imprimerie de la Vérité (Ip. 319-322).

L’AVENIR

21 mai 1882

Nous sommes à une époque de transition. Les partis politiques, dans la province de Québec, se disloquent ; un malaise toujours croissant règne partout : le présent ne satisfait pas un grand nombre de personnes ; l’avenir inquiète sérieusement tout homme qui réfléchit.

Nous l’avons vu dans notre dernier article, l’ancien parti conservateur est scindé en deux camps, celui des libéraux-conservateurs, qui sont les hommes du pouvoir actuellement, et celui des conservateurs sans alliage de libéralisme.

Dans le parti libéral, il y aussi deux camps, moins tranchés, il est vrai, mais distincts. Le camp des avancés, dont l’organe principal est la Patrie, journal maçonnique, radical, libre-penseur. Nous croyons que beaucoup de libéraux détestent cordialement la Patrie, et seraient bien aises de la répudier publiquement. Mais ils craignent qu’en agissant ainsi ils ne fassent trop l’affaire de l’école de la Minerve. Ces libéraux ont bien raison de ne point aimer, de ne point respecter les gens de la Minerve et toute cette misérable cohorte qui ne vaut pas mieux que la petite clique de la Patrie ; mais ils ont tort de se laisser compromettre par cette dernière, sous prétexte de ne point favoriser les bleus. Qu’ils brisent ouvertement, énergiquement avec les francs-maçons de la Patrie, sans en aucune façon s’allier aux aventuriers politiques qui se décorent du nom de libéraux-conservateurs.

Nous croyons que dans un avenir plus ou moins rapproché, les libéraux qui veulent rester catholiques, qui respectent l’autorité religieuse, mais qui n’aiment pas plus que nous que les hommes politiques se servent de la religion au lieu de la servir, qui reprouvent également les persiflages de la Patrie et les hypocrites protestations de la Minerve, nous croyons, disons-nous, que ces libéraux finiront par se détacher entièrement de l’école radicale sans entrer dans les rangs du parti libéral-conservateur.

Nous prévoyons donc, dans l’avenir, trois partis nettement tranchés, encore plus tranchés que les trois partis qui existent actuellement. Il y aura d’abord les radicaux, formés à l’école de la Patrie et de l’Union de Saint-Hyacinthe. Ces gens là, avant longtemps, afficheront publiquement l’impiété, comme déjà ils affichent leur admiration pour les impies de France ; ils demanderont toutes sortes de « réformes » plus échevelées les unes que les autres ; ils s’attaqueront directement à l’Église ; ils marcheront, en un mot, sur les traces de leurs ainés d’Europe.

En face de ce parti extrême, il y aura un groupe plutôt qu’un parti, un groupe d’hommes affirmant courageusement tout ce que les radicaux nient, niant hardiment tout ce que les radicaux affirment. Ce groupe, composé des hommes sincères qui gémissent aujourd’hui à la vue des excès et des faiblesses de l’esprit de parti, ne sera peut-être pas nombreux, mais il sera fort parce qu’il sera guidé, non par la passion ou le préjugé, mais par des principes sûrs ; parce qu’il ne combattra ni pour ni contre les hommes, mais pour ou contre les idées. Ces hommes proclameront par leurs actes aussi bien que par leur parole que le pouvoir politique vient de Dieu et non du peuple, bien que le peuple soit appelé, dans notre pays, à désigner ceux qui doivent exercer le pouvoir. En proclamant ce principe, ils combattront nécessairement la fausse doctrine des parlementaires qui prétendent que la majorité crée le droit.

Ces hommes professeront aussi cet autre principe fondamental, que les dépositaires du pouvoir civil doivent favoriser la religion véritable, parce qu’elle est seule capable de dissiper, par les lumières qu’elle donne aux hommes, les ténèbres de l’ignorance, et d’empêcher les maux qui sont le résultat de l’impiété. En professant ce principe, ils combattront indifférentisme, le matérialisme qui font de si rapides progrès dans notre jeune pays.

Par leurs paroles et leurs actes, ils proclameront que l’Église et l’État sont deux sociétés distinctes, comme le corps et l’âme sont distincts, mais qu’ils ne doivent pas être séparés ; qu’ils jouissent l’un et l’autre d’un pouvoir souverain, mais que l’Église possède sur l’État une vraie prééminence, par son origine, par sa fin, par la nature même de son pouvoir, et par l’excellence de ses moyens d’action.

Partant de ce principe fondamental, ils lutteront contre ceux qui cherchent à entraver l’action de l’Église, à l’asservir à l’État, à la priver de son indépendance ; contre ceux qui voudraient faire définir et limiter les droits de l’Église par le pouvoir civil. Ils s’opposeront énergiquement à toute tentative de laïciser l’enseignement, de soustraire l’éducation de la jeunesse à la surveillance de l’Église.

Entre le parti radical et ce groupe d’hommes sincèrement chrétiens, il y aura le parti des opportunistes, des catholiques plus ou moins libéraux, des libéraux plus ou moins catholiques, des libéraux conservateurs, des conservateurs libéraux, des hommes d’expédients et non de principes. Ce parti sera nombreux car il réunira tous les bleus de nos jours et plusieurs libéraux modérés, qui, tout en rompant avec l’école de la Patrie, n’auront pas le courage de se rallier au groupe opposé. Ce parti sera dangereux, car il fera sans cesse des concessions aux radicaux.

Les hommes de principes auront pour mission de lutter et contre le parti des fausses doctrines et contre le parti sans doctrines. Si ce groupe reste ferme à son poste il fera un bien incalculable.