Mélanges historiques/06/15

XV

NOUVEAU RÉGIME. — INVENTAIRE DES FORGES. INCENDIE AUX TROIS-RIVIÈRES. — LES TÊTES-DE-BOULE. — TRAITÉ DE PARIS. — JEAN-NICOLAS ROBICHON. 1760-1763.

Le nouveau régime, aux forges Saint-Maurice, commence par deux mariages. Le 21 septembre 1760, Josette Chaput, veuve de Jean Aubry, épouse Antoine Lafond, et le 29 du même mois Louis Voligny épouse Amable, fille de Claude Blondin, d’une famille de Terrebonne, je crois. En 1780, Voligny était marguillier aux Trois-Rivières. Il paraît avoir eu deux filles dont une mourut au berceau et l’autre se maria.

Un recensement pris au mois de septembre 1760 pour Trois-Rivières et sa banlieue ne mentionne pas les Forges ; il donne : 110 hommes, 89 femmes, 143 garçons, 169 filles, 37 hommes engagés, 38 servantes. Total : 586 âmes.

Le 1er  octobre, J. Bruyère, secrétaire du gouverneur Burton, des Trois-Rivières, écrit à M. Courval, qui est aux Forges, des instructions pour la régie de cet établissement et il nomme Délorme, Robichon, Marchand, Humblot (Imbleau), Terreau, Michelin, Bellu (?)[1] dont les services doivent être assurés, afin de n’interrompre ni rien changer dans le travail des usines. Ces hommes étaient les chefs des diverses branches ou métiers des forges et comme il importait de ne rien déranger dans cette industrie, il fallait les conserver, d’autant plus que n’étant pas Canadiens ils pouvaient désirer d’être transportés en France avec les fonctionnaires français et les troupes qui s’embarquaient en ce moment sur les navires anglais pour retourner dans leur patrie.

Bruyère, un Suisse de langue française, choisi à cause de cela pour s’entendre avec les Canadiens, comme Gugy et plusieurs autres, ajoute en s’adressant à Courval que « sir Jeffrey Amherst, général-en-chef, juge à propos de faire exploiter à loisir la fonte qui est déjà tirée des mines et, pour cet effet, il voudrait retenir sur le même pied que ci-devant les ouvriers dont vous trouverez les noms à la suite de la présente. Le charbon étant un article indispensable et dont les forges sont actuellement mal pourvues, et Son Excellence ayant appris qu’il y a plusieurs fourneaux déjà préparés, il vous plaira d’engager en qualité de journaliers les charbonniers et autres que vous jugerez absolument nécessaires pour faire la cuisson et autres ouvrages dépendants de cette partie là. Vous tiendrez, s’il vous plaît, un compte exact des gens que vous emploierez, du temps que dureront leurs travaux et de la quantité de charbon qu’ils feront. Vous prendrez sur vous le soin de faire graisser et relever les soufflets des forges, en un mot de faire les petites réparations qui sont absolument nécessaires pour mettre les forges en état d’exploiter peu à peu la fonte dont il est parlé ci-dessus. »

Le 2 octobre, Bruyère écrit à Courval « inspecteur aux Forges », qu’il a reçu la marmite envoyée des forges et qu’il va faire ordonner les vivres nécessaires aux sept familles déjà nommées, aussi pour M. Courval, ses deux domestiques, et le chapelain, pendant sept jours. Il demande que l’on embarque les poêles qui ont été promis et que le porteur du billet les conduira aux Trois-Rivières dans son bateau, par le Saint-Maurice.

Le 22 octobre, Bruyère écrit à Courval, aux Forges : « Je vous envoye la barrique de taffia (boisson) que vous me demandez… vous la distribuerez à votre gré aux ouvriers, en tenant registre… Sans doute que personne ne vous a pas encore demandé de fer, autrement vous m’auriez fait le plaisir de m’en parler. Il ne serait peut-être pas mal à propos de faire savoir aux ouvriers de Montréal qu’il y en a à vendre, mais vous en ferez ainsi que vous le jugerez à propos. »

Un inventaire des Forges, signé le 8 septembre 1760 par Hertel de Rouville « directeur » et approuvé par le général Amherst le 10 octobre suivant, se lit comme suit :

