Mémoires (Saint-Simon)/Tome 15/12


CHAPITRE XII.


Mouvement du parlement à l’occasion d’arrêts du conseil sur les billets d’État et les monnaies. — Lettres de cachet à des Bretons. — Députation et conduite du parlement de Bretagne. — Breteuil intendant de Limoges. — Conférence du cardinal de Noailles avec le garde des sceaux chez moi, dont je suis peu content. — Sommes données par le régent aux abbayes de la Trappe et de Septfonts. — Ma conduite à cet égard avec le duc de Noailles et avec M. de Septfonts, avec qui je lie une étroite amitié. — Mariage de Maurepas avec la fille de La Vrillière. — Mort de Fagon, premier médecin du feu roi. — Mort et dispositions de l’abbé d’Estrées. — Conversion admirable de la marquise de Créqui. — Cambrai donné au cardinal de La Trémoille, et Bayeux à l’abbé de Lorraine. — Promotion et confusion militaire. — J’obtiens un régiment pour le marquis de Saint-Simon ; qui meurt trois mois après ; puis pour son frère. — Broglio l’aîné ; son caractère. — Il engage le régent à un projet impossible de casernes et de magasins, et à l’augmentation de la paye des troupes. — Sagesse de l’administration de Louvois. — Les chefs des conseils mis dans celui de régence sans perdre leurs places dans les leurs. — Survivances du gouvernement de Bayonne, etc., et du régiment des gardes, accordées au fils aîné du duc de Guiche, et autres grâces faites à Rion, Maupertuis, La Chaise, Heudicourt. — Nouvelles étrangères. — Légèreté du cardinal de Polignac, qui tâche inutilement de se justifier au régent de beaucoup de choses. — Désordre des heures d’Argenson. — Law et lui font seuls toute la finance. — Il obtient le tabouret pour sa femme, à l’instar de la chancelière, premier exemple dont Chauvelin profita depuis. — Mort de Menars, président à mortier. — Maupeou, aujourd’hui premier président, a sa charge. — Querelles domestiques du parlement suspendues par des considérations plus vastes. — Beaufrémont, de concert avec ceux qui usurpoient le nom collectif de noblesse, insulte impunément les maréchaux de France, qui en essuient l’entière et publique mortification. — Caractère de Baufremont, qui se moque après et aussi publiquement de M. le Duc, et aussi impunément. — Catastrophe de Monasterol. — Mort de La Hire et de l’abbé Abeille. — Mort de Poirier, premier médecin du roi. — Dodart mis en sa place. — Prudente conduite du régent en cette occasion. — Caractère de Dodart et de son père. — Caractère et infamie de Chirac.


Le samedi 12 février, il fut résolu au conseil de régence de faire recevoir à la monnaie les vieilles espèces et matières d’or et d’argent, et d’en prendre un sixième porté en billets d’État, dans l’espérance de remettre beaucoup d’argent dans le commerce, et de moins de perte sur les billets en faveur de qui s’en vouloit défaire. On publia le lendemain deux arrêts du conseil sur la monnaie et sur les billets, qui perdirent moins dès le même jour, et presque aussitôt après, un troisième pour recevoir les louis d’or à dix-huit livres qui en valoient vingt-quatre, et au contraire les écus à quatre livres dix sous qui ne valoient que quatre livres. Ces arrêts donnèrent lieu au parlement de remuer. Il résolut des remontrances et les fit au roi le 21 février : le premier président ne dit que trois mots ; il n’en falloit pas davantage pour commencer. Il y eut une autre assemblée le lendemain, qui se passa avec assez de chaleur et de bruit. On y fut mal content de la réponse vague du garde des sceaux, et la résolution y fut prise de se rassembler le premier vendredi de carême pour arrêter de nouvelles remontrances. Le premier président et les gens du roi vinrent en rendre compte au régent. Law fut l’objet de ce premier mouvement. L’assemblée projetée se tint au jour arrêté ; on ne put s’y accorder il y eut trois différents avis. À la fin ils convinrent de nommer quatorze commissaires, dont sept de la grand’chambre, et un de chacune des cinq chambres des enquêtes et des deux des requêtes, pour examiner ce qu’il convenoit à la compagnie de dire et de demander sur cette réponse vague du garde des sceaux aux premières remontrances.

Rochefort, président à mortier du parlement de Bretagne ; Lambilly, conseiller du même parlement, et quelques gentilshommes du même pays qui s’assembloient souvent et fort hautement chez ce président à Rennes, reçurent des lettres de cachet pour venir à Paris rendre compte de leur conduite. Il y arriva une députation du parlement de Bretagne chargée de remontrances au roi, sur le contenu desquelles ils disputèrent fort avec le garde des sceaux et envoyèrent un courrier à leur compagnie. Elle modéra les articles qui avoient causé l’envoi du courrier. Dans tout cet intervalle les gentilshommes bretons mandés et arrivés à Paris furent exilés. La conduite du parlement de Bretagne ayant paru plus respectueuse par la réforme de ses remontrances, le garde des sceaux se chargea de les porter au régent qui, ravi de trouver occasion de douceur, permit aux gentilshommes bretons exilés et au président et au conseiller mandés à Paris, qui y étoient toujours, de retourner chez eux, et il permit aux députés du parlement de Bretagne de faire la révérence au roi et de lui présenter les remontrances dont leur compagnie les avoit chargés. Tout cela ne fut pas plutôt exécuté, que le parlement de Bretagne lit de nouvelles entreprises à propos des quatre sous pour livre qu’on avoit remis sur les entrées, et que le président de Rochefort et le conseiller Lambilly, renvoyés à Rennes, à condition d’aller en arrivant voir le maréchal de Montesquiou, qui commandoit en Bretagne, n’y voulurent pas mettre le pied. Après quelque peu de patience, en espérance de les y réduire, et eux plus fermes que jamais, ils furent exilés, le président à Auch, le conseiller à Tulle. Cinq semaines après, Brillac fit aussi des siennes. Il étoit premier président du parlement de Bretagne. Sa mauvaise conduite l’avoit fait mander à Paris, où on le tenoit exprès depuis quelque temps à se morfondre. Voyant que cela ne finissoit point, il partit un beau jour et laissa une lettre pour le garde des sceaux, par laquelle il le prioit de recevoir ses excuses et de les vouloir bien aussi porter à M. le duc d’Orléans de ce qu’il s’en alloit à Rennes, où ses affaires domestiques l’appeloient, sans avoir pris congé. On lui dépêcha sur-le-champ une lettre de cachet par un courrier qui le rencontra à Dreux, d’où, suivant cet ordre, il prit le chemin d’une terre qu’il avoit en Poitou. On ne sut ce qui le pressoit de retourner en Bretagne, où il étoit également mal voulu et méprisé. Sa réputation avec de l’esprit et quelque capacité étoit plus qu’équivoque pour en parler modestement. Celle de sa femme ne l’étoit pas moins en autre genre. Elle étoit fort jolie, avoit de l’esprit, beaucoup d’intrigue, et avoit aspiré de parvenir à plaire au régent ; je crois même qu’il en fut quelque chose, et rien de tout cela ne déplaisoit à Brillac qui savoit tirer parti de tout, et qui la laissa à Paris.

