Mémoires d’une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante/01/14 juin 1895


Gloire à Dieu, le seul vrai Dieu !
Gloire au Christ et à sa très sainte Mère !
Vive Jeanne d’Arc !


14 juin 1895. — Nombreuses pages écrites, depuis ma réponse à la voûte londonienne ; mais déjà ces pages ne peuvent plus être utilisées. Je ne comptais pas avoir si tôt à publier des mémoires, dans le sens qu’on attache à ce terme : prise à l’improviste, j’ai jeté sur le papier mes premières impressions ; or, depuis hier, mes impressions ne sont plus les mêmes qu’avant-hier.

Hier était, pour les catholiques romains, le jour de Fête-Dieu, la fête de l’Eucharistie. Pour les palladistes, hier était la troisième grande fête de Lucifer ; les deux autres jours où mes ex-Frères et ex-Sœurs célèbrent leur dieu sont la Noël, fête de blasphèmes contre le Christ naissant, et le Vendredi-Saint, fête de réjouissances contre le Christ expirant sur la croix.

Mercredi, j’arrivais dans la ville où demeure la digne et sainte femme qui a connu une de mes parentes, m’ayant tendrement aimée. Elle ne m’attendait point encore ; un billet lui fit savoir que j’étais là ; peu après, les portes du couvent me furent ouvertes. Elle et une autre religieuse, seules, connurent qui j’étais.

En franchissant le seuil du pieux asile, j’eus le sentiment que je faisais un pas nouveau vers Dieu, le seul vrai Dieu.

Ô Dieu que j’ai méconnu, pardon ! pardon ! L’indigne créature est parmi tes vierges. Pardon encore, ô Dieu de toute bonté !

Oui, Seigneur, il n’est qu’un Dieu, et c’est vous. L’autre est le mensonge, et vous êtes la vérité. Car il ne saurait exister deux Satans, deux dieux-mauvais ; or Lucifer est Satan. Merci, ô vous qui serez désormais mon Dieu, j’ai compris.

Le calme, je l’ai ; mon âme exulte, mon cœur se fond dans une douce joie, jusqu’alors inconnue. Priez pour moi, nouveaux amis ; demandez aux anges, aux saints, à Dieu, que je garde cette paix si suave, tant que je devrai vivre ; que la mère bénie du Christ m’assiste, surtout à l’heure de ma mort !

Elles m’ont entourée, me prodiguant leurs meilleurs soins, les vierges du Seigneur. Et la bonne causerie, les mains dans les mains, avec celle d’entre elles qui me rappelait un de mes meilleurs souvenirs !… Mais, laissons.

Le lendemain, jeudi, je devais quitter cette maison où la paix règne dans la vertu. Aucune des deux religieuses qui étaient dans la confidence n’avait tenté quelque acte de prosélytisme ; mais elles avaient prié, beaucoup prié, et moi aussi.

— Nous séparerons-nous déjà ? leur dis-je.

Elles me regardèrent, les yeux humides. L’heure de leur office allait sonner.

— Permettez-moi, repris-je, d’assister à la messe, qui est votre prière par excellence. J’y serai bien recueillie ; aucune de vos sœurs, je vous le promets, ne soupçonnera que je ne suis pas chrétienne.

Elles se consultèrent. Puis, d’elles deux, la plus en autorité me dit :

— Venez, chère enfant.

Je me jetai à son cou pour la remercier. Elle pleura ; nous pleurâmes toutes trois. Combien j’étais heureuse !…

Oh ! les inoubliables moments que j’ai passés dans la petite chapelle !… En demandant à entendre la sainte messe des catholiques romains, j’avais un but, que je ne pouvais expliquer aux bonnes religieuses : ce que j’aurais eu à leur dire leur eût causé grand chagrin, non à cause de moi, certes, mais à cause de mes ex-Frères et ex-Sœurs.

Je voulais m’agenouiller au pied de l’autel, dont le tabernacle sert de piédestal à l’image du doux Crucifié, de Celui qui a tant aimé les hommes, et je voulais, là, prosternant mon corps et élevant mon âme vers le Dieu des chrétiens, lui faire amende honorable pour tous les outrages dont les adorateurs de Satan, ce jour même, s’efforçaient de l’accabler, en essayant d’outrager le Christ par de monstrueuses folies.

La bonté des vierges de Dieu me permettait donc de pénétrer dans le sanctuaire de l’Éternel Bien.

