Mémoires d’une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante/01/Je ne suis plus des vôtres ?… Soit !

Je ne suis plus des vôtres ?… Soit !


Tout est possible, même l’impossible ; tout arrive, même ce qui ne devrait pas arriver.

M’est arrivée, en effet, la plus impossible missive que je pouvais attendre. Qu’on la lise.


« Or ▽ de Londres, le 19 payni 000895.
« T▽ C▽ S▽ Diana Vaughan,

« Le Comité permanent de la Fédération Palladiste Indépendante vient de prendre connaissance du troisième numéro mensuel de la revue que vous avez fondée à Paris sous le titre le Palladium Régénéré et Libre et que vous rédigez, en, vous appuyant sur un des votes du Convent de Londres (séance du 2 mékir 000894).

« Malgré toute l’affection que les membres du Comité vous portent, sans en excepter un seul, et tout en reconnaissant la parfaite loyauté de vos intentions, ils ne peuvent vous laisser dire plus longtemps que vous agissez pour le bien de notre cause, et ils se voient dans la pénible obligation de vous désavouer complètement devant les Triangles de la Fédération.

« En publiant dans votre deuxième numéro un document destiné à demeurer secret, quelle que soit l’opinion qu’on en puisse avoir, vous aviez commis déjà une grave faute. La reproduction qui en a été faite, avec autant de joie que d’empressement, par de nombreux organes de l’Adonaïsme dit catholique romain, les éloges publics que le journal l’Univers, moniteur officiel du Pape de la superstition en France, vous a adressés, dans son numéro du 30 mai, pour vous féliciter de cette divulgation, auraient dû vous faire comprendre que vous vous étiez engagée dans une mauvaise voie.

« Vous avez ainsi porté le trouble dans nos rangs. Deux membres les plus dévoués de notre Comité, craignant de paraître solidaires de vos écarts, aux yeux des Indépendants fédérés, donnèrent leur démission et ne l’ont reprise qu’à la suite de notre délibération d’hier, portant un blâme formel de votre conduite.

« Quand vous avez appris cette démission, si vous n’aviez été égarée par l’idée fixe de tout sacrifier, même les intérêts de notre cause, à la satisfaction d’une haine personnelle, vous auriez senti quelles difficultés votre manque de sang-froid et de prudence créait à notre œuvre, dont le but n’est pas seulement la propagande sur de nouveaux terrains, mais aussi la préparation d’une entente plus ou moins prochaine avec nos FF▽ et SS▽ séparés, moyennant des concessions réciproques et la démission imposée au F▽ 461, seul obstacle à notre union.

« Loin de là, vous obstinant dans la plus malencontreuse des tactiques, ne voulant prendre conseil que de vous-même, perdant toute mesure, travaillant contre le sens même des principaux votes du Convent Indépendant de Londres, vous avez publié ce troisième numéro de votre revue, que tout Palladiste, non égaré comme vous l’êtes, condamnera avec une juste sévérité.

« Dans ce numéro, vous portez de véritables défis à quiconque, parmi les Indépendants fédérés, ne pense pas comme vous ; vous insérez une lettre d’un ministre d’Adonaï, en déclarant que vous en êtes très touchée et lui promettant que, à l’égard de la mère du Christ, vous ne vous servirez jamais plus d’expressions pouvant heurter la foi des catholiques romains ; vous annoncez que vous publierez le récit de « crimes odieux » commis dans les Triangles ; vous représentez le bon génie qui a daigné se constituer votre protecteur, comme fuyant irrité devant le nom de Jeanne d’Arc, dont votre aveuglement exagère singulièrement les mérites ; tout en expliquant que vous avez été trompée par un renégat de nos croyances, vous reconnaissez lui avoir fourni des armes, qui ont été tournées contre nous et que vous ne lui avez pas reprises alors qu’il était encore temps de le faire ; enfin, dans une correspondance que vous insérez et dont le sens est bien facile à comprendre, vous ne vous cachez pas de prendre rendez-vous avec la supérieure d’un couvent adonaïte, pour y avoir un séjour, de vingt-quatre heures, dites-vous.

