imprimerie de la Vérité (Ip. 95-108).

QUESTIONS SOCIALES


LE TRAVAIL DU DIMANCHE

4 août 1881

On le sait, l’une des plaies de la France moderne est le travail du dimanche. Gardons-nous d’imiter l’ancienne mère-patrie dans cet égarement. Sous prétexte d’éviter le rigorisme des puritains, ayons bien soin de ne point tomber dans l’excès contraire. L’Église nous ordonne de sanctifier le dimanche et de nous abstenir, en ce jour, des œuvres serviles. Nous craignons beaucoup qu’il n’y ait, dans notre pays, une tendance à mépriser cette loi.

Depuis assez longtemps nous entendions, le dimanche, le sifflet et la cloche de la locomotive, sur le chemin de fer du Nord, entre la gare du Palais et le quai des Commissaires. Intrigué par ce va-et-vient continuel, ces coups stridents du sifflet et le bruit incessant de la cloche, nous sommes descendu, dimanche après-midi, sur la voie ferrée afin de constater, de visu, ce que l’on y faisait. Le spectacle que nous y avons vu n’avait absolument rien d’édifiant. Quatre ou cinq employés du chemin de fer travaillaient. On allait chercher des wagons sur le quai des Commissaires, 011 eu ramenait d’autres du Palais. En un mot, on « faisait » et l’on « défaisait » des convois de marchandises. Et cela a duré toute l’après-midi.

Nous appelons l’attention du ministre des chemins de fer sur cet abus très grave, et nous espérons qu’il le fera cesser sans délai. Nous avons assez du train du dimanche. Qu’on n’aille pas plus loin. Personne ne pourra nous convaincre que la besogne qu’on faisait, dimanche après-midi, sur le chemin de fer provin¬ cial, n’aurait pas pu s’exécuter aussi bien samedi soir, ou lundi matin. Encore une fois, que le ministre des chemins de fer y mette ordre.



11 août 1881


Une personne absolument digne de foi nous assure qu’on travaille, le dimanche, sur le chemin de fer provincial, non-seulement dans les environs de la gare du Palais, mais aussi à d’autres endroits. Par exemple, cette personne nous apprend que l’on charroyait de la pierre au Pont-Rouge, l’un de ces derniers dimanches ; elle a vu passer trois convois chargés de pierre.

Est-ce que le gouvernement ne fera pas cesser cet abus intolérable maintenant qu’on le lui a signalé ? Et est-ce que les autres journaux de Québec ne protesteront pas, à leur tour ? Quand bien même ils perdraient les annonces du chemin de fer, qu’est-ce que cela fait ?



18 août 1881


Pour la troisième fois, nous demandons au gouvernement s’il ne peut pas, ou s’il ne veut pas mettre fin au travail du dimanche, sur le chemin de fer provincial ?

Dimanche dernier encore, on travaillait entre la gare du Palais et le quai des Commissaires. C’est une honte.

Est-ce que quelqu’un des nombreux organes du gouvernement local ne nous dira pas qui est responsable de cet état de choses ?

Le ministre des chemins de fer a-t-il connaissance de ce qui se passe ?

Est-ce la faute de quelque fonctionnaire supérieur du chemin ?

Où sont-ce les ouvriers qui prennent sur eux de travailler le dimanche, sans ordre et sans permission ?

Chose certaine, c’est qu’il y a quelqu’un de responsable, et nous voulons connaître ce quelqu’un.



25 août 1881


On continue ouvertement, sur le chemin de fer provincial, à mépriser le commandement de Dieu et de son Église qui défend le travail manuel le jour consacré au repos.

Dimanche dernier, les trains de marchandises circulaient sur cette voie ferrée, à peu près comme les jours de la semaine.

Nous savons que le gardien d’une des gares a été empêché, de son propre aveu, d’assister à la messe par le fait que nous signalons.

Une très grave responsabilité pèse sur quelqu’un.