On me plaça dans la partie de la chapelle réservée aux personnes du dehors ; j’étais mêlée aux catholiques du voisinage, qui, en cette grande fête, étaient accourus, heureux de faire leurs dévotions en ce couvent, comme en un temple privilégié. Il semble que, dans l’union avec les prières de ces saintes femmes, les prières des moins dignes montent mieux vers le ciel.

La religieuse, mon amie, — je puis bien lui donner ce titre, — m’avait prêté un livre de messe, afin qu’il me fût aisé de suivre l’office. Elle m’avait dit, en outre : « Vous n’aurez qu’à faire comme les personnes auprès de vous ; vous vous assiérez, vous vous agenouillerez ou vous vous tiendrez debout, quand elles feront ainsi. Mais surtout priez, et, de notre côté, nous unirons nos prières aux vôtres. » J’avais pris le livre, il ne me servit guère car je m’agenouillai dès le début, je ne me préoccupai point des changements d’attitude des fidèles, je ne vis que l’autel et son Christ aux bras tout ouverts pour attirer les coupables dans le repentir et la miséricorde, et la messe avait pris fin dès longtemps, tandis que j’étais encore à genoux, priant Dieu sans lire dans le livre, mais du plus profond de mon cœur.

Voici quelle fut ma prière :

« Ô Dieu d’infinie bonté, je crois en vous ; je vous remercie d’avoir permis que je ne sois plus au pouvoir des démons. Voici bientôt six ans que vos pires ennemis avaient fait de moi une grande-prêtresse du diable, et depuis mon enfance j’avais eu dans l’esprit que Lucifer était principe divin de tout bien, et que vous étiez dieu du mal. Pardon, mon Dieu, pardon !… Pardonnez à ceux qui ont trompé mon père car, vous le savez, mon bien-aimé père fut de bonne foi dans son erreur… Sans être plongée dans une erreur aussi profonde, ma chère mère vous méconnut aussi ; pardonnez-lui, bon Seigneur, par les mérites de Jésus-Christ ; pardonnez-lui en récompense de sa douce charité ; que ses œuvres de bien sur cette terre soient son rachat et celui de mon père, dans l’autre monde, et accordez-moi, au jour que votre providence a fixé pour le terme de mon existence humaine, la grâce de les retrouver tous deux au séjour du bonheur éternel, qui est votre paradis, ô mon Dieu !…

« Donnez la lumière de votre vérité sainte à tous ceux qui sont aveugles, comme si longtemps je l’ai été. Je vois maintenant les profondeurs de l’abîme où Satan me tenait ; vous m’en avez arrachée : mais, ô mon Dieu, puisque à présent je vous aime, puisque vous m’avez préservée alors même que j’étais en puissance des démons, puisque vous me voulez à vous ; donnez-moi encore, encore, je vous en supplie, donnez-moi plus de lumière, ne me laissez dans aucun doute sur les dogmes de votre religion, sur les enseignements de l’Église de Jésus-Christ.

« Ô bon Jésus, agneau sans tache, vous qui vous êtes offert à Dieu en victime expiatoire pour racheter les péchés du genre humain, oh ! je vous aime aussi de toutes les forces de mon âme. Obtenez-moi la grâce de croire à votre présence dans la blanche hostie que le prêtre du Saint des Saints élève vers cette croix où je vous vois attaché, et qui me rappelle qu’à votre dernier soupir vous pardonniez à vos bourreaux. Tant que je n’aurai pas la foi au mystère de la divine Eucharistie, je ne serai pas tout-à-fait heureuse. Ô Christ aimant et aimable, ô fils de la plus sainte des femmes, ô Messie rédempteur du monde, obtenez-moi la foi qui me manque encore.

« Et vous, sainte Marie, reine des cieux, refuge des pécheurs, consolatrice des affligés, Notre-Dame des Victoires, Notre-Dame du Sacré-Cœur, vous qui écrasez la tête du serpent maudit, priez pour moi, protégez-moi, sauvez-moi !