« Nous avons le regret de vous le dire, T▽ C▽ S▽, par ce troisième numéro, vous avez prononcé vous-même votre condamnation. Vous n’avez plus le droit de vous dire des nôtres.

« Si le Convent Indépendant de Londres n’a pas stipulé dans quelles limites il vous donnait mandat, c’est qu’il ne serait jamais venu à la pensée des délégués vous accordant leur confiance que vous pourriez en faire un tel abus.

« Nous aussi, nous tenons nos pouvoirs du même Convent, et à l’unanimité, par délibération d’hier, nous vous désavouons et vous faisons défense de vous servir désormais de ce titre de Palladium Régénéré et Libre, qui est celui adopté par la Fédération et lui appartenant.

« Nous vous donnons sept jours pour réfléchir, détruire tous les exemplaires non distribués des numéros 2 et 3 de votre revue que nous répudions, nous remettre votre démission de déléguée à la propagande, et prendre l’engagement par écrit de ne plus accomplir une démarche quelconque ni publier quoi que ce soit, même sous votre responsabilité morale personnelle, sans en avoir référé au Comité Fédéral.

« C’est avec une profonde douleur que nous nous voyons dans la nécessité d’en venir là ; mais, quand vous aurez repris possession de votre sang-froid et que la réconciliation de tous les FF▽ et SS▽ du Palladium se sera faite par la démission dont nous venons de parler plus haut, et à laquelle nous travaillons par des moyens plus sûrs que les vôtres, vous comprendrez que nous avons eu uniquement en vue de vous protéger contre vous-même, c’est-à-dire contre les erreurs de votre fougue, ne supportant aucun frein.

« Nous espérons, cependant, que vous voudrez bien méditer cette voûte, qui, vous le savez, vous est adressée par vos meilleurs amis Nous désirons de tout notre cœur que vous prêtiez enfin l’oreille à la voix de la raison.

« Cette voûte devra être tenue secrète par vous, nous l’exigeons absolument. Vous ferez simplement une circulaire à vos abonnés par laquelle vous leur annoncerez, sans commentaires, que, par ordre du Comité Fédéral, la publication de la revue le Palladium Régénéré et Libre ne se poursuit pas, l’expérience de la propagande publique ayant été jugée suffisante. Le Comité prendra ses mesures, d’autre part, pour imprimer un organe-lien qui sera distribué aux Triangles seuls et aux Groupes Familiaux donnant des preuves de bon fonctionnement.

« Que le G▽ A▽ d▽ l’U▽, notre Dieu, vous soit en aide »

(Suivent les signatures).


Délicieuse plaisanterie, celle de la fin de la voûte : nous vous désavouons devant les Triangles, mais nous vous défendons de le dire au public !…

Et pourquoi cela donc ?… Il ne me gêne pas du tout, moi, votre blâme. À dire vrai, il m’a fort surprise ; mais vous savez, chers amis, que j’ai la résolution prompte, et, ma foi, sitôt remise du coup de stupéfaction, — vous l’avouerai-je ? — j’ai eu un des plus beaux éclats de rire de mon existence. Or, les meilleures décisions sont celles que l’on prend en état de douce gaîté et l’esprit libre de tout souci.

Vous m’avez fait savoir vos volontés ; grand merci. Maintenant, apprenez les miennes.

Je me garderai bien de faire détruire par mon éditeur les exemplaires qui lui restent des numéros 2 et 3 du Palladium Régénéré et Libre ; ils sont la preuve de votre exquise intolérance. Je les donne donc à mon éditeur, et je lui souhaite de remettre ces deux numéros souvent sous presse, afin que soient nombreuses le plus possible les personnes qui voudront bien constater que le fait d’avoir des opinions religieuses tout à l’opposé de celles des catholiques romains ne me rendait pas, moi, menteuse, malhonnête, ni trouvant insupportables les convictions contraires aux miennes.