La presse de Québec garde le silence. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il nous semble que l’Événement, au moins, qui veut se faire passer, depuis quelque temps, pour un journal religieux, devrait protester.

Nous apprenons que le clergé s’est ému, et qu’il va prendre les moyens pour arrêter cet abus pendant qu’il en est encore temps.

C’est aujourd’hui qu’il faut extirper le mal, avant qu’il ait jeté de profondes racines.



1er  septembre 1881


On travaillait encore dimanche dernier sur le chemin de fer du nord. On a compté plusieurs trains qui ont circulé sur la voie. Il va sans dire que plus d’un employé n’a pu assister à la messe.

Avons-nous un commissaire des chemins de fer ?

Nous apprenons qu’un comité de citoyens s’organise pour faire respecter la loi. Puisque le gouvernement est impuissant à arrêter le mal, il faut avoir recours aux tribunaux.



8 septembre 1881


La correspondance qui suit n’a besoin d’aucune explication :

Québec, le 3 septembre 1881.
À Sa Grandeur Mgr  E. A. Taschereau, Archevêque de Québec.
Monseigneur,

Depuis plusieurs semaines déjà j’ai constaté, tant par moi-même que par des personnes dignes de foi, que l’on travaille sur le chemin de fer du Nord, le dimanche comme les jours de la semaine, à peu de différence près. Les trains de marchandises y circulent et les employés sont empêchés d’assister aux offices.
J’ai protesté hautement dans mon journal contre ce scandale, mais sans obtenir jusqu’ici aucun résultat.
On va même jusqu’à mêler le nom de Votre Grandeur à ce grave abus, disant que vous avez permis qu’on fît partir régulièrement, de Québec, tous les dimanches, un train de voyageurs, et l’on ajoute que s’il n’est pas défendu de faire circuler un train de voyageurs il doit être permis de faire circuler les convois de marchandises.
Si je suis bien renseigné, et je crois l’être, Votre Grandeur n’a jamais été consultée au sujet de ce train du dimanche. On aurait simplement demandé à Votre Grandeur si, lorsqu’il arriverait beaucoup d’immigrants ici, le dimanche matin, on ne pourrait pas les diriger immédiatement vers leur destination, au lieu de les faire attendre plusieurs heures à Québec ; et sur une réponse affirmative de votre part, on a établi un train régulier du dimanche, train qui n’a aucun rapport direct avec l’immigration. Si ce qui précède est conforme aux faits, je prie Votre Grandeur de me le dire.
Un mot de Votre Grandeur m’aiderait puissamment dans la lutte que j’ai entreprise contre ceux qui profanent ouvertement le jour du dimanche.
Je sollicite en même temps la permission de publier la présente lettre, et la réponse que Votre Grandeur daignera y faire.

Je suis de Votre Grandeur le fils respectueux et soumis,

J. P. Tardivel,
rédacteur en chef de la Vérité,

Archevêché de Québec.
Québec, 5 septembre 1881.
À M. J. P. Tardivel, rédacteur de la Vérité, Québec,
Monsieur,

En réponse à votre lettre du 3 du courant :

1°. Je désire de tout mon cœur voir cesser les trains du dimanche sur le chemin de fer Q. M. O. et O. Ce désir, je l’ai déjà manifesté, dès le 2 mars dernier, dans une lettre adressée à l’honorable M. Chapleau. Il est fondé sur deux raisons qui me paraissent fort graves. Ces trains du dimanche favorisent les excursions de plaisir que j’ai condamnées dans mon mandement du 26 avril 1880 sur la sanctification du dimanche. De plus, ils empêchent les employés de remplir leurs devoirs religieux et de réparer convenablement leurs forces corporelles par le repos de ce saint jour.

2°. Vos renseignements sur la consultation qui m’a été faite officieusement et sur la réponse que j’y ai donnée, sont exacts.

3°. Vous pourrez publier la présente et celle à laquelle je réponds, si vous le jugez utile.

