Mélanges historiques/06/08

VIII

ON ENVOIE DES OUVRIERS DE FRANCE. — LA NOUVELLE COMPAGNIE EST RECONNUE. — LE FIEF SAINT-ÉTIENNE. — CONSTRUCTION DU CHÂTEAU ET DES HAUTS-FOURNEAUX. — LES SUBVENTIONS OU PRÊTS DU ROI. — ON ALLUME LE FOURNEAU. — PAS ENCORE DE GROS MARTEAU. — SIMONNET ET SON FILS. — LE FONCTIONNEMENT DES FORGES LAISSE À DÉSIRER. — PROJET DE FORGES À TERREBONNE. — NOUVEAUX ÉDIFICES, 1737-1789.

Le président du conseil de la marine et des colonies explique, le 22 mars 1737, à madame la comtesse de Grancey, qu’il n’a pas été prescrit au sieur Simonnet de prendre des ouvriers pour les forges des Trois-Rivières dans les forges de son mari plutôt que dans d’autres. Le 13 mai suivant, le conseil donne à M. de la Croix ses instructions au sujet de l’embarquement de Simonnet et de ses ouvriers pour les mines de fer des Trois-Rivières, sur le Jason, commandant DuQuesnel. Ce navire apporta en France deux caisses de plantes du Canada pour le jardin du roi.

Le 22 avril 1737, le roi approuva la proposition de Beauharnois et de Hocquart qui est d’accepter la remise du privilège faite par la veuve de Francheville et par les sieurs Poulin, Gamelin et Cugnet (acte du 23 octobre 1735) et il accorde à Cugnet, Taschereau, de Vezain, Simonnet et Gamelin, la permission de faire l’ouverture des mines de fer dans l’étendue de pays qui se trouve depuis et compris la seigneurie d’Yamachiche jusque et compris la seigneurie du Cap-de-la-Madeleine, et de le faire fouiller et travailler à leur profit, et d’y faire construire les forges, fourneaux et autres ouvrages qu’il conviendra, pendant l’espace de vingt années consécutives à compter du jour que le fourneau sera allumé et chargé pour la première fois, selon le procès-verbal qui en sera dressé par le juge des Trois-Rivières. De plus la compagnie peut tirer le minerai des terres déjà en culture, mais à charge d’en passer par expertise pour tout dommage causé aux habitants. En outre, la compagnie peut faire des prises d’eau, à condition d’indemniser, à dire d’experts, chaque propriétaire lésé. La compagnie ne paie rien au roi, pas même l’impôt du dixième. Tout procès naissant de ce privilège doit être jugé sommairement et sans frais, par l’intendant de la Nouvelle-France, avec droit d’appel au roi. Le roi avance à la compagnie cent mille francs, y compris quarante-deux mille sept cent quatre-vingt-dix francs et seize sous neuf deniers, déjà reçus, et dix mille francs avancés à Francheville et dont on décharge sa veuve et Poulin. Le remboursement de ces cent mille francs se fera en trois années, soit en fers ou en argent, au gré du roi, commençant en 1739.

La compagnie est tenue de rembourser à la veuve Francheville et à Poulin les dépenses par eux faites, en raison de la société du 16 janvier 1733, et de passer contrat de constitution de trois cents francs de rente, achetable à toujours et à principal de six mille francs pour le prix de la seigneurie. Cet arrêt fut enregistré à Québec le 26 août 1737.

Le 12 septembre 1737, Beauharnois et Hocquart agrandissent le territoire des Forges par un acte dont voici le préambule : « Afin de se procurer la quantité des bois nécessaires pour l’exploitation des forges, on a acquis des héritiers Poulin la terre et seigneurie de Saint-Maurice, croyant y trouver les bois suffisants pour la construction des dites forges, mais on a reconnu que les incendies qui arrivent fréquemment en ce pays ont ruiné une grande partie des bois tant de la seigneurie de Saint-Maurice que du fief Saint-Étienne et des pays qui en sont voisins, en sorte que les bois qui sont restés sur la dite seigneurie de Saint-Maurice ne pourraient suffire pour la consommation annuelle des dites forges, et les intéressés de la compagnie demeureront forcés d’acheter dans les seigneuries voisines des bois que les propriétaires ne manqueront pas de leur survendre dans la nécessité où on les verra d’en acheter aux conditions qu’on leur imposera, ou d’abandonner leur entreprise et de perdre totalement les sommes considérables qu’ils y ont avancées. »

En conséquence, ce même jour, 12 septembre 1737, le gouverneur et l’intendant concèdent aux intéressés de la compagnie des forges de fer du Canada établies à Saint-Maurice, le fief Saint-Étienne qui avait été réuni au domaine royal le 6 avril précédent, et les terres qui sont depuis le fief Saint-Étienne, à prendre le front sur la rivière des Trois-Rivières en remontant jusqu’à une lieue au-dessus du saut de la Gabelle, ci-devant dit le saut de la Vérendrye, sur deux lieues de profondeur, pour être incorporée au fief Saint-Maurice, acheté des héritiers Poulin et en faire ensemble une seule et même seigneurie. Les intéressés ne sont pas obligés de déclarer au gouvernement les mines de fer, car ce privilège leur est déjà accordé par le roi qui a renoncé à l’impôt du dixième sur ce produit. L’acte en question fut approuvé par Louis XV le 13 avril 1740 et enregistré à Québec le 21 novembre suivant[1].