Une forge appelée la forge haute, bâtie en pierre, ayant une chaussée de 70 pieds, en bois, avec halle et magasin ; la dite forge ayant les roues et mouvements, double jeu de soufflets. On y trouve : 1 fléau garni de ses plateaux et chaînes, 8 poids de 50 livres, 5 poids de 25 livres, 6 marteaux de fonte pesant 500 livres pièce, 3 enclumes de fonte pesant 2,000 livres pièce, 3 enclumes mauvaises, 10 hurasses, 3 paires de tenailles à singles, 112 paires de tenailles à chanter, 10 paires de tenailles à coquilles, 4 ringards, 1 auge, 2 crochets à quenses, 1 écuelle à mouiller, 1 rouable, 1 écousse, 1 aviron, 1 pelle, 2 masses, 1 marteau à main.

La forge basse, en bois, ayant une chaussée de pierre de 80 pieds, aussi avec ses roues et mouvements, double jeu de soufflets, renfermant : 1 fléau avec ses plateaux et chaînes, 9 poids de 50 livres, 5 poids de 25 livres, 13 paires de tenailles à forger, 2 paires de tenailles à chauffer, 1 enclume de 2,000 livres, 2 enclumes à maréchal pesant 500 livres les deux, 4 pelles de fer, 1 rouable, 1 écousse, 7 poches à couler, 1 auge, 10 ringards, 4 masses, 1 marteau à main, 2 écuelles à mouiller, 1 aviron.

Un martinet tenant à la forge basse, garni de ses mouvements et soufflets, avec : 3 enclumes pesant 150 livres pièce, 8 petits marteaux pesant 100 livres pièce, 9 hurasses pesant 150 livres pièce, 1 enclume pesant 100 livres.

Un fourneau avec la moulerie et une halle à charbon, de 80 x 30 pieds, garni de ses roues et mouvements, avec double jeu de soufflets en bois, renfermant : 23 ringards de fer de différentes longueurs, 2 couars, 2 crochets, 2 estoquars, 2 forchets, 8 pelles, 1 romaine avec son contrepoids et ses agrafes, 1 masse, 2 marteaux à main, 3 marteaux à mouler, 12 modèles en fer pour marmites, 5 pour chaudières, 3 pour coquettes, 1 pour tourtières, 1 pour mortiers, 3 pour écuelles, 3 paires de tenailles, 4 modèles en bois pour poêles à chauffer.

Une boulangerie avec son four, contenant 1 pétrin, 1 porte de fer battu, 1 pelle de fer, 1 fléau avec ses plateaux, 1 rouable de fer, 3 pelles à four en bois, 1 hache, 1 crémaillère, 1 bluteau de 20 pieds de long.

Un bâtiment servant d’écurie, 110 pieds de long, pièces sur pièces, ayant 6 compartiments fermant à clef. Un bâtiment de pièces sur pièces, de 20 pieds en carré, servant de dépense pour l’avoine ; 6 chevaux, 3 harnais de timon, 3 de trait, 3 charrettes avec leurs roues, 2 grandes charrettes, 4 traînes hautes, 4 traînes basses.

Un hangar en bois de 60 x 30 pieds. Deux hangars de 40 x 30 pieds. Un hangar entouré de madriers, 40 x 20 pieds. Un hangar de 30 x 25 pieds. Un magasin à fer. Une halle pour charbon. Une chaussée en bois de 105 pieds de long. Un hangar servant d’écurie et étable aux animaux des employés, 30 x 25 pieds. Six maisons de pièces sur pièces. Dix-sept barraques de pieux servant à loger les ouvriers. 25 poêles à chauffer, avec leurs portes et trépieds servant aux ouvriers.

Une église de pièces sur pièces, 40 x 30 pieds, lattée dedans et dehors, enduite de chaux. Un calice et la patenne d’argent, 2 ornements pour dire la messe, dont un de toutes couleurs et l’autre noir, 2 aubes, 2 surplis, 1 cloche de 70 livres, 2 chandeliers de cuivre, 1 croix de cuivre[2].

