fust question que de l’honneur ; mais au faict du prince de Condé, il y alloit de la vie, des biens et de l’honneur.

Et de Faict, la Cour de parlement fit response au roy Charles vii, l’an 1458, que Jean d’Alençon, prince du sang, qui fut condamné à mort, ne pouvoit estre jugé, sinon en la presence des pairs, sans qu’il leur fust loisible de substituer. Et en semblable occasion, sur ce que le roy Louis xi demanda, lors qu’il fut question de faire le procez à René d’Anjou, roy de Sicile, la Cour fit mesme response, l’an 1475 ; et, qui plus est, il fut dit que l’on ne pouvoit donner arrest interlocutoire contre un pair de France, quand il y va de l’honneur, sinon que les pairs soient assemblez. Et mesme il y a une protestation faite, dès l’an 1386, par le duc de Bourbon, premier pair de France, au roy Charles vi, par laquelle il est porté que le Roy ne devoit assister au jugement du roy de Navarre, et que cela n’appartenoit qu’aux pairs. Et allegue une pareille protestation faite au roy Charles v, afin qu’il ne fust present au jugement et condamnation du duc de Bretagne, prince du sang ; et, où il voudroit passer outre, les pairs demanderent en plein parlement acte de leur protestation, ce qui leur fut accordé. Et, pour cette cause, Louis ix ne voulut pas donner sentence au jugement de Pierre Maucler, comte de Bretagne, ny au jugement de Thomas, comte de Flandres, ny Philippe-le-Long au jugement de Robert, comte d’Artois, tous princes du sang, et tous atteints de crime de leze-majesté : ains les arrests sont donnez au nom des pairs, et non pas du Roy. Et en cas beaucoup moindre, où il n’estoit question que de la succession d’Alphonse, comte de Poictiers, entre le roy Louis ix et les heritiers dudict comte, le Roy ne donna point son advis, ny mesme quand il fut question de l’hommage que devoient faire les comtes de Champagne ; ce qui fut jugé par les pairs de France, où le Roy estoit present, mais non pas juge, comme il se peut voir par l’arrest qui fut rendu l’an 1216, où les pairs de France donnerent leurs sentences comme seuls juges : et, sans aller plus loin, au procès du marquis de Saluces il fut soutenu que le Roy n’y devoit point assister, parce qu’il y alloit de la confiscation du marquisat.

A plus forte raison donc estoit-il besoin que les princes de France et les pairs fussent assemblez au jugement du prince de Condé, ou du moins appellez s’ils n’y pouvoient assister. Et si ledict prince n’eust respondu ny signé sa response, et que seulement il eust persisté au renvoy qu’il avoit requis, il ne pouvoit estre condamné ; car j’ay toujours ouy dire que le silence des accusez ne leur peut nuire, si les juges ne sont tels qu’ils ne se puissent recuser, et principalement quand l’accusé a demandé son renvoy, offrant de proceder pardevant ses juges, et sur le refus à luy fait qu’il aye appellé, comme avoit fait le prince de Condé. Cette formalité ne fut pas bien entendue par le comte de Courtenay[18], baron de Dammartin, lequel ayant respondu et procedé volontairement pardevant les commissaires de la Cour de parlement, le condamnerent à mourir, et fut executé l’an 1569, quoy qu’il fust chevalier et pris avec son Ordre.

Pour le regard du prince de Condé, le Roy, qui croyoit certainement qu’il avoit voulu attenter à son Estat et personne, et se faire chef de la conjuration d’Amboise, et introduire une nouvelle religion en France, ne vouloit recevoir aucunes raisons ny excuses qu’il alleguast, ny la princesse sa femme, laquelle sollicitoit jour et nuit, et se mettoit souvent à genoux devant Sa Majesté avec infinies larmes, suppliant de luy permettre qu’elle le vint voir et parler à luy. Mais le Roy ne se put tenir de luy dire tout haut que son mary luy avoit voulu oster sa couronne et Estat, et l’avoit voulu tuer.

Le roy de Navarre, qui n’osoit parler à elle, n’estoit pas aussi sans crainte, parce que le bruit estoit pour le moins qu’il ne bougeroit de prison serrée, s’il n’avoit pis. Et disoit-on qu’il estoit en grand danger d’estre aussi accusé de crime de leze-majesté : dont l’on dict que la Reyne, mere du Roy, luy donna advertissement, et de se preparer à ce qu’il devoit respondre. De sorte qu’estant mandé par le Roy pour la troisiesme fois pour aller parler à Sa Majesté, il dict à ses amis qu’il craignoit fort qu’on ne luy fist mauvais party ; mais, au contraire, le Boy luy usa de toute douceur, bonnes paroles et gracieuses remonstrances. Aussi le roy de Navarre, qui estoit bon prince, parlant à Sa Majesté, adoucit de beaucoup l’aigreur qu’elle pouvoit

avoir contre luy.