Breteuil, maître des requêtes, fils du conseiller d’État et neveu de l’introducteur des ambassadeurs, fut en ce temps-ci envoyé intendant de Limoges, une des moindres de toutes les intendances. Je le remarque ici parce qu’il y trouva sa fortune, comme on le verra en son lieu.

Le garde des sceaux ne fut pas longtemps sans me tenir parole sur la conférence que je lui avois demandée avec le cardinal de Noailles. Tous deux vinrent chez moi un soir à rendez-vous pris. Nous fûmes longtemps tous trois ensemble. On ne peut mieux dire ni mieux parler que fit le cardinal. À la politesse près, on ne peut rien dire de plus mal que furent les propos coupés et embarrassés du garde des sceaux. J’y mis du mien tout ce que je me crus permis pour réchauffer sa respectueuse glace ; mais je vis clairement que le vieux levain prévaloit, et qu’il ne se dépouilleroit point de cette vieille peau jésuitique, l’aspect que la fortune lui avoit fait revêtir sous le feu roi, et que ses fonctions de la police, c’est-à-dire de l’inquisition, avoient de plus en plus collée et encuirassée en lui. Tout ne se passa qu’honnêtement, et tout le fruit qui s’en put tirer fut que le cardinal sentit nettement à qui il avoit affaire, et que je compris qu’il y auroit toujours à veiller et à être en garde contre ce magistrat dans tout ce qui regarderoit les matières de Rome, le cardinal de Noailles et les jésuites et les croupiers des deux partis.

J’eus lieu d’être plus content de Law. Depuis que le duc de Noailles n’eut plus les finances, ce fut à Law à qui j’eus affaire pour la Trappe et pour Septfonts ; il me facilita tout de la meilleure grâce du monde. Les payements coulèrent régulièrement. J’avois soin à chacun de faire la part de Septfonts, et j’eus celui de faire ensuite comprendre cette abbaye dans un supplément que j’obtins du régent pour la Trappe, qui, pour le dire tout de suite, eut en tout quarante mille écus, et Septfonts plus de quatre-vingt mille livres, ce qui sauva ces deux saintes maisons d’une ruine certaine et imminente, et les rétablit. Quelque mal et sans mesure que je fusse avec le duc de Noailles, je ne crus pas devoir oublier qu’il étoit le premier auteur de cette excellente œuvre, et la part qu’il prenoit en l’abbaye de Septfonts. Toutes les fois donc que je recevois un payement de Law, je tirois le duc de Noailles à part au premier conseil de régence. Je lui disois ce que je venois de recevoir, et le partage que j’en venois de faire. Il me remercioit, me faisoit des révérences, et je ne lui parlois ni ne le saluois jusqu’au prochain payement. Ces colloques, quoique courts et rares, devinrent la surprise des spectateurs et la matière des spéculations. À la première fois on nous crut raccommodés. Dans la suite, on ne sut plus que penser. J’en riais et laissois raisonner. L’abbé de Septfonts se trouvoit à Paris : c’étoit à lui que j’envoyois sa part. Il ne s’étoit pas douté du supplément de la Trappe. Il l’apprit par ce que je lui en envoyai : à quoi il ne s’attendoit pas, et dont il fut fort touché. Ce commerce nous fit faire connoissance ensemble, qui bientôt devint une tendre et réciproque amitié. C’étoit un saint bien aimable. J’aurois trop de choses à en dire ici ; elles se trouveront dans les Pièces à la suite de ce qui regarde M. de La Trappe.

Le chancelier de Pontchartrain fit le mariage de Maurepas, son petit-fils, avec la fille de La Vrillière, chez qui il logeoit, et y apprenoit son métier de secrétaire d’État. Il a bien dépassé son maître et bien profité des leçons de son grand-père, duquel il tient beaucoup. Il exerce encore aujourd’hui cette charge avec tout l’esprit l’agrément et, la capacité possible [1]. Il est de plus ministre d’État. La louange pour lui seroit bien médiocre, si je disois, qu’il est de bien loin le meilleur que le roi ait eu dans son conseil depuis la mort de M. le duc d’Orléans. Il a eu le bonheur de trouver une femme à souhait pour l’esprit, la conduite et l’union, et d’en faire le leur l’un et l’autre. Je ne puis plus trouver que ce leur soit un malheur de n’avoir point d’enfants.

Fagon, perdant sa charge de premier médecin, l’unique qui se perde à la mort du roi, s’étoit retiré au faubourg Saint-Victor, à Paris, dans un bel appartement au Jardin du Roi ou des simples et des plantes rares et médicinales, dont l’administration lui fut laissée. Il y vécut toujours très solitaire dans l’amusement continuel des sciences et des belles-lettres, et des choses de son métier, qu’il avoit toujours beaucoup aimées. Il a été ici parlé de lui si souvent, qu’il n’y a rien à y ajouter, sinon qu’il mourut dans une grande piété et dans un grand âge pour une machine aussi contrefaite et aussi cacochyme qu’étoit la sienne, que son savoir et son incroyable sobriété avoient su conduire si loin, toujours dans le travail et dans l’étude. Il fut surprenant qu’à la liaison intime et l’entière confiance qui avoit toujours été entre Mme de Maintenon et lui, qui l’avoit fait premier médecin, et toujours soutenu sa faveur, ils ne se soient jamais vus depuis la mort du roi.

On a vu, t. IV, p. 209, le caractère de l’abbé d’Estrées, et il a été parlé de lui et de ses emplois en plusieurs autres endroits. Il jouissoit d’une belle santé dans un âge à profiter longtemps de sa fortune et de l’archevêché de Cambrai, dont il attendoit les bulles, lorsqu’il fut surpris d’une inflammation d’entrailles pour s’être opiniâtré à prendre, sans aucun besoin, des remèdes d’un empirique, par précaution, duquel il s’étoit entêté. Un mieux marqué le persuada si bien que son mal n’étoit rien, qu’il nous donna à plusieurs un grand et bon dîner ; mais sur le point de se mettre à table avec nous, les douleurs le reprirent. Néanmoins il voulut nous voir dîner. Peu de moments après que le fruit fut servi, l’extrême changement de son visage nous pressa de le laisser en liberté de penser sérieusement à lui. Une heure après, le cardinal de Noailles, qui en fut averti, vint l’y disposer. Il eut peu de temps à se reconnoître, mais il en profita bien. Il fit son testament de ce dont il n’avoit pas encore disposé, reçut ses sacrements le lendemain, et mourut la nuit suivante. Cette mort découvrit des dispositions secrètes, qui n’étoient pas nouvelles, dont son ambition et l’avidité des Noailles furent accusées. Le maréchal d’Estrées et ses sœurs furent très scandalisés de ces dispositions de leur frère à leur insu et à leur préjudice. Leur vanité aussi n’en fut pas moins offensée de sentir qu’il eût cru devoir acheter une protection, dont leur nom et leur considération ne devoit pas avoir besoin, et dont l’alliance des Noailles, dont le maréchal d’Estrées avoit épousé une, pouvoit du moins exclure le payement. Le monde rit un peu de ce petit démêlé domestique, et les Noailles, qui empochèrent gros, en rirent encore plus ; mais, en conservant leur proie, ils n’oublièrent rien pour apaiser ce bruit, et en assez peu de temps ils y parvinrent. Outre cent mille écus, dont les Noailles profitèrent, l’abbé d’Estrées donna quarante-cinq mille écus aux pauvres de ses abbayes, récompensa très bien ses domestiques, et fit présent de sa belle bibliothèque aux religieux de l’abbaye de Saint-Germain des Prés, où il avoit logé longtemps avec son oncle, le cardinal d’Estrées, qui en étoit abbé.