Une maison de pierre, 82 x 52 pieds, contenant 4 poêles à chauffer, 3 pelles de fer, 3 paires de tenailles à feu. Le reste du mobilier n’est pas mentionné, ce qui fait croire qu’il appartenait à Hertel de Rouville. Cette maison principale, solidement construite, est totalement en ruines. Elle date de 1740.

Ustensiles de la Taillandrie : 2 soufflets de cuivre, 2 enclumes de fer battu à table d’acier, 1 estoque, 1 bigorne, 2 marteaux à frapper devant, 5 marteaux à main, 8 paires de tenailles à forger, 2 tisonniers, 2 tranchets, 6 mandrins, 2 étampes à percer, 2 débouchoirs, 1 filière, 1 montoir, 1 paire de tenailles à forcer, 1 marteau à brocher, 2 carreaux, 3 cloueyeres.

Ustensiles ou outils de charpentiers et charrons : 5 terrières, 1 gouge, 1 couillère pour roues, 3 ciseaux, 4 sceaux, 1 verlope, 1 demi verlope, 1 galère, 5 haches, 1 herminette, 1 bezague, 2 compas, 1 scie de travers, 1 tille ronde, 1 meule et sa manivelle, 1 masse, 1 pallant garni, 1 moulin à scie avec ses ustensiles, 1 bâtiment sur poteaux, de 40 x 20 pieds, garni de ses mouvements, 1 scie, 3 crochets, 2 marteaux, 2 pinces, 3 broches, 1 crochet à tourner les pièces.

3,100 livres de fer en barres de toutes qualités.
200 livres de ferraille.
25,000 livres environ, de fonte en bocage.
10,000 livres de fonte, en mauvaises plaques.
800 bannes de mine rendue au pied du fourneau.
1,200 bannes de mine à la rivière, ramassée par tas.
300 cordes de bois pour charbon, dans la vente du nord.
500 barriques de charbon.

Bois d’équarrissage pour construire une halle au fourneau — resté dans la forêt :

79 pièces faisant 2,480 pieds de longueur.
250 pieds de petit bois pour faîtage et lien.
171 billots de pin pour plancher et madriers de 10 pieds de longueur.
***

Le grand incendie des Trois-Rivières en 1752 avait précédé de quelques mois la guerre de Sept Ans puis, aussitôt celle-ci terminée, d’autres sinistres se produisirent, du moins je le suppose en lisant l’affiche signée par le colonel Burton le 15 octobre 1760, car on ne publie pas de semblables règlements la veille des incendies, quoique leur utilité soit plus manifeste deux jours avant le feu que deux heures après le désastre. En tous cas, Burton commence par dire que la ville des Trois-Rivières a passé par de cruelles épreuves et que « les ravages affreux que les incendies ont plusieurs fois causés dans cette ville devraient être des leçons suffisantes à tous ses habitants pour les engager à prendre les précautions nécessaires pour prévenir de pareils malheurs à l’avenir. » Après cette entrée en matière il nomme un ramoneur officiel qui fera sa tournée tous les quinze jours et recevra quatre sous pour chaque cheminée à simple étage ou six sous pour celles à double étage.

Le 8 juillet 1762, Haldimand affiche un placard disant que « le feu vient encore de passer par la ville des Trois-Rivières le 4 du présent mois. Toute la vigilance et l’activité que l’on a employées pour arrêter le progrès de ce terrible fléau n’ont pu empêcher que les flammes n’aient dévoré cinq maisons entières, tous les hangars et fournis qui en dépendaient ainsi que les meubles, marchandises et effets qui y étaient renfermés. Ces maisons sont positivement celles qui, par leur proximité de la grève, servaient de retraite aux habitants des campagnes lorsque leurs affaires les attiraient en ville. Les propriétaires et locataires sont réduits à la dernière misère. Nous sommes trop persuadés des sentiments d’humanité, de religion et de compassion qui doivent remplir le cœur des habitants de ce gouvernement envers leurs frères et compatriotes pour croire qu’il faille les exciter par des représentations étudiées. Nous pensons qu’il suffit de leur annoncer que cet accident est arrivé ; que plusieurs personnes en souffrent ; qu’elles ont besoin d’un secours prompt et réel, et que nous avons donné nos instructions à tous les capitaines de milice de s’informer, chacun dans leur endroit, des secours que leur paroisse se propose d’envoyer aux incendiés, soit en planches, madriers, bois de charpente, argent ou autrement, dont ils nous enverront la liste au plus tôt. » MM.  le grand-vicaire Perrault, Louis-Joseph Godefroy de Tonnancour et « Cressé le père » se chargent de recevoir « vos charités et de voir qu’elles soient employées suivant vos intentions. »