J’ai l’honneur d’être,
Monsieur,
Votre tout dévoué serviteur,
† E. A. ARCH. de Québec

Cette lettre de Sa Grandeur mettra fin, nous l’espérons, à l’abus très grave que nous avons déjà signalé plusieurs fois.

Comme nous l’avons dit dans notre lettre à Monseigneur, ceux qui refusaient de nous aider dans notre lutte contre les profanateurs du dimanche, s’appuyaient sur une rumeur mise en circulation, nous ne savons par qui, d’après laquelle Sa Grandeur aurait donné une permission, en bonne et due forme, aux autorités provinciales, d’établir un train régulier du dimanche. Cette rumeur nous a toujours paru très invraisemblable et nous n’y avons jamais cru. Aujourd’hui, nous avons la preuve qu’elle est entièrement dénuée de fondement. Non-seulement Mgr  n’a pas permis le train du dimanche, mais il en désire la disparition de « tout son cœur. » À plus forte raison, souhaite-t-il de voir cesser la circulation des trains de marchandises, le jour du dimanche, sur notre chemin de fer provincial.

Maintenant qu’il n’y a plus d’équivoque possible, maintenant que le désir de l’Ordinaire est bien connu de tous, nous allons voir si l’abus que nous avons flétri va cesser. S’il ne cesse pas, nous aurons au moins la satisfaction d’avoir fait notre devoir, en mettant les autorités civiles en demeure de se conformer aux désirs de l’autorité religieuse dans une question essentiellement et entièrement du ressort de cette dernière.



15 septembre 1881


Le Courrier du Canada, le Nouvelliste et l’Électeur ont signalé la lettre de Monseigneur l’Archevêque sur le travail du dimanche. Le Canadien, le Journal de Québec et l’Événement n’en ont pas soufflé mot. Est-ce que ces trois feuilles désapprouveraient, par hasard, la démarche de Sa Grandeur ? Où trouvent-elles, dans leur extrême sagesse, que la question n’est pas assez importance pour être traitée dans leurs colonnes ?



22 septembre 1881


La Minerve, ce vieux sac à tout mettre, cette vieille planche sur laquelle le premier venu peut écrire n’importe quelle sottise, a publié, le 12 du courant, l’inqualifiable communication qu’on va lire :

Montréal, 10 septembre
M. le Rédacteur,

Certains pharisiens exploiteurs de religion, n’ayant rien de mieux à imaginer pour trouver l’administration du chemin de Q. M. O. & O. en faute et pouvoir le dénoncer aux bonnes âmes, l’ont accusée d’avoir des trains le dimanche. Quelle horreur ! Mais est-ce bien un grand péché, grands théologiens, qui vous servez de ces questions pour faire mijoter votre marmite politique … et d’affaires ! Dans ce cas, bons apôtres, je vous dénoncerai au moins deux évêques, Mgr des Trois-Rivières et Mgr de Montréal, que j’ai vus moi-même plusieurs fois sur ces trains, ainsi qu’une foule de prêtres.

Il est de fait que ce train est infiniment avantageux aux membres du clergé, comme aux simples voyageurs. Que les pharisiens y envoient leurs mouchards, et ceux-ci contrasteront qu’il n’y a pas de désordre sur ces trains et que c’est une population honnête et chrétienne qui s’en sert.

Du moment qu’il n’y a rien de mal à cela, on a tort de demander la suppression d’un train qui est un vrai bienfait pour nombre de membres du clergé comme de laïques et il faut toute l’hypocrisie de certains exploiteurs pour soulever ce cri.

Anti-Cagot.

Nous avons rarement vu un écrit plus perfide, plus malhonnête et en même temps plus injurieux pour l’autorité religieuse que le document qui précède. En effet, parler de pharisiens et d’exploiteurs de religion au moment même où Mgr  l’Archevêque de Québec exprime publiquement le désir de voir cesser les trains du dimanche, n’est-ce pas manquer de respect, au dernier point, à l’égard d’un haut dignitaire de l’Église ? Nous ne croyons pas devoir insister davantage sur ces insultes, qui nous visent en particulier, mais qui retombent sur notre vénérable Ordinaire. Tout catholique comprendra que ces insultes couvrent de honte, et celui qui en est l’auteur et le journal qui a osé les publier.

