imprimerie de la Vérité (Ip. 285-289).

LA COALITION


4 août 1881.


La coalition, voilà la grosse question du moment. La Tribune, journal de M. L. O. David, nous avait déjà promis des révélations à ce sujet, et finalement ces révélations sont venues. Elles ont causé un certain émoi dans les rangs des deux partis. Pour piquer au plus court, voici ce qu’affirme la Tribune  :

« Nous affirmons qu’il a été sérieusement question de coalition et que des entrevues et des pourparlers ont eu lieu. Voici les points sur lesquels il y a eu accord.

« On admettait des deux côtés qu’aucun des deux partis n’était capable, seul, de faire les réformes nécessaires pour tirer la province de Québec des embarras où elle se trouve.

« On reconnaissait qu’il fallait abolir le Conseil législatif, sinon subitement au moins graduellement, simplifier considérablement les rouages de l’administration afin de réduire les dépenses, prendre les moyens d’éviter la taxe directe en obtenant de l’aide du gouvernement fédéral, en créant de nouvelles sources de revenu et en vendant au besoin le chemin de fer du Nord.

« On disait que l’union de nos principaux hommes publics aurait certainement pour effet d’activer le mouvement qui se fait en France en notre faveur, d’imposer confiance aux capitalistes de notre ancienne mère-patrie et que, dans le cas où, après avoir tout tenté, il faudrait avoir recours à la taxe directe, les deux partis réunis, seuls, pourraient la faire accepter par notre population. Les libéraux devaient être représentés par trois de leurs chefs dans le nouveau cabinet.

« Un seul obstacle a fout empêché, tout brisé.

« Les libéraux voulaient que M. Chapleau s’effaçât comme premier ministre, en faveur d’un conservateur plus acceptable. M. Chapleau aurait peut-être consenti à cette condition si on avait pu mettre la main sur ce conservateur, si surtout ses amis ne s’étaient opposés à cet effacement.

« Dans tous les cas voilà l’écueil sur lequel se brisèrent les projets de coalition qu’on discutait depuis des mois. »

Nous n’avons pas l’habitude d’accepter les dires de M. David comme des vérités incontestables, mais nous avouons volontiers que, dans ce cas-ci, le rédacteur de la Tribune parle comme un homme qui est sûr de son fait. Nous croyons que le fond de son article est vrai. Il va s’en suivre, dans les journaux de parti, une longue et orageuse discussion sur cette importante affaire ; nous tiendrons nos lecteurs au courant de ce qui s’écrira et se passera d’intéressant et d’instructif. Mais dès aujourd’hui, nous voulons dire ce que nous pensons de cette coalition, tant souhaitée par M. David. Nous la trouvons tout simplement détestable.

Autant nous voulons l’union véritable des Canadiens-français, la cessation des haines et des luttes qui nous divisent, autant nous désapprouvons et condamnons tout marché de la nature de celui que M. David nous offre.

Si jamais notre peuple doit être uni, et nous espérons qu’il le sera un jour, ce n’est pas par de pareilles transactions que l’on atteindra le but désiré. Disons plus, nous ne croyons pas que MM. Ghapleau, Mercier et David soient de taille à effectuer cette union, qui ne viendra jamais tout d’un coup, par le fait de quelques hommes publics, mais graduellement, par l’éducation sociale de notre population.

Quand on aura réussi à faire disparaître l’aveugle esprit de parti, et à le remplacer par une opinion forte et agissante, basée sur des notions saines du juste et de l’injuste, du bien et du mal social, on pourra espérer voir se réaliser l’union des Canadiens-français, mais pas avant.


1er septembre 1881


Quoi qu’en disent certains journaux conservateurs, il nous parait aujourd’hui à peu près prouvé qu’il y a eu réellement des pourparlers sérieux entre certains hommes politiques en vue d’effectuer une « coalition » ou une fusion des partis. La Tribune ayant mis M. J. R. Thibaudeau en cause, et ayant affirmé qu’il avait été favorable au mouvement, celui-ci a répondu dans la Patrie par la lettre suivante :

Monsieur le rédacteur,

Je vois par le dernier numéro de la Tribune que M. L. O. David me met personnellement en cause au sujet des projets de coalition et me fait prendre part aux pourparlers et aux négociations qui ont eu lieu aux fins de savoir s’il n’y avait pas moyen de s’entendre.

M. David se trompe du tout au tout. J’ai bien en effet assisté à certains pourparlers relativement à la coalition, mais c’était comme représentant de la masse du parti libéral qui est opposée à la coalition, et non, comme le dit M. David, pour voir s’il n’y avait pas moyen de s’entendre.

Je suis aujourd’hui et j’ai toujours été, comme le sait fort bien M. David, opposé à tout projet de coalition.

J. R. Thibaudeau.
Montréal, 23 août 1881.

Que M. Thibaudeau ait toujours été hostile à la « coalition, » cela nous est parfaitement indifférent. Mais le fait important qui ressort de cette lettre, c’est qu’il y a eu des pourparlers, puisque M. Thibaudeau y a assisté.

Maintenant, le public sera curieux de connaître celui qui a pris l’initiative de ces pourparlers, ceux qui les ont conduits, ceux qui ont fait avorter le projet.

M. David ferait mieux de tout dire et de donner des preuves à l’appui de ses assertions.


8 septembre 1881


Il est toujours question de coalition dans la presse. L’Union de Saint-Hyacinthe, qui passe, à tort ou à raison, pour l’organe de M. Mercier, déclare, en réponse au Herald, que plusieurs chefs et hommes importants du parti libéral étaient favorables à la coalition. Commentant cette nouvelle révélation, l’Événement émet la théorie que les libéraux cherchaient la « coalition » à Québec en vue d’une « fusion » à Ottawa, et que le syndicat du Pacifique étai au fond de toute l’affaire. Le rédacteur de l’Événement semble croire que certains libéraux, entre autres M. J. R. Thibaudeau, auraient voulu que leur parti eût une part à la combinaison financière que le syndicat a fait accepter au ministère, et que s’ils ne veulent plus de la coalition, c’est uniquement parce que le parti conservateur n’est point disposé à partager. Nous ne savons pas si l’Événement a raison ou non. Tout ce que nous savons, c’est que plus on brasse cette affaire de coalition plus elle s’embrouille, signe infaillible qu’au fond du tonneau il y a quelque saleté. Nous croyons que cette discussion aura pour unique résultat de compromettre gravement plusieurs hommes des deux partis. Mais comme on dit en anglais : That’s not our funeral ; nous n’avons absolument rien à y voir.


27 octobre 1881


Les journaux discutent encore la question de coalition. La Minerve, qui avait gardé un mystérieux silence pendant que M. David faisait ses révélations dans la Tribune, déclare tout à coup, d’une manière autorisée, que M. Chapleau n’a jamais prié M. Mercier d’entrer dans un ministère de coalition et que, de son côté, le député de Saint-Hyacinthe n’a fait aucune démarche pour entrer dans le cabinet. Comme le fait remarquer le Nouvelliste, cette affirmation arrive bien tard. Pour notre part, nous nous avouons complètement mystifié par toutes ces assertions si positives et si contradictoires, et nous croyons que le public partage notre ébahissement. On dit que la vérité se cache au fonds d’un puits. Dans le cas actuel, le puits parait terriblement profond et affreusement noir.