Le 8 octobre suivant, il revient à la charge et prescrit que « chacune des maisons de cette ville se pourvoyera incessamment d’échelles appliquées sur les couvertures en dehors, et d’une autre pour y monter que l’on gardera dans l’intérieur des cours ; d’une couple de sceaux et de deux beliers dans chaque grenier des maisons — à peine de cinq piastres d’amende… Les officiers de milice verront à ce que cet ordre soit exécuté[3]. »

Le gouverneur Burton affiche un placard, le 7 décembre 1761, défendant aux bourgeois et habitants des Trois-Rivières de couper et enlever du bois de chauffage et autre sur les terres dépendantes de la seigneurie de Saint-Maurice, sous peine d’une piastre d’amende pour chaque charrette ou traîne, et de punition arbitraire en cas de récidive.

Le colonel Frederic Haldimand, gouverneur des Trois-Rivières, promulgue une défense, le 19 mai 1762, pour empêcher la chasse sur les terres de la seigneurie de Saint-Maurice et autres, dépendantes des Forges, aussi dans les environs de la mine derrière la Pointe-du-Lac, sous peine de vingt piastres d’amende pour la première fois et de punition arbitraire en cas de récidive. La dite amende applicable moitié au dénonciateur et l’autre moitié aux pauvres de la paroisse. Cette défense fut renouvelée le 22 juillet 1763, preuve qu’elle n’avait pas effrayé les chasseurs. Le 2 septembre 1762 une permission de chasse est accordée à Voligny « pour l’usage du gouverneur ».

Pour régulariser et contrôler la traite des Têtes-de-Boule qui descendaient à la ville, le colonel Haldimand fait un placard, le 28 mai 1762, disant que, aussitôt l’arrivée des Sauvages, leurs pelleteries doivent être déposées en gros, à l’endroit accoutumé sur le haut de la côte, vis-à-vis la maison du sieur de Francheville. Le 23 mai 1763, le colonel Burton défend aux commerçants d’aller rencontrer les Têtes-de-Boule dans les bois, « ce qui les empêcherait de venir au marché public de cette ville… les pelleteries, aussitôt après l’arrivée des Sauvages, seront déposées en gros sur le marché, vis-à-vis la maison du sieur de Francheville. » Le 18 mai 1764, Haldimand confirme encore ces mesures et se sert du terme « vis-à-vis la maison du défunt Francheville ».

Le 20 juillet 1762, Bruyère écrit un ordre à tous les capitaines de milice du gouvernement des Trois-Rivières d’envoyer des hommes (le nombre est indiqué pour chacune des paroisses) « pour bûcher chacun quinze cordes de bois aux forges Saint-Maurice. Vous leur ordonnerez d’apporter avec eux leurs haches et des vivres pour le temps qu’ils mettront à bûcher leur bois. Vous les enverrez en droiture à M. Courval, aux Forges, de qui ils recevront les ordres. Ce travail presse. Donnez vos ordres incessamment, et avertissez-les qu’ils seront payés. »

Notons ici que François Poulin de Courval, petits-fils de Maurice Poulin, premier propriétaire du terrain des Forges, était né en 1725 et s’était marié en 1751 avec Madeleine Dupré, Canadienne. Il avait pris du service dans la marine. En 1762, il y eut une expédition française contre les Anglais de Terreneuve, sous les ordres de Ternay, composée pour la majeure partie de volontaires des troupes du Canada passés en France l’année 1760. Aussitôt le poste ou ville de Saint-Jean capturé, Poulin de Courval, alors capitaine de brûlot, fut envoyé en France pour annoncer cette nouvelle. C’était un homme très estimé. En 1759, il avait commandé le Bienfaisant, dans le bas du fleuve et il s’était distingué au siège de Québec. Le duc de Choiseul, premier ministre, fut si satisfait de l’affaire de Terreneuve, qui lui fortifiait la main pour conclure la paix, qu’il envoya deux navires de ce côté sous les ordres de Courval, mais celui-ci arriva après la retraite de Ternay et fit voile pour la France. Il mourut à Terrebonne en 1770 ne laissant pas de famille.

