Traduction par Ernest de Blosseville.
Arthus Bertrand (2p. 37-55).


CHAPITRE XXIV.


Expiation et vengeance. — Poltronnerie d’un Indien. — Rixe nocturne. — Griefs contre les blancs. — Dévouement maternel. — Combat. — Un seul guerrier contre un parti. — Pressentimens. — Projets. — Un missionnaire. — L’Indien baptisé. — Le duel chez les Indiens. — Rivalité de chasse.


Peu de jours après cette sanglante orgie, Tabush-shish fut atteint d’une maladie violente : une fièvre ardente le dévora, sa maigreur devint effroyable ; il paraissait mourant. Enfin, il envoya à Wa-me-gon-a-biew deux chaudières et d’autres présens d’une valeur considérable, en lui faisant dire : « Mon ami, je vous ai rendu difforme et vous m’avez rendu malade. J’ai beaucoup souffert, et si je viens à mourir mes enfans souffriront bien plus encore. Je vous envoie ce présent pour que vous me laissiez vivre... » Wa-me-gon-a-biew fit répondre par son messager : « Je ne vous ai point rendu malade, je ne saurais vous rappeler à la santé, et je ne veux pas de vos présens. » Il languit pendant plus d’un mois dans un état de maladie tel que tous ses cheveux tombèrent ; alors il entra en convalescence, et, quand il fut à peu près guéri, nous partîmes tous pour la prairie. Là nous nous séparâmes en diverses directions, à de grandes distances les uns des autres.

Après nos chasses du printemps, nous songeâmes à marcher contre les Sioux, et un faible parti de guerre se forma parmi nos plus proches voisins : nous les accompagnâmes, Wa-me-gona-biew et moi ; Wa-ge-to-te ne tarda pas à nous rejoindre avec soixante hommes, et en quatre jours de marche nous arrivâmes à un petit village que Ta-bush-shish était venu habiter. Ce fut près de sa cabane que se fit notre campement. Au moment de partir, nous le vîmes se présenter tout nu, peint et orné comme pour la guerre, tenant ses armes à la main. Il vint lentement à nous avec un air très irrité ; mais nul de nous ne comprit pleinement son dessein qu’à l’instant où nous le vîmes appuyer le canon de son fusil sur le dos de Wa-me-gon-a-biew : « Mon ami, lui dit-il, nous avons vécu assez long-temps ; nous nous sommes donné assez de tourment, assez fait de mal l’un à l’autre. On vous a prié, de ma part, de vous contenter de la peine et de la maladie que vous m’avez fait souffrir ; vous ne l’avez pas voulu. Le mal que vous continuez à m’infliger me rend la vie insupportable, il faut donc que nous mourions ensemble. » Un fils de Wa-ge-to-te et un autre jeune homme, voyant l’intention de Ta-bush-shish, lui présentèrent la pointe de leurs flèches, chacun de son côté, mais il n’y fit pas attention. Wa-me-gon-a-biew, intimidé, n’osa point lever la tête.

Ta-bush-shish aurait voulu se battre à mort avec lui à chances égales ; mais il n’eut pas le courage d’accepter cette offre. Depuis cette rencontre, j’estimais Wa-me-gon-a-biew moins encore qu’auparavant. Il avait moins de bravoure et de générosité que le commun des Indiens. Ni Ta-bush-shish ni aucun homme de sa bande ne vinrent se joindre à notre parti.

Nous poursuivîmes notre marche, errant de place en place, et, au lieu d’aller droit à nos ennemis, nous passâmes la plus grande partie de l’été au milieu des bisons. A la chute des feuilles, je retournai à Pembinah. Je voulais me rendre de là au quartier d’hiver du traiteur qui m’avait proposé de m’aider à regagner les États. J’appris alors la guerre allumée entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, je connus aussi la prise de Mackinac, et cette nouvelle me détourna de tout projet de traverser les frontières où les deux peuples combattaient.

