Mémoires d’une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante/12/Symboles du Palladisme

Symboles du Palladisme[1]

(Suite)




Le Triomphe d’Astarté sur le Mauvais Serpent


Tableau à l’angle supérieur de gauche. Une femme, à l’abondante chevelure éparse, n’ayant aucun vêtement, est debout sur un croissant lunaire, faisant de la main droite un signe ésotérique, déjà bien connu, et abaissant la main gauche, avec un signe secret presque semblable ; au milieu du corps, est placé sur elle un soleil rayonnant, avec le nombre onze inscrit au centre. Le croissant lunaire qui la porte traverse un élément qui peut ressembler aussi bien à des nuages qu’à des vagues de l’océan en furie. Au-dessous, dans cet élément, s’agite et se tord un serpent hideux, menaçant de la tête et de la queue la femme dont l’allure est à la fois victorieuse et pacifique.

Cette figure est quelque peu empruntée à la kabbale alexandrine ; on en trouve d’à peu près semblables dans les autres occultismes, et plusieurs, à la demi-lumière des hiérophantes plus ou moins sorciers, y voient Isis et le serpent Typhon.

Dans la haute initiation palladique, il n’en est plus ainsi. Isis équivaut à Vénus-Astarté ou, plus simplement, Astarté tout court, qui est la reine des daimons.

Le luciférianisme, on le sait, met très haut la daimone Astarté, dans sa vénération. Le croissant lunaire est en même temps son piédestal et son emblème. C’est sur l’astre des nuits, en gracieux croissant, que la reine du Royaume du Feu descendit vers Philalèthe, selon la vieille légende des Parfaits Triangles ; et le croissant lunaire, Astarté le porte aussi en symbole sur le front, ainsi que le paganisme représentait Diane. Lorsque je croyais vraiment descendre d’Astarté par son union avec Philalèthe, j’avais adopté cet emblème ; le croissant de lune, rappelant Phébé, figurait dans mes armoiries palladiques : mais je ne poussais pas plus loin l’interprétation luciférienne ; cette gloire d’origine me suffisait.

Aujourd’hui, il est de mon devoir de dévoiler toutes les interprétations, aussi bien celles que je n’avais pas adoptées et que je voulais faire supprimer dans ma réforme du Palladium Régénéré et Libre.

Or, il est une interprétation qui peut rivaliser de honte avec celle que j’ai donnée à comprendre en révélant le symbolisme d’un des emblèmes figurant dans le tableau des Croix. Bien qu’on me le cachât avec soin, il est certain qu’Astarté est la Vénus impudique, autant dans le luciférianisme contemporain que dans l’antique paganisme. Le placement du soleil avec le nombre onze ne peut laisser aucun doute à cet égard. Une des preuves : le nombre onze, nombre kabbalistique luciférien, rappelle l’Ensoph et les dix Séphiroth. Eh bien, il est de droit, par pacte solennel de Satan et de Pike, qu’Astarté accorde son union au Souverain Pontife du Palladisme et aux dix Émérites composant son Sérénissime Grand Collège.

D’autre part, le triomphe d’Astarté sur le Mauvais Serpent s’interprète palladiquement dans un sens analogue. Je pouvais n’y voir autrefois que la victoire de la reine des daimons sur la reine des maléakhs, en tant que victoire dans une bataille entre les armées du Ciel de Feu et celles du Royaume Humide ; mais cette victoire doit se prendre aussi dans un sens infâme, agréable au sensualisme dépravé des docteurs de la secte.

Car le blasphème est inouï, en l’interprétation du Mauvais Serpent. Le Palladisme a laissé le Typhon égyptien et ne s’en préoccupe aucunement. Le Mauvais Serpent, dans opposition à Astarté, ne représente point Adonaï ni le Christ. Il représente — le croirait-on ? — la Très Sainte Vierge, l’immaculée Mère du Divin Sauveur. En termes palladiques : le Mauvais Serpent, c’est Lilith.

S’il y a diversité d’opinion dans l’interprétation du Bon Serpent, — que nous trouverons plus loin, au tableau n°8, — les docteurs du Palladisme se sont mis d’accord, au contraire, avec une parfaite unanimité, en ce qui concerne le hideux reptile dit Mauvais Serpent, toujours représenté en contorsions furieuses.

Dans le dernier mois de l’année qui suivit l’inauguration du grand temple maçonnique qui existe actuellement à Charleston et qui abrite, avec le premier Suprême Conseil du Rite Écossais, les mystères du haut-luciférianisme palladique, une séance du Sanctum Regnum fut à jamais fameuse et fut portée à la connaissance de tous les Mages Élus. C’était le 8 décembre 1884.

Albert Pike présidait, les membres du Sérénissime Grand Collège étant au complet ; ceux qui étaient absents de Charleston, ce jour-là, avaient été apportés instantanément par les esprits du feu, mis par Satan à leur service.

Lucifer parut, et Pike l’interrogea longuement sur la Mère du Christ. Ce qui est étrange, c’est que le procès-verbal n’a pas consigné le détail de cette conversation, ni les demandes du Souverain Pontife de la secte, ni les réponses du prétendu Dieu-Bon. J’en conclus, aujourd’hui, que le suprême imposteur dut montrer une grande irritation et qu’Albert Pike a dû ne pas vouloir qu’il en restât mémoire. Il est dit uniquement que Lucifer affirma « impétueusement » que la Très-Puissante Astarté « est toujours victorieuse de Lilith » et que « la sainte assemblée en aurait une preuve à l’instant même ».

Alors, selon la narration officielle, Lucifer se retira, et il sembla à l’assistance que le plafond de la salle s’entr’ouvrait, laissant voir l’espace infini.

Au loin, ils aperçurent une nuée de daimons aux prises avec une nuée de maléakhs. Au fort de la bataille, ils virent très distinctement la reine du Ciel de Feu, armée d’un trident, et poursuivant un immense serpent, horrible, qui fuyait devant elle. Astarté l’atteignit, et soudain la même Astarté fut devant l’assemblée ; elle tenait le hideux serpent, traversé par le trident, les pointes le traversant un peu en arrière de la tête. Le monstrueux reptile se tordait en efforts impuissants ; il était vaincu.

