Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — Avril 1833/01


Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — Avril 1833

MÉLANGES


DE SCIENCES ET D’HISTOIRE NATURELLE.[1]

MÉTÉORES LUMINEUX.


M. Gautier a lu à la Société de physique et d’histoire naturelle de Genève, dans sa séance du 6 décembre, une notice fort intéressante sur les météores lumineux qui ont été observés en différens points de l’Europe, dans la nuit du 12 au 13 novembre 1832.

Ces phénomènes s’étaient manifestés dès la soirée du 12 mai. Ils parurent dans tout leur développement depuis trois jusqu’à six heures du matin, et c’est malheureusement, comme le remarque M. Gautier, l’époque de la journée à laquelle il se trouve sur pied le moins d’observateurs instruits. Toutefois, comme les météores étaient visibles sur une surface de pays fort étendue, le nombre des observations est encore assez considérable, et il n’est pas sans utilité de les comparer les unes aux autres.

À Genève, trois artilleurs et un sergent de la garde soldée rapportent que vers minuit ils ont aperçu des lueurs derrière les nuages, produisant à peu près l’effet d’éclairs. Vers deux heures et demie, le ciel s’étant éclairci, ils ont vu, durant plusieurs heures et jusqu’au jour, des espèces de fusées partant de plusieurs points et laissant après elles une traînée rectiligne ou serpentine, d’abord de couleur rouge, ensuite verte ou bleue, et enfin jaune. Cette trace lumineuse durait de dix à quinze minutes, puis s’effaçait ; on en voyait plusieurs à la fois. Les directions étaient diverses, mais le sud-ouest était la partie de l’horizon où on en voyait le moins.

Aucun bruit ne se faisait entendre.

À l’approche du jour, entre quatre et six heures, les feux étaient plus rares, mais plus brillans. On ne sait si c’est le jour qui a empêché de les voir plus long-temps.

D’autres individus, de la même ville, dans un rapport très peu différent de celui-ci, ont ajouté que plusieurs des fusées en question présentaient à leur extrémité antérieure un point plus lumineux que le reste, lequel se brisait en plusieurs fragmens au terme de sa course. Ces espèces de projectiles ne tombaient pas jusqu’à terre, mais semblaient éclater et se dissiper en l’air.

Un ministre d’Aubonne, dans le canton de Vaud, s’étant levé à trois heures du matin, remarqua, dans un intervalle de peu de minutes, plusieurs étoiles filantes. En revenant dans sa chambre, il observa à deux reprises une forte lueur comme celle d’un flambeau qui aurait passé devant sa fenêtre. À quatre heures du matin, étant parti à pied pour Allaman, il observa successivement plusieurs globes lumineux qui paraissaient s’élever et projeter en avant peu à peu une gerbe lumineuse semblable à celle d’une fusée, jusqu’à ce que le globe s’éteignît et qu’il ne restât plus que la traînée, laquelle s’affaiblissait en s’éloignant et finissait par se convertir en un nuage lumineux indistinct. Outre ces globes, il y avait à chaque instant des étoiles filantes dans toutes les directions. Le ciel était pur, et il y avait un clair de lune très sensible.

Entre les trois globes observés distinctement par le voyageur, un, dans la direction du sud, était surtout remarquable par son éclat et sa durée ; il avait à peu près le diamètre de la lune, et paraissait d’une lumière un peu plus rougeâtre. Il resta lumineux environ une minute et demie. La gerbe qu’il projeta supérieurement et qui monta avec lui, s’étendit en diminuant d’éclat, et se convertit enfin en un nuage pâle. Il était alors environ cinq heures du matin. Le même globe fut vu à Allaman à une demi-lieue de distance. On l’y observa quand il était déjà à une certaine hauteur (45 degrés environ).

Des observations à peu près semblables ont été faites dans différens points des environs de Genève, aux Volandes, à Chêne-Thonex, à Cougny, à Vesenaz, à Coligny. Presque partout on a vu des clartés soudaines et très vives, des lumières diversement colorées, des gerbes comme des serpenteaux ; mais on n’a pas vu distinctement des globes lumineux, comme ceux indiqués dans l’observation précédente.

