Mémoires (Saint-Simon)/Tome 6/5


CHAPITRE V.


Scandaleux éclat entre Chamillart et Pontchartrain à l’occasion de la nouvelle de la retraite du duc de Savoie. — Le fils de Tessé fait maréchal de camp. — Folie de Tessé et de Pontchartrain. — M. de Savoie prend Suse. — Tessé de retour. — Naissance du prince des Asturies. — Perte du royaume de Naples. — Belle action de Villena, vice-roi indignement traité par les Impériaux. — Conspiration découverte à Genève. — Bains à Forges inutiles au moins. — Service de la communion du roi ôtée aux ducs avec les princes du sang. — Colère du roi sur Mme de Torcy. — Femmes de la plus haute robe ne mangent point avec les filles de France, et les servent. — Princesses du sang très rarement au grand couvert, et sans conséquence.


L’importante nouvelle d’une délivrance si désirée arriva le matin, à Marly, du vendredi 26 août, par un courrier de Langeron, qui commandoit là la marine, à Pontchartrain, qui aussitôt fut la porter au roi et le combla et toute la cour de joie. Ce courrier avoit été dépêché à l’insu de Tessé qui envoya son fils, lequel ne partit que huit heures après le courrier de Langeron, et arriva à l’Étang où Chamillart étoit, qui l’amena à Marly dans le cabinet du roi, comme il étoit près de sortir de son souper, bien honteux tous deux d’avoir été prévenus. Le courrier ne sut du tout rien de ce qu’il conta au roi et ensuite à tout le monde, et se fit fort moquer de lui. Il n’en fut pas moins fait maréchal de camp ; il n’y avoit pas un mois qu’il étoit brigadier. Chamillart, piqué à l’excès, fit un étrange vacarme contre Pontchartrain, comme d’une entreprise formelle sur sa charge, dont justice lui étoit due ; que la nouvelle n’étant point maritime, il n’en devoit pas avoir eu de courrier, beaucoup moins ne la pas tenir secrète, et avoir osé la porter au roi ; et il prétendit qu’au moins auroit-il dû la lui mander à lui, se taire, et lui laisser faire sa fonction et l’apprendre au roi. Jamais on ne vit mieux qu’en cette occasion la folie universelle, et qu’on ne juge jamais des choses par ce qu’elles sont, mais par les personnes qu’elles regardent. Il ne faut point dire que la cour se partialisa là-dessus entre les deux secrétaires d’État ; Pontchartrain n’eut pas une seule voix pour lui, et Chamillart, qui dans ce fait méritoit pis que d’être sifflé, les eut toutes. Ami des deux, mais ami de la personne de Chamillart par mille raisons les plus fortes, ami de l’autre à cause de son père, de sa mère et de sa femme, mais le trouvant d’ailleurs tel qu’il étoit, et souffrant de la nécessité de son commerce, j’étois affligé de l’étrange déraison de celui que j’aimois pour lui-même, épouvanté de l’iniquité publique exercée sur celui avec qui je n’étois uni que par ricochet. Ce ne fut pas seulement blâmer ce dernier, ce fut un cri public, violent, redoublé en tous lieux par toutes personnes, comme d’un attentat qui méritoit punition. Malgré les affres où l’on étoit, on ne put supporter d’en avoir été délivré plus tôt presque d’une journée entière, parce qu’on [ne] l’avoit été que par Pontchartrain, et on ne s’en avisa que lorsque Chamillart osa s’en plaindre. Monseigneur, si réservé, éclata, et Pontchartrain fut traité comme un usurpateur avide, parce qu’il étoit détesté ; Chamillart comme celui à qui il arrachoit son bien, parce qu’il étoit aimé, et qu’il étoit dans une faveur déclarée. Personne n’eut le sens de faire réflexion sur la juste colère où un maître entreroit contre un valet qui auroit de quoi le tirer d’une inquiétude extrême, qui l’y laisseroit tranquillement ainsi pendant huit ou dix heures, et qui s’en excuseroit froidement après sur ce que cela étoit du devoir d’un autre valet qu’il avoit attendu.

Le plus rare est que le roi, que cela regardoit de plus près, et pour l’inquiétude dont il avoit été délivré huit ou dix heures plus tôt, et pour des cas semblables si aisés à se retrouver en des occasions différentes d’une guerre allumée partout et de tous les côtés, n’eut pas la force de se déclarer entre les deux, ni de dire une seule parole. Le torrent fut si impétueux que Pontchartrain n’eut qu’à baisser la tête, se taire et le laisser passer. Telle étoit la faiblesse du roi pour ses ministres. On avoit déjà vu, en 1702, le duc de Villeroy apporter à Marly l’importante nouvelle de la bataille de Luzzara, s’y cacher, parce que Chamillart n’y étoit pas, laisser le roi et toute la cour dans l’inquiétude sans oser aborder, aller chercher le ministre, et ne venir avec lui que longtemps après que la nouvelle de son arrivée s’étoit répandue et avoit mis tout le monde en l’air, sans que le roi l’eût trouvé mauvais, ni seulement témoigné là-dessus la moindre chose, et fit au contraire le duc de Villeroy lieutenant général avant de le renvoyer. Par cette heureuse délivrance, le voyage des princes fut rompu. Ils étoient prêts à partir ; ils ne devoient avoir avec eux que six chevaux de main, et n’être accompagnés que de Razilly et Denonville, qui avoient été leurs sous-gouverneurs, et d’O et de Gamaches que le roi avoit attachés à Mgr le duc de Bourgogne, et du fils de Chamillart. Le duc de Berwick reçut ordre par un courrier de rebrousser chemin vers M. le duc d’Orléans.