Et Astarté dit à Pike et à ses acolytes :

— Voilà Lilith, voilà la mère du Traître. Ne craignez point ; sous mon pouvoir triomphant le maléakh ne saurait vous faire aucun mal, en dépit de sa rage.

Tous accablèrent de malédictions le reptile et rendirent grâces à Astarté. Après avoir reçu leur hommage, la reine des daimons remonta dans les airs ; là, elle secoua son trident, et le serpent, comme faisant une chute, descendit au loin et disparut. Des bruits de trompettes éclatèrent ; le soleil vint se placer sur Astarté, et aussitôt Pike et les Émérites ne virent plus rien ; la salle du Sanctum Regnum était comme auparavant.

Ainsi, l’impiété des Mages Élus symbolise la Très Sainte Vierge par un affreux reptile, et les Parfaits Triangles l’appellent Lilith ou le Mauvais Serpent.

Il était nécessaire de révéler cette abomination ; c’est faire connaître jusqu’où va le mensonge diabolique dans sa fureur de haine. L’Immaculée écrase la tête de Satan, serpent trompeur et méchant qui a causé la chute de l’humanité ; voilà la vérité, et voilà pourquoi le prince des ténèbres donne à ses adorateurs le contre-pied de la vérité et use de prestiges pour les maintenir dans une erreur de damnation.

Quelle que soit la part des prestiges infernaux dans cette formidable tromperie, il me semble, en effet, que ceux qui les acceptent et même les sollicitent perdent volontairement leur âme ; car c’est en s’adonnant avec complaisance à de bas instincts qu’ils recherchent leur aveuglement et s’y obstinent.

Tout en insultant Marie, mère de Jésus, dans sa très sainte virginité que la secte nie, tout en lui attribuant, par blasphème, d’autres enfants qu’elle dit être nés de son mariage avec saint Joseph, l’impiété palladique, donne, en son dogme, à la Reine des Anges, la fidélité conjugale ; et, voilà bien où se trahit l’inspiration de l’enfer, c’est cette fidélité qu’elle travestit en vice. Selon le dogme luciférien, c’est donc l’impudicité de la Vénus païenne, affirmée sans ambages être la daimone Astarté, qui est déclarée vertu. Par son geste hiératique de la main droite, Astarté bénit ceux et celles qui se livrent à l’œuvre de chair, et par son geste mystérieux de la main gauche, elle absout les adultères. Pour la secte, il n’est ombre de faute dans l’adultère, qu’elle nomme une erreur des conventions sociales. Chacun à chacune et chacune à chacun, voilà l’avenir de l’humanité, auquel tend la Maçonnerie ; et c’est pourquoi le Palladisme, directeur universel et secret de toutes les Loges et Arrière-Loges, oppose Astarté à la Très Sainte Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; voilà pourquoi, dans son audacieux et blasphématoire mensonge, il fait de l’Immaculée un maléakh stérile dans le royaume d’Adonaï, pourquoi il lui lance ses criminelles imprécations sous le nom de Lilith, pourquoi enfin il lui donne la forme symbolique d’un hideux reptile, d’un monstrueux serpent, toujours vaincu par Astarté la voluptueuse et la féconde.

Donc : la chasteté étant, au contraire, la vertu charmante et naturellement prédilectionnée des âmes qui se dégagent des faiblesses terrestres, avec la grâce de Dieu, et la virginité étant par-dessus tout aimable, ainsi que le proclament à travers les siècles les lois et mœurs de tous les peuples civilisés, il est évident que s’acharner dans la haine contre la créature d’élite, la plus pure parmi les vierges, que Dieu choisit pour donner au monde son Sauveur, et manifester cette haine non seulement par des blasphèmes et des sacrilèges, mais encore en cultivant le vice honteux comme la plus sainte des vertus, c’est vouloir à toute force fermer les yeux à la vérité, c’est se damner sciemment, c’est se vouer, en coupable sans pardon possible, à la mort éternelle.



La chair et le sang du Traître


Le cinquième tableau du symbolisme palladique parle de lui-même ; c’est celui qui est placé à droite de la représentation d’Astarté.

On voit une hostie transpercée par le poignard des Triangles, et un calice renversé, d’où le vin consacré se répand.

C’est l’excitation au sacrilège contre la Divine Eucharistie, contre le sacrement d’amour.

Là, Satan a inscrit le mensonge des mensonges : Jésus, descendant direct de Baal-Zéboub, ayant vécu dans la sainteté luciférienne, et ayant enfin trahi sa céleste origine en faisant pacte sur le Thabor avec Adonaï qui l’associa dès lors à sa malfaisante divinité. Et Satan conclut : du jour où Christ, devenu traître haïssable, donna à ses disciples, qui le transmirent aux prêtres de la superstition, le pouvoir de transformer le pain et le vin en sa chair et son sang, c’est-à-dire de le placer lui-même invisible sous ces apparences, il s’est livré au châtiment de sa trahison, de telle sorte que le châtiment put être exercé par les hommes eux-mêmes.

La profanation des Saintes-Espèces est donc un acte de justice aux yeux de tout parfait initié. Les fanatiques égarés s’imaginent avoir ainsi à leur discrétion le Divin Fils de Marie et renouveler sur lui tous les outrages et les supplices du Prétoire et du Calvaire.

L’explication de ce tableau n’a aucun besoin d’être développé ; il a été déjà fait justice de l’inanité de ces sacrilèges, dont a été mille fois prouvée la pratique dans les Triangles et même dans un certain nombre d’Ateliers de la Maçonnerie officielle et avouée. On sait aussi que ces pratiques furent abolies dans la constitution du Palladium Régénéré et Libre ou fédération des Triangles indépendants ; mais ce résultat ne fut pas obtenu sans lutte, et, cette fédération s’étant dissoute depuis lors et les palladistes indépendants ayant à peu près tous fait leur soumission à Lemmi, les profanations de la Divine Eucharistie ont recommencé partout, sans aucun doute, avec plus de rage que jamais.

