Mélanges historiques/06/07

VII

OUVRIERS ET INSPECTEURS DE FRANCE. — EAUX MINÉRALES. — DÉCÈS DE FRANCHEVILLE. — COMPAGNIE DES FORGES. — INCENDIE DE MONTRÉAL. — OUVRIERS EXPERTS ENVOYÉS DE FRANCE. — LE ROI SUBVENTIONNE LES FORGES. — NOUVELLE COMPAGNIE FORMÉE.
1731-1736

Sous Louis XIV il y avait un ministre à la tête de chaque département des affaires publiques, où rien ne se décidait cependant à l’insu du monarque. En 1715, le duc d’Orléans prit la régence du royaume bien persuadé que les ministres tenteraient d’échapper à son contrôle ; c’est pourquoi il créa un conseil de plusieurs membres pour chaque ministère, anéantissant par ce moyen la volonté d’un seul et s’en rapportant au vœu de la majorité des conseillers. Le Canada releva, comme autrefois, du département conjoint de la marine et des colonies, qui avait désormais un conseil pour le diriger au lieu d’un ministre. En 1723, le roi Louis XV prenant la direction continua le nouveau système.

Le président du conseil de la marine et des colonies écrit à M. de Beauharnois, gouverneur, le 24 avril 1731, qu’il n’a pas jugé à propos de faire usage du placet de la fille du sieur de Courval, mais qu’il sera bien aise de savoir s’il est vrai qu’elle ressemble au roi et que trois fleurs de lys forment son moignon. Il lui sera facile de le vérifier puisqu’il passe deux fois l’an aux Trois-Rivières. Peut-être s’agit-il de Louise-Charlotte, baptisée le 3 juillet 1699. Nous n’avons rien trouvé de plus sur ce sujet.

Le président du conseil de la marine et des colonies écrit, le 27 avril 1731 à M. de Beauharnois[1], intendant à Rochefort, lui disant de donner passage à deux ouvriers que M. de Francheville attend au Canada pour travailler aux mines de fer. À ce sujet, le roi fait savoir sous la date du 1er avril 1732, qu’il regrette d’apprendre que les fondeurs de fer sont arrivés trop tard aux Trois-Rivières l’année précédente pour connaître à fond les mines. Il est probable que l’arrivée en question avait eu lieu vers le temps où le froid et la neige rendent les exploitations impossibles.

Dans l’âtre de la cheminée du salon de la « grande maison » des Forges j’ai vu un « contre-cœur » ou plaque de fond de cheminée coulée en fonte ordinaire et portant trois fleurs de lys en relief avec le millésime « 1732 ». L’été de 1732 Hocquart visita la ville, le Cap-de-la-Madeleine et les mines du fief Saint-Maurice. La plaque en question fut probablement coulée en sa présence.

Par une note dictée à Marly chez le roi, le 27 janvier 1733, on voit que la recherche des terrains miniers aux environs des Trois-Rivières avait fait découvrir des sources d’eaux minérales. Expliquons ceci :

Michel Sarrazin, né à Nuits, en Bourgogne, le 5 septembre 1659, était nommé chirurgien-major des troupes, à Québec, le 12 novembre 1686. Il exerça sa profession de chirurgien et de médecin « avec beaucoup de capacité et de succès » puis, en 1694, il passa en France et y resta trois ans pour perfectionner ses études. Il revint en 1697 avec le titre de médecin du roi et, le 14 mai 1699, on le nomma médecin en chef du Canada. Peu après on apprit qu’il avait été fait membre correspondant de l’Académie des Sciences à cause de ses travaux sur l’histoire naturelle du Canada. En 1707, il devenait membre du Conseil Supérieur de Québec — le parlement canadien. Il fit ensuite un voyage en France car, dans l’une de ses lettres, il dit que, en 1709, il passa trois mois à Forges, village de la haute Normandie, au pays de Brai, où il étudia les eaux minérales qui, depuis plus d’un siècle, jouissaient d’une grande renommée par tout le royaume. Sa carrière renferme trop de choses importantes pour être racontée ici.

