Mémoires de Louise Michel/Chapitre VIII

F. Roy, libraire-éditeur (p. 82-99).
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VIII


Lorsque nous étions, Julie et moi, chez Mme Vollier, toujours vêtues de même, grandes toutes deux et toutes deux brunes, on nous prenait pour les deux sœurs ; on nous appelait les demoiselles Vollier. En 71, quand on prit sur moi des informations minutieuses, je dus indiquer cette particularité.

Deux de mes cousines étaient alors sous-maîtresses : l’une à Puteaux, l’autre à La Chapelle. Nous avions à peu près les mêmes recettes, c’est-à-dire ce que l’instruction rapportait à cette époque. Nous n’en étions pas plus tristes ; il était reconnu que cela devait être ainsi sous le règne de Sa Majesté Napoléon III comme sous celui de ses devanciers. Nul état où l’on eût moins d’argent ; nul état où l’on sût aussi bien s’en passer — on était un peu bohème !

Mme Vollier, malgré son âge, autant que toutes les femmes qui vivent de leur travail, savait rire au nez de la situation ; certaines femmes de lettres de nos amies en supportaient bien davantage ! On se faisait de tout cela, les jeudis soir, ensemble, de fameuses dérisions autour de bonnes tasses de café fumant.

Je me gardais bien de dire à ma mère que les recettes avaient grand-peine à égaler la dépense (quelque restreinte qu’elle fût) dans les externats où le loyer montait haut.

Ayant bien reconnu qu’il n’y avait rien à gagner et ne possédant rien ni les unes ni les autres, mais n’aimant pas à publier ces choses-là, nous résolûmes, Mme Vollier, Julie et moi, de nous associer. Cela faisait bien et il y avait le résultat d’envoyer à ma mère un acte d’association en bonne et due forme qui fit cesser les choses qu’on lui disait : Votre fille ne gagnera jamais rien ! Elle dépense tout et il ne faut plus rien lui envoyer, etc. ; une cuisinière gagne dix fois plus.

Nous le savions, parbleu, bien, qu’il n’y avait rien à gagner dans l’instruction ! Mais il y avait encore bien moins dans tout autre état de femme quand on ne veut pas faire danser l’anse du panier. Est-ce qu’ils sont meilleurs aujourd’hui les états de femmes ? Il est vrai que ceux des hommes ne valent guère mieux ! La pauvre Mme Vollier, coquette pour nous comme une mère, trouvait moyen que Julie et moi nous fussions coquettement mises.

Il me souvient de chapeaux de crêpe blanc avec des bouquets de marguerites, de robe de grenadine noire, de mantelets de dentelle ; mais les billets ou le Temple aidant, nous étions parées pour beaucoup moins qu’on n’aurait cru.

Ma chère mère, de son côté, trouvait moyen de m’envoyer un peu d’argent qui, par malheur, passait en livres ou en musique. Je me le reproche maintenant, mais au moyen de l’acte d’association elle était tranquille et les lamentations des imbéciles sur le tort qu’elle avait eu de ne point m’avoir forcée à me marier avaient cessé : le papier marqué de l’acte leur en avait imposé. Il n’y avait plus rien à dire : j’étais associée dans un externat à Paris ! !

Nous n’étions certes paresseuses ni les unes ni les autres, mais les maisons d’éducation étaient l’une sur l’autre dans le quartier et les loyers fort chers.

Après les classes, il y avait les leçons du soir : Mme Vollier elle-même, quoique fort âgée, en donnait. Elle disait à ses fils (en minime partie) les mêmes mensonges que je faisais en grand à ma mère. Mme Vollier espérait, à la démolition du no 14 de la rue du Château-d’Eau, avoir une indemnité avec laquelle nous eussions eu un externat dans les faubourgs. Julie ayant reçu une petite somme de sa famille alla s’établir dans un quartier populeux ; elle nous abandonna sa part de l’association et acheta son externat du faubourg Antoine. Je ne voulus pas la suivre. Mme Vollier était âgée et Julie était jeune, mais les jours de congé nous étions ensemble, j’y donnais des leçons de musique les soirs de jeudi.