Toutefois, il est indispensable de donner ici l’explication d’un article des Règlements des Groupes Familiaux, qui a paru obscur à quelques-uns de mes correspondants ecclésiastiques. Il s’agit de l’article 18, ainsi conçu :

« Avant de procéder à l’initiation d’un postulant ayant appartenu, ne fût-ce que par le baptême, à l’Adonaïsme dit catholique romain, le Comité du Groupe Familial devra s’assurer, par les moyens qu’il jugera les plus sûrs, que le ou la récipiendaire a rompu définitivement avec les préjugés de la superstition. Toutefois, on ne devra pas, dans ce but, avoir recours à des transpercements ou souillures d’hosties adonaïtes, pratiques satanistes que le Palladium Régénéré et Libre réprouve et condamne comme tout aussi déraisonnables que l’adoration des mêmes pains. »

Cet article n’a pas empêché les sacrilèges dans le Palladisme Indépendant. Sans doute, ils n’avaient pas le caractère de violente haine des autres Triangles ; mais Satan avait réussi néanmoins à inspirer des profanations à bon nombre d’initiateurs, et le mal s’accroissait de jour en jour, quand survinrent les événements qui amenèrent ma conversion.

Les postulants appartenant à une autre religion que le catholicisme n’étaient pas soumis, en général, à ces coupables épreuves ; au contraire, quiconque avait été catholique n’y échappait pas. Le renoncement pur et simple était jugé insuffisant…

— Comment nous montrerez-vous, disait-on au récipiendaire, que vous n’avez plus aucun respect pour les idoles de l’Adonaïsme ? briserez-vous cette statue ? foulerez-vous aux pieds ce crucifix ?

On en vint même à profaner la Sainte Eucharistie, quoique sans la souiller ni la poignarder.

L’initiateur disait au postulant, en lui présentant une hostie consacrée :

— Quant à nous, nous ne croyons pas à la présence de Christ en ce pain. Vous, vous y avez cru ; vous y croyez peut-être encore. Nous ne vous demandons pas de vous acharner contre cet azyme ; ce serait acte de folie. Mais prouvez-nous, cependant, que vous êtes dégagé de toute superstition. Si dans votre conviction ce pain n’est que du pain, il ne doit rien vous coûter de le jeter au feu de ce brasier.

Voilà ce que les lucifériens du Palladisme Indépendant entendaient par les moyens les plus sûrs de se garantir que l’adepte, né catholique romain, avait définitivement rompu avec sa religion.

Ainsi, mes ex-Frères et mes ex-Sœurs revenaient à la pratique des sacrilèges. Ceci prouve que tout palladiste, même honnête, même décidé à s’abstenir des œuvres de haine, est pris dans le fatal engrenage ; il est instrument de Satan et ne peut se soustraire à ce joug que par une complète et sincère conversion.




Le Figuier maudit


Ce symbole figure dans le bas des diplômes, à côté du tableau du Saint-Sépulcre. On a placé là un arbre n’ayant ni fruits ni feuilles ; au pied du tronc, des flammes sortent de terre pour le dévorer.

La signification est, en premier lieu : condamnation du célibat ecclésiastique. J’ai partagé cette erreur ; je ne comprenais pas que le célibat des ministres du culte était précisément l’une des marques les plus caractéristiques de la vérité et de la sainteté de l’Église catholique romaine.

Il m’est arrivé, — et j’en demande pardon à un saint prêtre, qui essaya de me convaincre, au temps de mon erreur ; oui, qu’il me pardonne, si ces lignes viennent à tomber sous ses yeux ! — il m’est arrivé de déclarer immoralité ce célibat religieux. Je me tenais ce raisonnement absurde : « Si tout l’univers devenait saint dans le sens adonaïte, l’humanité serait détruite aussitôt par ce fait. Chacun doit suivre la loi naturelle et se conformer à son tempérament. Célibat pour l’homme au sang glacé, soit ; mais ne l’imposez à personne, ceci est un crime. » Et, ne songeant pas à un mariage humain, j’ajoutais, dans mon fol orgueil : « Quant à moi, j’ai le droit d’être vierge, puisque je suis toute à l’esprit de lumière qui m’a fait l’honneur de me choisir. » Je ne désapprouvais pas la chasteté en elle-même ; loin de là ! mais mon aveuglement me faisait rabaisser cette vertu à une simple question d’ordre physique, et je blâmais ceux en qui je croyais voir des victimes volontaires, privant d’une nouvelle famille leur patrie et l’humanité. Je m’imaginais que l’Église condamnait au célibat au nom de son dogme, et je maudissais son dogme, et je disais que cela était mal, très mal.

J’ai honte de moi-même, quand je réfléchis à l’obstination que j’eus dans l’erreur. Il faut, en réparation, que je m’humilie publiquement devant tous les catholiques. Dussé-je fournir des armes à la malveillance, donner à qui voudra m’outrager matière à des interprétations calomnieuses, je dirai, — quand rien ne m’oblige à le dire, — que, lorsque j’appris l’existence de la pratique du Pastos, lorsqu’il me fut révélé que j’en avais été dispensée à mon insu, je consultai Asmodée à ce sujet, afin de savoir ce que j’en devais penser.

Je lui dis.

— C’est horrible, c’est infâme, cela.

Il me répondit :

— Non… Notre Dieu Lucifer t’a élue pour donner à tes Frères et à tes Sœurs la meilleure interprétation du dogme ; mais ton droit d’examen s’arrête là… Tu m’es réservée comme épouse ; tu seras toute à moi, quand sera terminée ta mission, et voilà pourquoi tu es ma fiancée… Et tu seras si bien mon épouse, Malgré Adonaï lui-même, que je veux que tu portes ce titre d’épouse du Très Saint Asmodée dès à présent, afin de bien établir en ton esprit que tu es à moi… Tu es, en cette vie, mon épouse spirituelle, et quand tes jours seront finis en Tellus, tu viendras en corps et en âme au Ciel de Feu, où nos noces seront célébrées avec toute la magnificence du Royaume de Lucifer… En cela est la seule raison de ce que la demande de ton père a été agréée ; tu n’appartiens et n’appartiendras à aucun humain ; j’y veille !… Mais garde-toi de jeter le blâme sur ce que tu ne comprends pas. Si l’on a soin de ne pas te faire assister à une formalité qui te répugne, Lucifer le veut ainsi, dans son immense bonté pour toi ; il veut que rien ne te trouble dans l’exercice de ta mission dogmatique… Tu juges contraire à la morale cette formalité rituelle dont tu as été dispensée, non à cause de toi-même ni de ton père, mais à cause de moi ?… Malheureuse ! mais, si tu continuais à parler ainsi, sache que ta bouche proférerait les mêmes paroles que la bouche des ministres de la superstition !… Et ne hais-tu pas la superstition ?