Au registre de la paroisse des Forges, le 6 août 1762, il y a le mariage du fils du seigneur de Carufel avec la fille de Pierre Marchand. Le frère Hyacinthe Amiot y dessert encore à cette date.

Le 12 août 1762, aux Forges, baptême de Joseph-Claude, fils de Joseph-Claude Poulin-Cressé-Courval, inspecteur des forges Saint-Maurice et de dame Gilles-Geneviève Dumont. Parrain : le sieur Claude Poulin-Cressé-Courval, colonel de milice du gouvernement des Trois-Rivières ; marraine : dame Louise-Charlotte Dumont, épouse du dit parrain, sous-constructeur des vaisseaux de Sa Majesté.

Au mois de mai 1763 nous connaissions le traité signé à Paris le 10 février précédent et nous savions que le Canada passait, sans condition, à l’Empire britannique. Cependant, le texte des capitulations de Québec et de Montréal étant sanctionné par l’Acte des Puissances, nous pouvions être tranquilles. Les forges Saint-Maurice, propriété du roi de France devenaient domaine du roi d’Angleterre et comme l’industrie du fer était indispensable à la colonie son exploitation devait se continuer et prendre les développements nécessaires à l’augmentation des besoins du peuple.

À la date du 29 septembre 1763 il y a un placard écrit pour les Forges, défendant aux ouvriers et autres personnes de se servir du charbon dans leurs logis, sous peine de punition.

Dans les instructions données, le 7 décembre 1763, par le roi George III, au général James Murray, gouverneur en chef de la province de Québec, le paragraphe 55 est consacré au sujet qui nous occupe : « Attendu qu’il ressort des représentations de notre gouverneur du district des Trois-Rivières que les forges de Saint-Maurice, dans ce district, sont d’une grande conséquence pour notre service, c’est notre bon plaisir qu’aucune partie des terres sur lesquelles les dites forges ont été exploitées, ou d’où a été tiré le minerai employé dans ces forges, ou qui sembleront nécessaires et commodes pour cet établissement, soit pour avoir un libre accès au fleuve Saint-Laurent, soit pour produire l’approvisionnement nécessaire de bois, de grains et de foin, ou pour pacager du bétail, ne soit concédée à aucun particulier ; et aussi (c’est notre plaisir) qu’un aussi grand territoire que possible, contigu aux dites forges, ou les entourant, en sus de ce qui peut être nécessaire aux fins susdites, soit réservé à notre usage, pour être aliéné de la manière que nous indiquerons ou prescrirons plus tard. » Ce passage est répété dans les instructions adressées, le 3 janvier 1775, au général Carleton, gouverneur en chef. Même chose en 1786 lorsque le général Carleton, sous le nom de lord Dorchester, redevint gouverneur en chef du Canada.

Le 1er  septembre 1763 je note le décès de Pierre Bouvet, maître-taillandier aux Forges. Un taillandier fabriquait des outils tranchants, des haches par exemple.

Cette année, François, fils de Gervais Beaudoin, des Forges, se maria avec Anne-Françoise, fille de Simon Aubry, pareillement des Forges, et c’est ce François qui continua la lignée de la famille Beaudoin.