Cette mort opéra subitement une conversion éclatante, durable, et dont les bonnes œuvres et la pénitence augmentèrent toujours avec une simplicité, une humilité, une aisance dans le peu de commerce qui fut conservé, une paix et une joie singulière parmi les plus grandes et les plus répugnantes austérités : ce fut [celle] de la marquise de Créqui, veuve sans enfants, fille du feu duc d’Aumont et de la sueur de M. de Louvois et du feu archevêque de Reims, qui l’avoit enrichie et qu’on avoit soupçonné de l’avoir aimée autrement qu’en oncle, auquel l’abbé d’Estrées avoit parfaitement succédé. De la plus mondaine de toutes les femmes, la plus occupée de sa personne, de la parure, de toute espèce de commodités et de magnificence et passionnée du plus gros jeu, elle devint la plus retirée, la plus modeste, la plus prodigue aux pauvres et la plus avare pour elle-même ; sans cesse en prières chez elle ou à l’église ; assidue aux prisons, aux cachots, aux hôpitaux, dans les plus horribles fonctions à la nature, et y a heureusement persévéré jusqu’à sa mort, qui lui a laissé bien des années de pénitence.

Je fus fâché de la mort de l’abbé d’Estrées qui étoit de mes amis et qui, avec quelque ridicule et un peu de fatuité, avoit de bonnes choses, de l’honneur, de la sûreté, de la droiture. M. le duc d’Orléans y perdit un vrai serviteur et me témoigna d’abord son embarras sur Cambrai. Je lui conseillai de trancher court pour se délivrer des demandeurs d’une si belle place, qui par sa situation ne se devoit donner qu’avec beaucoup de choix. Je lui proposai tout de suite le cardinal de La Trémoille, sans que j’eusse la moindre connoissance avec lui. Je dis au régent qu’étant chargé des affaires du roi à Rome, sans biens par lui-même et panier percé de plus, il avoit besoin de beaucoup de secours en pensions ou en bénéfices ; que la richesse de celui-là suppléeroit aux grâces qui coûteroient au roi ; que son personnel étoit sans crainte et sans soupçon quand il résideroit à Cambrai, où il étoit apparent qu’il n’irait jamais, ainsi qu’il est arrivé. Le régent m’en crut et sur-le-champ le lui donna. Ce présent fit vaquer Bayeux qu’il avoit. L’abbé de Lorraine avoit depuis longtemps fort changé de vie. Il s’étoit fort attaché au cardinal de Noailles que M. le Grand aimoit et respectoit fort sans s’en être jamais contraint dans les derniers temps du feu roi. Le cardinal de Noailles désira qu’il eût Bayeux. M. et Aime de Lorraine en pressèrent M. le duc d’Orléans. Il le lui donna.

Le régent, qui faisoit litière de ce qui ne lui coûtoit rien et trop souvent encore de ce qui coûtoit beaucoup, fit, en ce temps de paix, et au commencement de mars, une promotion de vingt-six lieutenants généraux et de trente-six maréchaux de camp. La confusion étoit déjà montée à tel point qu’il y eut quatre-vingts personnes qui se crurent à portée de demander l’agrément des régiments que la promotion des maréchaux de camp fit vaquer. J’eus celui de Sourches pour le marquis de Saint-Simon, que je tirai des gardes françaises, qui étoit déjà attaqué de la poitrine et qui mourut trois mois après, dont ce fut grand dommage, car il étoit plein d’honneur, de valeur, de volonté et d’application, avec une figure fort agréable, et il promettoit beaucoup. J’eus à toute peine le régiment pour son frère, parce que c’étoit un enfant encore sous le fouet au collège.

M. le duc d’Orléans se laissa aller en même temps à deux projets pour les troupes dont il eut tout lieu de se repentir. L’aîné Broglio, gendre du feu chancelier Voysin, étoit un homme déshonoré sur la valeur, quoique devenu lieutenant-général et directeur d’infanterie par son beau-père, et déshonoré encore sur toutes sortes de chapitres. Méchant, impudent, parlant mal de tout le monde, quoique souvent cruellement corrigé, fort menteur, audacieux à merveilles, sans que les affronts qu’il avoit essuyés eussent pu abaisser son air et son ton avantageux ; avec cela beaucoup d’esprit et orné, grande opinion de soi et mépris des autres, avare au dernier excès, horriblement débauché et impie ; se piquoit de n’avoir point de religion ; en faisoit des leçons. Il parloit bien et le langage qu’il vouloit tenir suivant ceux à qui il parloit et quand il lui plaisoit ; ne manquoit pas d’agrément dans la conversation et de politesse. Son intrigue et ses mœurs l’introduisirent parmi les roués, où il s’insinua si bien par la hardiesse de ses discours qu’il devint bientôt de tous les soupers et des plus familiers. On a vu que ce nom étoit celui que M. le duc d’Orléans donnoit aux débauchés de ses soirées. Il prit si bien dans le monde que personne ne les nommoit plus autrement. Quand celui-ci se trouva assez bien ancré auprès du régent et de Mme la duchesse de Berry, qui soupoit très souvent avec eux, pour oser aspirer plus haut, il imagina de se tourner vers l’importance et de s’ouvrir un chemin dans le cabinet du régent et dans les affaires.

Il conçut pour cela un dessein de remédier aux friponneries des routes, des étapes et des magasins des troupes, par un projet qui ressembloit tout à fait à celui de la comédie des Fâcheux de Molière et à l’avis qu’un de ces fâcheux y donne de mettre toutes les côtes en ports de mer. Broglio proposa par un mémoire d’obliger toutes les villes et autres communautés qui sont sur les passages ordinaires des troupes, de construire à leurs dépens des casernes pour les loger et des magasins fournis pour leur usage, moyennant quoi plus de routes, d’étapiers ni de magasiniers, et leurs friponneries, insignes en effet, coupées par la racine, ce qui donneroit, disoit-il, un soulagement infini aux peuples, aux finances, aux troupes. Il sentit bien qu’il avoit besoin de quelqu’un de poids pour faire passer un projet si absurde. La merveille fut qu’il sut si accortement courtiser et arraisonner Puységur qu’il l’infatua de son projet.

Puységur, pétri d’honneur, abhorroit toutes ces friponneries, qu’il avoit vues sans cesse de ses yeux. Il a été parlé souvent de lui dans ces Mémoires. Il étoit extrêmement estimé pour sa vertu, sa valeur, sa capacité ; très considéré de M. le duc d’Orléans qui, comme on l’a vu, l’avoit mis comme un homme principal dans le conseil de guerre, et il est enfin, longtemps après, devenu maréchal de France avec l’acclamation publique.

Broglio, assuré d’un tel appui, proposa au régent son projet avec confiance et travailla plusieurs fois seul avec lui, et après avec Puységur en tiers. Il eut encore l’adresse de profiter de la défiance naturelle du régent, pour le détourner d’en parler au conseil de guerre, pour faire précipiter les ordres aux intendants des provinces pour une prompte exécution, et pour l’armer contre les représentations qu’il s’attendoit bien qui lui viendroient de toutes parts, dès que ce projet seroit connu. Il en coûta beaucoup en bâtiments aux villes et aux communautés, avant que les personnes employées dans les finances et dans le conseil de guerre, les plus accrédités intendants et beaucoup d’autres gens eussent pu dessiller les yeux au régent et fait abandonner une folie si ruineuse, qui tomba enfin après avoir bien fait du mal.