— Oh ! oui !

— Ne hais-tu pas le Christ, traitre à Baal-Zeboub ?

— Oh oui !

— Ne hais-tu pas les prêtres du Christ ?

— Non, ils sont des hommes ; j’aime l’humanité, j’aime mes frères, même dans leur erreur ; mais, vraiment, je hais le sacerdoce des ministres du Christ.

— Soit ; je t’accorde cela… Mais prends garde, ô ma douce amie, ô mon épouse bien-aimée, si tu franchissais cette limite, tu serais sur une pente fatale, et bientôt tu deviendrais chrétienne… Tu romprais le lien sacré qui nous lie ! Lucifer, notre Dieu Tout-Puissant, briserait la promesse qu’il m’a faite, de te donner la joie de venir en corps et âme au Ciel de Feu et de présider lui-même à notre mariage ! tu cesserais d’être ma fiancée ! tu en perdrais, à l’instant même, le titre qui fait ta gloire et qui fera ton bonheur !

— Oh ! Asmodée ! m’écriai-je en me jetant dans ses bras, jamais je ne deviendrai chrétienne!…

Et je lui demandai pardon, ce jour-là, de lui avoir causé du chagrin par ma témérité à vouloir juger toutes choses.

Il me pardonna. Puis, par un raisonnement qu’aujourd’hui je reconnais diabolique, il s’évertua à me démontrer que la chasteté est immorale par elle-même. Son astucieuse rhétorique de daimon me happait. Je l’écoutais, me disant parfois en moi-même : « Il a raison » et cependant, je me sentais répugner à sa théorie, en ce qui me concernait.

On le voit, je fus bien près de la chute. Je m’en accuse en toute humilité. Et j’en vins jusqu’à essayer de me convaincre ; je me plongeais dans l’examen, à la fausse lumière luciférienne, de cette question du figuier maudit. Il m’arriva même, par moments, de lutter contre mon sentiment ; de concéder, en ma folle tête, que cette avilissante coutume du Pastos n’avait rien d’extraordinaire, dès l’instant qu’une de mes Sœurs voulait bien s’y soumettre ; de me dire : « Après tout, pourquoi m’opposerais-je à cela ? ce n’est point mon affaire, et je n’ai pas à me plaindre, puisque cette pratique m’est tenue cachée. »

Enfin, comme ma répugnance était invincible, je n’hésitai pas, lors de la fondation du Palladisme Indépendant, à exiger la suppression du Pastos dans tout Triangle qui se rallierait au Comité de Londres. Aujourd’hui je me demande comment il se peut qu’Asmodée ne me fit aucune opposition à cette motion ; car, en cela, j’échappais quelque peu à sa domination, somme toute. Sans doute, il espérait reprendre tout son pouvoir sur moi, par l’orgueil. Peut-être Jeanne d’Arc, à qui j’avais voué mon admiration, me protégeait déjà, sans que je pusse le soupçonner ; le fait est que, chaque fois qu’il m’arriva de m’arracher à l’examen de la question du figuier maudit, ce fut à la suite d’une pensée reportée sur la pure et sublime héroïne d’Orléans.

Est-ce à cette mystérieuse protection, insoupçonnée, que je dois la préservation d’un hymen diabolique ?… Ma confession doit être complète.

— Vous voulez, ô mon bien-aimé, lui dis-je un jour, que je m’intitule votre épouse, parce que je suis votre épouse spirituelle. J’en suis fière. Mais, pour notre mariage, pourquoi attendre que ma mission soit finie en Tellus ?

— Notre Dieu Lucifer le veut ainsi.

— Si pourtant vous l’imploriez, Asmodée, si vous lui demandiez de nous unir dès ma vie présente, il ne vous le refuserait pas ?…

Mon fiancé garda le silence.

Alors, je me fis câline, je devins plus insistante, je redoublai de tendresse, le suppliant d’obtenir de Lucifer d’avancer l’heure de notre hymen.

Il ne me répondait plus.

— Voyez, lui dis-je encore, combien votre Diana sera glorieuse, lors qu’elle pourra proclamer dans tous les Parfaits Triangles qu’elle est vraiment votre épouse… Dites, oui, dites à notre Dieu que je vous aime… Ah ! qu’il exauce ma supplication, et je serai la plus heureuse des créatures… Asmodée, je vous en conjure, obtenez que, sans plus attendre, il vous soit permis d’être mon époux.

Il me regarda d’un œil étrange et me répondit d’une voix sourde :

— La volonté supérieure le défend. Si j’étais le maître, Diana, vous seriez mon épouse depuis longtemps ; mais la volonté divine est entre vous et moi. Il m’est imposé de veiller sur vous. Ah ! Diana, Diana, croyez bien que je souffre !…

Et il disparut soudain, tandis que, pleurant, j’allais me jeter à ses genoux.

En moi-même, dans mon erreur, je trouvais trop rigoureux l’arrêt de Lucifer, et je me croyais bien malheureuse de ne pouvoir obtenir satisfaction à mon orgueil. Pour être sincère jusqu’au bout, je dois avouer que les séductions répandues sur son visage de faux ange de lumière avaient fait impression sur mon cœur. Hélas ! mon cœur pécha, commit ce crime dont aujourd’hui j’ai confusion, honte des hontes : le démon eut mon affection de jeune fille, mon cœur se donnait à lui.

Ah ! maudits soient les prestiges infernaux !… Oh ! vous qui me lisez, ne vous adonnez jamais aux œuvres de magie ; ne mettez pas votre âme dans le plus grand des périls ; que la honte d’une infortunée vous serve d’expérience ! Jamais, jamais ne faites appel aux esprits invisibles, même en croyant que telles œuvres sont jeux innocents. Fuyez jusqu’aux tentations de consulter une table ; le diable est là.