Mais voici une autre sorte d’extravagance qu’il faut que je raconte avant de quitter l’affaire de Provence. Tessé s’en trouvoit chargé : c’étoit la plus capitale de l’État dans un pays où rien n’étoit préparé, et où on manquoit de tout, parce qu’on ne s’y étoit pas attendu ; des secours en tout genre fort éloignés, la flotte des ennemis et une armée sur les bras commandée par les deux plus habiles capitaines, les plus audacieux, les plus grands ennemis du roi, et s’ils réussissoient le royaume pris à revers dans des provinces mécontentes, tout ouvert de là jusque dans Paris et les armées ennemies à toutes les frontières qui n’attendoient que le signal. Un général chargé de parer un si grand coup et dans une situation aussi pressée a bien des soins et peu d’envie de rire. Ce ne fut pas le sentiment de Tessé. Il n’en vit pas apparemment ces grandes suites si palpables, il ne voyoit pas apparemment qu’avec Toulon la marine du Levant et son commerce étoient perdus, que la Provence ne l’étoit pas moins, qu’Arles étoit un passage sur le Rhône, et une ville ouverte, où M. de Savoie pouvoit faire sa place d’armes en l’accommodant et se porter de là en Languedoc fumant encore de fanatiques, à Lyon, et dans les entrailles de la France ; ou s’il le vit, comme toutes ces suites-là sautoient aux yeux, en grand homme supérieur à tout, il y trouva le mot pour rire, et ce qui est incomparable, apparemment Pontchartrain aussi. Gardant pour soi la clef des champs pour y être plus libre que dans les retranchements de Toulon, où il ne fit que passer et où il ne s’arrêta que pour emporter, comme je l’ai dit, ceux de M. de Savoie, il trouvoit le temps d’écrire à Pontchartrain tous les ordinaires jusqu’aux plus petits détails des nouvelles des ennemis, et de tout ce qui arrivoit et se passoit parmi nous, dans le style de don Quichotte, dont il se disoit le triste écuyer et le Sancho, et tout ce qu’il mandoit il l’adaptoit aux aventures de ce roman. Pontchartrain me montroit ses lettres, il mouroit de rire, il les admiroit, et il faut dire en effet qu’elles étoient très plaisantes, et qu’il rendoit un compte exact en termes, en style et en aventures de ce roman avec une suite et plus d’esprit que je ne lui en aurois cru. Moi cependant j’admirois un homme farci de ces fadaises en faire son capital pour rendre compte à un secrétaire d’État de l’affaire la plus importante et la plus délicate de l’État, dans la position si critique où il se trouvoit, et l’admiration même de ce secrétaire d’État qui trouvoit cela admirable ; et la prosopopée fut soutenue jusque tout à la fin de l’affaire. Cela me paroîtroit incroyable si je ne l’avois pas vu.

Les détachements des différentes armées pour la Provence retournèrent les joindre presque aussitôt qu’ils en furent partis. Marlborough ne pouvoit ajouter foi au mauvais succès de M. de Savoie. Il avoit bâti sur ce projet les plus grands desseins, qui tombèrent d’eux-mêmes. M. de Savoie ne songea plus qu’à rétablir ses troupes fort diminuées, et qui avoient beaucoup souffert ; et au mois d’octobre, il prit Suse abandonné à une très foible garnison qu’il eut prisonnière de guerre. Ce fut à quoi se terminèrent tous ses exploits. Un mois après le maréchal de Tessé arriva à la cour. Sa réception y fut au-dessous du médiocre. Nous étions à table à Meudon avec Monseigneur lorsqu’il vint lui faire sa révérence. Je ne vis jamais si maigre accueil, mais ses souterrains ne mirent guère à le rejeter en selle. Médavy demeura seul en chef en sa place.

La joie de la naissance du prince des Asturies vint en cadence augmenter celle de la délivrance de la Provence. Le marquis de Brancas qui servoit lors en Espagne, eut la commission d’y en faire les compliments du roi. Le duc d’Albe, à cette occasion, donna chez lui, à Paris, une superbe fête qui dura trois jours de suite, et toujours variée. Elle dut être tempérée par la perte du royaume de Naples et de Sicile. Le marquis de Bedmar, vice-roi de cette île, sentant peut-être l’impossibilité de la conserver, avoit obtenu son rappel, et le marquis de Los Balbazès avoit été nommé en sa place. Le marquis de Villena, autrement le duc d’Escalone, qui avoit été vice-roi de Catalogne, et que nous y avons vu battu par M. de Noailles père, puis par M. de Vendôme, étoit vice-roi de Naples, et y avoit magnifiquement reçu le roi d’Espagne. Il ne put soutenir cette ville contre les troupes impériales, qui, n’ayant plus d’occupation dans toute l’Italie, étoient venues à la facile conquête de ce royaume qui manquoit de troupes et de tout, et dont les habitants, seigneurs et autres, ne respirent continuellement que les changements de maîtres.