Dans le Bas-Simmenthal, on vit, la même nuit, par un ciel parfaitement serein, paraître vers le nord-est un globe enflammé qui se dirigeait vers le sud-ouest en répandant une très vive lumière. De ce globe jaillissaient de toutes parts des étincelles semblables à des étoiles filantes qui s’enchaînaient les unes aux autres et se répandaient sur toute la largeur de la vallée. Il éclata au bout d’une demi-heure, laissant après lui une longue trace lumineuse semblable à celle d’une fusée, qui disparut enfin et se transforma en un léger nuage. À peine cette première apparition avait-elle cessé, qu’à la même place où le premier était tombé, on vit s’en former un second, et plus tard un troisième, tous deux jetant comme le premier de nombreuses étincelles : l’un d’eux disparut derrière les montagnes avant d’éclater.

Près de Lausanne, des paysans dirent avoir vu, vers trois heures du matin, une poutre de feu longue de vingt pieds qui se dirigeait au nord. À Neufchâtel, des soldats qui étaient de service virent, vers cinq heures du matin, une colonne de feu qui resta quelques minutes stationnaire, se balança et disparut, laissant après elle une lueur qui éclaira toute l’étendue du lac ; elle fut suivie de trois éclairs et de trois boules de feu. Des paysans du village des Planchettes, situé dans les montagnes du canton de Neufchâtel, qui ont vu les météores, désignent l’un d’entre eux, qu’ils ont remarqué vers deux heures et demie au sud-est, comme un fusil de feu avec sa baïonnette et un sabre étendus sur la Suisse.

En France, des observations des mêmes météores ont été faites sur divers points. Ainsi M. Potier de Valdivia, officier du génie, dans une lettre adressée à l’Académie des sciences, rapporte qu’il a vu cette même nuit, aux environs de Grenoble, une pluie d’étoiles filantes, qui laissaient des traces lumineuses parfaitement rectilignes.

À Saint-Lonthain, département du Jura, une dame a observé, de onze heures et demie à minuit et demi, différentes étoiles filantes qui se dirigeaient toutes vers l’ouest, les unes en ligne droite et les autres en serpentant. À minuit, une pelle de feu longue de deux pieds d’un rouge violet parut tout à coup. Elle était aussi dans la même direction ; elle ne lançait aucune flamme. Le ciel était parfaitement pur et clair ; la lune donnait en plein, ce qui empêchait d’apprécier toute l’étendue de la lumière donnée par le météore : cependant un témoin oculaire dit qu’on aurait facilement lu à sa lumière. Près de Dôle, le même phénomène a été observé vers six heures du matin, mais la lumière en était très pâle. Il a paru dans la même nuit à Épinal, à Besançon, à Saint-Claude : il s’est toujours dirigé de l’est à l’ouest.

Les météores du 13 novembre ont aussi été vus aux environs de Nevers ; on les y a assimilés à un feu immense, à des flammes tombant du ciel par flocons, à des étoiles qui semblaient se combattre et jeter du feu, etc.

Le Pilote du Calvados, dans son numéro du 26 novembre, parle aussi d’une quantité innombrable d’étoiles filantes qui, à diverses reprises et pendant deux heures entières, ont sillonné un ciel parfaitement serein, de manière à former une sorte de pluie de feu. Ce phénomène, dont la plus grande intensité a été de quatre à cinq heures du matin, a été observé, suivant le journal que nous citons, dans plusieurs parties du département du Calvados et dans le département de l’Orne aux environs d’Argentan.

En Belgique, aux environs de Bruxelles, on a vu, par un temps très clair, vers deux heures de la nuit, une quantité de petits globes de feu apparaissant à des intervalles irréguliers, mais rapprochés les uns des autres, et s’évanouissant après avoir tracé une ligne assez longue. En moins d’une demi-heure il parut plus de cent de ces globes, dont la plupart ressemblaient à des étoiles filantes, mais dont quelques-uns aussi présentaient un plus grand volume. Ceux-ci jetaient une réverbération égale à celle d’un fort éclair, et laissaient après eux, dans le ciel, une trace lumineuse, une gerbe d’étincelles qui ne s’éteignait qu’après quatre ou cinq secondes. Tous sans exception se dirigeaient de l’est à l’ouest. On commença à les voir vers une heure de la nuit, et ils duraient encore à six heures du matin.

Les gens de la campagne, qui se rappelaient avoir observé quelque chose de semblable peu de jours avant la bataille de Waterloo, s’inquiétaient fort de deviner quel nouveau malheur ce signe leur annonçait.