En ces temps où Asmodée avait troublé mon esprit par ses raisonnements de mensonge et où, dans la folle épouvante de devenir chrétienne, je luttais contre mes répugnances ; en ces temps de ténèbres où mon âme faillit se corrompre et où mon cœur eut la détestable aspiration vers un hymen démoniaque, par l’effet d’un monstrueux orgueil ; en ces heures de délire où la chasteté, ce phare sauveur, fut sur le point de s’éteindre devant les yeux de ma conscience obscurcie, je faisais, — ai-je dit plus haut, — sur la question du célibat, des distinctions qui m’étaient inspirées par l’enfer ; et, quand un saint prêtre voulut m’éclairer, criminelle, je m’obstinai dans mon erreur.

Comment ai-je pu ne pas comprendre alors la vérité qu’il tenta de faire briller pour moi ?… Je relis aujourd’hui les lettres de ce digne apôtre de Jésus ; ma vanité me ferma les yeux devant leur clarté : maintenant, je constate combien cette clarté était éblouissante. En vérité, je ne méritais pas la grâce de ma conversion…

C’était en 1893, quelque temps après l’élection frauduleuse de Lemmi ; ce saint-prêtre — je ne dois point le nommer — et moi, nous échangeâmes quelques lettres.

Voici avec quelle charité il répondit à mes objections de possédée latente :

« Vous dites que chez nous la chasteté est systématique. C’est une grave erreur ! Nous la demandons au prêtre et aux âmes d’élite, auxquelles Dieu a donné des goûts célestes, Ne devient pas prêtre qui veut ; et au surplus c’est une condition pour devenir prêtre : nul n’oblige l’individu à devenir prêtre, comme nul n’oblige la jeunesse à se faire religieuse. Ce ne sera pour elle qu’à la condition d’être vierge et de rester vierge tant qu’elle n’est pas déliée de la promesse qu’elle a faite de conserver purs son âme et son corps. Au reste, on ne fait pas vœu de chasteté sans une grâce spéciale de Dieu, car personne ne peut se tenir chaste sans une grâce spéciale ; et, par conséquent, il n’y a pas à craindre que le monde vienne à cesser à cause du vœu de chasteté.

« Notre Seigneur nous a laissé écrit que cette vertu-là ne peut être observée que par ceux à qui une grâce spéciale a été donnée du ciel. Ainsi, vous le voyez, on ne condamne personne à rester vierge, et l’on ne permet d’en faire le vœu qu’après l’avoir pendant plusieurs années demandé et après avoir donné le témoignage d’une vie sobre et éloignée de tous les amusements mondains.

« Ainsi, telles religieuses ne se sont consacrées au service des pauvres qu’après en avoir témoigné un grand désir dès leur première jeunesse. Et il y a parmi ces religieuses des jeunes personnes venues des rangs les plus élevés de la société. Est-il explicable par la seule nature que des jeunes filles, ayant tout à espérer dans le monde, richesses, honneurs, grandeur, bonheur terrestre, quittent tout, jusqu’à tout ce qu’elles ont de plus cher, la famille, pour vivre inconnues dans un monastère, au service des pauvres ? Non, ceci n’est pas naturel, et ne peut le faire qu’une âme appelée à cet état d’En-Haut.

« Pourriez-vous sagement blâmer ces jeunes personnes qui se sont senties capables d’un pareil dévouement ? pourriez-vous dire qu’elles ont commis quelque chose de contraire à la morale en s’obligeant à vivre dans la chasteté et l’innocence, pour pouvoir faire du bien à la partie la plus malheureuse de la société ? Non ; car votre bon cœur ne peut voir là que des âmes d’élite.

« Au reste, ne dites-vous pas que vous avez le droit, vous, d’être vierge ? Pouvez-vous refuser ce droit à quiconque se sent appelé à l’état de virginité ? Ce n’est pas le sang chaud ni le sang glacé qu’il faut faire intervenir pour pouvoir vivre en cet état-là : il faut une force, je le répète, qui doit venir d’En-Haut.

« Permettez-moi maintenant, mademoiselle, de vous dire des choses qui vous regardent de plus près, que j’ai promis de vous dire, des choses que vous n’avez lues ni dans les livres des théologiens ni en aucun autre livre. Voici :

« Vous me dites : « Pour moi, j’ai le droit d’être vierge, puisque je ne songe à aucune union humaine, et puisque je suis toute à l’esprit de lumière qui m’a fait l’honneur de me choisir. » — Eh bien, oui, vous êtes protégée par un esprit ; mais j’affirme avec connaissance de cause, que cet esprit vous trompe en se disant esprit de lumière, quoiqu’il se montre à vous comme tel.

« Écoutez-moi avec votre cœur : je vous donnerai un moyen infaillible pour vous assurer de la vérité de ce que je viens de vous dire.

« Cet esprit qui vous protège est forcé de vous protéger malgré lui, parce que cet esprit n’aime pas l’état de virginité. C’est Notre Seigneur Jésus-Christ qui vous veut vierge, parce qu’un jour vous serez à lui. Ainsi, vous voyez que je suis catégorique.

« Non, ne dites pas que je délire. Voici ce qui vous prouvera que l’esprit qui vous protège le fait malgré lui et forcé par quelqu’un plus fort que lui. La première fois que vous aurez à faire à cet esprit, vous n’avez qu’à lui présenter ma lettre, cette lettre ; vous aurez une preuve palpable qu’il ne vient pas du Dieu bon et qu’il n’a aucune puissance, sinon de faire le mal. Faites-en l’épreuve. Cette lettre n’est ni plus ni moins qu’une feuille de papier, et pourtant il en aura peur.

« Que de choses j’aurais encore à vous dire, si je ne voyais pas que ma lettre déjà repassé toute limite ! Vous dites que vous priez pour moi nous sommes nombreux à prier bien de cœur pour vous.

« Croyez-moi, mademoiselle, avec estime. » (Signature dont je garde le secret.)

Voilà la vérité que mon orgueil repoussait. Expierai-je assez ma faute, dans l’humiliation que je m’inflige en dévoilant combien je fus coupable, endurcie, rebelle à la lumière de Jésus ? Quelles larmes a dû verser ce bon prêtre en voyant mon obstination !

