imprimerie de la Vérité (Ip. 184-185).

LA LIBERTÉ DU TRAVAIL


17 juin 1882


Nous lisons dans un journal de Montréal :

À une assemblée des membres de l’Union Typographique Internationale, tenue, hier, à Saint-Louis, Missouri, on a fait lecture des différents rapports qui démontrent la condition prospère dont jouit cette association. Le président a cru devoir faire remarquer qu’il y avait trop de typographes étrangers à l’Union et a recommandé de prendre des mesures pour empêcher que ceux-là qui travaillent pour des prix insignifiants aient de l’ouvrage.

Nous croyons devoir rappeler, à cette occasion, quelques notions bien élémentaires sur la liberté du travail qu’on oublie trop facilement.

Les ouvriers ont le droit incontestable de former des associations pour se protéger contre les exigences des capitalistes ; ils ont le droit de se mettre en grève si on ne leur donne pas les prix qu’ils demandent. Car l’ouvrier est le maître de son travail et il peut en disposer comme bon lui semble. Et si l’ouvrier isolé peut poser les conditions de son travail, il peut s’associer à d’autres pour faire respecter ces conditions.

Mais la liberté du travail existe pour tout le monde ; elle doit être respectée par tout le monde

Bien qu’une association d’ouvriers ait le droit de refuser son travail à moins d’obtenir tel prix, elle n’a pas le droit d’empêcher d’autres ouvriers de travailler pour les prix qu’ils voudront. Elle n’a pas même le droit d’empêcher ses membres de travailler pour le prix qu’ils voudront, car le refus de travailler doit être parfaitement libre.

C’est là un principe fondamental de la société civile ; lorsqu’on s’en écarte, on tombe dans le désordre.

Les cultivateurs qui viennent sur les marchés de nos villes ont certainement le droit de dire qu’ils ne vendront pas leurs denrées à moins de tel prix. Mais que dirions-nous si un certain nombre de cultivateurs se liguaient ensemble, non seulement pour s’entendre sur les prix à demander, mais pour empêcher, par des menaces ou la violence ; d’autres cultivateurs de vendre à meilleur marché ?

Nous les accuserions, avec raison, d’outrepasser leur droit et de commettre une injustice flagrante.

Pourtant leur conduite ne différerait en rien de celle des ouvriers qui se liguent ensemble pour empêcher d’autres ouvriers de travailler pour le prix qu’ils veulent accepter. Car le travail est une propriété, comme le beurre et la viande : chaque ouvrier est aussi maître de son travail que le cultivateur l’est des produits de sa ferme.