Mélanges historiques/06/06

VI

FRANÇOIS POULIN DE FRANCHEVILLE OBTIENT PERMISSION D’EXPLOITER LES MINES DE FER.
1726-1730.

Le Père Charlevoix dit dans son Journal sous la date de 1721 : « On ne compte guère que sept ou huit cents personnes dans la ville des Trois-Rivières, mais elle a dans son voisinage de quoi enrichir une grande ville. Ce sont des mines de fer très abondantes qu’on fera valoir quand on voudra. »

Le 11 avril 1724 le roi fait écrire au gouverneur du Canada qu’il a examiné le mémoire de M. de Ressous sur l’établissement de forges au Canada ; il n’y objecte pas, mais ne supportera pas la dépense de l’expérimentation qu’il faut faire à cet égard. Le 25 avril 1726 on voit par le livre de Masères, Commissions, p. 215, qu’il y eut un procès-verbal d’arpentage pour délimiter les fiefs Saint-Maurice et Sainte-Marguerite.

Du mariage de Michel Poulin à Marie Jutras était né, en 1692, François, qui prit le nom de Francheville en souvenir du premier mari de sa grand’mère. Il avait épousé en 1718 Thérèse de Couagnes. Voici un mémoire ou plutôt une supplique en date du mois d’octobre 1729 que le signataire destinait au comte de Maurepas, ministre de Louis XV, et qu’il envoya d’abord au gouverneur Beauharnois pour être transmise à Versailles : « François Poulin de Francheville, négociant à Montréal, représente très respectueusement qu’il se trouve dans la seigneurie de Saint-Maurice, à une lieue des Trois-Rivières, dont il est propriétaire, et aux environs, des mines de fer qui paraissent abondantes et dont l’exploitation serait d’un avantage considérable à la colonie, où il se consume une grande quantité de fer, tant pour la construction des bâtiments de mer que pour beaucoup d’autres ouvrages qui y sont toujours chers par la nécessité où l’on est de les tirer de la France. »

De la ville aux Forges, par terre, il y a un peu plus de deux lieues, mais Francheville parle de la limite du fief du côté de la ville ; puis il continue : « Le remontrant offre de faire les avances nécessaires pour l’exploitation des dites mines, s’il plaisait à Sa Majesté lui accorder et à ses ayants cause, la concession pendant vingt ans des mines de fer qui pourront se trouver dans l’étendue du pays qui en dépend et y compris la seigneurie d’Yamachiche et y compris la seigneurie du Cap de la Madeleine, aux conditions suivantes : —

« Que le remontrant pourra seul, à l’exclusion de tout autre, pendant le temps de la dite concession, et en vertu d’icelle, ouvrir et exploiter toutes les mines de fer qui se trouveront dans l’étendue du pays ci-dessus désigné ; qu’il pourra seul faire fabriquer des fers provenant des exploitations des dites mines, toute sorte d’ouvrages de fer et en faire commerce.

« Qu’il lui sera permis d’ouvrir dans l’étendue de la dite concession toutes les terres où il se trouvera des mines de fer et les exploiter sans que les propriétaires des dites terres puissent y rien prétendre, en remboursant seulement par lui aux dits propriétaires les prix des terres cultivées et en valeur, suivant l’estimation qui en sera faite par experts choisis par les dits propriétaires et par le remontrant ou nommés d’office, sans être tenu à aucun remboursement pour l’ouverture et exploitation des terres non cultivées.

« Qu’il lui sera permis de faire les prises et retenues d’eaux nécessaires à ses travaux dans les endroits les plus commodes.

« À la charge par le remontrant de faire ouvrir les dites mines dans les deux ans du jour que la dite concession lui sera remise en Canada et continuer ensuite les dites mines sans interruption à peine de nullité de la dite concession.

« La proposition du remontrant peut être utile à la colonie en y procurant l’abondance d’une matière nécessaire à un prix inférieur à celui qu’elle coûte en la faisant venir de France.

« Il prend la liberté d’en demander la concession exclusive. Il est propriétaire de la terre où la mine de fer se trouve être la plus abondante, et quand il s’en trouverait dans les terres voisines il ne serait pas raisonnable que d’autres viennent établir de semblables travaux après qu’il aurait risqué le premier des avances considérables pour cet établissement.

« Il espère, Monseigneur, que Votre Grandeur aura la bonté de lui accorder la concession qu’il demande, quoique les dites mines n’aient pas encore été reconnues.

« Il n’aurait aucun intérêt à demander cette concession s’il n’était pas sûr qu’il y parait des mines et au cas que ces mines de fer ne fussent pas assez abondantes pour soutenir les frais de l’exploitation la concession devient nulle d’elle-même.