Ces troupes ne trouvèrent donc aucune résistance à entrer dans Naples, où elles eurent le plaisir de voir briser aussitôt après la statue de Philippe V par les mêmes mains qui l’y avoient élevée. Le duc de Tursis mena le vice-roi sur son escadre à Gaëte, et la ramena après avec celle de Naples à Livourne. Le siège de Gaëte fut formé bientôt après. C’étoit la seule place du royaume de Naples qui tint pour le roi d’Espagne. Escalone, dénué de tout, y fit des prodiges de patience, de capacité, de valeur, et mit, les Impériaux en état d’en recevoir l’affront. La trahison suppléa à la force les habitants, lassés de si longs travaux, entrèrent en intelligence avec le comte de Thun qui commandoit au siège. Ils lui livrèrent la place. Escalone ou Villena, car il étoit connu sous les deux noms, ne s’étonna point. Il se barricada et se défendit de rue en rue avec tout ce qu’il put ramasser autour de lui, et ne se voulut jamais rendre. Succombant enfin dans un dernier réduit au nombre et à la force, il fut pris. Le procédé des Impériaux fut indigne. Au lieu d’admirer une si magnanime défense, ils n’écoutèrent que le dépit de ce qu’elle leur avoit coûté ; ils envoyèrent le généreux vice-roi prisonnier, les fers aux pieds, à Pizzighettone, contre toutes les lois de la guerre et, de l’humanité, où il demeura très longtemps cruellement resserré. Martinitz, d’abord nommé vice-roi par l’empereur, fut rappelé à Vienne, le comte de Thun fait vice-roi par intérim, et le général Vanbonne, qui avoit tant fait parler de lui à la guerre, grand et hardi partisan, fut du nombre de ceux qui moururent des blessures reçues à ce siège. Ce fut un ingénieur qui ouvrit une porte aux Impériaux, lesquels allèrent d’abord égorger tout ce qu’ils purent trouver d’officiers et de soldats espagnols, demeurés en petit nombre de trois mille qu’ils y étoient. Les galères n’étoient point dans le port ; elles étoient allées chercher en Sicile des vivres pour la place.

On découvrit en septembre une conspiration dans Genève, que M. de Savoie y avoit tramée pour s’en rendre le maître. Plusieurs magistrats de cette petite république y trempèrent. Beaucoup furent exécutés. Il y en eut d’assez ennemis de leur patrie pour encourager les conjurés de dessus l’échafaud, et leur crier de ne rien craindre, qu’ils n’avoient rien avoué ni nommé personne, et qu’ils poussassent hardiment leur pointe. Ce n’étoit pas la première tentative que ce prince eût faite pour s’emparer de Genève ; imitateur en cela de ses pères qui en ont toujours considéré l’acquisition comme une des plus importantes qu’ils pussent faire.

J’allai cet été à Forges, qui est la saison de ces eaux, pour essayer de m’y défaire d’une fièvre tierce que le quinquina ne faisoit que suspendre. Je dirai pour une curiosité de médecine que Mme de Pontchartrain y étoit aussi pour une perte continuelle de sang, puis d’eau, qui duroit depuis longtemps malgré tous les remèdes. Fagon, à bout, voulut tenter un essai jusqu’alors sans exemple : ce fut de la faire baigner dans l’eau de la fontaine la plus forte et la plus vitriolée des trois qui y sont, dont on boit le moins, et qui, du cardinal de Richelieu qui en a pris, a retenu le nom de Cardinale. Jamais personne ne s’étoit baigné dans l’eau d’aucune, et Mme de Pontchartrain n’y trouva rien moins que du soulagement. Ce fut là que j’appris une nouvelle entreprise des princes du sang, qui, dans l’impuissance et le discrédit où le roi les tenoit, profitoient sans mesure de son désir de la grandeur de ses bâtards qu’il leur avoit assimilés, pour s’acquérir de nouveaux avantages qui leur étoient soufferts pour les partager avec eux. La supériorité et les différences de rang, si marquées au-dessus d’eux des petits-fils de France, leur étoit toujours fâcheux à supporter. Une de ces distinctions se trouvoit aux communions du roi.

