Mélite/Acte 5/Scène 5

Mélite
(Édition Marty-Laveaux 1910)
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SCÈNE V.


CLORIS, TIRCIS, MÉLITE.



CLORIS.


Il vous fait fort bon voir, mon frère, à cajoler,
Cependant qu’une sœur ne se peut consoler,
Et que le triste ennui d’une attente incertaine
Touchant votre retour la tient encore en peine.


TIRCIS.


L’amour a fait au sang un peu de trahison 353 ;
Mais Philandre pour moi t’en aura fait raison.
Dis-nous, auprès de lui retrouves-tu ton conte,
Et te peut-il revoir sans montrer quelque honte ?


CLORIS.


L’infidèle m’a fait tant de nouveaux serments,
Tant d’offres, tant de vœux, et tant de compliments,
Mêlés de repentir…


MÉLITE.


Mêlés de repentir…_Qu’à la fin exorable,
Vous l’avez regardé d’un œil plus favorable.


CLORIS.


Vous devinez fort mal.


TIRCIS.


Vous devinez fort mal._Quoi, tu l’as dédaigné ?


CLORIS.


Du moins, tous ses discours n’ont encor rien gagné 354.


MÉLITE.


Si bien qu’à n’aimer plus votre dépit s’obstine ?


CLORIS.


Non pas cela du tout, mais je suis assez fine :
Pour la première fois, il me dupe qui veut ;
Mais pour une seconde, il m’attrape qui peut.


MÉLITE.


C’est-à-dire, en un mot…


CLORIS.


C’est-à-dire, en un mot…_Que son humeur volage 355
Ne me tient pas deux fois en un même passage ;
En vain dessous mes lois il revient se ranger.
Il m’est avantageux de l’avoir vu changer,
Avant que de l’hymen le joug impitoyable 356,
M’attachant avec lui, me rendît misérable 357.
Qu’il cherche femme ailleurs, tandis que de ma part
J’attendrai du destin quelque meilleur hasard.


MÉLITE.


Mais le peu qu’il voulut me rendre de service
Ne lui doit pas porter un si grand préjudice.


CLORIS.


Après un tel faux bond, un change si soudain,
À volage, volage, et dédain pour dédain.


MÉLITE.


Ma sœur, ce fut pour moi qu’il osa s’en dédire.


CLORIS.


Et pour l’amour de vous je n’en ferai que rire.


MÉLITE.


Et pour l’amour de moi vous lui pardonnerez.


CLORIS.


Et pour l’amour de moi vous m’en dispenserez.


MÉLITE.


Que vous êtes mauvaise !


CLORIS.


Que vous êtes mauvaise !_Un peu plus qu’il ne semble.


MÉLITE.


Je vous veux toutefois remettre bien ensemble 358.


CLORIS.


Ne l’entreprenez pas; peut-être qu’après tout 359
Votre dextérité n’en viendroit pas à bout.


Scène IV

Acte V, scène V

Scène VI


353. Var. [L’amour a fait au sang un peu de trahison ;]
Mais deux ou trois baisers t’en feront la raison.
Que ce soit toutefois, mon cœur, sans te déplaire.
clor. Les baisers d’une sœur satisfont mal un frère :
Adresse mieux les tiens vers l’objet que je voi aq.
tirs. De la part de ma sœur reçois donc ce renvoi.
mél. Recevoir le refus d’un autre ar ! à Dieu ne plaise !
tirs. Refus d’un autre, ou non, il faut que je te baise,
Et que dessus ta bouche un prompt redoublement
Me venge des longueurs de ce retardement.
clor. À force de baiser vous m’en feriez envie :
Trêve. tirs. Si notre exemple à baiser te convie,
Va trouver ton Philandre, avec qui tu prendras
De ces chastes plaisirs autant que tu voudras.
clor. À propos, je venois pour vous en faire un conte.
Sachez donc que, sitôt qu’il a vu son méconte,
[L’infidèle m’a fait tant de nouveaux serments.] (1633-57)

354. Var. Au moins tous ses discours n’ont encor rien gagné. (1633-57)

355. Var. Qu’inférez-vous par là? [clor. Que son humeur volage.] (1633-57)

356. Var. Paravant que l’hymen, d’un joug inséparable. (1633)
Var. Avant que de l’hymen le joug inséparable. (1644-57)

357. Var. Me soumettant à lui, me rendit misérable.
Qu’il cherche femme ailleurs, et pour moi, de ma part. (1633-57)

358. Var. Si vous veux-je pourtant remettre bien ensemble (1633-57)

359. Var. Ne l’entreprenez pas, possible qu’après tout. (1633-44 et 52-57)


aq. Dans les éditions de 1644-57, le morceau qui suit remplace les douze vers précédents : « Adresse mieux les tiens, etc. , » qui ne sont que dans celle de 1633 :

tirs. Autant que ceux d’un frère une sœur, et je croi
Que tu baiserois mieux ton Philandre que moi.
clor. Mon Philandre, il se trouve assez loin de son conte.
tirs. Un change si soudain lui donne un peu de honte,
[clor. L’infidèle m’a fait tant de nouveaux serments.] (1644-57)

ar. Il y a le masculin : d’un autre, à ce vers et au suivant, dans l’édition de 1633, qui seule donne ces deux vers. Voyez la variante du vers 1425 de Mélite