Dans une lettre du 10 octobre 1732 Sarrazin écrit qu’il a passé quelques mois au Cap-de-la-Madeleine pour examiner des sources éloignées du fleuve de quatre cents pas et se prononce très favorablement sur leur compte. Ces eaux, dit-il, ne renferment aucun élément vitriolique et « elles ont une frappante analogie avec les eaux de Forges. Parmi les onze sources du Cap il y en a cinq qui sortent de terre éloignées les unes des autres de la distance d’environ deux pieds. La quatrième, qui s’échappe entre la troisième et la cinquième, fournit une eau des plus pures, très saine et fort bonne à boire, qui ne participe en aucune façon à la nature des quatre autres ». Ce mémoire fut communiqué à M. Chicoyneau, premier médecin du roi. Sarrazin mourut à Québec le 7 septembre 1734.

Une société se forma, le 16 janvier 1733, pour exploiter les mines de fer de la seigneurie de Saint-Maurice : la veuve Francheville, Pierre Poulin, Ignace Gamelin, marchand de Montréal, et François-Étienne Cugnet.

François Poulin de Francheville venait de mourir. Sa veuve, Thérèse de Couagnes, née à Montréal en 1697, se mit à la tête d’une organisation nouvelle pour continuer les travaux du fer. Pierre Poulin, son beau-frère, qui nous est connu, était membre de cette société. Les deux autres associés méritent un mot d’explication.

Michel Gamelin se maria aux Trois-Rivières en 1663 avec Marguerite Crevier ; leur fils Ignace épousa à Batiscan, en 1693, Marguerite Lemoine ; leur fils Ignace, né en 1698, se maria à Montréal, en 1731, avec Marie-Louise Dufrost de la Jemerais ; il fut marchand à Montréal et actionnaire des forges Saint-Maurice. Il vivait encore en 1752.

François-Étienne Cugnet, venu de France avec sa femme Louise-Madeleine Du Sautoy, fait baptiser son premier enfant à Québec en 1720. Lui et ses deux fils ont été des personnages importants.

Le 21 avril 1733, le roi ignorant le décès de Francheville, lui accorde dix mille francs pour l’aider dans son entreprise.

Le 10 novembre 1732, à Montréal, devant le notaire Lepailleur, François Poulin de Francheville avait engagé pour un an un nommé Louis Bélisle, demeurant à Montréal, pour travailler à la mine de fer, à la charpente des bâtiments et autres ouvrages, aux forges Saint-Maurice. Poulin a dû mourir peu après cette date[2].

Le 10 avril 1734, à Montréal, une négresse esclave de madame veuve de Francheville mit le feu à la maison de cette dernière et quarante-cinq résidences furent brûlées. La demeure de madame de Francheville était située au bord du fleuve. Marie-Josette-Angélique, la négresse, fut pendue. Elle avait un complice Claude Thibault, aussi condamné à la potence, mais il s’était échappé.

Le 13 avril 1734, le président du conseil de la marine et des colonies écrit à MM. de Beauharnois et Hocquart qu’il recevra avec plaisir quelques barres de fer fabriquées dans les forges du sieur de Francheville. On ne savait pas encore à Versailles que Francheville était décédé.

Le président du conseil de la marine et des colonies écrit le 11 janvier 1735, à M. de Beauharnois, intendant à Rochefort, que « M. de Francheville est décédé à Montréal au commencement de l’année dernière, » et que ses associés se proposent de continuer son établissement. Le fer qu’ils ont fabriqué est, prétendent-ils, de qualité au moins égale à celui du Berry. On examinera celui qu’ils ont envoyé ; M. de Beauharnois recevra le modèle qu’ils ont fait dresser de leur établissement[3]. Le même jour, le conseil prie M. Tassin de chercher deux maîtres de forges, ou même deux bons forgerons pour être employés dans les mines de fer du Canada.