Au printemps suivant, il y eut un mouvement général des Ojibbeways de la rivière Rouge vers le pays des Sioux. L’intention réelle ou, du moins, l’intention avouée était de chasser et non de les attaquer ou de les inquiéter. Je marchai avec une bande nombreuse, sous la conduite d’Ais-ainse, dont le frère, Wa-ge-to-ne, était un homme de grande considération. Nous remontions la rivière Rouge depuis près d’une centaine de milles, lorsque nous rencontrâmes un traiteur, M. Hanie, qui nous donna un peu de rhum. J’occupais alors, en commun avec plusieurs autres hommes, presque tous parens de ma femme, et avec leurs familles, une longue cabane où il y avait deux ou trois feux. Il était minuit ou un peu plus tard, et je dormais, lorsque je sentis soudain un homme me saisir par la main et m’attirer à lui. Un reste de brasier brûlait encore dans la cabane ; je reconnus, dans l’apparition menaçante qui se montrait devant moi, la figure colérique de Wa-ge-to-ne, le frère d’Ais-ainse, notre principal chef. « J’ai solennellement promis, me dit-il, que, si vous veniez avec nous dans ce pays, vous ne vivriez pas ; debout donc, et soyez prêt à me répondre, »

Il passa ensuite à Waw-zhe-gwun, l’homme qui dormait le plus près de moi, et lui adressa les mêmes menaces avec une égale insolence. Mais, pendant ce temps-là, un vieillard, mon parent, nommé Mah-nuge, couché un peu plus loin, avait compris le motif de sa visite et l’attendait debout, un couteau à la main ; Wa-ge-to-ne, arrivant à lui, reçut une vive réponse. Il revint à moi, tira son couteau et me menaça d’une mort immédiate. « Vous êtes un étranger, me dit-il, un de ces hommes qui sont venus en grand nombre de lointaines contrées se nourrir, eux et leurs enfans, de ce qui ne leur appartient pas. Vous êtes chassé de votre terre natale, et vous êtes venu parmi nous, parce que vous êtes trop faible et trop peu digne d’avoir une cabane et un pays qui vous appartiennent. Vous avez visité nos meilleurs cantons de chasse, et partout vous avez détruit tous les animaux que le Grand Esprit nous a donnés pour notre subsistance. Éloignez-vous donc d’ici, et ne nous restez pas plus long-temps à charge, ou bien je prendrai votre vie. »

Je lui répondis que je ne me rendais point dans la contrée que nous allions visiter dans la seule intention de chasser les castors ; mais, qu’en fût-il ainsi, j’avais les mêmes droits que lui et assez de force pour les soutenir. Cette altercation commençait à devenir bruyante, lorsque le vieux Mah-nuge intervint, armé de son couteau, et mit à la porte de la cabane le turbulent Wa-ge-to-ne, à moitié ivre. Nous restâmes long-temps sans le voir, mais son frère nous dit de n’attacher aucune importance à ses paroles.

À ce campement, nous fûmes rejoints par un messager que Muk-kud-da-be-na-sa (l’oiseau noir), Ottawwaw de Waw-gun-uk-ke-sie ou l’arbre croche, envoyait annoncer aux hommes de sa nation son arrivée du lac Huron pour les conduire dans ce pays. Nous fîmes donc volte-face, et chacun rétrograda de son côté, jusqu’à ce qu’il ne restât plus que Wa-ge-to-ne, qui alla se joindre aussitôt à un gros d’Ojibbeways partant du lac Leech. Une partie de cette bande s’arrêta à la rivière du Riz sauvage, et occupa le fort ou camp retranché dont j’ai déjà parlé. Là ils se mirent à chasser et à tendre des piéges, et comme ils étaient dispersés sans précaution, un parti nombreux de Sioux parut dans le voisinage.

Ais-ainse, le chef ojibbeway, rentra un soir après une chasse heureuse ; il avait tué deux élans. Le lendemain matin, sa femme et son jeune fils allèrent boucaner la venaison. Ils étaient déjà fort loin de la cabane, lorsque le petit garçon découvrit, le premier, les ennemis à peu de distance, et dit à sa mère : « Voici les Sioux qui viennent. » La vieille femme tira son couteau, coupa le ceinturon qui serrait une couverture autour du corps de son fils, et lui dit de courir de toutes ses forces vers la cabane. Puis, son couteau à la main, elle courut elle-même à la rencontre du parti qui s’avançait.