L’autre projet, pour lequel Broglio crut n’avoir pas besoin de second, ce fut l’augmentation de la paye des troupes telle qu’elle est aujourd’hui. Il en persuada la nécessité au régent par la grande augmentation du prix des choses les plus communes et les plus indispensables à leur subsistance, et qu’il s’en feroit adorer par une grâce si touchante, dont le bien-être le rendroit maître des cœurs de tous les soldats. Il se gardoit bien de lui dire qu’on n’avoit cessé de les maltraiter et de rogner sur elles depuis la mort du roi, comme sur la partie foible et indéfendue, quoique la force et la ressource de l’État, et qui étoit la source de l’autorité du roi et de la sûreté de toutes les autres parties de l’État. Il se garda bien aussi de représenter la sagesse de la manutention de Louvois, transmise par son exemple à ses successeurs jusqu’à Voysin exclusivement, qui avoit fait sa cour et sa bourse d’une conduite qui avoit été suivie depuis, et même de plus en plus appesantie.

Louvois dès lors sentoit l’exiguïté de la paye des troupes et de celle des officiers. Il comprenoit en même temps de quelles sommes la plus légère augmentation chargeroit les finances. Pour éviter un si pesant inconvénient, et subvenir néanmoins raisonnablement à la nécessité des troupes, il les distribuoit avec grande connoissance, suivant leurs besoins, en des lieux où le soldat gagnoit sa vie et le cavalier se raccommodoit, et, comme il en avoit le dessein, il fermoit les yeux à tout ce qui n’alloit ni à pillage, désordre, ou manque de discipline, et les remettoit ainsi pour du temps, de laisser à d’autres ces mêmes secours très effectifs quoique peu perceptibles. Il avoit la même attention et les mêmes ménagements pour les officiers, qu’il rétablissoit de même par les avantages des postes ou des quartiers d’hiver. C’est ce qu’il régloit lui-même et sans y paroître le moins du monde que par des ordres secrets aux intendants, etc. Il avoit l’œil attentif à une exécution précise : c’est à quoi ses bureaux dressés par lui-même suppléèrent après lui sous son fils et sous Chamillart ensuite, quoique peut-être avec moins d’équité et de désintéressement. C’est ce qui prit fin par l’ignorance, la rudesse, la dureté, l’avarice de Voysin, et la parade qu’il fit au feu roi, dans de si malheureux temps, de retrancher ce qu’il traita d’abus au profit de ses finances. C’étoit donc à cette sage et savante pratique de Louvois qu’il falloit revenir, au lieu de tirer et de grappiller incessamment sur les troupes dans le faux objet de soulager les finances à leurs dépens.

Personne n’eut loisir d’aviser le régent ; il s’enivra du projet de Broglio, il n’en voulut partager l’honneur avec personne. La déclaration en parut subitement ; elle surprit tout le monde. Les plaintes des non consultés du conseil de guerre et de ceux des finances, du terrible poids ordinaire dont cette augmentation les surchargeoit, ne purent se faire entendre qu’après le coup porté de manière à ne pouvoir s’en dédire. Le régent alors sentit toute sa faute, et n’en recueillit pas la plus légère reconnoissance des troupes, qui regardèrent ce bienfoit comme dû et de nécessité.

Quand il y auroit eu de bonnes raisons pour cette pesante augmentation de dépense, si M. le duc d’Orléans m’en avoit parlé, comme il ne fit point, auparavant ni après, je crois par embarras, ni moi à lui, je lui aurois représenté que ce n’étoit pas à un régent à charger ainsi les finances fortement et pour toujours, mais à en représenter les raisons au roi, devenu non seulement majeur, mais en âge d’entendre et de se résoudre plus que ne le comporte l’âge précis de la majorité des rois, qui est encore assez longtemps mineure. Il sentit si bien l’inconvénient où il s’étoit laissé entraîner, que Broglio retomba tout à coup dans le néant dont il avoit voulu s’élancer, et fut trop heureux de trouver, par la table et l’effronterie, à se raccrocher à l’état des roués qu’il avoit voulu tâcher de laisser loin derrière lui, sans toutefois l’avoir quitté, et n’approcha plus du cabinet de M. le duc d’Orléans ni d’aucun particulier avec lui.

Ce prince mit incontinent après le maréchal de Villars dans le conseil de régence, sans quitter celui de guerre, pour le faire taire. Il étoit de mauvaise humeur de l’affaire de la liasse dont il a été parlé plus haut, et de quelques autres tracasseries qu’il avoit essuyées dans le conseil de guerre. Il étoit piqué des deux résolutions prises sur les troupes, suggérées par Broglio, sans en avoir ouï parler. Il étoit secrètement d’avec ceux qui vouloient attaquer le régent d’une manière solide. Il ne contraignit donc pas ses propos sur la folie du projet des casernes et dés magasins, et sur le poids accablant pour les finances de l’augmentation de la paye. Tout en craignant de déplaire et n’osant résister à rien, la gourmette se lâchoit aussi, et il parloit avec éloquence, force et une sorte d’autorité qui imposoit au gros, et que le régent craignoit. À peu de jours de là cet exemple obtint la même grâce, successivement, d’exemple en exemple, aux maréchaux d’Huxelles, puis d’Estrées, enfin à d’Antin aussi, sans perdre leurs places dans leurs conseils. Il ne put refuser à Mme la duchesse de Berry de payer à Rion le régiment de Berry-cavalerie, puis de le lui changer pour les dragons Dauphin. Il donna dix mille livres de pension à Maupertuis, qui avoit été capitaine des mousquetaires gris, quoiqu’il eût le gouvernement de Saint-Quentin et la grand’croix de Saint-Louis. Il permit à Heudicourt de céder, par un très vilain marché, sa charge de grand louvetier à son fils. Il accorda à La Chaise la survivance de sa charge de capitaine de la porte pour son fils, qui ne vécut pas, dont le P. de La Chaise lui avoit procuré trois cent mille livres de brevet de retenue, et quelques jours après au duc de Guiche les survivances pour son fils aîné du régiment des gardes et de ses gouvernements, au grand déplaisir de la duchesse de Guiche, qui n’en sut rien qu’après, et qui désiroit la charge pour son second fils, qui étoit sa prédilection.

Ce fut ici le temps de l’arrivée de Londres à Paris de Chavigny, envoyé par l’abbé Dubois ; du départ de Nancré pour Madrid ; de la naissance, le derniers mars, à Madrid de l’infante M. A. Victoire, qui vint depuis à Paris comme future épouse du roi, qui fut le sujet de mon ambassade extraordinaire en Espagne, et qui a depuis épousé le prince du Brésil, avec qui elle vit aujourd’hui à Lisbonne, avec postérité, attendant la couronne de Portugal. C’est aussi le temps où arriva l’horrible catastrophe du czarowitz, si connue de tout le monde, toutes choses qui trouveront mieux qu’ici leur place parmi les affaires étrangères.