Les négociations pour obtenir les services d’un directeur de forges occupèrent toute l’année 1735. Le 22 février, le conseil de la marine s’adresse à M. Tassin au sujet du sieur Olivier de Vezain qui offre d’aller au Canada diriger l’exploitation des mines de fer. Le 22 mars, il demande quelle gratification cet homme exigera. Le 19 avril il fait savoir à Beauharnois et Hocquart qu’il n’approuve pas « l’endroit choisi pour les forges des mines de fer de Batiscan ». Le 5 mai il demande à Olivier quels appointements il lui faut et quel genre de passage sur mer. Le 10 du même mois, il informe le gouverneur et l’intendant de la difficulté qu’il rencontre pour se procurer un maître de forges expérimenté qui accepte de servir au Canada « pour diriger l’exploitation des mines de fer de Batiscan ». Il ajoute que Olivier de Vezain a enfin accepté la tâche mais qu’il a imposé des conditions très onéreuses ; aussi, dès que l’ouvrage sera en bonne voie, il faudra le laisser retourner en France.

Le 23 octobre 1735, Thérèse de Couagnes, veuve Francheville, Pierre Poulin, marchand, Ignace Gamelin, marchand de Montréal, François-Étienne Cugnet, directeur du domaine d’Occident (Canada, traite) cèdent au roi la seigneurie de Saint-Maurice avec les édifices érigés pour les travaux des mines, ainsi que le privilège d’exploitation. Je crois voir, dans l’acte, qu’il ne s’agit pas de la terre de Maurice Poulin mais seulement du fief Préville accordé à François Poulin de Francheville en 1730. Il me paraît donc que l’on a employé le nom de Saint-Maurice improprement. Le roi accepta cette reddition le 22 avril 1737.

Le 27 décembre 1735, le conseil donne avis à M. Tassin qu’il a reçu un mémoire du sieur Olivier. Il dit de plus que le conseil serait heureux de voir se former une société pour ces mines de fer.

Le 7 janvier 1736, le président du conseil de la marine et des colonies écrit à M. Sagon que l’entreprise des mines de fer auprès des Trois-Rivières donnait de bonnes espérances, malgré les fautes commises, lorsque le concessionnaire est mort. On a envoyé sur les lieux un maître de forges de la Champagne dont le rapport est des plus favorables quant à la qualité, l’abondance du fer et les moyens d’exploitation. Le conseil de la marine et des colonies désirerait avoir l’avis de M. Sagon et celui du bureau du commerce sur les avantages et désavantages que donnerait cette exploitation au point de vue des intérêts de la France.

À Beauharnois et à Hocquart, le conseil écrit, le 14 mars 1736, que, des trois propositions qu’ils ont faites pour l’entreprise des mines de fer des Trois-Rivières, on s’est arrêté à la dernière, savoir : celle de faire des avances à la compagnie, comptant bien que les travaux seront commencés cette année, selon le projet du sieur Olivier.

Le conseil donne avis, le 10 mai 1736, que le nommé Simonnet, maître de forges de la Champagne, passe au Canada pour conduire les travaux des forges des Trois-Rivières, de concert avec Olivier, ou seul en cas de besoin. Il amène quatre ouvriers et part à condition d’avoir un intérêt égal aux autres intéressés. Le 22 du même mois, il ajoute que Simonnet et Olivier devraient en sus recevoir quelques appointements.

Le 15 mai 1736, le conseil dit qu’on fera une avance de 36,000 francs cette année pour les mines de fer des Trois-Rivières. On a donné ordre d’envoyer quelqu’un de capable pour conduire l’exploitation. On prendra hypothèque sur les biens. Madame de Francheville et ses associés feront cession de leur privilège à la nouvelle compagnie. Cette nouvelle compagnie était l’œuvre de Cugnet qui venait d’acheter des héritiers Poulin la seigneurie de Saint-Maurice.

Vers la fin de juin 1736, Hocquart se rendit sur les lieux pour choisir les endroits les plus convenables à l’emplacement des chaussées et de la forge. Le gros ruisseau qui descend en cascades jusqu’à la rivière s’imposait comme le site de l’établissement, vu qu’il offrait en abondance d’excellente eau à boire et à laver le minerai et donnait des forces motrices pour tous les besoins. L’automne suivant on se mit à l’œuvre. Hocquart, intendant du Canada, devait naturellement surveiller les ouvrages que le roi subventionnait.

La Mère Marie Duplessis de Sainte-Hélène écrivait, le 14 octobre 1736, que plus de cent hommes sont occupés aux mines que l’on a découvertes en Canada. Ils sont sous la conduite d’un directeur bien entendu envoyé par le roi.

