Mémoires (Saint-Simon)/Tome 1/Notes


NOTES.


TABLE DE MARBRE.


Page 228.


La table de marbre, dont parle Saint-Simon, était placée dans la galerie des prisonniers du Palais de Justice de Paris, près de la chambre de la Tournelle. Le tribunal du grand amiral, qui se composait d’un lieutenant civil et criminel, d’un lieutenant particulier, de cinq conseillers, d’un procureur du roi et de plusieurs substituts, y avait son principal siége. Voilà pourquoi le comte de Toulouse est installé, en qualité de grand amiral, à la table de marbre. Il y avait encore d’autres juridictions qui avaient primitivement leur siége à la table de marbre, entre autres la connétable ou juridiction des maréchaux de France. Ce tribunal, où siégeaient rarement les maréchaux, comprenait un lieutenant général, un lieutenant particulier, un procureur du roi et plusieurs autres officiers. Il connaissait principalement des actions personnelles intentées aux gens de guerre, des contrats faits entre eux, des procès relatifs à leur solde, des malversations commises par les trésoriers et payeurs des compagnies, etc. Dans l’origine, le grand maître des eaux et forêts tenait aussi sa juridiction à la table de marbre du Palais.


CONSEILS DU ROI.


Page 289.


Saint-Simon parle souvent du conseil dés parties, du conseil des dépêches, du conseil des finances, de la grande et petite direction, et en général des conseils du roi. Comme le lecteur moderne n’est pas toujours familiarisé avec ces termes, il ne sera pas inutile d’en préciser le sens.

Le conseil des parties était présidé par le chancelier, et se composait de conseillers d’État et de maîtres des requêtes, qui faisaient le rapport des affaires. On y traitait des règlements de juges, en cas de conflit ou de récusation des juges des évocations ou actes de l’autorité souveraine qui enlevaient la connaissance d’un procès aux tribunaux ordinaires, pour l’attribuer à d’autres juridictions ; de la cassation d’arrêts contraires aux ordonnances, etc. Le conseil des parties était donc un tribunal suprême souvent en lutte avec les parlements.

Le conseil des dépêches, composé, comme le précédent, de conseillers d’État et de maîtres des requêtes, était souvent présidé par le roi. On y traitait toutes les questions relatives à l’administration des provinces. « Audit conseil, dit l’ordonnance du 18 janvier 1630, seront lues toutes les dépêches du dedans du royaume, et délibéré les réponses sur icelles. Seront aussi lues les réponses et les instructions qui seront baillées à ceux qui seront employés dans les provinces pour les affaires de Sa Majesté. Audit conseil, tous ceux qui auront été en commission pour le service de Sa Majesté seront tenus rendre compte de ce qu’ils auront fait, négocié et géré en leurs voyages. Il sera traité audit conseil de l’état des garnisons, état et payement des gens de guerre, tant de cheval que de pied, et autres affaires de la guerre, et généralement de toutes les affaires importantes, ainsi qu’il plaira à Sa Majesté l’ordonner. Et afin que ce qui aura été résolu audit conseil soit promptement et précisément exécuté, Sa Majesté ordonne que toutes résolutions qui se prendront audit conseil en chaque journée seront réduites par écrit par celui des secrétaires d’État qui sera en mois. » Dans l’origine, les quatre secrétaires d’État assistaient pendant un mois, à tour de rôle, aux délibérations de ce conseil, et en transmettaient les décisions sous forme de dépêches aux intendants chargés de les exécuter. De là venait le nom de conseil des dépêches. Les attributions de ce conseil répondaient en partie à celles du ministère actuel de l’intérieur.

Le conseil des finances se composait, comme les précédents, de conseillers d’État, de maîtres des requêtes, et en outre des intendants et contrôleurs des finances. On distinguait deux espèces de conseils des finances l’un, appelé conseil de grande direction, était présidé par le chancelier, et jugeait le contentieux financier, les différends entre les fermiers des impôts et les particuliers, les procès pour remboursements d’offices, adjudication des travaux publics, et fourniture de vivres et munitions, rachat des rentes, etc. L’autre, appelé conseil de petite direction, était présidé par un ministre d’État désigné par le roi, et s’occupait des impôts, de leur répartition et de l’administration financière. C’était le duc de Beauvilliers qui, à l’époque de Saint-Simon, présidait le conseil des finances.


III. LETTRE DE LOUIS XIV À MADAME DE MAINTENON A L’OCCASION DE L’ARRIVÉE DE LA DUCHESSE DE BOURGOGNE.


Page 390.