On poussoit après l’élévation de la messe un ployant au bas de l’autel au lieu où le prêtre la commence, on le couvroit d’une étoffe, puis d’une grande nappe qui traînoit devant et derrière. Au Pater, l’aumônier de jour se levoit et nommoit au roi à l’oreille tous les ducs qui se trouvoient dans la chapelle. Le roi lui en nommoit deux qui étoient toujours les deux plus anciens, à chacun desquels aussitôt après le même aumônier s’avançant alloit faire une révérence. La communion du prêtre se faisant, le roi se levoit et s’alloit mettre à genoux sans tapis ni carreau derrière ce ployant et y prenoit la nappe ; en même temps les deux ducs avertis, qui seuls avec le capitaine des gardes en quartier s’étoient levés de dessus leurs carreaux et l’avoient suivi, l’ancien par la droite, l’autre par la gauche, prenoient en même temps que lui chacun un coin de la nappe qu’ils soutenoient à côté de lui à peu de distance, tandis que les deux aumôniers de quartier soutenoient les deux autres coins de la même nappe du côté de l’autel, tous quatre à genoux, et le capitaine des gardes aussi, seul derrière le roi. La communion reçue et l’ablution prise quelques moments après, le roi demeuroit encore un peu en même place, puis retournoit à la sienne, suivi du capitaine des gardes et des deux ducs qui reprenoient les leurs. Si un fils de France s’y trouvoit seul, lui seul tenoit le coin droit de la nappe et personne de l’autre côté ; et quand M. le duc d’Orléans s’y rencontroit sans fils de France, c’étoit la même chose. Un prince du sang présent n’y servoit pas avec lui ; mais s’il n’y avoit qu’un prince du sang, un duc, au lieu de deux, étoit averti à l’ordinaire, et il servoit à la gauche comme le prince du sang à la droite. Le roi nommoit les ducs pour montrer qu’il étoit maître du choix entre eux, sans être astreint à l’ancienneté ; mais il ne lui est pourtant jamais arrivé de préférer de moins anciens ; et je me souviens que, marchant devant lui un jour de communion qu’il alloit à la chapelle, et voyant le duc de La Force, je le vis parler bas au maréchal de Noailles ; et un moment après le maréchal me vint demander qui étoit l’ancien de M. de La Force ou de moi. Il ne l’avoit pu dire certainement, et le roi le voulut savoir pour ne s’y pas méprendre.

Les princes du sang, blessés de cette distinction de M. le duc d’Orléans, qu’ils avoient essuyée assez peu encore avant qu’il allât en Espagne, s’en voulurent dédommager en usurpant sur les ducs la même distinction. Ils firent leur affaire dans les ténèbres ; et à l’Assomption de cette année, M. le Duc servit seul à la communion du roi, sans qu’aucun duc fût averti. Je l’appris à Forges ; je sus que la surprise avoit été grande, et que le duc de La Force, qui auroit dû servir et le maréchal de Boufflers, étoient à la chapelle. J’écrivis à ce dernier que cela n’étoit jamais arrivé, que moi-même j’avois servi avec les princes du sang et avec M. le Duc lui-même, et il n’y avoit pas même longtemps ; que cela étoit aisé à vérifier sur les registres de Desgranges, maître des cérémonies, et ce que je crus enfin qu’il falloit faire pour ne pas faire cette perte nouvelle. On visita le registre et on le trouva écrit et chargé de ce que j’avois mandé et de quantité d’autres pareils exemples. Mais la mollesse et la misère des ducs n’osa branler. Je m’en étois douté, et j’avois en même temps écrit à M. le duc d’Orléans, en Espagne, tout ce que je crus le plus propre à le piquer, et par rapport à la conservation de sa distinction sur les princes du sang, à ne pas souffrir cette usurpation sur les ducs pour s’égaler par là à lui en ce qu’il étoit possible. À son retour je fis qu’il en parla au roi ; le roi s’excusa, M. le Duc dit qu’il n’y avoit point eu de part. M. le duc d’Orléans pressa, tout timide qu’il étoit avec le roi, qui répondit que c’étoient les ducs qui d’eux-mêmes ne s’y étoient pas présentés. Mais comment l’eussent-ils fait sans être avertis ? et comment le roi lui-même l’eût-il trouvé ? Bref, il n’en fut autre chose, et cela est demeuré ainsi.

Piqué, et peu pressé de retourner à la cour, je m’en allai de Forges à la Ferté, où Mme de Saint-Simon me vint trouver de Rambouillet, où Mme la duchesse d’Orléans l’avoit engagée d’aller avec elle et quelques autres dames. Nous demeurâmes trois semaines à la Ferté. La cour étoit à Fontainebleau, où je ne voulois point aller. Plus sage que moi, Mme de Saint-Simon m’y entraîna. Je n’allai faire ma révérence au roi que le surlendemain de mon arrivée, et dans l’instant je me retirai et sortis. Apparemment il remarqua l’un et l’autre. C’étoit l’homme du monde qui étoit le plus attentif à toutes ces petites choses, et il étoit exactement informé chaque jour des gens de la cour qui arrivoient à Fontainebleau, où il aimoit surtout à l’avoir grosse et distinguée. Le jour suivant, passant par son antichambre, allant ailleurs l’après-dînée, je le rencontrai qui passoit chez Mme de Maintenon. À l’instant il me demanda de mes nouvelles. Je répondis avec respect et brièveté, et, sans le suivre, je continuai mon chemin. Aussitôt je m’entendis rappeler. C’étoit le roi qui me parloit encore. À cette fois, je n’osai plus quitter, et je le suivis jusqu’où il alloit. Il sentoit quand il avoit fait, peine ou injustice, et quelquefois même assez souvent il cherchoit à faire distinction, et ce qui dans un particulier supérieur s’appelleroit honnêteté. Ce narré m’a conduit à Fontainebleau plus tôt que de raison, il faut retourner un peu en arrière. Mais auparavant je dirai que, quoique pressé souvent de me trouver aux communions du roi depuis, et en des temps où il n’y avoit point de princes du sang à la cour, car les bâtards ne s’y étoient pas encore présentés, je ne pus jamais m’y résoudre, et jamais je n’y ai été depuis.