Nous voulons aller au fond de la question, et démontrer quelques vérités que le grossier et brutal correspondant de la Minerve semble ignorer.

La loi générale de l’Église défend le travail manuel les jours consacrés au repos ; personne ne peut contester ce point. Cette loi, comme toutes les lois positives, souffre des exceptions. Mais à qui faut-il s’adresser pour connaître le cas où la loi générale ne s’applique pas ? Aux autorités religieuses, nécessairement. M. Sénécal n’a pas plus le droit que nous de dire que dans telle et telle circonstance la loi ne s’applique pas. Il n’a pas compétence pour cela.

Mgr  l’Archevêque a dit que lorsque les besoins impérieux de l’immigration l’exigeraient, on pourrait faire partir un train de voyageurs le dimanche ; il a jugé que dans ce cas là la loi générale ne s’applique pas, et il a l’autorité voulue pour porter un tel jugement. Mais cette autorisation, pour un cas particulier, ne justifie pas les autorités civiles d’établir un train régulier du dimanche.

Reste le cas des prêtres et des évêques qui se seraient servis de ce train du dimanche. Cela ne prouve rien du tout en faveur de la thèse d’Anti-Cagot. Ces prêtres et ces évêques, étant des théologiens, ont les lumières suffisantes pour juger du cas particulier dans lequel ils se trouvaient. Puisqu’ils se sont servis du train du dimanche, c’est qu’ils avaient des raisons pour le faire. Nous autres, laïques, nous n’avons rien à y voir, et l’action de ces prêtres et de ces évêques ne modifie en rien la loi générale.

Pour rendre notre pensée plus clairement : Supposons un train qui partirait de Québec le dimanche matin à cinq heures. Ce serait un mal incontestable, puisque par ce fait les employés du train seraient nécessairement empêchés d’assister à la messe. Mais si, par exemple, un prêtre de Québec avait affaire à Montréal, et si cette affaire était tellement pressante qu’elle le justifierait de manquer la messe, il pourrait certainement prendre ce train, sans péché ; mais son action ne diminuerait en rien le mal occasionné par la circulation de ce convoi et ne justifierait en aucune manière le scandale.

Ainsi, le fait que plusieurs prêtres, pour des raisons à eux connues, ont pris le train du dimanche après-midi, ne diminue nullement les graves inconvénients que l’on trouve contre l’existence de ce train. Car, qu’on le remarque bien, ce qui rend ce train condamnable, ce sont surtout les abus qui en sont résultés et auxquels il a ouvert la porte. Du train de voyageurs de quatre heures, on est bientôt arrivé aux trains de marchandises de toute heure, aux travaux manuels de tout genre, qui empêchent nécessairement la sanctification du dimanche, qui mettent les employés dans l’impossibilité d’assister aux offices et de réparer leurs forces corporelles.

Ce travail du dimanche que l’on veut introduire graduellement dans notre pays est tout un système. Il est fort possible que notre chemin de fer provincial soit vendu un jour à un syndicat français. Eh bien ! connaissant les mœurs françaises comme, nous les connaissons, nous pouvons affirmer qu’advenant cette vente nous verrions bientôt le dimanche aussi ouvertement méprisé au Canada qu’il l’est en France. Il importe donc grandement d’extirper le mal pendant qu’il en est encore temps et avant qu’il se soit enraciné par la coutume.

En terminant, nous dirons au directeur de la Minerve qu’il lui sied bien de permettre qu’on accuse les motifs d’autrui dans les colonnes de son journal, qu’on y parle de marmite et surtout de mouchards ?