Saint-Simon dit que le roi se hâta d’envoyer un courrier à Mme de Maintenon, pour lui mander sa joie et les louanges de la princesse. Voici la lettre même du roi[1] :


Montargis, ce dimanche au soir à six heures et demie,
4 novembre 1696.

« Je suis arrivé ici devant cinq heures ; la princesse n’est venue qu’à près de six. Je l’ai été recevoir au carrosse. Elle m’a laissé parler le premier, et après m’a fort bien répondu, mais avec un petit embarras qui vous auroit plu. Je l’ai menée dans sa chambre au travers de la foule, la faisant voir de temps en temps en approchant les flambeaux de son visage. Elle a soutenu cette marche et ces lumières avec grâce et modestie. Nous sommes enfin arrivés dans sa chambre, où il y avoit une foule et une chaleur qui faisoient crever[2]. Je l’ai montrée de temps en temps à ceux qui s’approchoient, et je l’ai considérée de toutes manières pour vous mander ce qu’il m’en semble.

« Elle a la meilleure grâce et la plus belle taille que j’aie jamais vue, habillée à peindre, et coiffée de même, des yeux vifs et très-beaux, des paupières noires et admirables ; le teint fort uni, blanc et rouge, comme on peut le désirer ; les plus beaux cheveux blonds que l’on puisse voir, et en grande quantité. Elle est maigre, comme il convient à son âge ; la couche fort vermeille, les lèvres grosses, les dents blanches, longues et très-mal rangées, les mains bien faites, mais de la couleur de son âge. Elle parle peu, au moins à ce que j’ai vu, n’est point embarrassée qu’on la regarde, comme une personne qui a vu du monde. Elle fait mal la révérence et d’un air un peu italien ; elle a quelque chose d’une Italienne dans le visage, mais elle plaît, et je l’ai vu dans les yeux de tout le monde. Pour moi, j’en suis tout à fait content.

« Elle ressemble fort à son premier portrait, et point du tout à l’autre. Pour vous parler comme je fais toujours, je la trouve à souhait, et serois fâché qu’elle fût plus belle. Je le dirai encore tout plait hormis la révérence.

« Je vous en dirai davantage après souper ; car je remarquerai bien des choses que je n’ai pas pu voir encore. J’oubliois de vous dire qu’elle est plutôt plus petite que grande pour son âge. Jusqu’à cette heure j’ai fait merveille ; j’espère que je soutiendrai un certain air aisé que j’ai pris jusqu’à Fontainebleau, où j’ai grande envie de me retrouver.

À dix heures.

« Plus je vois la princesse, plus je suis satisfait. Nous avons été dans une conversation publique où elle n’a rien dit ; c’est tout dire. Je l’ai vu déshabiller ; elle a la taille très-belle, on peut dire parfaite, et une modestie qui vous plaira. Tout s’est bien passé à l’égard de mon frère. Il est fort chagrin ; il dit qu’il est malade. Nous partirons demain à dix heures et demie ou onze heures ; nous arriverons à cinq heures au plus tard.

« Je suis tout à fait content [Rien] que de bien à propos en répondant aux questions qu’on lui faisoit. Elle a peu parlé, et la duchesse du Lude m’a dit qu’elle l’avoit avertie que le premier jour elle feroit bien d’avoir une grande retenue. Nous avons soupé elle n’a manqué à rien, et est d’une politesse surprenante à toutes choses ; mais à moi et à mon fils, elle n’a manqué à rien, et s’est conduite comme vous pourriez faire. J’espère que vous la serez aussi. Elle a été regardée et observée, et tout le monde paroit satisfait de bonne foi. L’air est noble et les manières polies et agréables. J’ai plaisir à vous en dire du bien ; car je trouve que, sans préoccupation et sans flatterie, je le peux faire, et que tout m’y oblige. Ne voulant dire tout ce que je pense, je vous donne mille bons. (deux lignes effacées)[3]

« J’oubliois à vous dire que je l’ai vue jouer aux onchets avec une adresse charmante. Quand il faudra un jour qu’elle représente, elle sera d’un air et d’une grâce à charmer, et avec une grande dignité et un grand sérieux. »


IV. RÉCEPTION DES DUCS ET PAIRS AU PARLEMENT.


Page 438.