Ce fief Saint-Étienne qui est l’augmentation de la seigneurie de Saint-Maurice doit son nom à Cugnet, comme aussi le fief Saint-Étienne de la rivière Chaudière, un peu au-dessus de la pointe Lévis.

Une ordonnance de Beauharnois et Hocquart, en date du 16 septembre 1737, fait défense aux ouvriers engagés en France pour travailler aux forges Saint-Maurice de laisser le service de cette compagnie sans la permission écrite du sieur Olivier de Vezain, directeur des dites forges, ou en son absence du sieur Simonnet. Ces ouvriers avaient été engagés en France l’année précédente par Simonnet et des avances leur avaient été faites. Le maître-fondeur venait de déserter, de là cette ordonnance.

Le 12 octobre 1737, l’intendant Hocquart annonce au ministre des colonies que le nouvel établissement est dans sa perfection en tant que les bâtisses sont concernées ; que le fourneau sera allumé le 15 du même mois, et que les harnois et l’outillage de la forge seront bientôt prêts à faire du fer. C’est alors que fut construite la grande maison de pierre — le château — qui subsiste encore, en un amas de ruine.

On écrit de Versailles le 29 avril 1738 que Duchesne, ouvrier entendu dans la fabrication des fers, passe en Canada pour s’y établir. On pourrait l’employer aux forges Saint-Maurice, suggère le ministre.

Le 6 mai 1738, le conseil de la marine et des colonies fait des observations sur le rapport qu’ont soumis MM. de Beauharnois et Hocquart concernant les forges. Il dit qu’on pourrait croire, tout d’abord, qu’il y a lieu d’être satisfait, mais un examen approfondi fait voir qu’il y a eu beaucoup de mauvaise économie et qu’on s’est mis fort peu en peine de ménager les fonds. Cela donne une impression très défavorable. Et ce qui est moins justifiable encore c’est qu’on a mis le roi dans la nécessité de faire de nouvelles avances. La somme convenue avec le sieur de Francheville n’était que de dix mille francs ; on l’a portée à cent mille pour la nouvelle compagnie, et voilà qu’une nouvelle avance de quatre-vingt-deux mille six cent quarante-deux francs devient nécessaire. Elle sera accordée, mais il faut stipuler que le remboursement pourra être exigé partie en fer partie en argent. Deux des barres de fer qui ont été essayées se trouvent de la qualité dite « fer de roche » qui est un peu inférieure à celle de Berry ; la troisième est égale en qualité à ce dernier fer. Il sera inutile de proposer d’autres avances.

Le président du conseil de la marine et des colonies écrit à Beauharnois, le 13 mai 1738, que la compagnie des forges du Canada s’étant engagée de livrer en 1739 quatre cent milliers de fer pour les arsenaux de la marine, à dix francs par millier au-dessous du prix de France, il faudrait envoyer les spécifications de ce dont on a besoin en ce genre. Il ajoute que l’usine de Saint-Maurice ne fabrique pas encore les fers de fonderie, ni les fers ronds.

Pour se conformer à l’arrêt du roi du 22 avril 1737, Louis-Jean-Baptiste Fafard de Laframboise, substitut du procureur du roi aux Trois-Rivières, « tenant le siège rue Saint-Pierre », et Olivier de Vezain « intéressé et directeur préposé à la conduite des Forges », ont requis le greffier Pressé de se transporter aux Forges, et le dit Pressé étant arrivé aux Forges le 7 octobre 1738, il lui fut déclaré par Jean-Baptiste Délorme, maître-fondeur, que le feu avait été mis au fourneau le 20 août précédent, entre onze heures et midi. Sur ce, Pressé, greffier et notaire, retourne aux Trois-Rivières et dresse le même jour un acte constatant la date de l’allumage du fourneau, pour que le tout soit porté à la connaissance du roi et de son conseil[2]

Le roi ayant envoyé une commande pour obtenir des fers de divers genres, on répondit le 15 octobre 1738 que le martinet ou gros marteau n’était pas encore établi.

