imprimerie de la Vérité (Ip. 117-119).

NOS GLOIRES NATIONALES


4 août 1881


Notre pays est fécond en « gloires nationales. » Il y en a des centaines et des centaines ; chaque jour on en découvre une autre. Ça pousse comme des champignons, dans une nuit, et sur n’importe quel terrain. Et j’ai bien peur que la plupart de nos gloires ne vivent que ce que vivent les champignons — fort peu de temps.

Ce que nous appelons gloires nationales est connu en France sous l’appellation plus modeste « d’illustrations. » Il y a une foule énorme d’illustrations françaises elles couvrent la mer immense dont l’une des rives est la médiocrité et l’autre l’imbécilité. Mais, proportion gardée, nous avons, je crois, plus de gloires nationales que la France n’a d’illustrations.

Chose certaine, c’est que le mot gloire nationale est de beaucoup préférable à illustration. Cela ronfle plus et arrondit mieux une phrase.

La province d’Ontario n’a qu’une seule gloire nationale : c’est Hanlan, le rameur. Mais aussi quelle gloire !

Le pays aux gloires nationales par excellence, c’est la province de Québec. Sur cet heureux coin de terre, il faut faire bien peu de choses pour mériter le titre de gloire nationale. Quelques sonnets, des vers quelconques, un roman ou deux, un récit de voyage, un drame plus ou moins dramatique, cela suffit, avec beaucoup de réclame dans les journaux et de nombreux coups de grosse caisse, pour fabriquer une gloire littéraire. La grammaire, le bon sens, la logique, les connaissances, les idées, tout cela n’entre pas nécessairement dans la composition d’une gloire littéraire.

La politique fournit aussi un grand nombre de gloires nationales, et de belles. Les principes, la probité, l’honneur, le caractère, le talent ne constituent pas toujours la base d’une gloire politique. Loin de là, hélas ! Je connais, tel homme qui possède toutes ces qualités au plus haut degré, qui a joué un rôle important dans notre province et qui, cependant, n’est pas une gloire politique. Il lui manque un je ne sais quoi, un quelque chose qui ne se définit pas mais qui se sent.

Vous pouvez être un hâbleur, un blagueur, un farceur, un traître, un naïf ; vous pouvez vous entourer de toutes sortes de gens ; vous pouvez suinter l’égoïsme et l’ingratitude par tous les pores ; vous pouvez être un écervelé, une machine à parler, un fat, un calembouriste ; vous pouvez être n’importe quoi, et cependant vous placer au nombre de nos gloires politiques. Il s’agit seulement de connaître la manière de s’y prendre. Si vous me demandez quelle est cette manière, je vous avouerai franchement que je n’en sais rien. Je n’ai jamais pu sonder le mystère qui entoure la plupart de nos gloires politiques. Pourquoi un tel est-il ministre ou député ? Pourquoi tel autre aspiret-il à le devenir ? Voilà des problèmes que je me suis souvent posés, depuis plus de huit ans, sans pouvoir damais les résoudre. On en trouvera peut-être la solution dans le « jeu de nos institutions parlementaires, » pour employer une phrase sacramentelle. Si quelqu’un veut pénétrer dans ce dédale, qu’il y aille. Pour moi, je ne m’y risquerai pas. Je me contente d’admirer nos innombrables gloires nationales, tant littéraires que politiques.