Saint-Simon parle dans ses Mémoires de ce qu’il appelle la fournée des ducs et pairs de 1663. Il ne sera pas inutile d’en donner ici un récit, qui a d’autant plus d’intérêt qu’il vient d’un témoin oculaire et qu’il est inédit. On y trouve d’ailleurs des détails importants pour comprendre plusieurs passages des Mémoires de Saint-Simon, où il est si souvent question des ducs et pairs et de leurs prérogatives. Voici comment Olivier d’Ormesson retrace dans son journal, la réception des ducs et pairs en 1663

« Le samedi 15 décembre 1663, je fus au parlement pour voir ce qui s’y passeroit sur la réception des nouveaux ducs j’y entrai facilement, comme officier du parlement, et pris place avec des conseillers en la place où les gens du roi se mettent aux assemblées particulières. M. le chancelier[4] y étoit sur le banc des présidents, en robe ordinaire de velours noir, comme tout le parlement étoit aussi en robes noires, cette séance du roi n’étant point lit de justice, mais séance particulière où le roi se trouve. Les présidents qui s’y trouvèrent furent MM. le premier président[5], de Nesmond, de Longueil, de Novion, de Mesmes, Le Coigneux, Champlâtreux. Dans le parquet, sur le banc des ducs, se mirent MM. de Bonnelles, de Bellièvre, d’Aligre, Morangis. Les maîtres des requêtes honoraires et titulaires, à l’ordinaire. La place des ducs étoit sur les bancs hauts de l’audience, mais ils ne s’y mirent que lorsque le roi arriva. Les présidents des enquêtes n’ayant point de places, il fut mis deux bancs dans le parquet à droite et à gauche, où ils se mirent avec quelques-uns de la grand’chambre.

« La nouvelle étant venue par M. de Sainctot[6] que le roi étoit à la Sainte-Chapelle, où il entendoit la messe, M. de Nesmond et les trois présidents suivants, avec six conseillers, furent au-devant, à l’ordinaire. Incontinent après le roi arriva, M. le Duc, M. le Prince et Monsieur marchant devant lui, sans le bruit des tambours ni des trompettes, ayant seulement un capitaine des gardes, qui étoit M. de Noailles, qui servoit pour M. de Villequier malade. Le roi prit sa place ordinaire avec les ducs et les carreaux accoutumés, n’ayant aucun de ses officiers auprès de sa personne, ni capitaine des gardes, ni chambellan, ni autres ; M. le duc d’Orléans, M. le Prince et M. le duc d’Enghien en leurs places à droite ; au-dessous d’eux, MM. les ducs de Guise, d’Uzès, de Beaufort, de Luynes, de Lesdiguières, de Richelieu, de Retz. À la gauche étoient MM. les ducs de Laon et de Langres et comte de Noyon, pairs ecclésiastiques. Le roi étoit vêtu de noir avec des plumes sur son chapeau et garniture jaune, tous les autres seigneurs vêtus de noir.

« Chacun étant assis et couvert, le roi dit qu’il étoit venu pour faire recevoir les nouveaux ducs. Après, M. le chancelier partit de sa place pour aller recevoir l’ordre du roi. Étant revenu non point dans celle de l’encoignure, comme lorsque c’est lit de justice, mais sur le banc des présidents, il lut, en son particulier, un papier où étoient écrits les noms des ducs à recevoir, selon l’ordre que le roi leur avoit donné, dont personne n’avoit connoissance. Il demanda qui avoit les lettres de M. de Verneuil[7]. M. Perrot-la-Malmaison, qui en étoit rapporteur, prit la parole, et en fit la lecture nu-tête ; tout le préambule en fut supprimé, et on lut le dispositif. Après, M. le chancelier dit que le roi ordonnoit le soit montré et le soit informé[8], sans prendre l’avis de personne.

« Perrot étant passé au greffe, M. le chancelier fit lire ensuite celles (les lettres) de M. le maréchal d’Estrées, puis de M. le maréchal de Grammont, et ainsi de plusieurs autres, jusques à ce que M. Perrot fût revenu. Alors lecture ayant été faite, par M. Perrot étant couvert, [des dépositions] de deux témoins et des conclusions, M. le chancelier lui demanda son avis. Il dit six lignes fort bien en faveur de M. de Verneuil, et fut d’avis des conclusions[9]. M. le chancelier demanda ensuite l’avis à tous les conseillers de la grand’chambre et des enquêtes, suivant l’ordre ordinaire, puis aux ducs laïques et aux pairs ecclésiastiques, sans ôter son bonnet[10] puis au président, ôtant son bonnet ; ensuite il monta au roi, auprès duquel se joignirent M. le duc d’Enghien, M. le Prince et M. le duc d’Orléans, pour donner leurs avis ; et puis étant revenu dans sa place, et ayant dit qu’on fit entrer M. de Verneuil, et lui s’étant présenté sans épée a la place des récipiendaires, il prononça : Le roi tenant son parlement a ordonné et ordonne que vous serez reçu en la charge et dignité de duc et pair de France, en prétant par vous le serment en tel cas requis et accoutumé Levez la main. Vous jurez et promettez de bien et fidèlement servir le roi, lui donner avis dans ses plus importantes affaires, et séant au parlement rendre la justice au pauvre comme au riche, tenir les délibérations de la cour closes et secrètes, et vous comporter comme un digne, vertueux et magnanime duc et pair, officier de la couronne et conseiller en cour souveraine doit faire. Ainsi vous le jurez et le promettez.