Ma démission de déléguée à la propagande ?… Je ne vous la remets pas. Je vous envoie mieux : ma démission de tout, de tout, de tout. – Je n’ai plus le droit de me dire des vôtres ?… Je ne songe pas à le dire : je n’en suis plus, je n’en veux plus être. Deux fois déjà, j’avais donné ma démission ; je désirais vivre en paix, dans la retraite. Deux fois, vous, mes meilleurs amis, vous êtes venus me supplier de reprendre part au combat.

Aussi bien, il est opportun de s’expliquer à ce sujet devant le public ; car aucunement je ne tiens à paraître ridicule. Oui, il me semble nécessaire qu’on sache bien que, ridicule, ce n’est point moi qui le suis.

La première fois, je démissionnai à la suite des scrutins frauduleux du Palais Borghèse. Vous êtes venus vers moi alors, avec bien d’autres, et vous m’avez juré, par tous les dieux de l’Olympe, qu’on allait faire à Lemmi dit Simon une guerre implacable, et que, quoiqu’il pût arriver, on ne désarmerait pas. Oh ! les belles ardeurs ! le zèle extraordinaire ! le magnifique départ pour le triomphe certain !… Mais il a suffi à quelques malins allemands de mettre en avant une combinaison plus ou moins déshonorante, pour qu’on baissât pavillon et qu’on légitimât l’usurpation du 29 thoth (20 septembre 1893).

En présence d’un tel manquement à la foi jurée entre les alliés de la résistance, je démissionnai pour la seconde fois, plutôt que de subir la honte, et vraiment je crus avoir trouvé la tranquillité, pendant sept mois environ. De nouveau, on est venu me demander de coopérer à une autre action, offensive et défensive : cette fois, vous étiez moins nombreux à me solliciter ; mais vous étiez la phalange des irréductibles, le bataillon sacré ! Il s’agissait de créer une Fédération Indépendante ; peu à peu on attirerait à soi les mécontents, et, en outre, en recrutant des adeptes directement dans le monde profane, on créerait des Groupes Familiaux (ingénieuse trouvaille du F▽ Gaetano S.), qu’on transformerait ensuite en Triangles, de façon à fortifier solidement la Fédération. Après quoi, quand le Palladisme Indépendant serait fort, il exigerait la déchéance de Simon, pour faire l’union avec les FF▽ et SS▽ séparés.

Conception sublime ! plan superbe ! prodige d’habileté !

À ceux qui sont venus me demander mon adhésion, qu’ai-je dit ? « C’est excellent d’être habiles, mais il faut d’abord être honnêtes ; c’est parfait de recruter dans le monde profane, mais il faut pour cela faire la propagande au grand jour. » Et, pour être des vôtres, j’ai posé deux conditions : publicité de la propagande, et nettoyage complet du rite. Vous m’avez répondu : « Nous sommes d’accord. »

Aujourd’hui, c’est vous qui dites « Plus de propagande publique ! » Vous n’osez pas ajouter : « Réflexion faite, ne procédons pas au nettoyage. » Allons, pas de biais, mes chers amis ; au fond, c’est là ce que vous pensez.

Je le maintiens : vous ne voulez pas plus du nettoyage que de la publicité. Pour qu’une propagande soit bonne, elle doit être loyale, sans arrière-pensée, montrant l’erreur de l’adversaire, mais ne mettant pas en doute la sincérité de sa croyance et par conséquent respectueuse des personnes, concédant aux trompés honnêtes tout ce qui n’est pas reniement de sa propre foi, s’abstenant de descendre aux bassesses de polémique. De même, pour faire du nettoyage efficace, il faut donner grands coups de balai dans les ordures.