Le cardinal de Polignac, qui avoit autrefois recommencé jusqu’à trois licences, sans en avoir pu achever aucune, et si ce n’étoit pas manque de science ni d’esprit, résolut enfin de passer de l’ordre de sous-diacre, où il étoit demeuré jusqu’alors, dans celui de prêtrise. Je ne sais s’il imagina que cette résolution, qu’il ne tint pas secrète, donneroit du poids à ses protestations, mais il demanda en même temps une audience au régent pour se justifier de beaucoup de choses dont il étoit plus que soupçonné et, dont à force d’esprit et de grâces, il espéra se bien tirer avec un prince aussi facile que l’étoit M. le duc d’Orléans. Ce cardinal étoit depuis longues années dans la plus étroite confiance de Mme la duchesse du Maine, et de M. du Maine par conséquent. Leurs cabinets lui étoient de tout ce temps-là ouverts à toute heure : il étoit sur le pied avec eux qu’ils ne faisoient rien sans son conseil. Son frère, qui étoit un imbécile, qu’il gouvernoit, venoit de sortir de prison pour cette requête en faveur des bâtards, que lui sixième avoit présentée au parlement, et qui n’avoit pas été faite sans M. et Mme du Maine et sans le cardinal. On peut juger quelle put être sa justification à tout ce qui se brassoit, et qu’on n’apercevoit pourtant que fort imparfaitement encore, mais assez pour qu’avec le passé le régent sût à quoi s’en tenir avec M. et Mme du Maine, et par conséquent avec lui, qui, depuis, ne cessa de s’enfoncer de plus en plus en leurs criminelles et pernicieuses menées.

Argenson, avec les finances et les sceaux, ne se contraignit point sur ses heures. La place de la police, devenue entre ses mains une véritable inquisition universelle, l’avoit accoutumé à travailler sans règle à toutes sortes d’heures du jour et de la nuit, où il étoit fort souvent réveillé ; il ne tint point de table ni d’audiences, ce qui embarrassa fort tout ce qui eut affaire à lui. Les magistrats des finances, les financiers et ses commis ne le furent pas moins. Il leur donnoit le plus souvent les heures de la nuit une, deux, trois heures du matin étoient celles qu’il leur donnoit le plus souvent ; j’en ai vu Fagon désolé bien des fois. M. de La Rochefoucauld, qu’il se piquoit de considérer par l’ancien respect de la province, il lui donna une audience à deux heures après minuit. Il prit la coutume, qu’il garda toujours, de dîner dans son carrosse, allant de chez lui, près les Grands-Jésuites, au conseil aux Tuileries, ou travailler l’après-midi au Palais-Royal. Il étoit depuis longtemps ami intime de Mme de Veni, prieure perpétuelle de la Madeleine de Traisnel, au faubourg Saint-Antoine. Il y avoit un appartement au dehors ; il avoit valu beaucoup à cette maison. Il y couchoit souvent étant lieutenant de police. En changeant de place, il ne changea point de coutume à cet égard ; dès qu’il avoit quelques moments, il y couroit, il y couchoit tant qu’il pouvoit : il lui est arrivé plus d’une fois d’y oublier les sceaux, et d’être obligé de les y aller chercher. Cela lui faisoit perdre beaucoup de temps ; ce qui, joint à la difficulté de le voir et de lui parler, causa de grands murmures. Si j’avois pu deviner cette conduite avant qu’il eût changé de place, je lui en aurois bien dit mon avis d’avance ; mais devenu ce qu’il étoit, il n’étoit plus temps. Lui et Law faisoient seuls les finances.

Ils travailloient souvent avec le régent, presque jamais tous deux ensemble avec lui et d’ordinaire tête à tête, d’où les résolutions et les expéditions suivoient sans autre forme ni consultation. Le duc de La Force, à qui le vain nom de président du conseil des finances et de celui du commerce avoit été donné lorsque le duc de Noailles le quitta, n’eut plus de département. Le conseil des finances n’avoit plus guère d’occupation, et le conseil de régence du samedi après dîner, l’un des deux qui étoient destinés aux affaires de finances, cessa de s’assembler, faute de matières.

Dans cette première nouveauté de faveur, Argenson en voulut profiter pour obtenir pour sa femme, sœur de Caumartin, le tabouret, à l’instar de la chancelière. On a vu comment Mme Séguier l’obtint, à quelles conditions et qu’elles sont toujours les mêmes. Depuis cet événement il n’y avoit eu qu’un seul garde des sceaux marié.

C’étoit le second chancelier Aligre, qui les eut deux ans, à la mort du chancelier Séguier, pendant lesquels il n’y eut point de chancelier, et au bout desquels il le devint lui-même [2]. Dans cet intervalle ni trace ni vestige quelconque que sa femme ait eu le tabouret, dont les preuves ne manqueroient pas dans la mémoire de main en main ni par écrit sur les registres, si elle l’avoit eu. Aligre apparemment n’osa tenter une extension si nouvelle. Il songeoit fort à être chancelier. Il avoit le pied à l’étrier pour l’être. Il aima mieux apparemment attendre qu’il le frit que de s’exposer à un refus de prétention nouvelle, ou même de mettre un nuage à ses vues si apparentes et si prochaines, par un empressement mal à propos pour ce que l’office de chancelier feroit de soi-même.

Argenson, qui se voyoit sur la tête un chancelier bien qu’exilé, plus jeune que lui de beaucoup, n’avoit pas la même espérance, et n’eut pas aussi le ménagement d’Aligre. Il voulut profiter de la facilité du régent et de son agréable et importante situation auprès de lui, dans une primeur encore toute radieuse. Il lui représenta l’entière similitude extérieure du chancelier et du garde des sceaux ; qu’il suivoit de là qu’elle devoit être pareille entre leurs femmes, et obtint ainsi le tabouret pour sa femme, qui en prit deux jours après possession aux mêmes conditions que la chancelière.

C’est le premier exemple de cette nouveauté, qui a servi de règle pour donner de même le tabouret longtemps depuis à la femme du garde des sceaux Chauvelin, qui en a joui, même en présence de la chancelière, depuis que d’Aguesseau fut rappelé la seconde fois de Fresne, et qu’il fit les fonctions de chancelier en même temps que Chauvelin faisoit celles de garde des sceaux. Armenonville, qui les eut après Argenson et avant Chauvelin, étoit déjà veuf, et ils furent rendus au chancelier d’Aguesseau, à la chute de Chauvelin.

Maupeou, je le remarque parce qu’il est longtemps depuis devenu premier président, fut président à mortier à la place de Menars, frère de Mme Colbert, qui avoit fait sa fortune, mort en ce temps-ci en ce beau lieu de Menars-sur-Loire, près de Blois. C’étoit une très belle figure d’homme, et un fort bon homme aussi, peu capable, mais plein d’honneur, de probité, d’équité et modeste, prodige dans un président à mortier. Le cardinal de Rohan acheta sa précieuse bibliothèque, qui étoit celle du célèbre M. de Thou, qui fut pour tous les deux un meuble de fort grande montre, mais de très peu d’usage.