Dans les îles Britanniques le phénomène a été également observé. À Portsmouth, on en parle comme d’une multitude d’étoiles filantes qui se croisaient dans toutes les directions et jetaient une clarté qui effraya, à plusieurs reprises, les chevaux d’une diligence nocturne de Londres.

Les mêmes phénomènes se trouvent rapportés dans l’Iris de Scheffield comme ayant été observés dans les environs de cette ville.

À Glossop, les apparitions lumineuses furent si effrayantes, que plusieurs personnes qui allaient au travail de grand matin, furent frappées de terreur et rentrèrent au logis.

Il résulte de l’ensemble des récits que nous venons de citer, comme de plusieurs autres qui se trouvent également consignés dans le mémoire de M. le professeur Gautier, que dans la nuit du 13 novembre, depuis neuf heures du soir jusqu’à la naissance du jour, il a paru, par intervalles, un grand nombre de météores lumineux qui consistaient en une multitude d’étoiles filantes ordinaires et en un plus petit nombre de globes lumineux en mouvement, avec traînées ou colonnes, d’où jaillissaient parfois des étincelles et des jets lumineux latéraux, et que pour les globes qui jetaient un très vif éclat, la durée était en général de plusieurs minutes, avec des changemens très divers de couleur ou d’aspect pendant cet intervalle.

Il est impossible, pour ceux qui ont lu la relation historique du voyage de M. de Humboldt, de n’être pas frappés de la grande ressemblance qui existe entre les phénomènes de la nuit du 13 novembre 1832 et ceux que ce savant illustre a observés à Cumana le 12 novembre 1799, conjointement avec M. Bonpland. La description s’en trouve dans le chap. x du livre iv de son Voyage aux régions équinoxiales ; nous en reproduirons ici les principaux traits :

« La nuit du 11 au 12 novembre était fraîche et de la plus grande beauté ; vers le matin, depuis deux heures et demie, on vit, à l’est, les météores lumineux les plus extraordinaires ; M. Bonpland, qui s’était levé pour jouir du frais sur la galerie, les aperçut le premier. Des milliers de bolides et d’étoiles filantes se succédèrent pendant quatre heures. Leur direction était très régulière du nord au sud ; elles remplissaient une partie du ciel qui s’étendait de trente degrés vers le nord et le sud à partir du véritable point Est. Sur une amplitude de soixante degrés on voyait les météores s’élever au-dessus de l’horizon à l’est-nord-est et à l’est, parcourir des arcs plus ou moins grands, et retomber vers le sud après avoir suivi la direction du méridien. Quelques-uns atteignaient jusqu’à quarante degrés de hauteur ; tous dépassaient vingt-cinq à trente degrés. Le vent était très faible dans les basses régions de l’atmosphère, et soufflait de l’est ; on ne voyait aucune trace de nuages.

« M. Bonpland rapporte que dès le commencement du phénomène, il n’y avait pas un espace du ciel égal en étendue à trois diamètres de la lune que l’on ne vît à chaque instant rempli de bolides et d’étoiles filantes. Les premiers étaient en plus petit nombre ; mais comme on en voyait de différente grandeur, il était impossible de fixer la limite entre ces deux classes de phénomènes. Tous ces météores laissaient des traces lumineuses de huit à dix degrés de longueur, comme c’est souvent le cas dans les régions équinoxiales. La phosphorescence de ces traces ou bandes lumineuses durait de sept à huit secondes. Plusieurs étoiles filantes avaient un noyau très distinct, grand comme le disque de Jupiter, d’où partaient des étincelles d’une lueur extrêmement vive ; les bolides semblaient se briser comme par explosion, mais les plus gros, de un degré à un degré quinze minutes de diamètre, disparaissaient sans scintillement, et laissaient derrière eux des bandes phosphorescentes dont la largeur excédait quinze à vingt minutes : la lumière de ces météores était blanche et non rougeâtre, ce qui devait être attribué sans doute au manque de vapeurs et à l’extrême transparence de l’air. C’est par la même cause que sous les tropiques, les étoiles de première grandeur, en se levant, ont une lumière sensiblement plus blanche qu’en Europe.

« Depuis quatre heures le phénomène cessa peu à peu ; les bolides, et les étoiles filantes devinrent plus rares ; cependant on en distinguait encore quelques-unes vers le nord-est, à leur lueur blanchâtre et à la rapidité de leur mouvement, un quart d’heure après le lever du soleil.