« Mon Dieu, il y a deux mois, l’avant-veille de Pâques, les palladistes du monde entier, maçons ou non-maçons, outrageaient votre Christ en foulant aux pieds la croix ; aujourd’hui, en ce moment, ils s’imaginent le meurtrir, l’immoler en exerçant leurs sauvages fureurs contre le Sacrement eucharistique. Vous le savez, Seigneur, je n’ai jamais participé à ce dernier déchaînement de la palladique haine ; mais je n’en ai aucun mérite, puisque je ne croyais pas à la présence réelle. Eux, les autres, ils disent : « Le Christ est là ! » et, la main armée du poignard, ils se ruent, pleins de rage, sur la blanche hostie ; les misérables ! Pardonnez-leur, mon Dieu, car ils ne savent ce qu’ils font. Moi, j’ai besoin de croire, et c’est pour adorer votre Christ sous les mystiques espèces. La foi ! la foi tout entière, oh ! donnez-la, divin Créateur, à l’indigne créature, qui vous implore ! Que je goûte la parfaite allégresse de ces saintes femmes qui prient ici avec moi ! Je vous adore, ô Dieu de bonté, dans votre clémence et dans votre justice ; je veux vous adorer encore dans vos divins mystères. Ne repoussez pas ma prière, Seigneur ; éclairez-moi !

« Vous, Jeanne, vaillante et pure martyre, soyez mon interprète céleste et défendez ma cause devant le trône de Dieu. Portez mon amende honorable à Jésus, dont vous inscriviez le nom triomphant à côté de celui de sa très sainte Mère, sur votre étendard, et dites au Tout-Puissant, au seul Tout-Puissant qui vous a admis dans sa gloire, que je lui offre ma vie pour la conversion de quiconque me hait.

« Oui, oui, Seigneur, après m’avoir éclairée, prenez-moi. Qu’à mon tour je sois victime ; que mon sacrifice détourne votre juste colère ; que des larmes de douleur, versées par mes yeux, effacent les offenses de mes ex-Frères et de mes ex-Sœurs. Pitié pour eux tous, ô mon Dieu ! lumière à tous et pardon même aux plus coupables ! Ma santé, ma vie, mon sang, prenez tout, et qu’Adriano Lemmi devienne honnête, se convertisse à vous et vous bénisse à jamais ! »


16 juin. — Je demeurai deux jours de plus en ce couvent. La supérieure est une femme d’une intelligence très haute, d’un esprit des mieux cultivés, et encore de la plus grande sagesse : elle avait compris, dès mes premières explications, pourquoi il était nécessaire que le secret de ma visite fût gardé entre les deux seules personnes à qui j’avais révélé mon identité, et desquelles elle était l’une ; elle comprit aussi l’impossibilité pour moi d’établir ma résidence chez elle, pendant que j’écrirais mes Mémoires, se rendit compte de la manière dont j’ai organisé mon travail sans que ma retraite puisse être découverte, et vit bien qu’il n’en pourrait être ainsi si je me fixais ailleurs que dans cette retraite. Je lui promis de lui faire quelquefois encore la surprise d’une visite, et nous nous quittâmes.

Je me suis fait rendre par mon éditeur les premières pages que j’avais écrites à la suite de ma réponse à la voûte du Comité Fédéral de Londres ; cette réponse est du 8 juin. Je la conserve en tête de ces Mémoires, afin que les chrétiens fidèles aient sous les yeux la constatation de mon progrès en cinq jours ; peut-être quelque jour je pourrai en dire publiquement toute la cause. Mais mes pages écrites les 9 et 10 juin étaient insuffisantes, mes impressions n’étant plus les mêmes depuis que j’assistai à la sainte messe de la Fête-Dieu.

Donc : je rassemble à la hâte mes matériaux ; je réclame l’indulgence pour une œuvre qui s’est imposée à moi, sans plan préconçu ; et je commence ici. Ce travail sera forcément un peu décousu ; lecteur, n’en veuille qu’aux circonstances. En tout cas, que chacun ait la certitude que pas un mot ne scandalisera ; on sait que je n’ai jamais manqué à ma parole.

À tous ceux qui me liront je demande de ne pas m’oublier dans leurs prières. Surtout, amis, faites prier les prêtres, les religieux et religieuses qui appartiennent à vos familles, et pour que les voix les plus pures s’élèvent ainsi vers le ciel, faites prier les petits enfants, avec les ministres et les vierges de Dieu.


J’ai quitté le couvent hier soir. On m’y apprit, à mon départ, que plusieurs prêtres, religieux et religieuses, avaient offert à Dieu leur vie, afin d’obtenir par ce sacrifice que je ne sois plus luciférienne. Je ne le suis plus : mais, ô mon Dieu, ne prenez la vie d’aucun de vos saints prêtres, d’aucune de vos religieuses si pures, si méritantes ; prenez ma vie plutôt.

Notre-Dame des Victoires, Notre-Dame du Sacré-Cœur, priez pour moi.

Jeanne d’Arc, combats pour moi.