Les enregistrements faits par la grand’chambre seule du rétablissement des quatre sous pour livre et du traité de Lorraine, causèrent une grande rumeur dans les enquêtes et requêtes, qui prétendent être appelées aux enregistrements et qui s’en prirent avec chaleur au premier président. Ces chambres arrêtèrent entre elles que tous les conseillers des enquêtes et requêtes s’abstiendroient d’aller chez lui sans des cas indispensables qui n’arrivent presque jamais. Elles s’assemblèrent plusieurs fois entre elles, et elles entrèrent en la grand’chambre où le président Lamoignon se trouva présider, firent leurs protestations, et les laissèrent par écrit sur le bureau du greffier, à qui il fut défendu après de les mettre dans les registres, tant il est commode d’être juge et partie. Après bien du vacarme domestique, des souplesses du premier président et divers manèges, de plus vastes vues imposèrent à la fin la suspension ordinaire de cette querelle qui se renouvelle assez souvent.

La grand’chambre les laisse crier à moins que quelque intérêt plus grand, comme il arriva alors, ne l’oblige à les ménager. La grand’chambre a des prétentions, les autres chambres s’en offensent et ne prétendent pas être moins que la grand’chambre, parties intégrantes du parlement, sans l’avis desquelles rien ne doit être censé enregistré par leur commune compagnie à toutes qui est le parlement. La grand’chambre répond que c’est à elle qu’il appartient de les faire, puisque c’est chez elle qu’ils se font. Celles-ci répliquent que le local ne donne à la grand’chambre aucun droit privatif aux autres chambres, puisque l’adresse de tout ce [qui] s’envoie pour être enregistré est faite à tout le parlement ; qu’elles sont du corps du parlement tout comme en est la grand’chambre, laquelle n’a sur les autres chambres que la primauté de rang ; enfin que, lorsque le roi y va seoir, elles y sont toujours mandées. Le point est que la cour, qui est plus aisément maîtresse d’un petit nombre que d’un grand, et des têtes mûres et expérimentées de la grand’chambre que de la jeunesse et de la foule des autres sept chambres, favorise toujours à cet égard la prétention de la grand’chambre, et que le premier président, qui connoît mieux la grand’chambre, où il préside, que les autres sept chambres où il ne va jamais, et où il ne peut rien, tandis que c’est à lui à distribuer les procès aux conseillers de la grand’chambre, dont quantité sont avides du sac, il les manie plus aisément que tout le parlement assemblé, et par cette raison favorise pour soi-même cette même prétention de la grand’ chambre contre les sept autres chambres. C’est ce qui a toujours fini cette dispute à l’avantage de la grand’chambre toutes les fois qu’elle s’est élevée, ce qui prouve continûment que ce n’est pas le tout d’avoir raison pour gagner son procès.

Une autre querelle domestique leur fait encore bien du mal, sans que l’orgueil d’aucun des prétendants en ait rien voulu rabattre, quoique chacun en sente l’extrême inconvénient, et que tous de bonne foi en gémissent. Lorsque la ruse ou le hasard fait que tous les présidents à mortier sont absents ou se retirent, c’est sans difficulté au doyen du parlement, ou, s’il n’y est pas, au plus ancien conseiller de la grand’chambre à présider, mais de sa place sans en changer ; mais, lorsque ce cas arrive, lorsque toutes les chambres se trouvent assemblées, triple prétention, triple querelle. Le plus ancien des présidents des enquêtes veut présider. Le premier des présidents de la première chambre des enquêtes le lui dispute comme droit de charge et non d’âge ni d’ancienneté, et le doyen du parlement, ou, s’il n’y est pas, le plus ancien des conseillers de la grand’chambre présents, prétend les exclure l’un et l’autre, fondé sur ce que les présidents des chambres des enquêtes et requêtes ne sont que conseillers comme eux, quoiqu’ils aient, mais en cette qualité de conseillers, une commission pour présider en telle ou telle chambre des enquêtes ou des requêtes, ce qui ne change pas même à leur propre égard leur état inhérent, réel, fondamental et personnel de conseillers, beaucoup moins à l’égard des conseillers de la grand’chambre, où lorsque les chambres sont assemblées, ces présidents des enquêtes et requêtes ne les précèdent pas, et ne sont admis avec leurs chambres qu’en qualité de conseillers, d’où il résulte qu’ils ne peuvent jamais présider au préjudice d’aucun des conseillers de la grand’chambre.

Ce sont ces querelles domestiques qui ont toujours affaibli le parlement contre la cour ; par exemples fréquents, cette dernière [en a profité]. Toutes les fois qu’on n’a pu empêcher le parlement de s’assembler sur des affaires où la cour vouloit s’intéresser en faveur de matières de Rome, de jésuites, de choses ayant trait à la constitution, et que les présidents à mortier voyoient qu’ils n’en seroient pas les maîtres, ils sortoient tous en même temps, ou pas un ne venoit à l’assemblée des chambres. Ils livroient ainsi la séance à la division et à la querelle pour la présidence, et la forçoient à se lever et s’en aller sans rien faire faute de présidence, que pas un des prétendants n’a jamais voulu céder.

Les maréchaux de France qui, par leur âge et leur union, s’étoient jusqu’à ce temps-ci assez bien soutenus, sentirent à leur tour l’humiliation du désordre dans lequel le régent se persuadoit trouver sa sûreté et sa grandeur. Les maréchaux de France qui n’étoient pas ducs s’étoient doucement unis avec ce qui avoit usurpé le nom collectif de la noblesse ; celle-ci pour protection et pour se parer du contraste, ceux-là pour tâcher d’en profiter. Mais cette noblesse, devenue fière de son ralliement et de la faiblesse que le régent lui avoit montrée, ne tarda pas à faire sentir aux maréchaux ses amis qu’elle ne vouloit rien au-dessus d’elle, tant qu’elle pourroit rapprocher le niveau. Le marquis de Beaufremont se chargea de le leur apprendre. Avec de l’esprit et de la valeur et un des premiers noms de Bourgogne, il seroit difficile d’être plus hardi, plus entreprenant, plus hasardeux, plus audacieux, plus fou, qu’il l’a été toute sa vie.

Le maréchal de Villars, comme chef du conseil de guerre, écrivoit aux colonels la plupart des lettres que sous le feu roi le secrétaire d’État de la guerre avoit accoutumé de leur écrire, et on a vu (t. XII, p. 401) sur quel énorme pied Louvois avoit su mettre à son avantage l’inégalité extrême du style qui a duré sans exception autant que la vie du feu roi. Personne jusqu’à ce temps-ci ne s’étoit avisé de se plaindre des lettres du maréchal de Villars. Cette noblesse se mit tout à coup à s’en offenser, et Beaufremont, qui se trouva en avoir reçu une, lui fit une réponse si étrange qu’il en fut mis à la Bastille. Il y coucha à peine deux ou trois nuits, et en sortit se moquant de plus belle des maréchaux de France qui étoient assemblés en ce moment sur cette affaire et ne savoient pas un mot de sa sortie. Ils demandèrent au moins que Beaufremont fît des excuses au maréchal de Villars de la réponse qu’il lui avoit faite, sans rien pouvoir tirer du régent. Cette poursuite dura huit jours. Je ne sais sur quel demi-mot qu’il articula mal, je crois, pour se moquer d’eux, ils se persuadèrent que Beaufremont recevroit l’ordre qu’ils demandoient, tellement que le maréchal de Villars, prêt à partir pour Villars, l’attendit chez lui, à Paris, toute la journée, et y coucha, ayant dû s’en aller dès le matin, sans qu’il entendît parler de Beaufremont, qui couroit les lieux publics, disant qu’il n’avoit nul ordre, et se répandant sans mesure en dérisions. Les maréchaux de France demeurèrent étrangement déconcertés, au point qu’ils n’osèrent plus se plaindre ni rien dire, tandis que Beaufremont les accabloit de brocards. Outre la maxime favorite du régent divide et regna, et de tout révolter les uns contre les autres, je crus toujours qu’il y avoit du personnel de Villars, et du peu de mesure de ses propos sur les casernes et l’augmentation de la paye.