Il arriva une aventure à Marly, peu avant Fontainebleau, qui fit grand bruit par la longue scène qui la suivit, plus étonnante qu’on ne se le peut imaginer à qui a connu le roi. Toutes les dames du voyage avoient alors l’honneur de manger soir et matin, à la même heure, dans le même petit salon qui séparoit l’appartement du roi et celui de Mme de Maintenon. Le roi tenoit une [table] où tous les fils de France et toutes les princesses du sang se mettoient, excepté M. le duc de Berry, M. le duc d’Orléans et Mme la princesse de Conti, qui se mettoient toujours à celle de Monseigneur, même quand il étoit à la chasse. Il y en avoit une troisième plus petite où se mettoient, tantôt les unes, tantôt les autres ; et toutes trois étoient rondes, et liberté à toutes de se mettre à celle que bon leur sembloit. Les princesses du sang se plaçoient à droite et à gauche en leur rang ; les duchesses et les autres princesses comme elles se trouvoient ensemble, mais joignant les princesses du sang et sans mélange entre elles d’aucunes autres ; puis les dames non titrées achevoient le tour de la table, et Mme de Maintenon parmi elles vers le milieu ; mais elle n’y mangeoit plus depuis assez longtemps. On lui servoit chez elle une table particulière où quelques dames, ses familières, deux ou trois, mangeoient avec elle, et presque toujours les mêmes. Au sortir de dîner le roi entroit chez Mme de Maintenon, se mettoit dans un fauteuil près d’elle dans sa niche, qui étoit un canapé fermé de trois côtés, les princesses du sang sur des tabourets auprès d’eux, et, dans l’éloignement, les dames privilégiées, ce qui pour cette entrée-là étoit assez étendu. On étoit auprès de plusieurs cabarets de thé et de café ; en prenoit qui vouloit. Le roi demeuroit là plus ou moins, selon que la conversation des princesses l’amusoit, ou qu’il avoit affaire, puis il passoit devant toutes ces dames, alloit chez lui, et toutes sortoient, excepté quelques familières de Mme de Maintenon. Dans l’après-dînée, à la suite de Mme la duchesse de Bourgogne, personne n’entroit où étoit le roi et Mme de Maintenon que Mme la duchesse de Bourgogne et le ministre qui venoit travailler. La porte étoit fermée, et les dames qui étoient dans l’autre pièce n’y voyoient le roi que passer pour souper, et elles l’y suivoient, après souper, chez lui, avec les princesses comme à Versailles. Il falloit cet exposé pour entendre ce qui va être raconté.

À un dîner, je ne sais comment il arriva que Mme de Torcy se trouva auprès de Madame, au-dessus de la duchesse de Duras, qui arriva un moment après. Mme de Torcy, à la vérité, lui offrit sa place, mais on n’en étoit déjà plus à les prendre, cela se passa en compliments, mais la nouveauté du fait surprit Madame et toute l’assistance qui étoit debout et Madame aussi. Le roi arrive et se met à table. Chacun s’alloit asseoir, comme le roi, regardant du côté de Madame, prit un sérieux et un air de surprise qui embarrassa tellement Mme de Torcy qu’elle pressa la duchesse de Duras de prendre sa place, qui n’en voulut rien faire encore une fois ; et pour celle-là, elle auroit bien voulu qu’elle l’eût prise, tant elle se trouva embarrassée. Il faut remarquer que le hasard fit qu’il n’y avoit que la duchesse de Duras de titrée de ce même côté de la table ; les autres, apparemment avoient préféré [être], ou par hasard s’étoient trouvées du côté de Mme la duchesse de Bourgogne et de Mme fa Duchesse, les deux princes étant ce jour-là à la chasse avec Monseigneur. Tant que le dîner fut long le roi n’ôta presque point les yeux de dessus les deux voisines de Madame, et ne dit presque pas un mot, avec un air de colère qui rendit tout le monde fort attentif, et dont la duchesse de Duras même fut fort en peine.