Ces détails sont trop courts, mais cette charpente de ma vie rendrait le livre moins incomplet si la mort le fermait.

— Si votre fille gagne tant, disait-on à ma mère, comment ne vous fait-elle jamais quelque petite surprise ?

Inquiète elle vint à Paris ; je ne pouvais aller la voir aux vacances : on n’a que huit jours, dans les externats, sous peine de perdre ses élèves. Les parents, ayant pendant toute l’année leurs enfants chez eux à part le temps des classes, ne veulent ou ne peuvent les avoir complètement pendant plus de huit à dix jours. Les leçons particulières surtout n’admettaient pas plus de vacances.

Et puis, comment ferait-on pour le terrible loyer s’il se trouvait un mois sans recette ?

Quant à être malheureuse autrement que par la lutte pour l’existence, je ne l’ai jamais été dans l’instruction ; j’étais jeune, et j’avoue qu’aux récréations je m’amusais parfaitement avec les grandes : nous fabriquions séance tenante des drames, qu’on jouait aux petites (avec les décors au tableau pour l’intelligence de la pièce). Jeune je suis restée, à travers tout et, jusqu’à la mort de ma mère, peut-être, j’eus le cœur jeune ; depuis ce jour-là il n’y reste pas une goutte de sang.

Maintenant je suis désintéressée de la vie, tout est fini, et je serai dans le combat suprême (celui où nous donnerons tous) froide comme la mort.

C’est par groupes que je revois les élèves du Château-d’Eau : le groupe des grandes, deux ou trois de haute taille, Léonie C…, Aline M…, Léopoldine ; — celui des blondes, deux au large front, aux yeux d’un bleu d’acier, Héloïse et Gabrielle ; — un groupe aux yeux noirs, Alphonsine G…, et les deux sœurs L… ; — un groupe de pâles, Joséphine L…, la petite Noël, Marie C… Et des petites si brunes qu’elles en étaient noires : Élisa B… qui toute petite avait les traits accentués des races du Midi, Julie L… dont la voix était énorme en attendant qu’elle fût belle, Élisa R… qui jouait son morceau des prix, n’ayant pas encore les quatre ans qu’avait Mozart. Et tant d’autres et toutes, que sont-elles devenues ? Là, comme dans la Haute-Marne, comme à Montmartre, comme en Calédonie, on comprend pourquoi je ne mets que des initiales.

Qui sait si mes Mémoires ne seront point un jour feuilletés pour servir à l’arrestation de ceux qui m’ont rencontrée ! S’ils allaient être accusés d’anarchie pour m’avoir connue !

Nous disions que ma mère inquiète était venue à Paris pour se rendre compte par elle-même.

Entre elle et Mme Vollier qui ressemblait à ma grand’mère, s’établit une vive amitié. Que de mal elles disaient ensemble de moi, les pauvres femmes ! Mais quelle bonne quinzaine nous avons passée, à part le soir même de l’arrivée de ma mère, où, dînant ensemble toutes trois, je me trouvais si heureuse qu’il me semblait inévitable que ce bonheur fût troublé. J’avais raison.

Un grand escogriffe aux yeux louches, porteur d’un billet à ordre que j’avais complètement oublié, se présenta tout à coup.

C’était juste au moment où je vantais à ma pauvre mère (non pour le plaisir de la tromper, mais pour la rassurer) la résolution que j’avais prise de ne plus souscrire d’effets pour des livres : le silence de Mme Vollier ne me présageait rien de bon, l’entrée de l’escogriffe me donna le plus beau démenti possible.

Mme Vollier alors, pour que ma mère fût tranquille, prit sur l’argent du loyer (dont ses fils venaient d’apporter le complément) de quoi payer le billet. Ma mère rendit cette somme après son retour à Vroncourt ; elle me faisait observer doucement combien les achats de livres lui avaient déjà causé de privations. Je fus longtemps sans recommencer, mais c’était rude, il y avait tant de publications qui me tentaient ! C’était tout, pour être vraie !

Heureusement l’instruction élémentaire était là. Les cours de la rue Hautefeuille ayant lieu la plupart à dix heures du soir, on pouvait s’y échapper souvent et les librairies étaient fermées en revenant.