Le 22 avril 1738, Jacques Simonnet est parrain aux Trois-Rivières d’un enfant du baron Joannès, habitant du lieu, et on le qualifie de directeur des forges Saint-Maurice pour le roi. Le 17 novembre suivant, même lieu, il épouse dame Geneviève Boucher, veuve de Charles Hertel, écuyer, sieur de Chambly. Le registre de la paroisse dit : « Jacques Simonnet, écuyer, sieur de la Bergemont intéressé dans les forges Saint-Maurice, veuf de Marie Foissey et fils de Jean-Baptiste Simonnet, conseiller et secrétaire du roi et de dame Élisabeth Bériault, de la paroisse de Dompierre, diocèse de Langres ». Simonnet mourut aux Trois-Rivières en 1747.

Jean-Baptiste, fils de Jacques Simonnet, n’avait pas suivi son père en Canada. Il y a un ordre du 21 avril 1739, écrit à Versailles, qui accorde à ce garçon le passage « pour rejoindre son père. » Le 7 décembre 1739, aux Trois-Rivières, il est parrain d’Angélique, fille de Jean Aubry, des Forges. Il y a apparence qu’il était marié, car en 1742, il fit baptiser un fils aux Trois-Rivières.

Le 14 mars 1739, on lit l’acte suivant au registre de la paroisse des Trois-Rivières : « Sépulture d’un homme de Maskinongé vulgairement dit Lacharité (Laspron ?) qui misérablement fut hier écrasé aux forges Saint-Maurice sous une voûte de mine. »

Le président du conseil de la marine et des colonies écrit à MM. de Beauharnois et Hocquart, le 21 avril 1739, qu’il est fâché d’apprendre tous les contretemps survenus dans le travail des forges de Saint-Maurice, qui ne peuvent être attribués qu’à l’ignorance ou à la mauvaise foi du maître-fondeur, et qu’on a bien fait de le chasser. Il ne faut cependant pas lui imputer tout le mal. Il est surprenant que le sieur Olivier se soit encore trompé sur la quantité d’eau nécessaire pour faire fonctionner sans interruption les deux chaufferies. Le projet de faire conduire de nouvelles eaux au ruisseau Saint-Maurice serait trop dispendieux. Il semblerait plus simple de fixer la roue de la chaufferie d’en bas de manière à la faire tourner par dessous.

Tout est conduit par les ordres venus de Versailles, comme si le roi était en possession des forges, mais c’est à cause des subventions en argent qu’il avait accordées à la compagnie Cugnet. Le maître-fondeur chassé me paraît avoir été remplacé en 1738 par Jean-Baptiste Délorme qui était un excellent ouvrier et qui resta en charge par la suite.

Le 1er mai 1739, le roi dit que Levasseur passe au Canada avec sa famille dans le but de diriger la construction d’un navire pour le compte du roi. Il emploiera le fer du Saint-Maurice. Le roi approuve le parti que MM. de Beauharnois et Hocquart ont pris d’empêcher l’exploitation de fer que l’abbé Lepage a commencée dans la seigneurie de Terrebonne, car il faut au moins attendre que l’entreprise du Saint-Maurice ait parfaitement réussi.

Plan des Forges Saint-Maurice et des Trois-Rivières, montrant les veines de mine qui se rencontrent aux environs ; fait en 1738, date où le roi fit exécuter les grands travaux.

Dans son Cours d’histoire du Canada[3], M. l’abbé Ferland dit que, en 1739, une seconde forge fut construite près de la première à Saint-Maurice. « Cette addition fut faite sur les représentations du sieur de Léry qui avait fait remarquer à M. Hocquart qu’on avait bâti une maison tropbelle pour les employés des forges ; qu’une seule forge ne suffirait pas pour employer leurs hommes. Les associés en construisirent une seconde qui les mit en état de fabriquer six cent mille livres de fer par année. Comme la mine et le bois étaient en abondance dans le voisinage des forges, les dépenses journalières ne s’élevaient guère au-dessus de cent vingt-cinq francs par jour, tandis que les revenus étaient considérables, car ils vendaient le fer de vingt à vingt-un francs le cent livres. »[4]

J’ai vu, en 1869, aux forges Saint-Maurice, une grande balance portant l’inscription que voici : « 17… Cugnet et Compagnie ». Cette pièce doit être de 1740 ou à peu près car dès 1743, Cugnet n’était plus des Forges.


  1. Ceci fut donné après une requête des intéressés aux forges, conservée aux archives judiciaires de Québec.
  2. Ce document est conservé aux archives judiciaires de Québec. Il a été imprimé dans le Bulletin des recherches historiques, p. 287, septembre 1917.

    C’est de ce moment ou à peu près que le lieu prit le nom de « village des Forges ».

  3. Volume II, p. 449.
  4. Une des hautes-forges avait une chaussée en bois et l’autre en pierre. On a découvert dernièrement à six pieds sous terre, près de l’emplacement d’une ancienne forge, un trottoir en pierre qui a dû servir à ces fins il y a un siècle passé.