Cette lettre portait, collée dans le haut de la première page, une fort belle image du Sacré-Cœur. En la recevant, je fus assez perplexe. Devais-je la montrer à Asmodée ?

Je me disais :

— Lucifer et Adonaï se combattant sans trêve par les armées de Baal-Zéboub et de Mikaël, il est certain qu’Asmodée, prince très fidèle à Lucifer, ne sera pas satisfait de me voir lui présenter une figure représentant le Christ. Il entrera en courroux contre moi, et ce sera justice.

J’hésitai pendant cinq jours. Enfin, je ne voulus pas qu’il pût être dit que j’avais reculé devant l’expérience proposée, et je me décidai, quoique à regret.

Le cinquième jour, j’appelai Asmodée. Il m’apparut sans retard. J’avais préparé la lettre ; je l’avais placée, fermée sur un guéridon, et recouverte d’un livre. Alors, je dis à mon fiancé :

— Asmodée, j’ai besoin que vous m’excusiez. L’enseignement que vous m’avez donné pour me faire exécrer le figuier maudit m’a amenée, dans une correspondance dont je n’avais pas pris l’initiative, à tenter de convaincre un ministre de la superstition.

Dès ces premiers mots, Asmodée fronça les sourcils. Ces relations avec un prêtre du Christ, quoique simplement épistolaires, lui déplaisaient à coup sûr. Je plaidai donc les circonstances atténuantes, sans la moindre altération de la vérité.

— C’est lui, repris-je, qui s’est fait mettre en rapports avec votre Diana, Asmodée. J’ai accepté de correspondre, parce qu’on me l’a dit bon, dans son erreur. Il a essayé de vaincre ma foi. Alors, je me suis piquée d’amour-propre, et c’est moi maintenant qui voudrais le convertir à Lucifer.

— Si tu obtenais ce résultat, ce serait un grand bien.

— N’est-ce pas ?… Mais jugez à quel point ce prêtre est éloigné en ce moment d’une conversion… Il m’a mis en quelque sorte au défi de vous montrer sa lettre, cette lettre sur laquelle le traître du Thabor est représenté…

En même temps je lui présentai le papier.

Ce que j’avais prévu arriva. Asmodée se mit en colère.

— Horreur! s’écria-t-il, tu te prépares donc à me trahir ?… La méchanceté d’Adonaï va-t-elle envahir ton âme ?… Ô méchante, méchante, voilà que tu t’apprêtes à te faire chrétienne!…

— Mais non, répliquai-je. Moi chrétienne ?… Jamais ! jamais !…

— C’est une insulte que ce prêtre te fait, alors !… Je le maudis ! je maudis ses pensées contre toi ! je maudis l’image qu’il t’a envoyée !… Que le Ciel de Feu lance ses légions pour venger cette injure !… Horreur et malédiction !…

J’avais laissé tomber la lettre. Il ne me paraissait pas épouvanté, mais irrité contre moi, et je me disais qu’il avait raison. Je repoussai la lettre du pied.

— Asmodée, fis-je en implorant, je vous ai causé du chagrin ; soyez certain, pourtant, qu’aucune méchanceté n’est entrée en mon âme. Il me semblait que ce prêtre triompherait, si je m’étais abstenue…

— Quittons ces lieux, dit-il en m’interrompant… Ô ma bien-aimée, que je te fasse oublier ta peine et la mienne !…

Il me prit dans ses bras et m’emporta bien haut, bien loin.

En ce transport, il me parla beaucoup ; nous causâmes encore du prêtre, mais mon fiancé semblait plus rassuré sur ma fidélité à ma foi luciférienne. Le nom dont la lettre était signée m’avait frappée ; je faisais un rapprochement avec certain indice. Asmodée dit alors que ce prêtre était un moine.

— Il a une haute imprégnation adonaïte, fit-il ; c’est un moine maléficiant.

Puis, il ajouta, en ricanant :

— Eh bien, puisqu’il veut lutter contre mon pouvoir, il en recevra les coups… Je te permets de lui écrire encore une fois… Tu lui diras qu’il ne gardera pas l’imprégnation adonaïte jusqu’à sa mort… Tu occupes sa pensée. Je veux que tu l’épouvantes, lui !…

Et il me donna des prophéties, destinées à frapper l’esprit du prêtre, croyait-il.

Enfin, Asmodée me rapporta dans ma chambre.

Je pris note des prophéties diaboliques. Aujourd’hui, je comprends que ce ne devait être la qu’un tissu de mensonges.

Le trompeur me dicta ceci :

– L’avant-veille du jour où ce prêtre t’a écrit, il parla beaucoup de toi dans son entourage. Il a un ennemi, qui se dit son ami ; c’est un vieil homme qu’il a rencontré, il y a exactement huit jours, quelques instants après sa messe… Mets ton correspondant en garde contre cet homme.

— Ainsi, Asmodée, il ne vous déplaît pas que j’écrive encore à ce prêtre du Christ ?

— Une seule fois, oui… Ensuite, nous verrons… Peut-être la curiosité d’avoir une apparition de toi l’aménera-t-elle à nous… Observe bien mes prescriptions, ma bien-aimée.

Je repris la plume. Asmodée dicta encore, lentement, paraissant absorbé dans le profond examen d’une pensée intérieure.

— Ce ministre de la superstition, dit-il, aura une très forte émotion dans son existence : d’abord, neuf jours de larmes joyeuses ; ensuite, une douleur aussi violente qu’inattendue. Ceci se passera dans l’année même où mourra le pape actuel. Son successeur sera plus zélé qu’habile ; nous nous réjouirons de ses excès de zèle, car il en naîtra de grands maux pour l’Église… Écris, écris cela à ton correspondant…

— Ne pourrait-on pas préciser l’époque ?

— C’est le secret de Dieu… Mais je puis te dire qu’avec le changement de pape coïncidera la cessation de la souveraineté de Simon dont tu t’affliges.

— Oh ! alors, puisse ce temps béni n’être point éloigné !…

Asmodée reprit :

— Ce prêtre a insulté ta foi, croyant ainsi la vaincre… À son défi, il faut répondre par un autre défi.

Il s’écria :

— Moloch ! Moloch ! viens à mon aide !

