Mémoires de Louise Michel/Chapitre XVII

F. Roy, libraire-éditeur (p. 215-220).
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XVII


J’appris en même temps l’amnistie et la maladie de ma pauvre mère qui venait d’avoir une attaque.

La nostalgie la tuait ; si je n’étais revenue elle mourait à cette époque.

Maintenant je l’ai moi-même couchée dans son cercueil, comme Marie et avec elle.

L’une dans mon châle rouge, l’autre dans une douce couverture qu’elle aimait (rouge aussi). Ainsi elles sont pour l’éternel hiver de la tombe et on me demande si je m’occupe de la liberté et du printemps qui refleurit les branches.

Suis-je lâche d’avoir enfermé mon cœur sous la terre ? Non, puisque je resterai debout jusqu’au dernier instant.

L’hiver qui suivit notre retour, Ferré fut transporté de la place où il était depuis dix ans dans la tombe de sa famille.

Un ami avait encore une bannière de 71 ; il l’apporta, les ossements y sont enveloppés.

Un bouquet d’œillets rouges y est enfermé.

Avez-vous remarqué, en regardant la vie, qu’elle apparaît noire ; les souvenirs y gravitent, attirés les uns par les autres, comme les mondes dans le noir des espaces stellaires.

Je suis rentrée de la déportation, fidèle aux principes pour lesquels je mourrai.

Les conférences que j’eus l’honneur d’être appelée à faire auront quelques pages explicatives.

En attendant, voici un témoignage qu’on ne peut suspecter de ménagements. C’est celui de M. Andrieux qui a eu la bête d’idée, pour nous démolir, de fonder un journal qui le démolissait lui-même avec tout le reste.

C’est une étrange chose pour un homme intelligent que cette façon de combattre !

La partie perfide de la chose a du reste raté, puisque, comme les camarades, j’ai fait insérer, dans le journal même, plusieurs lettres dans lesquelles je déclarais ne répondre que des insultes adressées au gouvernement et non de celles adressées sottement à d’autres groupes échelonnés sur le chemin de la révolution. J’ai toujours fait la guerre aux principes mauvais. Quant aux hommes ils m’importent aussi peu que moi-même.

Je n’ajoute rien ici, cette partie n’étant que le cadre de celles qui suivront.

Voici le compte rendu fait par M. Andrieux de la première conférence dont je viens de parler.


Mlle  LOUISE MICHEL ET LA RÉVOLUTION SOCIALE


« 21 novembre. — Aujourd’hui, à une heure, a eu lieu, à l’Élysée-Montmartre, la première conférence en l’honneur de Louise Michel.

« À une heure et demie, Louise Michel monte à la tribune et crie tout d’abord : « Vive la Révolution sociale ! » Elle ajoute : « La Révolution morte, c’est la Révolution ressuscitée ! »

« L’assistance répond par les cris de : « Vive Louise Michel ! Vive la Révolution ! »

« On apporte à l’héroïne plusieurs bouquets.

« Gambon affirme que la Commune est plus vivace que jamais, et que la France sera toujours à la tête des révolutions.

« Il exalte Jeanne d’Arc, victime de l’ingratitude d’un roi, et dit que Louise Michel a été victime de l’ingratitude de la République.

« Louise Michel reprend la parole :


Espérons, dit-elle, que nous ne verrons plus Paris changé en fleuve de sang. Le jour où tous ceux qui ont calomnié la Commune ne seront plus, nous serons vengés, et le jour où les Gallifet et autres seront tombés du pouvoir, nous aurons bien mérité du peuple.

Nous ne voulons plus de vengeance par le sang ; la honte de ces hommes nous suffira.

Les religions se dissipent au souffle du vent et nous sommes désormais les seuls maîtres de nos destinées. Nous acceptons les ovations qu’on nous fait, non pour nous, mais pour la Commune et ses défenseurs.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous accepterons ceux qui voudront marcher avec nous, bien qu’ils aient été contre nous jadis, pour le triomphe de la Révolution.

Vive la Révolution sociale ! Vivent les nihilistes !


« Ces cris sont répétés ; on y ajoute ceux de : Vive Trinquet ! Vive Pyat ! Vive la Commune !


« 1er  décembre. — Hier a eu lieu, salle Graffard, une conférence privée au profit des amnistiés…

« Le citoyen Gérard remercie Louise Michel du concours qu’elle veut bien prêter pour organiser cette réunion ; il salue en elle « le principe de la haine qui seul fait les grands révolutionnaires et les grandes choses ».

« Il lui présente deux bouquets. Louise Michel répond qu’elle les accepte au nom de la Révolution sociale et au nom des femmes qui ont combattu pour leur émancipation :


Oui, c’est le peuple que je salue ici, continue la citoyenne Michel, et en lui la Révolution sociale. (Applaudissements et cris de : « Vive la Commune. » )

Le temps où on mitraillait à Satory est présent devant nos yeux ; on voit encore les hommes qui nous jugeaient, ainsi que l’assassin de Transnonain, les Bazaine et les Cissey.

À la hotte, ces hommes que l’on croyait perdus pour toujours et qui reviennent la tête plus haute que jamais !

La réaction n’est plus qu’un cadavre relevé par le gouvernement, et celui-ci, pareil à un reptile, sera écrasé lorsqu’il voudra passer parmi nous.

Aujourd’hui, c’est le vaisseau-fantôme qui s’avance ; c’est le peuple, encore forçat traînant sa chaîne, qui nous délivrera des hommes qui nous ont perdus et conquerra lui-même ses libertés.


« Louise Michel ajoute qu’elle fait vendre « le Vaisseau-fantôme », au bénéfice des amnistiés. »


J’ai été fidèle à mon programme, il m’en coûte la vie de ma mère, de ma pauvre mère bien-aimée.

Quand dormirai-je, moi aussi, à l’ombre des bannières rouges et noires ?

En attendant, qu’on laisse sur les pages en deuil ces roses effeuillées sur les tombes !


LES ROSES

Fleurissez, roses embaumées ;
Fleurs de l’espoir et de l’été,

Les brises toutes parfumées
Vous emportent en liberté.

Rose de l’églantier sauvage
Que dore le soleil levant,
Tu tomberas au vent d’orage
Feuille à feuille dans le torrent.

Roses blanches, fières et belles,
Fleurissez pour les fronts charmants
Que la mort couvre de ses ailes.
Roses de mai, douces et frêles,
Parez les tombes des enfants.

Ô roses, le vent a des ailes ;
Mais tant que le sol sera chaud,
Il naîtra des roses nouvelles,
Toutes fraîches pour le tombeau.

Et toi, rose du cimetière,
Fleuris à l’ombre doucement.
Et, blanche ou rouge, dans le lierre
Élève ton front rayonnant.

À Clermont, devant ma fenêtre,
Fleurissait un grand rosier blanc.
Quand la fleur s’ouvre on voit paraître
Sur sa chair un filet de sang.

Ma mère aimait ces belles roses.
C’était fête quand je pouvais
En envoyer fraîches écloses ;
Elle n’en aura plus jamais.