6 octobre 1881


Nos lecteurs le savent, nous luttons, depuis deux mois, pour faire cesser, sur le chemin de fer provincial, la circulation des trains de marchandises, le dimanche. Plusieurs journaux, pour donner l’échange à l’opinion, nous ont traité de puritain, prétendant que nous nous opposions uniquement à la circulation des trains de voyageurs. C’est absolument faux, et les feuilles serviles le savent, mais elles ont cru se montrer habiles en torturant le sens de nos écrits. Nous n’avions d’abord rien dit des trains de voyageurs, voulant consacrer nos efforts à faire disparaître, en premier lieu, le scandale, plus grand, des trains de marchandises. Nous avons ensuite acquis la certitude que notre Ordinaire désire voir cesser la circulation des trains de voyageurs, aussi ; qu’il a exprimé ce désir au gouvernement. Nous avons cru devoir appuyer, dans la mesure de nos forces, ce désir de notre évêque. Yoilà ce que nous avons fait. Il y a donc mauvaise foi manifeste chez ceux qui nous accusent de nous être montré « plus catholique que notre évêque. »

Non-seulement l’administration du chemin de fer n’a tenu aucun compte des désirs de l’autorité religieuse, mais ses organes ont affirmé, bien haut et à plusieurs reprises, que cette même autorité avait donné son consentement à l’exploitation de ces trains réguliers du dimanche. C’est donc une question de véracité entre l’autorité religieuse et M. L. A. Sénécal.

Celui-ci fait dire à ses organes que « l’autorité religieuse » a approuvé l’établissement des trains réguliers de voyageurs le dimanche. Par autorité religieuse on veut dire, sans doute, Mgr  l’Archevêque de Québec, Mgr  l’évêque de Montréal et Mgr  l’évêque des Trois-Rivières.

Voici maintenant comment l’administration du chemin a procédé vis-à-vis de l’autorité épiscopale. Quelqu’un est allé d’abord trouver Mgr  l’Archevêque et lui a demandé si, lorsque les besoins de l’immigration l’exigeraient, on pourrait faire partir un train de voyageurs de Québec, le dimanche, pour permettre aux immigrants d’arriver plus vite à destination. Sur une réponse affirmative de la part de Mgr , on a établi un train régulier du dimanche, train qui n’a aucun rapport direct avec l’immigration. Pour les gens qui ont la mémoire courte, comme les rédacteurs du Canadien, nous reproduisons les principaux passages de la correspondance échangée entre Mgr  l’Archevêque et nous, correspondance qui établit clairement que « l’autorité religieuse » à Québec n’a jamais donné son consentement à l’exploitation des trains du dimanche :

Québec, le 3 septembre 1881

À Mgr E. A. Taschereau Archevêque de Québec,

Monseigneur,

Si je suis bien renseigné, et je crois l’être, Votre Grandeur n’a jamais été consultée au sujet de ce train du dimanche. On aurait simplement demandé à Votre Grandeur si, lorsqu’il arriverait beaucoup d’immigrants ici, le diman- che matin, on ne pourrait pas les diriger immédiatement vers leur destination, au lieu de les faire attendre plusieurs heures à Québec ; et sur une réponse affirmative de votre part, on a établi un train régulier du dimanche, train qui n’a aucun rapport direct avec l’immigration. Si ce qui précède est conforme aux faits, je prie Votre Grandeur de me le dire.

Je suis de Votre Grandeur,
le fils respectueux et soumis,
J. P. Tardivel.

Archevêche de Québec.
Québec, 5 septembre 1881.
À M. J. P. Tardivel, rédacteur de la Vérité, Québec,
Monsieur,

En réponse à votre lettre du 3 du courant :

1° Je désire de tout mon cœur voir cesser les trains du dimanche sur le chemin de fer Q. M. O. & O. Ce désir, je l’ai déjà manifesté, dès le 2 mars dernier, dans une lettre adressée à l’honorable M. Chapleau. Il est fondé sur deux raisons qui me paraissent fort graves. Ces trains du dimanche favorisent les excursions de plaisir que j’ai condamnées dans mon mandement du 26 avril 1880 sur la sanctification du dimanche. De plus, ils empêchent les employés de remplir leurs devoirs religieux et de réparer convenablement leurs forces corporelles par le repos de ce saint jour.