Jean-Nicolas Robichon, arrivé en 1738, voyant que le Canada cessait d’être possession française, avait demandé en 1761 d’être renvoyé dans son pays. On lui représenta que le sort de la colonie n’était pas décidé et de plus que les Forges ne pouvaient en ce moment se priver de ses services. Il est probable aussi qu’on lui proposa de bonnes conditions de salaire. En 1762 il renouvela sa demande et reçut la même réponse. L’été de 1763, comme il insistait pour partir on lui donna passage sur un bâtiment qui le débarqua à Londres avec sa famille et de là les autorités françaises le transportèrent dans son pays natal. Les déclarations que j’ai sous les yeux disent « avec sa femme et sept enfants ». De ceux-ci je n’en connais que six, savoir : Marie, née en 1746 ; Pierre-Jean, né en 1749 ; Pierre-Nicolas, né en 1752 ; Véronique, née en 1755 ; Louise, née en 1757, et Josette, née en 1760. Mais dans le Dictionnaire généalogique de Mgr Tanguay, il y a Catherine, née en 1763 (sans date) et inhumée aux Trois-Rivières le 25 mars 1764. Alors la famille serait partie du Canada l’été de 1764, quoique la permission écrite soit de l’été de 1763.

Et des années s’écoulèrent. Le 21 septembre 1781, à Margelle, Côte d’Or, diocèse de Dijon, en Champagne, fut inhumé Jean-Nicolas Robichon « âgé de 62 ans » dit l’acte (non, il était né le 2 août 1714), ancien fileur en fer (dans une pièce de 1786 on le qualifie de martineur à la Margelle). Étaient présents : son fils Pierre, forgeron, et son gendre Louis Viart, forgeron à Moloy.

Le 17 juin 1786, dans la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Molary, Côte d’Or, est inhumée Denise Chaput, veuve de Jean-Nicolas Robichon, en présence de son fils Pierre et de son gendre Louis Viart. La commune de Molary est dans le canton de la Margelle, contrée où l’on travaille le fer. En 1786, la famille était placée dans les localités suivantes voisines les unes des autres : Pierre Robichon, forgeron, à Voulaine, près Châtillon-sur-Seine. Véronique, « femme du doyen cabaretier » à Mauvilliers, près le dit Châtillon. Et Josette, femme de Didier Mageotte, chapelier à Paris, rue Saint-Bernard, faubourg Saint-Antoine.

De 1791 à 1797, la famille Robichon sollicite auprès du gouvernement de France d’être placée sur la liste des pensions accordées aux Acadiens et aux Français du Canada que les circonstances de 1755 et 1763 ont obligés à retourner en France et qui y sont encore en 1791, mais les comités d’investigation et d’examen de ces cas assez nombreux ne rapportent pas en faveur des Robichon qui avaient quitté le Canada de leur propre volonté, comme le prouvent les documents que j’ai vus. Burton et Haldimand avaient insisté pour garder Robichon au service des Forges où il vivait très bien, ainsi que Délorme, Marchand, Aubry et Caisse qui y étaient restés. En 1787, Marie Robichon, baptisée le 30 septembre 1746, était mariée à Louis Viart, vivait à Molary ou Moloy, canton de la Margelle, Côte d’Or.

Un fils de Robichon était resté aux Forges et sa descendance existe de nos jours aux Trois-Rivières[4].


  1. Ce doit être Bélisle. Il y avait aussi un nommé Billy (?), dit Marmette, mais ce doit être Belleau.
  2. Il est tout probable que, dans le cours de cette année 1920, le gouvernement fédéral posera sur cette chapelle, encore fort bien conservée et fréquentée chaque dimanche, une plaque de bronze portant inscription pour rappeler que le fer du Saint-Maurice a fourni le Canada, durant plus d’un siècle et demi, de tous les articles coulés et forgés dont ce pays avait besoin. L’auteur des Forges Saint-Maurice, M. Benjamin Sulte, est l’âme dirigeante de ces démonstrations.
  3. Sur les premiers moyens préventifs contre les incendies des maisons aux Trois-Rivières, voir nos Mélanges historiques, vol. 2, p. 73-83.
  4. À la fin de ce chapitre, il serait bon de mentionner le rapport du colonel Burton en date du 5 avril 1762, sur le gouvernement des Trois-Rivières, qui donne le recensement suivant des Forges : 11 chefs de familles, 11 femmes mariées, 18 hommes non mariés, 28 femmes non mariées, 2 hommes engagés, 1 serviteur et 1 servante à la grande maison ; total : 72. Bruyère ajoute qu’il n’y a pas un seul homme en état de porter les armes.