« Il continuera ses vœux pour la prospérité et santé de Votre Grandeur. (Signé) FRANCHEVILLE. »    


MM. de Beauharnois et Hocquart transmirent cette pièce au ministre en l’accompagnant de la lettre suivante : —

Québec, 28 octobre 1729.

« Monseigneur, — Nous avons l’honneur de vous adresser un mémoire du sieur Francheville, négociant de Montréal, et propriétaire de la seigneurie Saint-Maurice. Il expose qu’il se trouve dans cette seigneurie et aux environs des mines de fer assez abondantes pour l’engager à en entreprendre l’exploitation si vous voulez bien, Monseigneur, en accorder la concession et le privilège pendant vingt ans. Les conditions qu’il fait ne sont ni onéreuses au roi ni aux particuliers et il en résulterait au contraire un avantage considérable à la colonie si son projet a, comme il l’espère, tout le succès que l’on doit attendre de l’intelligence de ce négociant, qui est aisé et qui trouvera des associés pour concourir avec lui dans cette entreprise. Le roi ne court aucun risque et Sa Majesté trouvera par la suite son avantage par les fers dont elle pourra avoir besoin pour la construction des vaisseaux, ou pour d’autres ouvrages, à bien meilleur compte qu’en France.

« Nous estimons, Monseigneur, que vous pouvez lui accorder la concession et le privilège qu’il demande, ou nous donner la permission de la lui accorder, sauf votre approbation, et attribuer au sieur Hocquart la connaissance des contestations qui pourraient naître entre le dit Francheville et les particuliers qui seront dans l’obligation de céder des portions de terre cultivée pour cette exploitation. Nous sommes, etc.

(Signé) BEAUHARNOIS, HOCQUART ».

Gilles Hocquart, nommé commissaire-ordonnateur au Canada, allait partir de France lorsque, le 19 avril 1729, le conseil de la marine et des colonies lui donna avis que M. d’Aigremont rapportait qu’il n’y avait rien de certain sur l’abondance et la qualité du fer des Trois-Rivières et il le priait d’étudier la question puis de lui en envoyer un mémoire complet. Hocquart était donc arrivé connaissant un peu l’affaire des mines en question et il avait dû se renseigner tant soit peu puisque, le 28 octobre, on le voit se prononcer favorablement en faveur de la demande de Francheville ; néanmoins, dans une lettre séparée, il écrit au ministre : « Quand je passerai aux Trois-Rivières j’examinerai les mines et j’aurai l’honneur de vous donner sur cette matière les éclaircissements que vous souhaitez. »

Le 25 mars 1730 le roi signait un brevet accordant à François Poulin de Francheville le privilège de « faire ouvrir, fouiller et approfondir à son profit les mines de fer de sa seigneurie de Saint-Maurice, à ses frais et dépens, pendant vingt ans… dans l’étendue des terrains qui sont depuis et compris la seigneurie d’Yamachiche, jusques et compris la seigneurie du Cap de la Madeleine, en lui permettant de faire construire les forges, fourneaux et autres ouvrages qu’il conviendra, à compter du jour de l’ouverture des dites mines, qu’il sera tenu de faire dans l’espace de deux années prochaines du jour de l’enregistrement du présent brevet au Conseil Supérieur de Québec… sans que les propriétaires des terres sur lesquelles les dites mines seront ouvertes y puissent rien prétendre, à la charge de leur rembourser seulement le prix des terres qui seront cultivées, suivant l’estimation qui en sera faite par experts convenus entre lui et les dits propriétaires, et sans qu’il soit tenu à aucun remboursement pour l’ouverture et exploitation des dites mines sur les terres qui n’auront point été cultivées ; lui a permis aussi Sa Majesté de faire les prises retenues d’eau nécessaires à la dite exploitation, dans les endroits et sur les terrains qui se trouveront les plus commodes, à condition d’indemniser pareillement les propriétaires des terres sur lesquelles les dites prises et retenues d’eau seront faites sans que le dit sieur de Francheville soit tenu de payer à Sa Majesté aucune finance, ni indemnité pour quelque cause ni sous quelque prétexte que ce soit…, et Sa Majesté lui fait don et remise du droit de dixième à elle appartenant ».

La colonie appartenait à la compagnie des Indes, comme exploitation commerciale, et les mines relevaient de l’État, mais le roi pouvait trancher dans le monopole aussi bien qu’il abandonnait ses propres prétentions sur les dépôts de fer que la nature avait semés dans le domaine de Maurice Poulin.

Ici, je trouve mention d’un fief nommé Préville que le roi aurait accordé à Francheville le 22 mars 1730, pour agrandir la seigneurie de Saint-Maurice. Ne serait-ce pas la terre qui avait appartenu à Marin Terrier, en ville ?