imprimerie de la Vérité (Ip. 185-187).

DEVONS-NOUS DISPARAÎTRE ?


8 juillet 1882.


Le Chronicle, de samedi, sous le titre de « bon-conseil », rapporte une parole ou une prétendue parole que Sir Hector Langevin aurait prononcée l’autre jour à Carleton. D’après le Chronicle, l’honorable ministre aurait dit à ses auditeurs qu’il importait peu qu’ils fussent Anglais, ou Irlandais, ou Écossais ou Canadiens, qu’ils avaient un intérêt commun à voir le pays devenir prospère. Voilà un sentiment qui nous parait digne d’un homme d’État ; mais le Chronicle a certainement mal interprété la pensée de l’honorable ministre, du moins nous aimons à le penser.

Notre confrère semble croire que Sir Hector Langevin a voulu, dans cette circonstance, conseiller aux divers éléments qui composent la population du Canada de renoncer à tout ce qui les différencie les uns des autres.

Il nous parle de national tomfoolery — les niaiseries nationales, — il veut qu’il n’y ait plus de disputes à propos de religion et de langage. Tout cela veut dire que le Chronicle a eu un nouvel accès de francophobie. Il voudrait voir disparaître l’élément français, l’idée française ; son rêve c’est que notre race soit absorbée par les races qui l’entourent, que la langue anglaise domine partout sur ce continent. Eh bien ! c’est un songe creux, et Sir Hector Langevin, qui a la réputation d’être un homme pratique, n’a pas pu vouloir dire cela. Il a sans doute voulu conseillé à ses auditeurs de ne point permettre que les différences de race et de croyance religieuse fussent nuisibles aux intérêts matériels du pays. Un tel conseil n’a rien que de très sensé, mais il est impossible que M. Langevin ait rêvé une fusion de tous les éléments disparates qui composent notre population dans un grand tout parlant la même langue et professant, pour toute religion, une espèce de morale civile.

Le rédacteur du Chronicle peut être convaincu qu’il a mal compris l’honorable ministre ; il peut être convaincu de plus que son utopie ne se réalisera jamais. Ni lui, ni ses enfants, ni ses arrière-petits enfants, ni ses descendants les plus reculés ne verront l’anéantissement de la race française en Amérique. Mais ce que ses descendants verront, c’est un spectacle tout différent : Ils verront la race française, fortement retranchée dans la province de Québec, étendre rapidement ses conquêtes pacifiques à toute la partie nord-est de l’Amérique septentrionale.

Si l’écrivain du Chronicle connaissait un peu l’histoire du Canada, s’il se donnait seulement la peine de jeter un coup d’œil sur les derniers recensements du pays, il ne se bercerait plus de ses vaines illusions.