En même temps, il ouvrit sa main gauche, et le fus toute surprise d’y voir, quelques instants après, une touffe de poils bizarres.

— Ce sont des poils, me dit-il, que Moloch vient d’arracher de sa poitrine. Il me les envoie, afin que je te les donne.

Il me remit ces poils.

— Au papier du prêtre, nous opposerons le carton argenté, continua Asmodée… Tu prendras deux rondelles de carton que tu colleras l’une contre l’autre, en y plaçant au centre les poils de Moloch, de telle sorte que la touffe jaillisse, bien droite : tu recouvriras les bords d’un ruban que tu auras d’abord porté sept heures à ton cou et que tu colleras fortement… Pendant tout le temps que durera la préparation de ce talisman, tu réciteras l’Ave, Ève… Et tu enverras ce talisman au Prêtre…

— À quel usage servira-t-il ?

— Ce talisman sera d’une puissance extraordinaire… L’eau maléficiée des adonaïtes ne réussira point à lui faire perdre cette puissance… Dans ta lettre, tu diras au prêtre : « Voici une proposition de la part d’Asmodée, et vous verrez bien par là qui est le plus puissant, de mon Dieu ou du vôtre. Vous, vous m’avez envoyé un simple papier, pour courroucer mon époux céleste. Lui, il se flatte que tous les miracles de vos maléakhs seront empêchés par ce simple carton qu’il m’a fait préparer. Vous pouvez l’asperger de votre eau maléficiée dite bénite ; ce sera en vain. Le poil m’a été remis par Asmodée. Moloch lui-même s’est arraché cette petite touffe de poils ; or, si vous l’ignorez, je dois vous apprendre que Moloch glace de terreur tous les mauvais anges qui sont les soldats de votre dieu. Dans ce que je vous envoie il n’y a rien que du carton, du poil et un peu d’étoffe. Eh bien, ce simple objet suffira pour empêcher les miracles de vos maléakhs de se produire. »

J’écrivais scrupuleusement sous sa dictée.

Il me dit encore :

— Sois catégorique à ton tour. Mets ce prêtre au défi d’expérimenter ton talisman. J’affirme qu’aucun miracle de sa religion ne s’accomplira nulle part, pas même à Lourdes, en un mot, n’importe où se trouvera cette touffe de poils de Moloch… Mais voici ce que je t’annonce ce prêtre craindra d’avoir par là une démonstration éclatante de l’infériorité de son dieu…

Et, renforçant la voix avec orgueil, il ajouta :

— Quant à nous, il ne nous déplaît pas de laisser Adonaï accomplir ses prestiges, puisque nous ne nions pas sa divinité. Mais les ministres de la superstition qui ravalent le Dieu-Bon au rang d’ange déchu, eux qui en font un diable plus ou moins enchaîné, ils se gardent bien de laisser voir qu’il est libre et supérieur en divinité, c’est-à-dire qu’il est seul digne d’être nommé l’Être Suprême, le dieu le meilleur et le plus grand… Ce sont les prêtres de Christ qui mettent la lumière sous le boisseau !

— Dois-je répondre à ce qu’il m’a écrit du figuier maudit ?

— Oui, afin de ne pas lui laisser le dernier mot… Mais souviens-toi que tu as la vérité, et maintiens simplement ta précédente lettre. Donne-lui à comprendre qu’il n’a pas vaincu ta foi, que ses arguments captieux sont sans force contre elle. Dis tout cela poliment, mais fermement, d’un ton ne souffrant pas de réplique. Sois respectueuse pour sa personne et pour ceux qui sont comme lui. Plains son erreur, et flétris ceux de ses pareils qui sont hypocrites. Qu’il sache que son éloge de la charité n’a pas fait dévier ton raisonnement ; car les deux questions, charité et chasteté, sont distinctes… En vérité, je te le déclare, cette chasteté, quoi qu’il dise, la religion superstitieuse l’impose à ses prêtres… Tiens, transcris encore ceci, et fais-en ta conclusion sur ce point : « Soyez chaste, mais sans contrainte. Vierge je suis, et je me garde telle, parce que j’ai un époux céleste et non pour me donner jamais à votre Christ, que j’exècre, à cause de tout le mal qu’il fait au monde. »

— Ainsi, interrogeai-je, nous arrêterons là notre correspondance ?

— Oui, après cette lettre, tu ne lui écriras plus, excepté s’il consent à être mis en rapport direct et visible avec toi, mais par mon intermédiaire.

— Comment donc ?…

— Je veux voir si ce prêtre peut se laisser entraîner par quelque bon sentiment, vers la vérité de notre Dieu… S’il fait le premier pas, à ta sollicitation, eh bien, il sera à nous.

— Dictez-moi, Asmodée, ce qu’il faut que je lui écrive, dans ce but.

— Tu termineras ta lettre, en l’invitant à cesser toute correspondance ; mais tu lui offriras de venir auprès de lui, en ces termes… Écris exactement ceci : n’y change pas un mot : « Si vous voulez me voir, abstenez-vous pendant trois jours consécutifs de faire votre messe, mais cela sans recourir à une dispense de votre supérieur ; ôtez de dessus votre corps tout talisman adonaïte, médaille, scapulaire, etc. ; le troisième soir, couchez-vous à neuf heures, après avoir passé vos mains sept fois au-dessus d’une flamme légère ; entre dix et onze heures, dites en n’importe quelle langue, de trois minutes en trois minutes, sincèrement : « Asmodée, permets à ton épouse Diana de venir me donner la lumière du Dieu-Bon. » En quelque endroit que je me trouverai, soit en Europe, soit en Amérique, à onze heures précises, à votre dernier appel, vous me verrez auprès de vous. »

Hélas ! elles étaient bien épaisses en mon âme, les ténèbres de Lucifer ; car j’obéis aveuglément à l’abominable démon dont j’étais la dupe, je ne compris pas le ridicule de ses prétendues prophéties ; en se servant de moi pour les débiter, il me mettait au rang des plus grotesques tireuses de cartes. Je n’eus pas non plus grande perspicacité, en acceptant ce rôle de tentatrice qu’il me donnait à remplir, dans son cynique espoir que l’attrait d’un prestige diabolique inciterait ce bon prêtre à manquer à ses premiers devoirs sacerdotaux. Vraiment, je le vois aujourd’hui, les ruses de l’enfer sont sans action contre les saints ; ce qui peut paraître une habileté, aux yeux du vulgaire, n’est qu’un piège des plus grossiers, quand il est tendu à une âme d’élite.