L’enfant entendit plusieurs coups de fusil, et l’on ne sut rien autre chose du sort de sa mère. L’enfant courut long-temps, et se voyant serré de prés par les ennemis, perdit toute connaissance. Enfin il parvint au camp retranché en état d’aliénation mentale ; les Sioux n’étaient guère plus qu’à cent cinquante verges de lui. Il vomit le sang pendant plusieurs jours, et ne retrouva jamais sa force et sa santé, quoiqu’il vécût encore près d’une année.

Plusieurs Ojibbeways chassaient dans d’autres directions que celle où la femme d’Ais-ainse avait rencontré les guerriers sioux ; aussitôt que les ennemis cessèrent d’être en vue du fort, plusieurs jeunes hommes furent dépêchés, et reconnurent que les Sioux suivaient la trace des chasseurs. Deux d’entre eux, par une voie détournée, rejoignirent Ais-ainse au moment où les Sioux rampaient pour faire feu sur lui ; un engagement s’ensuivit, et dura long-temps, sans perte d’aucun côté.

Enfin, un Ojibbeway fut blessé à la jambe, et ses compagnons reculèrent un peu pour lui faciliter les moyens de se retirer à l’abri de quelques buissons ; mais ce mouvement n’écbappa pas aux Sioux : l’un d’eux suivit le jeune guerrier sans être aperçu, le tua et enleva sa chevelure et sa médaille. La victime était le fils préféré d’Ais-ainse. Le vainqueur étala ses trophées aux yeux des Ojibbeways en leur adressant des insultes et des bravades. Le malheureux pére, exaspéré, à l’aspect des dépouilles de son fils, s’élança de son abri, tua un des Sioux, lui coupa la tête et la montra en triomphe au reste des ennemis. Les autres Ojibbeways, animés par le courage de leur chef, coururent ensemble en avant, et les Sioux s’enfuirent.

Un autre homme, fort distingué par les Ojibbeways, et portant aussi le nom de Ta-bush-shish, avait chassé avec un seul compagnon dans une direction différente. Le bruit de la fusillade étant parvenu jusqu’à lui, soit lorsque la vieille femme fut tuée, soit pendant le combat d’Ais-ainse, il regagna le camp retranché. Presque au même instant, un Indien accourut, apportant des nouvelles de l’action où le chef se trouvait engagé. Ta-bush-shish avait deux beaux chevaux : « Be-na, dit-il à un de ses amis, je crois que vous êtes un homme ; voulez-vous monter un de mes chevaux et venir voir avec moi ce qu’Ais-ainse a fait tout le jour ? Ne serait-il pas honteux de le laisser combattre ainsi sans essayer de lui porter le moindre secours ? Il y a ici plus de cent de nos compagnons qui tremblent à l’abri de nos retranchemens, tandis que notre frère se bat comme un homme, soutenu seulement par quatre ou cinq jeunes guerriers. »

À ces mots, ils suivirent les traces des Sioux jusqu’à un endroit où plusieurs de ces ennemis se reposaient autour d’un feu ; ils s’en approchèrent en se traînant, mais ne croyant pas l’occasion favorable pour tirer, tous deux allèrent s’embusquer dans la neige, sur la route que les Sioux paraissaient devoir suivre. La nuit n’était pas très noire : lorsque les ennemis passèrent, en grand nombre, auprès de l’embuscade, Tabush-shish et Be-na se levèrent tout à coup et firent feu sur eux ; puis Be-na prit la fuite, ainsi qu’il avait été convenu. Voyant, au bout d’une longue course, qu’il n’était pas poursuivi, il s’arrêta pour écouter, et pendant une grande partie de la nuit il entendit de temps en temps un coup de fusil, et la voix perçante de Ta-bush-shish, qui jetait son cri de guerre en changeant rapidement de place.