Le 15 octobre 1736, Pierre Poulin, sa femme Louise Le Boulanger et le chanoine Michel Poulin vendent la « seigneurie de Saint-Maurice, mesurant une lieue de front sur deux lieues de profondeur, concédée à Maurice Poulin en 1668, ratifiée en faveur de sa veuve en 1676, commençant aux confins de la seigneurie appartenant aux héritiers La Fond en descendant la rivière des Trois-Rivières. »

Les acheteurs sont François-Étienne Cugnet, Pierre-François Olivier de Vezain, Jacques Simonnet et Ignace Gamelin, moyennant six mille francs dont on n’exige pas le principal mais seulement un intérêt annuel de trois cents francs.

Ce même jour, la veuve de Francheville signe une renonciation du privilège qu’avait son mari pour exploiter la mine du fief. À partir de ce moment, la veuve de Francheville, Pierre et Michel Poulin, Gamelin et Cugnet ne prétendent plus à aucun avantage accordé par le roi ; et, pour ce qui est des droits de propriété, la nouvelle compagnie Cugnet, Gamelin, Simonnet, de Vezain les achetait moyennant une somme d’argent convenue. Thomas-Jacques Taschereau entrait comme cinquième membre dans cette dernière compagnie, mais il ne paraît pas avoir participé aux droits de propriété sur la terre.

L’acte spécifie que la rente de trois cents francs par année sera payable à partir de la possession du fief par les associés de Francheville. Cet effet rétroactif est de plus constaté en disant que le 1er janvier 1737 il sera dû de ce chef sept cent cinquante francs à la veuve de Francheville — donc à partir du 1er juillet 1734.

Les papiers, titres, etc., concernant le fief, furent remis par Pierre Poulin à Cugnet, dans la ville de Québec, le 27 décembre 1736. Le 18 octobre 1736, Cugnet, Gamelin, Olivier de Vezain, Simonnet et Taschereau signent un reçu conjoint, se reconnaissant responsables de la somme de dix mille francs versée par le roi en 1733. De plus, ils se rendent responsables des fonds que le roi a fait absorber dans l’exécution des travaux et s’élevant à quarante-deux mille neuf cents francs.

Du mariage de Hugues Olivier, seigneur de Sivinac ou Sionne ou Lyonne, en Bassigny, Champagne, capitaine d’artillerie, pensionnaire du roi, et de Louise Leroux, dame d’Ingolicour, diocèse de Toulle, Lorraine, était né Pierre-François Olivier, sieur de Vezain (il signait Olivier de Vezain), dont la présence aux Trois-Rivières est constatée le 9 juillet 1736, comme parrain de Louise, fille du chirurgien Alavoine. On le qualifia de directeur des forges pour le roi.

Jacques Simonnet sieur de l’Abergemont, était de Dompierre, diocèse de Langres, Franche-Comté et Bourgogne, pays de forges et de fonderies de fer. Mgr Tanguay[4], dit que cet homme était aux Trois-Rivières en 1728. J’en doute fort, c’est peut-être 1738. On le trouve comme maître de forges, en 1730, à Villecomte dans la région de Langres, selon les recherches d’un ami de la Bourgogne qui m’a aidé dans ce travail. Les forges de l’Abergemont sont mentionnées plus loin. En 1736, il était veuf de Marie Foissey ou Foissy et avait un fils, Jean-Baptiste, en France. Ce garçon était d’âge à se marier.

Thomas-Jacques Taschereau, sieur de Sapaillé, né vers 1680 à Tours, arriva en 1726 dans la colonie avec M. de Beauharnois et Claude-Thomas Dupuy, intendant, dont il était le secrétaire. Il se maria en 1728 avec Claire Fleury de la Gorgendière, de Québec. Leur descendance a toujours été remarquable par les talents et les hautes fonctions de ses membres.


  1. Frère de notre gouverneur.
  2. Note de M. E.-Z. Massicotte.
  3. Ce modèle n’est pas connu, non plus que les plans des établissements des forges qui furent faits en France par des architectes experts.
  4. Dictionnaire généalogique, vol. VII, p. 195.