imprimerie de la Vérité (Ip. 113-116).

LA PRESSE CATHOLIQUE


20 octobre 1881


Plusieurs personnes, parfaitement sincères et bien intentionnées, voient d’un très mauvais œil la presse catholique et les luttes qu’elle est obligée de soutenir pour la défense des saines doctrines et pour repousser les attaques plus ou moins perfides et déguisées des ennemis de l’Église. Ces personnes affirment que ce n’est pas aux laïques à intervenir dans les questions où la religion est intéressée, que le clergé doit seul défendre l’Église, et que les journalistes ne devraient s’occuper que des affaires purement matérielles, ne devraient traiter, dans leurs colonnes, que des questions de finances, de voies ferrées, de canaux, d’agriculture, etc.

Cette objection est spécieuse, nous en convenons, et comme nous l’entendons souvent formuler, il est à propos, croyons-nous, de la réfuter.

D’abord, il y a presse catholique et presse catholique, comme il y a fagot et fagot. Il peut y avoir des journaux qui se disent catholiques et qui ne le soient pas du tout ; qui ne défendent l’Église que pour l’exploiter à leur profit personnel ou au profit de leurs amis. De tels journaux seraient fort nuisibles à la cause de la religion.

Mais les journalistes vraiment catholiques, qui travaillent sans arrière-pensée pour la cause de Dieu, qui n’ont d’autre ambition que d’étendre le règne de Jésus-Christ, font une œuvre méritoire.

S’il n’y avait pas de mauvaise presse, s’il n’y avait pas de journaux qui combattent perfidement les doctrines de l’Église, qui cherchent à émousser la foi, qui donnent une importance excessive aux affaires matérielles, qui jettent la confusion et le doute dans les esprits, il n’y aurait peut-être pas besoin de la presse catholique, car la prédication du clergé suffirait pour la direction des fidèles. Mais étant donnés les journaux imbus d’erreurs et de fausses doctrines, qui répandent chaque jour le poison subtil des idées dites modernes lesquelles sont aussi vieilles que le paganisme ; étant données les feuilles qui prêchent sans cesse l’affranchissement de l’État des lois de Dieu, qui proclament ouvertement que l’Église n’a absolument rien à voir dans le gouvernement des peuples, que le pouvoir civil est au-dessus du pouvoir religieux, que l’électeur, le député et le ministre ne doivent, comme tels, aucun compte de leur conduite au Tout-Puissant ; étant donnée cette presse perverse, il faut de toute nécessité une presse franchement et hardiment catholique, qui affirme avec courage et constance les principes chrétiens, en dehors desquels les sociétés ne peuvent trouver ni sécurité, ni paix, ni bonheur, ni même une prospérité matérielle vraiment durable.

Mais encore, dira-t-on, il faut que cette presse catholique soit entre les mains du clergé, car les laïques n’ont pas la mission de conduire l’Église.

Sans doute, le clergé a le droit d’écrire dans les journaux, et nous serions les derniers à le lui contester. Mais il arrive souvent que dans les luttes quotidiennes de la presse, ceux qui y prennent part reçoivent de terribles horions, se voient attaquer de la manière la plus déloyale. Un prêtre, qui a charge d’âmes surtout, ne voudrait pas toujours s’exposer aux calomnies des ennemis de l’Église, de crainte de compromettre son ministère. Mais un laïque peut se mettre au blanc sans inconvénient ; il recevra de rudes coups, mais l’Église, mais le clergé n’en seront pas atteints. C’est pourquoi le rôle de journaliste catholique convient surtout au laïque. Certes, le laïque ne doit pas trop se fier à ses propres lumières ; il doit étudier beaucoup, il doit surtout consulter souvent des théologiens dont la doctrine est sure et qui puissent lui indiquer clairement où est le vrai et où est le faux. Ainsi éclairé, le journaliste laïque ne doit pas craindre de marcher résolument en avant sans s’inquiéter des clameurs qui s’élèvent contre lui de toutes parts.

Reste cette autre objection : Les laïques ne doivent pas chercher à conduire l’Église. Sans doute, ils ne doivent pas le faire, et ceux qui l’entreprendraient seraient aussi ridicules que téméraires. Mais il faut savoir ce que l’on entend par « conduire l’Église. »

Les laïques n’ont absolument rien à voir dans l’administration des sacrements, dans les questions de discipline ecclésiastique, encore moins dans la définition des dogmes, c’est-à-dire que les choses qui regardent l’économie intérieure de l’Église ne sont nullement de leur compétence.

Mais l’Église a des rapports constants avec les sociétés civiles ; ses doctrines doivent être la base de l’ordre social ; son enseignement doit pénétrer partout ; ses lois doivent être respectées par tous. Or, les laïques ont, non-seulement le droit, mais le devoir de travailler, dans la mesure de leurs forces et selon les lumières qu’ils ont reçues, à étendre l’influence de l’Église au dehors, à repousser les attaques de ses ennemis, à défendre ses doctrines, à proclamer les principes qu’elle proclame, et à les appliquer partout où il est possible de le faire. Nier ce droit et ce devoir aux laïques, c’est appuyer indirectement l’erreur de ceux qui prétendent que l’église doit être entièrement séparée de l’État, erreur formellement condamnée par Rome.

Dans ce monde, l’homme fait partie de deux sociétés, de la société religieuse, instituée par Dieu pour conduire les âmes au ciel, de la société civile qui a pour mission de travailler au bonheur matériel des peuples et de permettre en même temps aux individus de mieux atteindre leur fin dernière. Ces deux sociétés, quoique très distinctes, viennent nécessairement en contact l’une avec l’autre, mais il ne devrait pas y avoir collision entre elles. Pour qu’il n’y ait pas colision, il faut que l’ordre soit conservé, c’est-à-dire que l’État ne cherche pas à usurper la première place, qui appartient à l’Église à cause de sa fin, infiniment plus noble que la fin de l’État. Pour qu’il y ait harmonie entre les deux sociétés, il faut que les lois qui régissent la société civile soient conformes aux lois qui régissent la société religieuse. Cela étant admis, et il faut l’admettre pour être catholique, il est évident que tout laïque, en tant que membre de la société civile, a le droit et le devoir de travailler au perfectionnement de cette société en la mettant, autant que possible, en harmonie avec la société supérieure.

Voilà pourquoi les laiques ont le droit de traiter les questions qui intéressent la religion, car tout ce qui intéresse la religion intéresse L’État.

Dans la pratique, sans doute, il faut de la prudence, il faut que les laiques obéissent à leurs supérieurs ecclésiastiques et s’en rapportent à eux quand il s’agit de l’application de tel ou tel principe. Mais personne ne peut leur contester le droit de proclamer et de défendre les doctrines de l’Église.