Mon œuvre n’était pas autre. Je comprends que l’adversaire se soit scandalisé d’une propagande publique ; mais vous ?… Alors, vous n’êtes donc pas certains de posséder la vraie lumière, puisque vous réclamez encore les ténèbres, au moment où nous allions enfin sortir de nos catacombes ?… Vous ne voulez pas les grands coups de balai dans le tas d’ordures ; alors, elle vous plaît donc encore, la malpropreté ?…

Je vous accorde de ne plus me servir de votre titre. Il est à vous ; reprenez-le. Mais, je vous le déclare, entre mes mains, il était sincère ; vous, vous en faites un masque, puisque vous me désavouez… Ah ! vous ne voulez pas qu’on dévoile et flétrisse les crimes ?… Eh bien, je vous refuse le droit de dire que votre Palladisme est régénéré… Vous me parlez en esclaves de Simon, craignant son fouet, le ménageant et tendant l’échine ; eh bien, je vous refuse le droit de dire que votre Palladisme est indépendant et libre.

Donc, c’est entendu : je vous rends votre titre, et je ne ferai plus aucune propagande pour aucun Palladisme. La religion de Lucifer Dieu-Bon, nous ne la comprenions pas de même ; je ne le vois que trop.

Mais de ce que, à la suite de votre inqualifiable voûte, je cesse la revue le Palladium Régénéré et Libre et ma propagande des principes lucifériens orthodoxes, il ne résulte pas que je rentre dans le silence. Je ne suis pas, moi, une marionnette automate qui se meut ou demeure au repos, selon que l’on monte ou démonte son mécanisme. J’étais dans le calme de la retraite, vous m’en avez fait sortir ; ne vous imaginez pas que ma plume étant à présent condamnée par votre délibération du 18 payni, je vais la laisser moisir dans l’encrier, en attendant que vous daigniez me prier de la reprendre. Non, non ! Maintenant je suis « en train » : je commençais le nettoyage, croyant agir en cela pour le bien de la cause ; je le continuerai pour le bien public et ma satisfaction personnelle, voilà.

Au lieu d’une revue, organe-lien des groupes lucifériens indépendants, mes lecteurs auront mes Mémoires d’Ex-Palladiste, parfaite initiée. Sous un autre titre, je publierai exactement ce que je comptais publier ; seulement, je n’agirai plus dans un but de propagande, le triomphe du Palladisme m’étant devenu tout-à-fait indifférent, grâce à vous, messieurs du Comité Fédéral.

(Je me hâte d’ajouter que ceux de mes lecteurs-abonnés à qui ne plairait pas ce changement de programme n’ont qu’à le faire savoir immédiatement ; mon éditeur les remboursera par retour du courrier.)

J’écrirai pour faire connaître tout : je dirai, à mon tour, ce qui se passe dans les Triangles, ce que j’ai empêché dans la mesure de mes forces, ce que j’ai toujours blâmé et ce que je croyais être bien ; le public jugera. Je parlerai sans haine, sans l’ombre même d’une rancune. Je n’ai haine pour personne. Étonnez-vous, rédacteurs de la voûte du 19 payni : malgré votre dire, je ne hais pas Simon ; je le méprise. Et vous, je ne vous en veux pas non plus ; je vous plains.

Votre volonté est que je cesse d’écrire, j’écrirai plus que jamais ; vous voyez que cette fois nous ne sommes pas d’accord.

Que vouliez-vous encore ?… Ah ! j’allais oublier : pas une démarche quelconque, sans vous en avoir référé !… Tenez, vous ne vous doutez pas, mes pauvres amis, à quel point vous êtes amusants.

Alors, si j’étais restée des vôtres, il m’aurait fallu votre permission pour aller rendre visite à une digne et excellente femme, dont la mère se trouve avoir été l’amie de la sœur aînée de ma mère, et qui m’a rappelé ce souvenir dans une lettre aussi spirituelle que bonne et courtoise ?… Vous avez frémi, parce que quelques lignes, en correspondance du troisième numéro, vous ont fait comprendre qu’il s’agissait d’une religieuse du catholicisme romain. Ô mes ex-frères, que vous avez le frémissement facile !…

Or ça, que vos cheveux se dressent d’horreur sur vos têtes. J’aurais pu envoyer directement, par lettre, à leur destinataire, ces quelques mots de correspondance. Savez-vous pourquoi j’ai préféré les insérer ? C’était pour avoir un prétexte d’adresser mon numéro 3 à cette religieuse ; le numéro contenait la lettre d’un prêtre-professeur et ma réponse qui vous a fait bondir. Eh bien, j’étais sûre, avec ce numéro, de causer grand plaisir à la digne femme. Quelle perversité de ma part, n’est-ce pas ?… Allons, allons, ô vous qui vous dites mes meilleurs amis, nous n’étions point faits pour nous entendre.