Soudain plusieurs coups de fusil retentirent à la fois ; les Sioux poussèrent des acclamations comme à la chute d’un ennemi, et tout resta silencieux. Dans cette rencontre, les Ojibbeways perdirent trois membres de leur tribu ; la vieille femme, le fils d’Ais-ainse et Ta-bush-shish. Les Indiens dirent de ce dernier, selon leur habitude en pareille occurrence, qu’il avait eu le pressentiment du sort qui le menaçait ; dans la soirée précédente, il était rentré chez lui, comme il arrive souvent aux chasseurs indiens, pour être fatigué du bavardage d’une vieille femme, jalouse des soins prodigués à une rivale plus jeune et plus attrayante, et il lui avait dit : « Gronde, gronde, vieille femme, car je t’entends pour la dernière fois. »

Le même jour, ainsi que nous l’apprîmes dans la suite, les guerriers partis du lac Leech, et que Wa-ge-to-ne avait rejoints, tombèrent sur quarante cabanes de Sioux dans la longue prairie ; ils avaient combattu pendant deux jours, et le nombre des morts était grand des deux côtés ; Wa-ge-to-ne n’avait pas son pareil pour détruire une cabane de Sioux. Wah-ka-zhe, frère de Muk-kud-da-be-na-sa, rencontra ces Ottawwaws au lac Winnipeg, à leur retour de la rivière du Riz sauvage. Il avait passé dix ans dans les montagnes rocheuses et aux alentours ; mais il voulait revenir enfin à son pays natal. Dans le cours de sa longue carrière, il avait souvent séjourné chez les blancs, et il connaissait bien les divers moyens de gagner sa vie parmi eux. Il me dit que mon sort serait meilleur au milieu des hommes de ma race, mais que je ne pourrais pas devenir traiteur, parce que je ne savais pas écrire. Comme je n’aimais point à me soumettre à un travail assidu, ajoutait-il, je ne pourrais pas m’établir fermier ; il n’y avait qu’une position absolument convenable à mes goûts et à mon aptitude, c’était celle d’interprète.

Il nous donna, entre autres récits, quelques détails sur un missionnaire qui était venu chez les Ottawwaws de Waw-gun-uk-ke-zie, et chez quelques Indiens des établissemens voisins des lacs, les engager à renoncer à leur religion pour adopter celle des blancs. À ce sujet, il nous raconta l’anecdote de l’Indien baptisé qui, après sa mort, alla se présenter à la porte du ciel des hommes blancs, et en demanda l’entrée ; mais le chef chargé de la garde lui répondit que les peaux rouges ne pouvaient pas y être admises. « Allez, lui dit-il, vers l’ouest, là sont les villages et les cantons de chasse de vos semblables qui ont vécu sur la terre avant vous. » L’Indien s’éloigna donc ; mais quand il parvint aux villages habités par les morts de son peuple, le chef refusa de le recevoir. « Vous avez eu honte de nous pendant votre vie ; vous avez adoré le Dieu des hommes blancs, allez à son village, c’est à lui de veiller sur vous. » Il se vit ainsi repoussé de part et d’autre.

Wah-ka-zhe, étant l’homme le plus distingué de notre parti, devait diriger nos mouvemens ; cependant, soit indolence, soit peut-être égards pour moi, il décida que non seulement lui, mais toute sa bande, resteraient sous ma conduite pendant l’hiver entier. Nous n’avions d’autre but que de pourvoir à notre subsistance ; j’étais reconnu pour un très bon chasseur et je connaissais la contrée mieux qu’aucun autre de cette bande ; ce choix n’était donc pas impolitique.

Ce fut, d’après mon avis, que nous allâmes passer l’hiver sur les bords du Be-gwi-o-nus-ko, qui se jette dans la rivière Rouge, à dix milles au dessus de Pembinah. Au temps dont je parle, ses rives nourrissaient beaucoup de gibier. Nous y vécûmes dans une grande abondance et très confortablement ; aussi Wah-ka-zhe s’applaudissait-il souvent de la sagacité qui l’avait porté à me choisir pour diriger les mouvemens de son parti ; mais, au bout de quelque temps, Wa-me-gona-biew parla de mettre à mort Wah-ka-zhe, parce qu’il avait quelques liens de parenté avec l’homme qui, bien des années auparavant, avait tué son père Taw-ga-we-ninne.

