imprimerie de la Vérité (Ip. 329-334).

EN RÉPONSE À UN CORRESPONDANT

13 mai 1882

On ne sera pas surpris d’apprendre que la Vérité ne plaît pas à tout le monde. Une œuvre comme la nôtre doit inévitablement susciter des contradictions.

Nous ne parlons pas des injures que nous adresse une certaine presse, elles ne valent pas une réponse, mais des objections que nous font des personnes sérieuses et de bonne foi.

Nous recevons de nombreuses lettres de personnes dont l’amitié et la confiance nous sont d’un grand prix. Les unes nous encouragent, déclarent notre journal utile, nous engagent à continuer notre œuvre. D’autrès, en très petit nombre, il est vrai, nous font des reproches.

Nous remercions sincèrement les unes et les autres. Si une parole de sympathie est agréable, un conseil, même un blâme est utile.

Toutefois, nous croyons devoir répondre à un de nos correspondants, pour que l’on comprenne bien la position que nous avons prise et que nous entendons garder. Notre contradicteur nous dit :

Vous avez bien voulu m’adresser votre journal… Permettez-moi de vous donner la raison de mon refus. Sans être partisan outré d’un gouvernement, on sait cela ici, je vois avec peine que votre indépendance consiste à trouver Chapleau et son gouvernement en défaut. Jamais une bonne note. C’est évidemment exagéré. De plus, M. Joly et les siens sont vos hommes… Vous aidez puissamment, plus que Beaugrand le franc-maçon, les idées libérales pures, en cherchant à démolir ceux qui représentent le parti de notre religion. Tout le monde sait que ce ne sont pas des saints qui nous gouvernent dans n’importe quel parti. Il faut mettre de la charité et de la modération même dans son zèle, surtout s’il est pur.

Notre correspondant ne nous a certainement pas fait l’honneur de nous lire régulièrement, car il tombe dans plusieurs erreurs de fait que, mieux renseigné, il eût sans doute évitées. Ainsi, il n’est pas exact de dire que jamais nous n’avons donné une bonne note au gouvernement Chapleau. Lorsqu’il a fait quelque chose de bien nous l’avons applaudi ; nous avons loué ce qu’il a fait pour la cause agricole. Et que, demain, il fasse un acte de saine politique nous dirons : C’est bien. Nous pouvons répéter ces paroles de Louis Veuillot : « Nous rendrions justice au pouvoir, quand même on affecterait de nous croire soudoyés par lui ; nous blâmerions, s’il le fallait, nos amis les plus généreux, dussent-ils aussitôt nous abandonner. »

Si notre correspondant veut bien nous lire pendant une année il verra que nous suivrons fidèlement cette ligne de conduite : s’il refuse de recevoir notre journal il restera avec ses préjugés.

« M. Joly et les siens sont nos hommes, » voilà le grand crime qu’on nous reproche. Eh bien ! nous n’en sommes pas du tout coupable.

Mais d’abord ce pauvre M. Joly, on se fait de lui, avec peu de raison, selon nous, une espèce d’épouvantail. Nous sommes loin de l’admirer, mais il ne mange pas le monde. Par exemple, nous voudrions savoir quelle différence réelle il y a entre lui et M. Lynch ? L’un et l’autre sont protestants, l’un est aussi libéral que l’autre. Et, cependant, notre correspondant accepte M. Lynch, et frémit d’épouvante au seul nom de M. Joly. Il faut être plus raisonnable que cela. M. Joly s’est opposé à la vente du chemin de fer ; nous croyons qu’il a eu raison sur ce point. Parce que le député de Lotbinière dit que deux et deux font quatre, faut-il que nous montions sur les toits proclamer au monde que deux et deux font cinq ? Nous laissons cette besogne aux partisans, outrés ou non.

Voilà pour M. Joly, qui n’est pas plus « notre homme » que par le passé. Voici maintenant pour les « siens ». À nos yeux, ils sont plus dangereux que M. Joly lui-même et moins que lui encore, si c’est possible, ils sont « nos hommes. »

M. Mercier, par exemple, ne nous inspire aucune confiance. Il est imbu des idées libérales les plus avancées. Mais si demain, sans renoncer à un seul de ses principes, il entrait dans le cabinet Chapleau, il serait aussitôt absous aux yeux de notre correspondant et de ceux qui pensent comme lui ; de ceux pour qui les hommes sont tout, les idées rien.

Il y a aussi M. François Langelier. Nous l’avons combattu de toutes nos forces tant qu’il était dans la vie publique ; s’il y retourne avec son bagage d’idées anti-sociales, nous le combattrons encore.