Là, dans la longue nuit de l’Empire, on avait des échappées de vue sur des temps meilleurs. Qui aurait pensé alors que quelques-uns de ces hommes, qui parlaient si bien de liberté, qui flétrissaient si haut les crimes de l’homme de Décembre, se trouveraient parmi ceux qui voulaient noyer la liberté dans le sang de mai 71 ?

Le pouvoir donne ces vertiges, il les donnera toujours jusqu’à l’heure où il appartiendra à l’humanité entière.

En toute vie individuelle, sont les mêmes transformations que dans l’ensemble d’existences qui s’agitent à travers les siècles : dans l’enfance, la jeunesse, la virilité du genre humain.

Aux heures de la jeunesse, tout esprit humain ne fait-il pas bon marché des songes d’enfance, où il s’occupait de lui-même ? L’individu isolé s’efface ou ne daigne plus songer bêtement à sa petite personne.

Peu importe alors que le temps ait manqué pour faire les études assez larges et que, rêvant les arts, on ne soit qu’une machine à leçons. C’est avec son époque entière qu’on sent, qu’on souffre, qu’on est heureux, et tout l’amour, toute la haine, toute l’harmonie, toute la puissance qu’on possède, on jette tout cela aux effluves qui vous emportent ; on n’est rien, et on fait partie de ce qui est tout : de la Révolution !

Chez Mme Vollier j’envoyais quelques vers à des journaux, l’Union des poètes, la Jeunesse, et autres, mais j’avais déjà tant effeuillé de choses que je n’y faisais guère attention ; de tout cela j’ai ignoré souvent ce qui a paru.

J’envoyais à Victor Hugo, dans son exil, les poèmes qui me semblaient à peu près bons.

Mais le temps était loin où je lui adressais de Vroncourt des vers que le maître indulgent disait doux comme mon âge.


Moi, je suis la blanche colombe
Du noir arceau
Qui, pour l’arche, à travers la tombe
Cherche un rameau


Ce que je lui envoyais maintenant sentait la poudre.


Entendez-vous tonner l’airain ?
Arrière celui qui balance !
Le lâche trahira demain !
Sur les monts et sur la falaise,
Allons, semant la liberté.
Souffle par l’orage emporté,
Passons, vivante Marseillaise.
Passons, passons les mers, passons les noirs vallons.
Passons, passons ; que les blés murs tombent dans les sillons


Ces mêmes vers, la Marseillaise noire, furent jetés par moi, un jour de 14 juillet, dans la boîte du guichet de l’Échelle, avec d’autres adressés à Mme Bonaparte ; ces derniers, commencés en collaboration par Vermorel et moi, avaient été revus et augmentés par d’autres amis avec le même dédain de la rime, mais avec des expressions, disaient-ils, plus appropriées à la circonstance, si le mot appropriées exprime la chose !

Je crois qu’à part le premier couplet et le dernier, nul des collaborateurs n’eût osé lire tout haut cette pièce :


air de Malbrough
1er couplet.

Bonjour, mam’ Bonaparte…
Mironton, etc.
Comment nous portons-nous ?
Ma foi, monsieur l’cent-garde,
Mironton, etc.
Ça va pas mal, et vous ?

Dernier couplet.

Gueuses, Robert-Macaires,
Mironton, etc.
Vendus et tripoteurs,
Vous êtes les affaires,
Mironton, etc.
Loques des chiffonniers !


Combien de fois on devait croire le jour arrivé de les jeter aux chiffons, les loques de l’Empire, et toujours il durait ! Rien de solide comme les ruines, rien qui dure plus que les haillons.

Allant chez Julie, un jour de congé, je me croisai avec une multitude qui parcourait le boulevard ; je crus l’heure arrivée !

Mais c’était M. J. Miot qu’on emmenait en prison, Quelques-uns de ceux qui suivaient les masques du carnaval les avaient quittés pour voir emmener le vieux républicain par les valets de l’Empire ; cette foule joyeuse au jour de deuil n’est pas le peuple, c’est la même qu’on voit aux exécutions capitales et qu’on ne trouve jamais quand il faut soulever les pavés.

