imprimerie de la Vérité (Ip. 148-150).

LE CRÉDIT


18 août 1881


Nous extrayons ce qui suit d’un journal américain :


La moitié de l’inquiétude, de l’ennui et de la peine que l’homme endure en ce monde, provient de ce qu’il se met dans les dettes. On dirait que certaines personnes sont nées pour acheter et s’engager outre mesure aussi longtemps qu’elles ne sont pas tenues de payer comptant.

Donnez-leur une occasion d’acheter à crédit, et la question de paiement ne les embarrasse aucunement. Mais quelle moisson de trouble récolte celui qui sème des dettes ! Combien de chevelures sont blanchies et de vies abrégées, que de suicides et de meurtres sont provoqués par les dettes ! Et cependant, comme il est facile d’éviter ce terrible commencement de sa carrière, en se faisant une règle sévère de ne jamais s’endetter pour aucune raison.

N’achetez rien à moins d’avoir l’argent nécessaire pour payer. Ne faites pas attention à « l’occasion favorable, » à « la chance rare, » au « bon marché, » etc. : ce sont autant de pièges destinés à faire des victimes. Si vous voyez quelque chose qui vous plaise, commencez par regarder à votre bourse et trouvez-y votre décision. Payez toujours au fur et à mesure. Si vous manquez d’argent restreignez vos besoins en conséquence.


Nous conseillons fortement à nos lecteurs de garder avec soin cet extrait, et de le relire souvent.

Le luxe, on le sait, est un de nos défauts ; c’est le luxe qui dépeuple nos campagnes, qui oblige nos Canadiens de vendre leurs terres et de s’exiler. Mais le luxe est entretenu en grande partie par le « crédit. » S’il fallait payer toujours comptant, il y a une foule de choses dont on se dispenserait facilement. Mais on a du crédit, on s’endette peu à peu, on ne songe pas à l’avenir, et finalement la crise vient : il faut tout vendre, il faut partir. N’est-ce pas l’histoire d’un trop grand nombre de nos compatriotes.

Le crédit peut être nécessaire quelquefois, nous l’admettons, mais il faut en user comme on userait d’une liqueur spiritueuse : En très petite quantité, et à titre de remède seulement. Ceux qui font un usage habituel et immodéré de crédit et d’eau-de-vie finissent mal, invariablement.

On a peut-être cru qu’en exigeant le paiement de notre journal d’avance nous n’avions en vue que notre propre intérêt. C’est une erreur. Sans doute, nous le faisons d’abord pour assurer l’avenir de notre feuille ; mais en établissant cette règle nous avions une autre idée : Nous voulions habituer nos lecteurs à se passer de crédit, à faire leurs affaires au comptant, à ne point s’endetter.

Nous n’hésitons pas à dire que les journaux qui n’exigent pas le paiement de l’abonnement d’avance rendent un fort mauvais service à leurs lecteurs. Ils entretiennent chez eux cette malheureuse habitude d’escompter l’avenir, de remettre à l’année prochaine le paiement qu’on devrait faire aujourd’hui.

Un abonné qui ne paie pas d’avance est en quelque sorte l’esclave de l’éditeur dont il reçoit le journal. Le temps s’écoule si rapidement et les arrérages s’accumulent si vite ! Un bon matin, l’abonné reçoit un compte de seize, de vingt, de trente piastres. Effrayé, il veut remettre son journal, mais il ne peut le faire sans payer tous les arrérages. S’il ne paie point, il est poursuivi et invariablement condamné à payer, et les arrérages et les frais.

Au contraire, l’abonné qui paie d’avance est indépendant du journaliste, il ne lui doit rien ; c’est le propriétaire du journal qui est son débiteur. Au bout de l’année, s’il veut discontinuer de recevoir son journal, tout ce qu’il doit faire c’est de ne point renouveler son abonnement.

C’est donc autant dans l’intérêt de nos abonnés que dans notre propre intérêt que nous exigeons le paiement de notre journal d’avance. Par ce système nous espérons contribuer un peu à former nos lecteurs aux habitudes d’économie.