Asmodée s’étant retiré, je confectionnai le talisman et j’écrivis la lettre.

La réplique ne se fit point attendre.

« Mademoiselle, me répondait le digne prêtre, vous me faites des prophéties de malheur ; je ne les crains nullement, Dieu seul connaît l’avenir. — Vous dites qu’on ne comprend pas votre religion. Vous n’avez pas de religion. Votre religion consiste à ne vous contraindre en rien. — Vous êtes la dupe d’un esprit malin, qui se dit votre époux céleste, et il a des poils comme les renards !!!

« Pauvre jeune fille ! vous êtes vierge… Oh ! si vous l’étiez vraiment!… Mais votre époux céleste s’appelle Asmodée ; ce qui signifie le démon de l’impudicité. — Le misérable par votre entremise me propose de laisser trois jours la messe et de l’invoquer ! Il est bien maladroit en cela. Il sait quelle est l’action de la messe sur lui et sur tout l’enfer. — Il sait aussi que j’ai un pouvoir sur lui. Je veux vous le prouver. Il a dit qu’il ne craignait pas ma lettre : elle l’a pourtant bien mis en colère.

« Maintenant, si vous voulez ouvrir les yeux, vous n’avez qu’à lui présenter l’ordre que je lui donne. Il fuira devant vous, toutes les fois que vous le lui présenterez. Vous verrez qu’il n’est ni dieu, ni céleste, mais qu’il est un misérable démon de la pire espèce, qui tremble au nom de Jésus.

« J’écris ceci, parce que j’aime votre âme. Ouvrez les yeux, si vous ne voulez pas être perdue pour l’éternité.

« ✝ Asmodée, démon de l’impudicité, — au nom de Jésus, Roi du Ciel et de la terre, — régnant dans l’Eucharistie, — je t’ordonne de rentrer dans les enfers ! »

Je fus outrée de cette lettre : elle me parut outrageante au plus haut point. En mon erreur, je la jugeai atrocement calomnieuse envers mon fiancé. Mais l’indignation ne fut pas mon seul sentiment.

L’écriture était mouillée, très mouillée.

— Le moine, me disais-je, a aspergé sa lettre d’eau maléficiée.

Et je mis le papier à distance, pour le relire. Je l’avoue, je n’étais pas rassurée ; il me semblait que quelque maléakh allait sortir tout à coup de ce papier adonaïte. Je me tenais en garde… Puis, je récitai vivement quelques prières lucifériennes, demandant au Dieu-Bon de me préserver contre les attaques du Royaume Humide… Enfin, par mesure de précaution, je résolus de brûler cette lettre, après en avoir pris copie, toutefois ; car, malgré mon échec, je considérai intéressant de garder complet l’ensemble de cette correspondance. Je l’ai retrouvée récemment, parmi la quantité innombrable de lettres que je reçus.

Oh ! je n’eus pas la moindre tendance à évoquer de nouveau Asmodée, pour lui présenter la feuille où je ne voyais alors qu’horribles blasphèmes. Je me dis au contraire :

— Combien Asmodée avait raison !…

Quand je brûlai la lettre, j’étais toute frissonnante, et avec quel soulagement j’en dispersai les cendres, les ayant emportées loin de chez moi !

Aujourd’hui, je suis dans la confusion, en jetant ce coup d’œil en arrière. Je me demande comment j’ai pu, si longtemps demeurer le jouet des démons ; je frémis à la pensée de l’abîme où mon âme était plongée, si bas, si bas, si profondément dans le gouffre de damnation ; et je tremble, en songeant que le péché pourrait tuer encore ma pauvre âme ressuscitée !

Cette honte du passé, nécessité de ne la point éviter. L’humiliation aide au salut, et je ne saurais trop m’humilier. Voilà pourquoi je viens de montrer la coupable que je fus : coupable d’orgueil, coupable de lâcheté, coupable de refus d’ouvrir les yeux, coupable d’avoir attristé un saint religieux, coupable d’avoir accepté des puissances infernales un odieux rôle pour essayer de le perdre. Ce fut plus qu’une faute, tout cela ; ce fut un crime.

Et Dieu pardonne de tels crimes !… Miséricorde infinie !… Est-ce bien possible ! Suis-je vraiment pardonnée ?… Non, le ciel n’est pas pour moi ; j’en suis indigne ; et quand aujourd’hui quelque bon prêtre m’écrit dans son enthousiasme : « Nous nous connaîtrons au ciel », j’ai peur, oui, j’ai peur que son vœu ne se réalise pas pour moi, j’ai peur qu’une défaillance me fasse retomber au pouvoir de l’enfer… Amies, amis, priez, priez bien pour moi !…

Mais quelle lumiére, aussi, que ce triste exemple !… La voilà, mise en plein jour, l’impuissance du diable… Quand j’y réfléchis à présent, quel piètre devin, le misérable Asmodée !… À l’instar de ses pareils, il ignore ce que Dieu ne veut pas qu’il sache. Il m’a fallu, en certains cas, le renseigner moi-même sur ce que j’avais fait. Dieu permet au diable de lire dans les âmes et parfois donc il l’en empêche : cette question est du domaine des théologiens ; je n’ai pas à t’examiner, vu ma complète incompétence ; je me borne à citer mon fait. Le malin, dans sa superbe veut s’ériger en esprit céleste ; il ose s’attribuer mensongèrement la puissance divine, pour tromper les hommes ; et Dieu le couvre de confusion, en faisant éclater qu’il n’est qu’un instrument, un fourbe grossier, dès que la puissance de la nature angélique lui est retirée, un méchant niais, un vil maladroit

Détestable effet de mon éducation luciférienne, je voyais tout à rebours. Quel aveuglement, celui des victimes de Satan ! et quelle illumination soudaine, quand on s’abandonne à la grâce, en baignant son âme dans les eaux vives de la foi !

  1. Voir les fascicules n°2, 5 et 6 des Mémoires.