CHAPITRE XII.


Mort du roy François II. Le prince de Condé delivré. Reconciliation du roy de Navarre avec la maison de Guyse. Le roy de Navarre lieutenant general du Roy. Grand dessein pour la religion, echoué par la mort du Roy.


Mais d’autre costé, le Roy qui estoit malade avoit de si grands accidens, et s’affoiblissoit tous les jours de telle sorte, que l’on n’estimoit rien de sa santé ny de sa vie. Aussi Dieu le voulut appeller bientost après, et le retirer de ce monde en la fleur de sa jeunesse[19]. Et par ce moyen cesserent toutes poursuites contre le prince de Condé. L’on fit entendre à la Reyne mere du Roy qu’après la mort de son fils le roy de Navarre voudroit aspirer à la regence de France, durant la minorité du jeune Roy son autre fils, et qu’elle pourroit estre mal-traitée et demeurer sans authorité. Mais comme il ny avoit point d’occasion de luy oster, pour estre une princesse très-sage et vertueuse, qui ne vouloit ny ne desiroit que la grandeur de ses enfans et le repos du royaume, elle ne se donna pas beaucoup de peine de tels discours : aussi le roy de Navarre, qui n’estoit pas fort ambitieux, la supplia de croire qu’il ne prétendoit rien à la regence au lieu où elle seroit, et à l’heure mesme luy offrit son fidelle service et celuy de son frere, ainsi qu’il l’en avoit fait prier, la suppliant d’en demeurer asseurée.

Lors entre la Reyne et luy se moyenna une bonne intelligence, et par consequent entre la maison de Bourbon. De sorte qu’elle demeura dame et maistresse, avec l’authorité souveraine par tout le royaume, et celle de la maison de Guise un peu rabaissée ; ayant Sa Majesté faict si bien et usé d’une si grande prudence, qu’elle reconcilia le roy de Navarre avec eux, et les fit embrasser, les priant d’oublier tout le passé et de vivre à l’advenir comme bons parens et amis ; en quoy ceux de Guise recogneurent sa bonté, à laquelle ils se sentoient fort obligez.

Et afin que le roy de Navarre eust occasion de se contenter, elle luy promit qu’il seroit lieutenant general du Roy, ce qu’il estimoit à grand honneur, et dont il demeura bien satisfait. Beaucoup de catholiques estimerent lors que, si la puissance du duc de Guise et ses freres eust continué armée de celle du Roy, comme elle avoit esté, les protestans eussent eu fort à faire : car l’on avoit mandé tous les principaux seigneurs du royaume, officiers de la couronne et chevaliers de l’Ordre, pour se trouver en ladicte ville d’Orleans le jour de Noël, à l’ouverture des Estats, pour leur faire à tous signer la confession de la foy catholique, en presence du Roy, et de tout le chapitre de l’Ordre, ensemble à tous les conseillers du conseil privé, maistres des requestes, et officiers domestiques de la maison du Roy, et à tous les deputez des Estats. Et la mesme confession devoit estre publiée par tout ledict royaume, afin de la faire jurer à tous les juges, magistrats et officiers, et enfin à tous les particuliers, de paroisse en paroisse : et, à faute de ce faire, l’on y devoit proceder par saisies, condamnations, executions, bannissemens et confiscations. Et ceux qui se repentiroient et abjureroient leur religion protestante devoient estre absous.

Tellement que, si le Roy ne fut mort si tost, l’on prevoyoit qu’en peu de temps le mal, n’estant encore qu’à sa naissance, eust esté bientost estouffé ; et ceux de cette opinion nouvelle, estens reduits à l’extremité, eussent eu plus à faire à combattre contre les juges ou à demander pardon, qu’à faire la guerre en la campagne. Mais les hommes ayans ainsi proposé de leur part, Dieu dispose de la sienne tout autrement, par un nouveau roy et nouveau regne en France, qui apporta l’occasion d’autres nouveaux desseins.