Car, — c’est toujours à ceci qu’il faut revenir, — vous ne méprisez pas Simon et ses pratiques. La vérité : vous ne voulez pas de lui, parce que ce n’est pas l’intérêt de votre caisse d’avoir Mandrin pour caissier ; mais son Palladisme ne vous répugne aucunement. Disons tout : vous y tendez.

Quelle lutte il m’a fallu soutenir, au Convent Indépendant de Londres, pour faire inscrire dans le programme discuté le qualificatif régénéré ajouté au mot Palladium !… J’ai pu obtenir la suppression officielle de certaines pratiques, et non sans peine ; — vous les vouliez maintenir facultatives ; — mais il m’a fallu vous faire la concession d’en conserver les symboles. Il est juste de dire que vous me laissiez le droit d’en fixer l’interprétation.

Avouez-le : si vous désirez l’union avec les FF▽ et SS▽ séparés, en imposant la déchéance de Simon, par contre, vous l’attendez avec impatience, cette réconciliation, surtout afin de reprendre des traditions déplorables, contraires à ce que je croyais le vrai Palladisme, mais traditions que bien peu d’entre vous réprouvent.

Et, à ce propos, souffrez que je vous dise que vous pouvez revendiquer le titre le Palladium Régénéré et Libre, puisqu’il a été adopté par la Fédération ; mais les Brefs d’autorisation en Activité, destinés aux Groupes Familiaux, m’appartiennent en toute propriété ; car c’est moi qui ai tout payé, gravure, impression, sceaux. Certes, maintenant, je ne vais pas en user pour vous aider à fonder des groupes ! Je les utiliserai, en les transformant en prime pour mes lecteurs-abonnés ; toutefois, je vous préviens, afin que vous n’en ayez aucune surprise, que je publierai dans mes Mémoires l’explication de ces symboles, telle que les simoniens et la plupart d’entre vous la veulent comme dogme, vrai dogme de satanisme[1]. L’explication étant alors révélée, au sens dans lequel vous retombez, nous verrons si vous pourrez fonder beaucoup de Groupes Familiaux ?… Je dis : non.

Avec l’honnêteté, on en eût créé un grand nombre. En pratiquant, vous aussi, un Palladisme satanique, vous vous condamnez à l’impuissance ; et moi, je vous condamne au mépris public.

Quant à vos Triangles, — je parle des vôtres aussi bien que de ceux soumis à Simon, — ma plus grande joie sera de travailler à leur destruction, puisque vous rechûtez dans le satanisme d’où je m’efforçais de vous tirer ; travail de destruction que j’opèrerai en parfaite placidité de conscience, en certitude de faire bien. Si le Palladisme doit être ça, s’il est impossible de le « débarbouiller », pour employer l’expression pittoresque d’un écrivain adonaïte qui signe Flavio, par ma foi de croyante honnête, je le jure : autant vaut qu’il s’effondre à jamais dans l’universelle réprobation !

Ah ! contre les divulgations du docteur Bataille vous avez poussé, chez vous, des cris à ébranler les murailles de vos temples ?… Eh bien, je vous annonce mieux que tout ce qu’a pu dire ce catholique romain, dont les révélations perdaient, il semble, une part de valeur par le fait que son enquête avait été résolue avec une idée préconçue, immuable, accomplie avec des yeux d’adversaire. Moi, nul ne pourra m’accuser de parti pris adonaïte. Et vous n’ignorez pas quelles sont les choses que je sais, c’est-à-dire que rien ne m’a été caché, que le Dieu-Bon lui-même, en personne, n’a eu pour moi aucun secret. Et je vous assure que personne, d’aucun monde, ne mettra un bâillon sur ma bouche  !