« Les pêcheurs du faubourg indien de Cumana dirent que le feu d’artifice avait commencé à une heure de la nuit, et qu’en revenant de la pêche dans le golfe ils avaient déjà aperçu des étoiles filantes, mais très petites, s’élever à l’est. »

Ces phénomènes de 1799 furent visibles depuis le pays des Esquimaux, le Labrador et le Groenland, par soixante-quatre et quatre-vingt-deux degrés de latitude boréale, jusque près de l’équateur, sur les frontières du Brésil et à la Guiane française, où l’on vit le ciel comme enflammé dans la partie du nord. Pendant une heure et demie, d’innombrables étoiles filantes parcouraient le ciel et répandaient une lumière si vive, qu’on pouvait comparer ces météores aux gerbes flamboyantes lancées dans un feu d’artifice. M. Ellicot, astronome aux États-Unis, les observa dans le canal de Bahama, et un curé des environs de Weimar, en Allemagne, les remarqua aux mêmes momens au sud et au sud-ouest, de sorte que ces météores ont été partout également resplendissans sur un espace de 921,000 lieues carrées. Ceux de novembre 1832 paraissent avoir été plus limités. Cependant la coïncidence des observations dans des points aussi éloignés que le midi de la France et le nord de l’Angleterre prouve que le phénomène avait encore une très grande étendue.

En supposant que dans le fait rapporté par M. de Humboldt ce fussent les mêmes météores ignés qu’on aperçut aux points extrêmes où eurent lieu des observations, il en résulterait que leur hauteur n’aurait pas dû être moindre de 410 lieues ; mais M. de Humboldt incline à croire que les Indiens Chaymas de Cumana n’ont pas vu les mêmes bolides que les Portugais du Brésil et que les missionnaires du Labrador.

Il est remarquable, dit M. Gautier, que des phénomènes si frappans, et si voisins de la terre, comparativement à ceux que présentent les corps célestes, soient encore si peu connus dans leur nature et dans leurs causes, et que les étoiles filantes ordinaires, avec lesquelles ces météores paraissent avoir la plus grande analogie, offrent aussi les mêmes incertitudes. Après avoir rappelé les principaux travaux qui ont eu pour objet la résolution de cette intéressante question, M. Gautier énonce l’opinion qu’on devrait, pour arriver à ce but, joindre aux autres moyens de recherches l’étude des météores qui s’observent de jour à travers les lunettes. « Je ne veux point, dit-il, parler ici de ces grands météores lumineux qui ont été observés quelquefois de plein jour, mais de ces petits corps brillans, d’apparence arrondie, et accompagnés quelquefois de queues ou de flammèches, passant parfois rapidement dans le champ des lunettes lorsqu’on les dirige de jour sur quelque partie du ciel. J’ai souvent eu l’occasion d’en remarquer, et plusieurs astronomes m’ont dit avoir observé les mêmes apparences. Ce phénomène s’est manifesté à moi, d’une manière très frappante, le 19 mai 1830, vers une heure après midi, par une température d’environ quatre degrés R. et après des jours d’un fort vent du nord-est. On voyait alors une multitude presque incroyable de ces petites émanations lumineuses se succéder dans le champ de la lunette méridienne de notre observatoire, surtout lorsque la lunette était dirigée au sud et à une hauteur de soixante degrés au-dessus de l’horizon. Ces corpuscules lumineux me paraissaient aller la plupart de l’ouest à l’est, mais avec des inclinaisons, des vitesses et des grosseurs diverses. Les plus gros étaient les plus rapides. Ils mettaient, en moyenne, environ deux secondes à traverser un espace angulaire de près d’un demi-degré. J’en ai observé de sept à dix par minute tout près du zénith, de seize à trente-trois par minute entre soixante et soixante-dix degrés de hauteur, et peu ou point près de l’horizon. À deux heures, ces apparences paraissaient déjà fort diminuées, et je ne les ai pas observées plus tard. Je n’ai vu nulle part qu’on se fût encore occupé d’étudier ces espèces d’étoiles filantes diurnes ; et leur examen ajouterait, ce me semble, quelques données de plus à celles que l’observation des étoiles filantes nocturnes peut déjà fournir pour une explication future de ces phénomènes. »

  1. Dans notre article Mélanges du 15 mars dernier, la note sur les araignées a été par mégarde imprimée sans le nom de l’observateur, M. Fairholme. Nos lecteurs, au reste, en voyant les distances évaluées en yards, auront aisément reconnu que l’observation avait été faite par un Anglais.