C’est le tas des inconscients qui, sans le savoir, étayent les tyrannies, prêts à prendre à la gorge et à entraîner sous l’eau quiconque veut les sauver ; c’est le grand troupeau qui tend le cou au couteau et marche sous le fouet.

Sous l’Empire, comme à toutes les époques où les nations sont des abattoirs, la littérature était étrange ; des troppemaneries emplissaient les livres ; il y avait des cadavres oubliés derrière chaque feuillet, comme si en écrivant on eût regardé chez Napoléon III. Tout sentait fade, des mouches de charnier volaient sur les livres.

Aussi des ouvrages charmants d’Adèle Esquiros dormaient, attendant des temps plus propices. Parfois, elle nous en lisait quelques pages, fraîches amours, gracieuses images, qui donnaient l’impression de ces matinées de printemps où la rosée couvre les fleurs, où le soleil brille dans les branches. Il y avait bien quelques passages amers. Mais quelque fine plaisanterie en voilait la tristesse.

Que sont devenus tous ces manuscrits, je ne les ai jamais vus paraître !

Il est vrai qu’entre la déportation et la prison j’ai eu peu de temps pour visiter les amis. Adèle Esquiros est paralysée depuis plusieurs années ; et toujours, comme autrefois, elle subit, le sourire aux lèvres, le mauvais destin.

Un jour de dimanche, seule chez Mme Vollier, j’essayais des airs qui, je le savais bien, ne verraient jamais le jour, pas plus que les paroles (réminiscences peut-être de mon amour pour le diable). C’était un opéra fantastique.

Je puis bien l’avouer à présent, ni plus ni moins qu’un opéra : le Rêve des sabbats.

Quand on a bravement pris son parti sur ceci, qu’il est impossible de trouver des éditeurs quand on n’est pas connu, et qu’on ne peut cependant être connu tant qu’on n’a pas trouvé d’éditeurs, on ne s’amuse pas à traîner ses manuscrits dans les antichambres, on continue son état, quel qu’il soit. Si on n’en avait pas, on se ferait plutôt chiffonnier que d’aller chercher des recommandations. On éprouve même un certain plaisir à jeter au vent strophes, motifs, dessins. Que tout cela tombe et s’effeuille sous tes pas, Révolution, jusqu’au jour où tous se déploieront librement !

Comme j’essayais mes diableries, et que j’en étais à la chasse infernale :


La coupe est rougie
Du vin de l’orgie.
Effeuillons, chasseurs,
Et femmes et fleurs


on sonna à la porte. C’était une vieille dame juive, droite comme le spectre du commandeur et encore d’une grande beauté ; on eût dit son visage taillé dans du marbre : elle était grand’mère d’une de mes élèves.

— Est-ce bien vous, dit-elle, qui vous permettez la sauvagerie que je viens d’entendre ?

— Mais… oui, c’est moi.

— Je suis sûre que vous n’oseriez pas recommencer ces horreurs devant moi ; voyons, pour vous punir, je veux entendre le reste.

Et la voilà qui fait si bien que je recommence.

Les motifs sauvages l’indignaient, mais il fallut aller toujours, et puis elle fut moins dure pour certaines choses ; elle aimait les chants d’amour.

La ballade du squelette lui plut.


Toi qui chantes si tard aux murs verts des tourelles,
Jeune fille, ouvre-moi.
Viens ; j’ai de blanches mains et des amours fidèles
Et j’aurai des éclairs dans mes yeux sans prunelles
Pour regarder encor la reine du tournoi.


À la fin de la ballade, bien entendu, la jeune fille aime le squelette et le suit dans l’inconnu ; ils s’en vont dans une vallée solitaire où l’on n’entend nul bruit qu’un solo de luth.

Ma vieille dame daigna approuver le lai du troubadour.


L’oiseau chantait
Et frissonnait
Sous la feuillée
Et dans le vent l’âme envolée
Pleurait, pleurait.


Le plan de la pièce était des plus simples : après la destruction de la vie sur notre planète, l’enfer s’y établit et se trouve d’abord plus à l’aise.

Au premier acte, on voit que la fin du globe a eu lieu par une révolution géologique ; le théâtre représente quelque chose comme un paysage lunaire ; Satan est assis sur le haut d’un des édifices de Paris dont la base, comme toute la ville, est ensevelie sous les laves.