Au sortir de table, on passa à l’ordinaire chez Mme de Maintenon. À peine le roi y fut établi dans sa chaise, qu’il dit à Mme de Maintenon, qu’il venoit d’être témoin d’une insolence (ce fut le terme dont il se servit) incroyable et qui l’avoit mis dans une telle colère qu’elle l’avoit empêché de manger, et raconta ce qu’il avoit vu de ces deux places ; qu’une [telle] entreprise auroit été insupportable d’une femme de qualité, de quelque haute naissance qu’elle fût ; mais que d’une petite bourgeoise, fille de Pomponne, qui s’appeloit Arnauld, mariée à un Colbert, il avouoit qu’il avoit été dix fois sur le point de la faire sortir de table, et qu’il ne s’en étoit retenu que par la considération de son mari. Enfilant là-dessus la généalogie des Arnauld qu’il eut bientôt épuisée, il passa à celle des Colbert qu’il déchiffra de même, s’étendit sur leur folie d’avoir voulu descendre d’un roi d’Écosse ; que M. Colbert l’avoit tant tourmenté de lui en faire chercher les titres par le roi d’Angleterre, qu’il avoit eu la faiblesse de lui en écrire ; que la réponse ne venant point, et Colbert ne lui donnant sur cela aucun repos, il avoit écrit une seconde fois, sur quoi enfin le roi d’Angleterre lui avoit mandé que, par politesse, il n’avoit pas voulu lui répondre, mais que, puisqu’il le vouloit, qu’il sût donc que, par pure complaisance, il avoit fait chercher soigneusement en Écosse, sans avoir rien trouvé, sinon quelque nom approchant de celui de Colbert dans le plus petit peuple, qu’il l’assuroit que son ministre étoit trompé par son orgueil, et qu’il n’y donnât pas davantage [1]. Ce récit, fait en colère, fut accompagné de fâcheuses épithètes, jusqu’à s’en donner à lui-même sur sa facilité d’avoir ainsi écrit ; après quoi il passa tout de suite à un autre discours plus surprenant encore à qui l’a connu. Il se mit à dire qu’il trouvoit bien sot à Mme de Duras (car ce fut son terme) de n’avoir pas fait sortir de cette place Mme de Torcy par le bras, et s’échauffa si bien là-dessus, que Mme la duchesse de Bourgogne et les princesses à son exemple, ayant peur qu’il ne lui en fit une sortie, se prirent à l’excuser sur sa jeunesse, et à dire qu’il seyoit bien toujours à une personne de son âge d’être douce et facile, et d’éviter de faire peine à personne. Là-dessus le roi reprit qu’il falloit qu’elle fût donc bien douce et bien facile en effet de l’avoir souffert de qui que ce fût sans titre ; plus encore de cette petite bourgeoise, et que toutes deux ignorassent bien fort, l’une ce qui lui étoit dû, l’autre le respect (ce fut encore son terme) qu’elle devoit porter à la dignité et à la naissance ; qu’elle devoit se sentir bien honorée d’être admise à sa table et soufferte parmi les femmes de qualité ; qu’il avoit vu les secrétaires d’État bien éloignés d’une confusion semblable ; que sa bonté et la sottise des gens de qualité les avoit laissés mêler parmi eux ; que ce honteux mélange devoit bien leur suffire à ne pas entreprendre ce que la femme de la plus haute naissance n’eût pas osé songer d’attenter (ce fut encore l’expression dont il se servit) mais encore pour respecter les femmes de qualité sans titre, et ne pas abuser de l’honneur étrange et si nouveau de se trouver comme l’une d’elles, et se bien souvenir toujours de l’extrême différence qu’il y avoit, et qui y seroit toujours ; qu’on voyoit bien à cette impertinence (ce fut le mot dont il se servit) le peu d’où elle étoit sortie, et que les femmes de secrétaires d’État qui avoient de la naissance, se gardoient bien de sortir de leurs bornes, comme par exemple, Mme de Pontchartrain qui, par sa naissance se pouvoit mêler davantage avec les femmes de qualité, prenoit tellement les dernières places, et cela si naturellement et avec tant de politesse, que cette conduite ajoutoit infiniment à sa considération, et lui procuroit aussi des honnêtetés qui, depuis son mariage, étoient bien loin de lui être dues.