  1. Des libelles diffamatoires. Ils se trouvent presque tous dans les Mémoires de Condé. Les plus remarquables sont : l’Advertissement au peuple de France, et la Response chrestienne et defensive sur les lettres envoyées par le Roy après la conjuration d’Amboise.
  2. Archambaut Duglas, comte d’Angus. Ce prince n’eut pas la tête tranchée. Il est vrai que le parlement d’Ecosse porta contre lui un arrêt de mort, mais il prit la fuite, et trouva un asile en Angleterre. (Robertson, Hist. d’Écosse, page 76, édition de 1821.)
  3. Du cardinal d’York. C’est le fameux Thomas Wolsey
  4. Offrant de se faire chef des protestans. Ce fait est contredit par tous les historiens contemporains. Henri VIII au contraire, après s’être déclaré chef de l’Eglise anglicane, maintint les principaux dogmes de la religion catholique, et punit les protestans avec la dernière rigueur.
  5. Gendre seulement de Henry I, roy d’Angleterre. Etienne étoit neveu, et non pas gendre de Henri I.
  6. Quarante-sept ans : lisez trente-sept ans.
  7. 1559 : lisez 1558.
  8. La pluspart d’iceux furent gagnez. Les évêques d’Angleterre, à l’exception de celui de Landaff, refusèrent au contraire de se prêter aux volontés d’Elisabeth, et ils furent chassés de leurs sièges. La majorité du clergé inférieur se soumit sans presque aucune résistance.
  9. Qui avoit duré huit cens ans. L’alliance intime de la France et de l’Ecosse n’avoit commencé qu’au quatorzième siècle, sous le règne de Philippe de Valois.
  10. La ville de Petitlit. Elle s’appeloit alors Petit Leith. Elle s’appelle aujourd’hui Leith.
  11. Huguenots. On attribue aussi l’origine de ce nom, donné aux protestans, à un mot allemand qui signifie association, alliance. A l’époque de la coujuration d’Amboise, les protestans soutenoient que ce sobriquet leur avoit été donné pour jeter du ridicule sur la maison régnante qui descendoit de Hugues Capet, et pour favoriser les prétentions des Guise, qui se disoient issus de Charlemagne. « Les Guise, écrivoient-ils, ont de long-temps composé par ensemble un sobriquet et mot à plaisir, par dérision de ceux qu’ils disent estre descendus dudict Hugues Capet, les appelant Huguenots, et enveloppans dans une telle contumelie, non seulement ceux qui s’efforcent de maintenir le florissant estat du royaume, mais aussi la personne du Roy nostre maistre, messeigneurs ses freres et tous les princes du sang. » Mémoires de Condé, tome I, page 22.
  12. Pour la comté de Dammartin. Philippes de Boulainvilliers et Odard de Rambures, frères utérins, se disputoient le comté de Dammartin. Boulainvilliers avoit cédé ses droits au counétable, et le duc de Guise avoit acheté les prétentions de Rambures.
  13. Un homme de lettres nommé La Planche. Regnier de La Planche, attaché à la maison de Montmorency, est l’auteur d’un ouvrage intitulé : Histoire de l’estat de la France, tant de la republique que de la religion, sous le regne de François II. Ce livre curieux manque d’impartialité. C’est une apologie continuelle des protestans : « Peu d’auteurs, observe M. Anquetil, ont écrit avec autant de passion ; il ne prêche la modération, ni de paroles ni d’exemple. »
  14. Dont l’auteur présumé. On ne put arrêter l’auteur. Un malheureux libraire, nommé l’Hommet, chez qui l’on avoit trouvé un exemplaire du libelle, fut pendu. Un marchand qui lui témoigna de la pitié pendant qu’il alloit à l’échafaud, fut saisi et exécuté peu de temps aprés comme complice.
  15. Du vidame de Chartres. François de Vendôme. Il avoit été l’amant de Catherine de Médicis, qui le sacrifie dans cette occasion. Il fut enfermé à la Bastille, et mourut aux Tournelles où il avoit été transféré pour être jugé par les chevaliers de l’ordre de Saint-Michel dont il étoit membre.
  16. Le concile national. Les protestans demandoient avec ardeur, comme on l’a vu, un concile national, et ils vouloient que leurs ministres y fussent admis, ce qui donna lieu l’année suivante au colloque de Poissy. Ils avoient aussi présenté à Catherine de Médicis un plan pour spolier le clergé de France. (Voyez Mémoires de Condé, tome I, page 384.)
  17. Comme il sera dict en son lieu. Le récit de la mort de Coligny ne se trouve pas dans les Mémoires de Castelnau, qui se terminent à la paix de 1570.
  18. Le comte de Courtenay. Au commencement de la première guerre civile, en 1562, ce seigneur, qui servoit à Orléans dans l’armée protestante, fut arrêté, et condamné pour viol. Il se dérobe au supplice. Sept ans aprés il fut puni pour d’autres crimes.
  19. En la fleur de sa jeunesse. On fit les vers suivans sur la mort de François II :

    Je n’eus, regnant, un seul jour de plaisance ;
    Et, comme on vit peu à peu de poison,
    Ainsy d’ennui, de soin et de soupçon,
    Se nourrissoit la fleur de ma jouvence ;
    Si qu’eux sucçant son humeur nourrissante,
    L’ont faict decheoir jà toute languissante.