Je refusai de me joindre à lui, et de l’aider en aucune manière dans cette entreprise ; mais, malgré mes remontrances, il entra un jour, un couteau à la main, dans la cabane de Wah-ka-zhe, menaçant de le tuer. Comme il entrait, Muk-kud-da-be-na-sa, frère de Wah-ka-zhe, reconnut son intention, en arrêta l’effet et le provoqua aussitôt à un combat singulier, qu’il n’accepta pas, selon son habitude. Non seulement, je reprochai à Wa-me-gon-a-biew cette indigne conduite, mais je proposai même à Wah-ka-zhe de l’expulser de la bande, et de ne plus le regarder comme mon frère ; cet homme, aussi humain que considéré, ne voulant point être une cause de trouble, lui pardonna son offense.

Un des fils de Wah-ka-zhe passait pour le meilleur chasseur de tous les Indiens de notre bande, et il y eut entre nous, pendant le séjour sur les bords du Be-gwi-o-nus-ko, une rivalité de chasse tout amicale. O-ge-mah-weninne, c’était son nom, tua dix-neuf mooses, un castor et un ours, moi je tuai dix-sept mooses, cent castors et sept ours ; mais on le regarda comme le plus adroit chasseur, parce que le moose est, de tous les animaux, le plus difficile à tuer. Il y a beaucoup d’Indiens qui, dans tout un hiver, ne tuent pas plus de deux ou trois mooses ; il en est même qui n’en ont jamais tué un seul.

Nous eûmes du gibier en abondance, sur les bords du Be-gwi-o-nus-ko, jusqu’au moment où une autre bande d’Ojibbeways, nombreuse et affamée, vint se joindre à nous. Comme la plupart de ces nouveaux venus étaient en danger de mourir de faim, un homme appelé Gish-kau-ko, neveu de celui qui m’avait fait prisonnier, tua deux mooses en un seul jour et m’invita à venir avec lui chercher une partie de la venaison, en me signifiant que son intention était de cacher sa bonne fortune au reste de la bande. Mais je refusai net de prendre part à un semblable arrangement, et je partis aussitôt pour la chasse avec Muk-kud-da-be-na-sa et un ou deux autres ; nous eûmes le bonheur de tuer quatre ours, que nous distribuâmes aux affamés.

Nous jugeâmes alors nécessaire de disperser dans diverses directions une bande aussi nombreuse. J’allai, avec Muk-kud-da-be-na-sa (l’oiseau noir), Wah-ka-zheet un autre homme, camper à deux journées de distance de l’endroit que nous venions d’habiter. Pendant ce séjour, sortis tous un matin pour la chasse, nous nous séparâmes les uns des autres ; revenu tard dans la nuit, je fus étonné de ne trouver, à la place de notre cabane, qu’un petit monceau d’herbe sèche qui nous avait servi de lit. Là dormait l’Oiseau noir, qui, arrivé peu de temps avant moi et depuis le déplacement de la cabane, s’était couché, se croyant laissé seul en arrière. Le lendemain matin, comme nous suivions les traces de nos compagnons, nous rencontrâmes des messagers envoyés pour nous apprendre que le fils de Nah-gitch-e-gum-me, de l’homme qui nous avait quittés si brusquement avec Wah-ka-zhe, venait de se blesser à mort, par accident, d’un coup de fusil. Ce jeune homme se tenait négligemment appuyé sur la bouche de son fusil, un mouvement de sa raquette à neige, sur laquelle il reposait, avait fait partir la détente, et le coup, lui traversant l’aisselle, était venu frapper la tête. Malgré cette horrible blessure, il vécut vingt jours encore dans un état de stupeur et d’insensibilité. Les Indiens attribuèrent à un triste pressentiment la manière subite dont nos compagnons nous avaient abandonnés.