Après ce panégyrique de Mme de Pontchartrain, sur lequel le roi prit plaisir à s’étendre, il acheva de combler l’assistance d’étonnement ; car, reprenant sa première colère que le long discours sembloit avoir amortie, il se mit à exalter la dignité des ducs et fit connoître pour la première fois de sa vie qu’il n’en ignoroit ni la grandeur, ni la connexité de cette grandeur à celle de sa couronne et de sa propre majesté. Il dit que cette dignité étoit la première de l’État ; la plus grande qu’il pût donner à son propre sang, le comble de l’honneur et de la récompense de la plus haute noblesse. Il s’abaissa jusqu’à avouer que, si la nécessité de ses affaires et de grandes raisons l’avoient quelquefois obligé d’élever à ce fait de grandeur (ce fut encore sa propre expression) quelques personnes d’une naissance peu proportionnée, ç’avoit été avec regret ; mais que la dignité en soi n’en étoit point avilie ni en rien diminuée de tout ce qu’elle étoit, qu’elle demeuroit toujours la même, et tout aussi respectable à chacun, aussi entière d’ans tous ses rangs, ses distinctions, ses privilèges, ses honneurs en ces sortes de ducs, considérables et vénérables à tous, dès là qu’ils étoient ducs, comme ceux de la plus grande naissance, puisque leur dignité étoit la même, le soutien de la couronne, ce qui la touchoit de plus près, et à la tête de toute la haute noblesse, de laquelle elle étoit en tout séparée et infiniment distinguée et relevée ; et qu’il vouloit bien qu’on sût que leur refuser les honneurs et les respects qui leur étoient dus, c’étoit lui en manquer à lui-même. Ce sont là exactement les termes de son discours. De là passant à la noblesse de la maison de Bournonville, dont étoit la duchesse de Duras, et à celle de la maison de son mari, sur lesquelles il s’étendit à plaisir, il vint à déplorer le malheur des temps qui avoit réduit tant de ducs à la mésalliance, et se mit à nommer toutes les duchesses de peu ; puis renouvelant de plus belle en sa colère, il dit qu’il ne falloit pas que les femmes de la plus haute qualité parleurs maris et par elles-mêmes prissent occasion de la naissance de ces duchesses de leur rendre quoi que ce fût moins qu’à celles dont la condition répondoit à leur dignité, laquelle méritoit en toutes, qui qu’elles fussent par elles-mêmes, le même respect (ce fut encore son terme), puisque leur rang étoit le même ; et que ce qui leur étoit dû ne leur étoit dû que par leur dignité, qui ne pouvoit être avilie par leurs personnes, rien ne pouvoit excuser aucun manquement qu’on pouvoit faire à leur égard ; et cela avec des termes si forts et si injurieux qu’il sembloit que le roi ne fût pas le même, et encore par la véhémence dont il parloit. Pour conclusion, le roi demanda qui des princesses se vouloit charger de dire à Mme de Torcy à quel point il l’avoit trouvée impertinente. Toutes se regardèrent et pas une ne se proposa, sur quoi le roi, se fâchant davantage, dit que si falloit-il pourtant qu’elle le sût, et là-dessus s’en alla chez lui.

Alors les dames, qui avoient bien vu de loin qu’il y avoit eu beaucoup de colère dans la conversation, et qui pour cela même s’étoient tenues encore plus soigneusement à l’écart, s’approchèrent un peu par curiosité, qui augmenta fort en voyant l’espèce de trouble des princesses qui s’ébranloient pour s’en aller, lesquelles, après quelque peu de discours entre elles, se séparèrent et contèrent le fait chacune à ses amies, Mme de Maintenon à ses favorites, Mme la duchesse de Bourgogne à ses dames et à la duchesse de Duras, en sorte que la chose se répandit bientôt à l’oreille et courut après partout. On crut que cela étoit fini ; mais sitôt que le roi eut passé, le même jour, de son souper dans son cabinet, la vesperie recommença encore avec plus d’aigreur, tellement que Mme la Duchesse, craignant enfin pis, conta tout en sortant à Mme de Bouzols pour qu’elle en avertît Torcy, son frère, et que sa femme prit bien garde à elle. Mais la surprise fut, extrême quand le lendemain, au sortir du dîner, le roi ne put, chez Mme de Maintenon, parler d’autre chose, et encore sans aucun adoucissement dans les termes ; si bien que, pour l’apaiser un peu, Mme la Duchesse lui dit qu’elle avoit averti Mme de Bouzols, n’osant le dire à Mme de Torcy elle-même ; sur quoi le roi, comme soulagé, se hâta de lui répondre qu’elle lui avoit fait grand plaisir, parce que cela lui épargnoit la peine de bien laver la tête à Torcy, qu’il avoit résolu de le faire plutôt que sa femme manquât de recevoir ce qu’elle méritoit. Il ne laissa pas de poursuivre encore les mêmes propos et de même façon jusqu’à ce qu’il repassât chez lui.

Torcy et sa femme, outrés, furent quelques jours à ne paroître presque point. Ils firent l’un et l’autre de grandes excuses et force compliments à la duchesse de Duras, qui elle-même étoit, surtout devant le roi, fort embarrassée, lequel quatre jours durant ne cessa de parler toujours sur ce même ton dans ses particuliers. Torcy, craignant une sortie, écrivit une lettre au roi de plainte et de douleur respectueuse d’une tempête dont la source n’étoit qu’un hasard qu’il n’avoit pas tenu à sa femme de corriger, mais à la duchesse de Duras, qui poliment, quoi qu’elle eût pu faire, n’avoit pas voulu prendre sa place. Toutes sortes d’aveux de ce qui étoit dû, et dont sa femme n’avoit jamais songé à s’écarter, et toutes sortes de respects et de traits délicats de modestie étoient adroitement glissés dans cette lettre. Le roi lui témoigna en être content à son égard ; il ménagea les termes sur sa femme, mais il lui fit entendre qu’elle feroit bien d’être attentive et mesurée dans sa conduite, tellement que cela fut fini de manière que Torcy ne sortit pas trop mécontent de la conversation. On peut imaginer le bruit que fit cette aventure, et jusqu’à quel point les secrétaires d’État et les ministres si haut montés la sentirent. Le rare fut qu’il y eut des femmes de qualité qui se sentirent piquées de ce qui avoit été dit sur elles. Toutes affectèrent une grande attention à rendre aux femmes titrées. Le roi, qui le remarqua, le loua, mais avec aigreur sur le contraire, et s’est toujours montré depuis le même à cet égard des femmes titrées et non titrées, et des hommes pareillement. Pour ce qui est d’ailleurs du rang et de la dignité des dues, son règne entier, avant et depuis, s’est passé à y donner les plus grandes atteintes. J’appris l’affaire en gros par ce qu’on m’en écrivit ; je la sus à mon retour dans le dernier détail, et le plus précis, par plusieurs personnes instruites dès les premiers moments, surtout par les dames de Mme la duchesse de Bourgogne, à qui cette princesse l’avoit contée à mesure et à la chaude, et qui, n’étant pas duchesses, me furent encore moins suspectes de ne rien grossir.