Mais pourquoi avons-nous combattu l’ancien député de Portneuf ? Est-ce parce qu’il s’appelle François Langelier ? ? Cela ne nous paraît pas être un motif suffisant. Nous lui avons fait la guerre parce qu’il a soutenu certaines doctrines subversives, parce qu’il a combattu certains principes essentiels. Donc, pour être logique, puisque c’est contre les idées et non contre l’homme que nous avons lutté, il faut que nous luttions contre ces mêmes doctrines, ces mêmes tendances, partout où nous les trouvons. On nous convaincra difficilement que c’est par un tel procédé que nous « aidons puissamment les idées libérales pures. »

Ceci nous amène à parler du « parti de notre religion » que notre correspondant ne veut pas voir démolir.

Nous regrettons beaucoup cette expression. Ce n’est pas ainsi que l’on doit parler de la religion… En identifiant certains hommes politiques avec l’Église on fait un tort incalculable, non à l’Église elle-même, mais aux âmes faibles qu’un pareil langage, qui n’est pas le langage de l’Église peut facilement scandaliser. L’Église condamne les fausses doctrines, et indirectement, ceux qui les professent ; elle condamne même quelquefois directement et nommément les hommes qui travaillent ouvertement pour le mal, ou qui se servent de moyens absolument mauvais ; tels sont les féniens en Irlande, les nihilistes en Russie. Mais jamais l’Église ne s’est identifiée avec un parti politique. Elle dit : voilà ma doctrine, voilà mes enseignements. C’est le devoir des individus, comme des sociétés civiles, d’accepter cette doctrine, de l’appliquer, d’écouter ces enseignements, de les mettre fidèlement en pratique.

Un parti politique qui se conduirait de cette façon pourrait s’appeler catholique. Mais pour avoir droit au titre de parti catholique il faudrait des actes et non pas seulement des paroles.

Voyons maintenant si le parti que notre correspondant qualifie de « parti de notre religion » et qu’il nous défend de démolir, est réellement digne de ce nom. Un coup d’œil jeté sur l’histoire de ces cinq ou six dernières années suffira pour nous convaincre que notre correspondant a cent fois tort.

Nous ne parlerons pas, pour le moment, du scandale qu’ont donné trop de chefs conservateurs en ayant recours à la corruption aux époques électorales. Ils ont prétendu se justifier en disant, ce qui était vrai, peut-être, que les libéraux agissaient de la même manière.

Ce n’est pas là une justification. Mais voici des faits plus récents.

Les chefs libéraux, notamment M. François Langelier, ont inventé ou plutôt importé l’influence indue cléricale, comme nous l’appelons dans notre baragouinage parlementaire. Ils ont attaqué la validité de certaines élections sous prétexte d’ingérence du clergé. Les tribunaux civils leur ont donné raison, au grand scandale des catholiques de ce pays. L’épiscopat, justement alarmé des ravages que faisaient parmi nous les doctrines les plus fausses, a protesté unanimement contre cette interprétation donnée à la loi, et a demandé à la législature de porter remède à cet état de choses.

Qu’a fait « le parti de notre religion » à Ottawa ? Absolument rien, notre correspondant le sait aussi bien que nous.

Qu’a fait ce même parti à Québec ? Moins que rien. Si notre correspondant l’ignore, nous le savons, nous.

Après la déclaration de l’épiscopat demandant la modification ou l’interprétation de la loi électorale, il y a eu un mouvement parmi certains conservateurs qui aurait sans doute produit le changement désiré sans les intrigues d’autres conservateurs. Vint ensuite la crise gouvernementale de 1878. En 1879 le « parti de la religion » reprit le pouvoir. Il aurait pu, sans difficulté aucune, faire modifier ou interpréter la loi dans le sens voulu par l’épiscopat. Au lieu de le faire, le nouveau chef de ce parti s’est mis à intriguer, à créer des difficultés là où il n’y en avait pas du tout, à persuader à celui-ci et à celui-là que la chose était impossible. Et l’on sait jusqu’à quel point il a réussi à empêcher le règlement de cette grave question.

Eh bien ! un parti ainsi constitué, avec un tel chef, n’est pas pour nous le « parti de la religion. »

Les chefs du soi-disant parti conservateur sont aussi imbus des idées libérales pures que les chefs de l’autre parti. Nous les combattons à cause de leurs idées, et en les combattant nous n’acceptons nullement « M. Joly et les siens. »

Ceux qui ferment les yeux à la lumière, ceux qui, par un esprit de parti incroyable, acceptent ces hommes, les protègent, les encouragent, bien qu’ils soient saturés de libéralisme, ceux-là disons-nous, « aident puissamment, plus encore que Beaugrand, le franc-maçon » la propagation de la peste du libéralisme catholique.

Nous ne demandons pas des saints pour nous gouverner, ce serait trop exiger : mais nous voulons que nos ministres n’aient pas de vices , nous parlons des vices intellectuels ; nous voulons qu’ils professent de doctrines saines, et qu’ils les mettent en pratique. Ceux qui n’exigent pas cela, n’exigent pas assez.