Quand le régent se fut bien diverti six bonnes semaines de ce scandale public, il fit trouver Beaufremont au Palais-Royal un matin que le maréchal de Villars y travailloit avec lui, le fit entrer, et sans autre façon dit au maréchal que M. de Beaufremont n’avoit jamais prétendu lui manquer, qu’il en étoit caution pour lui, et qu’il falloit oublier de part et d’autre toutes ces petites tracasseries, et tout de suite renvoya Beaufremont, qui sortit riant comme un fou, sans que le maréchal ni lui eussent proféré une seule parole. On peut juger du dépit du maréchal et de MM. ses confrères. Je crois pourtant que Beaufremont eut ordre de se taire et de ne pas pousser les choses plus loin, car il ne parla plus. Il pouvoit être content de tout ce qu’il avoit débité, et d’en sortir de cette étrange façon.

Les ducs ne prirent aucune part en cette querelle. Quelques-uns en rirent. Il étoit raisonnable aussi que les maréchaux de France eussent aussi leur tour.

Ce n’est pas à moi à paraphraser cette conduite de M. le duc d’Orléans à l’égard d’un office de la couronne, dont le caractère distinctif est de juger l’honneur de la noblesse, et d’officiers qui ne le peuvent devenir que par leur sang, leurs services et leur mérite, et qui ne peuvent être que des personnages dans l’État. Comme il étoit grand maître en mezzo-termine, et qu’il voulut toujours favoriser des gens sans mesure, dont le rameutement ne tendoit qu’à le culbuter, comme il y parut bientôt, il régla que toutes les lettres désormais seroient en style de mémoire, contenant les ordres à donner, les réponses et les choses à faire, qui seroient signées Villars, et avec lui Biron pour l’infanterie, Lévi pour la cavalerie, et Coigny pour les dragons.

Beaufremont, victorieux des maréchaux de France, le voulut être bientôt après des princes du sang. On vit, moins de deux mois après, les preuves de ses menées en Bourgogne contre le service du roi, et le rang, le crédit et l’autorité de M. le Duc, gouverneur de cette province, qui en étoit allé tenir les états. Il en rapporta quantité de lettres que Beaufremont y avoit écrites dans cet esprit, sans aucun détour, partie surprises, partie livrées par ceux qui les avoient reçues. M. le Duc ne les cacha pas à son retour, ni les plaintes qu’il en porta à M. le duc d’Orléans, mais dont il ne fut autre chose. Les maréchaux de France rirent tout bas à leur tour de se trouver en, si bonne compagnie.

Il a été parlé ici plus d’une fois de Monasterol, envoyé de l’électeur de Bavière, qui a été bien des années avec toute sa confiance à Paris, qu’il quittoit fort rarement pour faire quelques courts voyages vers son maître. On a parlé aussi de la belle femme qu’il avoit épousée, veuve de La Chétardie, frère du curé de Saint-Sulpice, si bien avec Mme de Maintenon, qui n’influoit pas sur la conduite de cette belle-soeur, dont le fils a longtemps fait tant de bruit en Russie, où il fut de la part du roi par deux fois. Monasterol étoit un Piémontois dont la famille, assez médiocre, s’étoit transplantée en Bavière comme quelques autres italiennes. C’étoit un homme fort agréable, toujours bien mis, souvent paré, d’un esprit très médiocre, mais doux, liant, poli, cherchant à plaire, fort galant, qui, en fêtes, en chère, en meubles, en équipages et en bijoux, vivoit dans le plus surprenant luxe, et jouoit le plus gros jeu du monde. Sa femme, encore plus splendide, augmenta encore sa dépense, et mêla un peu sa compagnie qui auparavant n’étoit que du meilleur de la cour et de la ville. On ne pouvoit comprendre comment un homme de soi si peu avantagé de biens, et ministre d’un prince si longtemps sans États, pouvoit soutenir, et tant d’années, un état si généralement magnifique. Il payoit tout avec exactitude, et passoit pour un fort honnête homme. Outre les affaires dont il étoit chargé, il l’étoit encore des pécuniaires de l’électeur, en subsides, pensions, etc., qui alloient tous les ans à de grandes sommes, que son prince tiroit de la France. Peu à peu ses comptes languirent. Ceux que l’électeur employa dans ses finances, depuis qu’il fut rétabli, songèrent sérieusement à en réparer les ruines, et voulurent voir clair à la longue administration de celles qui avoient passé et qui continuoient à passer par Monasterol. Il tira de longue tant qu’il put, aidé même de la protection et de la pleine confiance de son maître ; mais à la fin, ce prince fut si pressé par ses ministres, qu’il envoya des ordres positifs à Monasterol de venir rendre compte à Munich de toute sa gestion. Alors il n’y eut plus moyen de reculer davantage. Monasterol, d’un air serein, publia que son voyage seroit court, laissa sa femme et presque toute sa maison à Paris, et partit. Arrivé à Munich, il fallut compter autres délais. Le soupçon qu’ils donnèrent fit presser davantage ; à bout et acculé, il se tira d’affaires un matin par un coup de pistolet qu’il se donna dans la tête dans sa chambre. Il laissa des dettes sans nombre, rien pour les payer, et des comptes en désordre qui firent voir à quel excès il avoit abusé et trompé la confiance et la facilité de l’électeur. Ce prince, qui l’avoit toujours aimé, voulut encore étouffer la catastrophe, et fit courir le bruit que Monasterol étoit mort subitement. Sa veuve se trouva bien étonnée, promptement abandonnée et réduite au plus petit pied d’une vie qu’elle a depuis menée fort obscure.

La Hire, connu par toute l’Europe pour un des plus grands astronomes qu’il y ait eu depuis longtemps, mourut à l’Observatoire à près de quatre-vingts ans, jusque alors dans une continuelle et parfaite santé de corps et d’esprit ; l’abbé Abeille, presque en même temps, assez âgé : c’étoit un homme d’esprit et de beaucoup de lettres, qui l’avoient mis dans l’Académie française, qui avoit des mœurs, de la religion, de la probité, de la franchise, beaucoup de douceur, de liant, de modestie, et un grand désintéressement, avec une naïveté et une liberté charmante. Il s’étoit attaché de bonne heure au maréchal de Luxembourg, qu’il suivit en toutes ses campagnes, qui l’avoit mis dans le grand monde et dans les meilleures compagnies, où il se fit toujours désirer et dont il ne se laissa point gâter. M. le prince de Conti l’aimoit fort. M. de Luxembourg lui avoit fait donner des bénéfices. Après sa mort, il demeura avec la même confiance chez M. de Luxembourg, son fils, où il est mort regretté de beaucoup de gens considérables et de tout ce qui le connoissoit. C’étoit en effet un des meilleurs hommes du monde ; pour qui j’avois pris de l’amitié, et lui pour moi, pendant la campagne de 1694, que ma séparation éclatante d’avec M. de Luxembourg, sur notre procès de préséance, n’avoit pu interrompre.