Mme la duchesse de Bourgogne, huit jours avant d’aller à Fontainebleau, fit avec Mgr le duc de Bourgogne et beaucoup de dames une grande cavalcade au bois de Boulogne, où il se trouva une infinité de carrosses de Paris pour la voir. À la nuit, elle mit pied à terre à la Muette [2], où Armenonville donna un souper magnifique. Les dames de la cavalcade soupèrent avec Mgr [le duc] et Mme la duchesse de Bourgogne, laquelle pendant tout le repas fut servie par Mme d’Armenonville debout derrière elle. Au sortir de table, il parut tout à coup une illumination très galante ; on entendit des violons et de toutes sortes d’instruments, on dansa ou on se promena jusqu’à deux heures après minuit. Mme de Fourcy, femme d’un conseiller d’État, lors prévôt des marchands, et fille de Boucherat, chancelier de France, avoit servi de même Mme la Dauphine de Bavière au dîner que le roi fit à l’hôtel de ville, avec beaucoup de dames à sa table, au sortir du Te Deum qu’il avoit été entendre à Notre-Dame, lorsqu’il fut guéri de sa grande opération. Il voulut témoigner à Paris qu’il lui savoit gré du zèle qu’elle avoit témoigné en cette occasion, et il fut fort remarqué que, pour l’unique fois de sa vie, il demanda ce repas à l’hôtel de ville, auquel il ne voulut pas qu’aucun de ses officiers travaillassent, ni que pas un de ses gardes entrassent dans l’hôtel de ville. Il n’y fut pas question que Mme de Fourcy se mît à table, non plus que Mme d’Armenonville à la Muette. C’est un honneur auquel la robe la plus distinguée n’a jamais osé prétendre.

Deux jours, après le roi fit souper avec lui Mademoiselle, fille de M. le duc d’Orléans, à son grand couvert à Versailles, et entrer après avec lui dans son cabinet. Cette distinction fit du bruit ; les princesses du sang ne mangent point au grand couvert, c’est un honneur réservé aux fils, filles, petits-fils et petites-filles de France, excepté des festins de noces dans la maison royale, et dans des cérémonies fort rares. Il est pourtant arrivé quelquefois que, entre la mort de la dauphine de Bavière et le mariage de celle de Savoie, les enfants de Monseigneur trop jeunes pour souper avec le roi, et Monsieur et Madame à Paris ou à Saint-Cloud, le roi, pour ne pas souper seul, ou tête à tête avec Monseigneur, fit quelquefois venir au grand couvert Mme la Duchesse et Mme la princesse de Conti, ses filles, mais nulle autre princesse du sang, et cela sans suite et sans conséquence ; mais j’ai vu quelquefois ces mêmes princesses y manger avec Madame à Fontainebleau, quelquefois la cour d’Angleterre y étant, et quelquefois aussi, mais très peu, Mme la Princesse et Mme la princesse de Conti, sa fille aussi, à Fontainebleau, avec la même cour d’Angleterre, le soir au grand couvert, jamais à Versailles. C’étoit une faveur que le roi faisoit quelquefois à ses filles, qui fit crier M. le Prince fort haut, Mme la Princesse étant à Fontainebleau, qui n’y étoit pas admise, tandis que Mme la Duchesse, sa belle-fille, et Mme du Maine, sa fille, l’étoient. Le roi ne voulut pas pousser ce dégoût, et y fit manger quelque peu Mme la Princesse et Mme la princesse de Conti, puis n’y en fit plus manger pas une, et se restreignit au droit ; apparemment que, ces princesses ayant mangé au grand couvert quelquefois, il voulut faire la même grâce à celle-ci qui étoit sa petite-fille, pour que cela n’eût pas plus de suite ni de droit que pour les autres.




  1. On trouve, dans les Mémoires contemporains et principalement dans les Mémoires de l’abbé de Choisy, des détails sur cette faiblesse de Colbert. Voy. ces Mémoires, collection Petitot, 2° série, t. LXIII, p. 215-222.
  2. Saint-Simon, comme on l’a déjà remarqué, écrit toujours la Meute. On a suivi l’orthographe moderne.