L’amour de Satan et de don Juan pour la même druidesse cause toutes les péripéties et allume une guerre infernale.

Tous les personnages qui m’avaient plu dans l’histoire, la poésie, les légendes, y avaient une place suivant le caractère.

La fin était l’émiettement du globe, les esprits s’assimilant aux forces de la nature dont on entendait le chœur dans une nuit traversée d’éclairs.

Tapage général de l’orchestre diminuant peu à peu ; tantôt les uns, tantôt les autres des instruments se taisent ; il ne reste plus qu’un chœur de harpes cessant elles-mêmes l’une après l’autre ; une seule reste et s’éteint dans un pianissimo plus doux que la chute de l’eau sur les feuilles ; ainsi doivent s’égrener les dernières notes jusqu’au silence.

Il y avait tous les instruments depuis le canon jusqu’à l’harmonica, des harpes, des lyres, des flûtes, des clairons, des guitares.

Un chœur de diables s’exprimaient sans paroles avec des violons (une vingtaine de violons).

Il aurait fallu, pour cet orchestre monstre, une enceinte de montagnes avec les spectateurs au parterre dans la vallée, ou toute une baie du nouveau monde.

Après l’imitation grotesque, sur le piano, des notes de harpe, ma Juive m’envisagea avec stupeur :

— Malheureuse ! mais c’est de vous ces monstruosités-là !

Je ne répondis pas.

— Le plus malheureux c’est qu’il y a des choses bien.

— S’il n’y avait rien je ne serais pas assez bête pour m’en occuper.

— Mais vous savez bien que pour se livrer à ces choses-là il faut être riche ou connu.

— Aussi je ne m’y livre pas, je reste dans l’instruction, et la preuve, c’est que je laisserai telle qu’elle est cette chose qu’on ne peut exécuter sur un théâtre ; c’est bien un rêve, qu’il soit des sabbats ou de la vie ; ainsi je jette et j’ai jeté d’autres rêves.

Elle me prit la main, la sienne était toute froide.

— Et votre cœur, où le jetterez-vous ?

— À la Révolution !

Elle s’assit au piano et, ses mains glacées glissant sur les touches froides, elle commença je ne sais quelle invocation au Dieu d’Israël ; on y sentait le désert, le calme de la mort et ce calme allait jusqu’au cœur.

À quelque temps de là, mon fantôme me conduisit un samedi à la synagogue.

L’étrangeté des rites et du rythme, une sorte de Kyrie d’une allure grandiose, tout cela me prit ; elle crut, me voyant des larmes dans les yeux, que j’étais touchée de la grâce de Jéhovah.

— Non, lui dis-je, c’est l’impression qui m’a prise et peut-être en est-il ainsi de tout.

Je ne sais trop pourquoi j’ai détaillé si longuement le Rêve des sabbats ; je crois même l’avoir en partie transcrit lisiblement pour le donner à notre ami Charles de S…, quelques années avant la Commune, mais j’ai, par paresse, substitué à la catastrophe finale un apaisement qui me sauvait une dizaine de feuillets ; c’est si ennuyeux de mettre au net.

De l’orchestre, s’éteignant jusqu’à la dernière note de la dernière harpe, que l’esprit brise en s’éteignant, rien de tout cela ne m’avait paru valoir un effort de travail.

La Révolution se levait ! à quoi bon les drames ? Le vrai drame était dans la rue ; à quoi bon les orchestres ? Nous avions les cuivres et les canons.


Nous nous étions souvent rencontrés dans une même idée, Charles de S… et moi. La dernière fois ce fut au sujet d’un piano dont les marteaux eussent été remplacés par de petits archets pour donner à la poitrine clapotante du piano un peu de la passion du violon.

J’avais fait à ce sujet un article publié dans le Progrès musical avec la signature Louis Michel.

J’avais eu plusieurs fois l’occasion de remarquer qu’en jetant dans la boîte d’un journal quelconque des feuillets signés Louise Michel, il y avait cent à parier contre un que ce ne serait pas inséré ; en signant au contraire Louis Michel ou Enjolras, la chance était meilleure.