N’invoquez pas contre moi mon serment.

À qui ai-je juré respect, amour, fidélité ?… Est-ce à Satan, à un roi du mal, à un prince-souverain chef de diables ? Non, jamais, jamais ! J’ai prêté serment à Lucifer, en tant que principe du bien, dieu de bonté suprême.

Je crois, ou j’essaie de croire encore que Lucifer est le Dieu-Bon, et Adonaï, le Dieu-Mauvais. Mais, vous qui appelez malencontreuse ma tactique, j’ai le devoir de vous dire que c’est votre tactique qui me devient suspecte. Vous me donnez sept jours pour réfléchir : or, dans ma réflexion immédiate, je vous vois n’opérer que tortueuses manœuvres. Le nom de Lucifer est sur vos lèvres ; hélas ! je comprends que c’est un Satan que vous adorez.

Après avoir ri de votre prétention à m’imposer vos tyranniques et ineptes volontés, maintenant je tremble. Je tremble en me demandant si mon bien-aimé père, trompé lui-même, ne m’a pas infusé l’erreur.

Je relis ces lignes, écrites sur moi il y a un an par un adversaire dont j’ai toujours apprécié l’élévation de cœur et la droiture, et qui m’ont vivement frappée : « Diana Vaughan se fait de Lucifer une image absolument contraire à ce qu’il est réellement ; de sorte que, dans l’esprit mauvais, elle se figure, non ce qu’il est, mais l’antithèse de ce qu’il est. Elle s’imagine un Lucifer bon, protégeant le bien, miséricordieux même, tel, en un mot, que sont les anges de lumière, et c’est en le revêtant des perfections divines qu’elle se prosterne devant lui ; de sorte que son erreur n’est pas dans la conception qu’elle se fait de la divinité, mais elle consiste à attribuer les dons divins à l’infernal ennemi de Dieu. »

Cette opinion ainsi exprimée ne m’avait aucunement convaincue. L’écrivain ne m’apprenait rien de nouveau, en disant, dans un style catholique romain, que l’orthodoxie luciférienne est le contrepied exact de l’orthodoxie adonaïte. Pour le palladiste orthodoxe, Lucifer est le principe et l’auteur de tout bien, tandis qu’Adonaï équivaut au diable de la religion chrétienne, mais il est un diable rival du Dieu-Bon ; aux yeux du palladiste orthodoxe, Lucifer ne saurait donc être Satan, et, pour dire le mot, c’est plutôt Adonaï qui serait un Satan, d’ordre très-haut.

Mais ces lignes sont revenues à mon esprit, après lecture de la voûte londonienne et réflexions sur ce que je sais des tendances qui prédominent dans la pratique du Palladisme.

Réellement, je le répète, — et vous savez que je ne mens pas, — vous adorez en Lucifer un Satan, et d’autre part vous maudissez et repoussez avec horreur Adonaï, dieu des catholiques romains.

Ce n’est pas moi, par conséquent, c’est vous qui donnez raison à l’écrivain des lignes ci-dessus reproduites. Si, en adorant Lucifer, j’adorais le Satan qui reçoit vos hommages, alors j’ai été trompée, comme le fut mon père, comme le sont les quelques palladistes qui m’ont assuré penser de même que moi ; alors j’adorais le diable. Or, je ne veux pas, je n’ai jamais voulu de cette divinité-là.

Si Lucifer est vraiment Satan, mon serment est nul. Je n’ai besoin d’aucun prêtre catholique romain, d’aucun ministre protestant, d’aucun rabbin ni d’aucun marabout, pour m’en délier ; il est nul de lui-même, radicalement nul.

Et si je n’étais pas dans l’erreur, si Lucifer est vraiment le Dieu-Bon, si mon serment est donc valable, je ne le trahis point en démasquant les pratiques satanistes que j’ai constatées avec douleur dans les Triangles, contre lesquelles j’ai employé mes meilleures forces réagissantes ; je ne trahis point, car vous n’êtes pas lucifériens, vous êtes satanistes.