Poirier, premier médecin du roi, mourut presque subitement. M. le duc d’Orléans déclara aussitôt au duc du Maine et au maréchal de Villeroy qu’ils pouvoient lui choisir un successeur ; qu’il ne vouloit s’en mêler en aucune façon ; qu’il approuveroit leur choix quel qu’il fût ; qu’il donnoit seulement l’exclusion à deux hommes, à Chirac pour l’un, à Boudin pour l’autre, qui avoit été premier médecin de Monseigneur, puis de Mme la Dauphine, et duquel j’ai parlé ici quelquefois. J’avois fort exhorté M. le duc d’Orléans à toute cette conduite. Il étoit d’une part trop inutile à ses intérêts, de l’autre trop délicat pour lui de se mêler du choix d’un premier médecin dans la position où il étoit et à toutes les infamies qu’on avoit répandues contre lui à la mort de nos princes, et qu’on ne cessoit de renouveler de temps en temps. Cette même raison fut la cause des deux exclusions qu’il donna à Chirac, son médecin de confiance, qu’il avoit toujours gardé auprès de lui depuis qu’il l’avoit pris en Languedoc, allant commander l’armée d’Italie. À l’égard de Boudin, je fis souvenir M. le duc d’Orléans des propos énormes et sans mesure qu’il avoit eu l’audace de répandre partout, tête levée, lors des pertes dont la France ne se relèvera jamais, et qui lui tournèrent la tête pour son intérêt particulier, auquel il étoit sordidement attaché ; et qu’il étoit de tout temps, comme il l’étoit encore, vendu à tous ceux qui lui étoient le plus opposés, et en faisoit gloire, outre que c’étoit un grand intrigant, de beaucoup d’esprit, fort gâté et très audacieux. Ces exclusions firent tomber le choix sur Dodart, qui avoit été médecin des enfants de France, et qui avoit eu auparavant d’autres emplois de médecin à la cour.

C’étoit un fort honnête homme, de mœurs bonnes et douces, éloigné de manèges et d’intrigues, d’esprit et de capacité fort médiocre, et modeste. Il étoit fils d’un très savant et fort saint homme, qui avoit été médecin du prince et de la princesse de Conti-Martinozzi, et qui l’étoit demeuré jusqu’à sa mort de la princesse de Conti, fille du roi, qui avoit toujours grande envie de le chasser de la cour pour son grand attachement à Port-Royal, sans avoir jamais pu trouver prise sur la sagesse de sa conduite. Mme la princesse de Conti, qui avoit en lui toute confiance, indépendamment de celle de sa santé, et qui ne faisoit presque que de le perdre, porta fort son fils à la place de premier médecin.

Poirier n’avoit pas eu le temps, depuis la mort de Fagon, de prendre la direction du jardin des simples. Je fus surpris que Chirac vînt un matin chez moi, car je ne crois pas qu’alors je lui eusse jamais parlé ni presque rencontré. Ce fut pour me prier de lui faire donner cette direction. Il me dit qu’avec le bien qu’il avoit, et en effet il étoit extrêmement riche, ce n’étoit pas pour augmenter son revenu, mais au contraire pour y mettre du sien. Il me peignit si bien l’extrême abandon de l’entretien de tant de plantes curieuses et rares et de tant de choses utiles à la médecine, qu’on devoit avoir soin d’y démontrer et d’y composer, qu’un premier médecin, tout occupé de la cour, ne pouvoit maintenir dans la règle, encore moins les réparer au point où tout y étoit tombé, qu’il me persuada que l’utilité publique demandoit qu’un autre en fût chargé. Il ajouta que, par devoir et par goût, il prendroit tout le soin nécessaire au rétablissement, à l’entretien et au bon ordre d’un lieu qui, tenu comme il le devoit être, honoroit la capitale et instruisoit médecins, savants et curieux ; qu’il seroit plus à portée que nul autre d’y faire venir de toutes parts et élever les plantes les plus intéressantes et les plus rares, par les ordres de M. le duc d’Orléans, tant de choses, enfin, que je lui demandai seulement pourquoi, ayant la confiance de son maître, il ne s’adressoit pas directement à lui. Il me satisfit là-dessus, car il avoit beaucoup de langage, d’éloquence, de tour, d’art et de finesse. C’étoit le plus savant médecin de son temps, en théorie et en pratique, et, de l’aveu de tous ses confrères et de ceux de la première réputation, leur maître à tous, devant qui ils étoient tous en respect comme des écoliers, et lui avec eux en pleine autorité comme un autre Esculape. C’est ce que personne n’ignoroit ; mais ce que je ne sus que depuis et ce que l’expérience m’apprit aussi dans la suite, c’est que l’avarice le rongeoit en nageant dans les biens ; que l’honneur, la probité, peut-être la religion lui étoient inconnus et que son audace étoit à l’épreuve de tout. Il sentoit que son maître le connoissoit, et il vouloit s’appuyer auprès de lui de qui ne le connoissoit pas pour emporter ce qu’il désiroit et ce qu’il n’osoit espérer de soi-même. J’en parlai deux jours après à M. le duc d’Orléans, qui l’accorda après quelque résistance. Oncques depuis n’ai-je ouï parler de Chirac ; mais, ce qu’il fit de pis, c’est qu’il ne mit rien au jardin des simples, n’y entretint quoi que ce soit, en tira pour lui la quintessence, le dévasta, et en mourant le laissa en friche, en sorte qu’il fallut le refaire et le rétablir comme me en entier. J’aurai lieu ailleurs de parler encore de lui.




  1. Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas, devint ministre secrétaire d’État de la marine à vingt-quatre ans, en 1725. Il fut disgracié et exilé en 1749. Ce passage des Mémoires de Saint-Simon prouve que la rédaction de cette partie des Mémoires est antérieure à l’année 1749, puisqu’il parle de Maurepas comme ministre dans tout l’éclat de sa puissance. Maurepas fut rappelé à la mort de Louis XV (1774) et nommé premier ministre. Il ne montra pas dans cette haute position les talents qu’on lui avait prêtés et dont parle Saint-Simon. Marmontel a caractérisé dans ses Mémoires cette seconde administration de Maurepas : « Une attention vigilante à conserver son ascendant sur l’esprit du roi, et sa prédominance dans les conseils le rendaient jaloux des choix mêmes qu’il avait faits ; et cette inquiétude était la seule passion qui dans son âme eût de l’activité. Du reste, aucun ressort, aucune vigueur de courage ni pour le bien ni pour le mal ; de la faiblesse sans bonté, de la malice sans noirceur, des ressentiments sans colère : l’insouciance d’un avenir qui ne devait pas être le sien, peut-être assez sincèrement la volonté du bien public, lorsqu’il le pouvait procurer sans risque pour lui-même ; mais cette volonté aussitôt refroidie dès qu’il y voyait compromis son crédit ou son repos ; tel fut jusqu’à la fin le vieillard qu’on avait donné pour guide ou pour conseil au jeune roi. »
  2. Voy. dans les notes à la fin du t. X, p. 447, la liste des chanceliers et gardes des sceaux et un extrait du Journal d’Olivier d’Ormesson pour la tenue du sceau après la mort du chancelier Séguier (1672). — Voy. aussi les notes à la fin du présent volume.