« M. de Verneuil ayant répondu oui, M. le chancelier dit Le roi vous ordonne de prendre votre épée. L’huissier, qui la portoit auprès de lui, l’ayant remise dans le baudrier, M. de Verneuil alla prendre sa place sur le banc, et à la suite des anciens ducs.

« Cette même formalité fut observée pour chacun des autres ducs. Ils furent reçus suivant l’ordre qui suit.: M. de Verneuil, le premier, duc de Verneuil ; M. le maréchal d’Estrées, duc de Cœuvres ; AI. le maréchal de Grammont, duc de Grammont ; M. de La Meilleraye, duc de La Meilleraye ; 1. de Mazarin, duc de Rethel (pairie mâle et femelle) M. de Villeroy, duc de Villeroy ; M. de Mortemart, duc de Mortemart ; M. de Créqui, duc de Poix ; M. de Saint-Aignan, duc de Saint-Aignan ; M. de Foix, duc de Randan (pairie mâle et femelle, à cause de Mmes de Senecey[11] et de Fleix) ; M. de Liancourt, duc de La Rocheguyon ; M. de Tresmes, duc de Tresmes ; M. de Noailles, duc d’Ayen ; M. de Coislin, duc de Carnbout.

« M. de Noailles faisoit ce jour la charge de capitaine des gardes en place de M. de Villequier malade. Voyant que, pour prêter le serment, il étoit de l’ordre d’ôter l’épée, il fit demander au roi, par M. le chancelier, si lui, faisant fonction de capitaine des gardes du corps, il devoit la quitter et son bâton[12]. Le roi répondit qu’il la devoit ôter, et il l’ôta comme les autres.

« Au sortir, le roi parla quelque temps à M. le premier président, et, au sortir du parquet, il fit appeler à M. le procureur général[13], auquel il parla. »


FIN DES NOTES DU PREMIER VOLUME.

  1. L’original autographe de cette lettre se trouve à la bibliothèque du Louvre, F 328, f° 2 et suiv. Elle a été imprimée par M. Monmerqué dans un recueil tiré à un petit nombre d’exemplaires pour les bibliophiles français, sous ce titre Lettres de Louis XIV, etc., adressées à Mme la marquise de Maintenon (1 vol. in-8, Didot, 1822).
  2. M. Monmerqué a mis où il y avoit une foule et une chaleur à faire crever. J’ai suivi le manuscrit autographe.
  3. Ces deux lignes sont tellement biffées qu’il est impossible d’en apercevoir un seul mot. Il est à présumer qu’elles renfermaient les expressions d’une tendresse conjugale. Mme de Maintenon, en conservant cette lettre à cause de son importance historique, en a fait disparaître ce qui aurait pu être un indice de son union avec Louis XIV. (Note de M. Monmerqué.)
  4. Pierre Séguier, chancelier de France depuis 1635, mort en 1672.
  5. Guillaume de Lamoignon, premier président du parlement depuis 1658, mort en 1677.
  6. Saint-Simon parle de ce maître des cérémonies dans plusieurs passages de ses Mémoires.
  7. Henri de Bourbon, duc de Verneuil, était fils naturel d’Henri IV. Il avait épousé Charlotte Séguier, fille du chancelier. Il est question plusieurs fois de cette duchesse de Veraeuil dans Saint-Simon. Voy., entre autres pages 31 et 32 du présent volume.
  8. Formule par laquelle on renvoyait une pièce à l’examen des gens du roi, qui remplissaient les fonctions du ministère public.
  9. Les conclusions étaient rédigées par les gens du roi.
  10. L’omission de cette formalité fut une des causes de la haine de Saint-Simon contre le parlement.
  11. Marie-Catherine de La Rochefoucauld, mariée te 7 août 1607 à Henri de Beaufremont, marquis de Senecey. Elle était première dame d’honneur d’Anne d’Autriche, et ayait été gouvernante de Louis XIV. La comtesse de Fleix, sa fille, était mère de Gaston de Foix, qui fut nommé duc de Randan, en 1663.
  12. Le capitaine des gardes du corps en quartier portait un bâton de commandement comme signe de sa dignité.
  13. Le procureur général était alors Achille de Harlay, qui devint plus tard premier président. Saint-Simon en parle souvent, surtout à l’occasion du procès de préséance. Voy. pages 142, 143, 144, 180, 181.