Il m’a été rapporté que c’était par complaisance pour moi que certains Triangles supprimaient ces pratiques, quand je les visitais en Inspectrice, mais que, sitôt après mon départ de la ville, elles étaient reprises de plus belle. J’ai tenu à faire vérifier le fait par quelques orthodoxes dont je suis sûre ; j’ai su ainsi ce qu’il en était, et j’en eus le cœur déchiré. J’avais formé l’espoir de ramener peu à peu tous les nôtres, au moins les Indépendants fédères, à l’orthodoxie, c’est-à-dire au dogme pur et aux pratiques incritiquables, par la voix de la persuasion, par la persévérance à glorifier le bien et à flétrir le mal, hardiment, hautement, sans ambiguïtés, au grand jour ; cet espoir, ô vous qui vous dites mes meilleurs amis, vous venez de le détruire.

L’obligation de me désavouer vous est pénible, dites-vous. Moi, je pousse un soupir de soulagement en rompant avec vous à jamais ; tenez, tandis que j’écris tout ceci, je respire mieux.

Je respire mieux, oui ; vos despotiques fantaisies ont provoqué mon rire, oui encore. Néanmoins, quel bouleversement vous avez porté dans le plus intime de mon âme !…

Ma vie tout entière passe devant les yeux de ma conscience. Je ne sais plus où j’en suis, d’où je viens, où je vais. J’entends un cri, qui me dit : « Je suis la vérité ; reste avec moi. » Puis, c’est un doux murmure à mon oreille : « Il t’a toujours trompée, renonce à lui ; Celui qui vraiment t’aime n’attend qu’une prière de toi pour t’ouvrir ses bras ! »

Qui écouter ? qui croire ?… Je ne le sais encore. Je riais il n’y a qu’un instant ; à présent, je pleure. Est-ce que je deviendrais folle ?… Ô Dieu-Bon, qui que tu sois, aie pitié de moi !

Ah ! plus de trouble, plus de tourments de pensée ! Songeons à l’œuvre urgente et nécessaire. Je ne suis plus des leurs, voilà le point incontestable. Écrivons, sans haine ni rancune, le livre de bonne foi ; disons, sans trembler, ce qui est, tout, tout. Neutralise-toi, ô mon âme, pendant que ma plume courra sur le papier.

Et, pour me soutenir, renonçant à tout appel d’esprits discutés, je n’invoquerai que Celle qui est, en mon sentiment, la plus sublime des héroïnes ayant vécu sur cette terre, et qui, où qu’elle soit, est certainement auprès de l’Éternel Bien :

— Sainte Jeanne d’Arc, combats pour moi !

DIANA VAUGHAN.


8 Juin 1895.



  1. Je rappelle ce qui est stipulé, dans les Règlements pour les Groupes Familiaux, à l’article 10, au sujet des Brefs d’autorisation en Activité :
    « Le modèle est celui que le Convent Indépendant de Londres, au 2 mékir 000894, a adopté pour servir uniformément à tous Diplômes, Brefs et Patentes de la Fédération du Palladium Régénéré et Libre, c’est-à-dire le modèle des Patentes de Hiérarque et de Maîtresse Templière au titre direct de Charleston, attendu que ce modèle est celui qui contient complètement les symboles du Palladisme ; toutefois, l’explication des symboles ne sera pas donnée aux demandeurs de Brefs pour autorisation de fonder un Groupe Familial. »
    Ah ! non, on n’aurait pas donné l’explication des symboles aux simples profanes, même bien décidés à fonder un groupe !…
    Mais, puisqu’on m’a fait payer tous les frais de ces Brefs, il est évident qu’ils sont ma propriété, sans contestation possible ; et puisqu’ils sont ma propriété, j’en dispose à mon gré. Rien ne me servira mieux pour démontrer le satanisme qu’on prétend maintenir dans les Triangles et auquel on comptait amener, malgré moi, les Groupes Familiaux. La production publique des Brefs, avec explications, sera un coup mortel pour le satanisme des soi-disant lucifériens.