2° Vos renseignements sur la consultation qui m’a été faite officieusement et sur la réponse que j’y ai donnée sont exacts.

J’ai l’honneur d’être Monsieur
Votre tout dévoué serviteur,
† E. A. ARCH. de Québec

Allons maintenant à l’autre extrémité de la ligne. Peut-être que Mgr  Fabre aurait donné son consentement à l’exploitation des trains du dimanche. Vous allez voir :

Évêché de Montréal
Montréal, le 30 septembre 1881.
Monsieur,

En réponse à votre lettre d’hier, Monseigneur l’évêque de Montréal me charge de vous informer qu’il n’a jamais été consulté au sujet de l’exploitation des trains de chemins de fer le dimanche.

J’ai l’honneur d’être, monsieur,
Votre tout dévoué serviteur,
T. Harel, Ptre., chancelier.
M. J. P. Tardivel,
Rédacteur du journal la Vérité, Québec.

C’est-à-dire que ces braves gens du chemin de fer du Nord n’ont pas fait plus de cas de Mgr  Fabre que de l’homme dans la lune.

Mais voici un exploit plus caractéristique : Ces messieurs sont allés trouver Mgr  Laflèche et lui ont dit : Mgr , nous avons la permission de l’autorité religieuse d’établir un train régulier, du dimanche, entre Québec et Montréal, qu’en dites-vous ? Et Mgr  Laflèche de répondre, naturellement : Puisque vous avez la permission de faire partir votre train de Québec et de Montréal, que voulez-vous que j’y fasse ; je ne me propose pas de l’arrêter à l’entrée de mon diocèse. Voici la preuve de ce que nous venons de dire. Ayant écrit à Mgr  Laflèche, nous avons reçu de lui la réponse suivante :

Évêché des Trois-Rivières.
Ce 30 septembre 1881.
M. J. P. Tardivel,
Édit. de la Vérité,
Monsieur,

On m’a demandé si j’avais objection aux trains du chemin de fer Q. M. O. & O., pour les voyageurs seulement, partant de Québec et de Montréal les dimanches à 4 hrs. p. m., avec la permission de l’autorité religieuse, disait-on, et passant aux Trois-Rivières sur les 7 heures. J’ai répondu que je n’y avais pas objection, attendu que leur départ de Québec et de Montréal ne me regardait point. Vous avez eu raison de vous opposer comme vous l’avez fait à la violation du dimanche par cette ligne de chemin de fer ; c’est un véritable scandale que tous doivent avoir à cœur de voir cesser.

Je demeure,
Votre tout dévoué serviteur,
† I., F. Év. des Trois-Rivières.
Ainsi, il est prouvé que l’administration de chemin

n’a obtenu de Mgr  l’Archevêque aucune permission d’établir les trains réguliers du dimanche ; qu’elle a traité Mgr  Fabre avec un souverain mépris ; et, enfin, qu’elle a indignement trompé Mgr  Laflèche en lui déclarant qu’elle avait la permission des autorités religieuses tandis qu’elle ne l’avait pas.

Maintenant la presse vénale peut nous injurier, nous vilipender, accuser nos motifs ; elle peut faire ce qu’elle voudra, elle ne réussira pas à nous émouvoir.


Le Canadien a publié, au sujet du travail du dimanche, le plus singulier article qui ait jamais vu le jour. En voici quelques passages :

« Au début de cette exploitation nous fîmes privément des représentations à M. Sénécal, qui nous donna l’assurance que notre confrère Montréalais communique aujourd’hui au public. Nous crûmes donc de notre devoir de garder le silence dans le Canadien. Maintenant que la question revient sur le tapis, il importe qu’elle reçoive sans délai une solution…

« S’il est vrai — et le fait n’a pas été nié — que les autorités religieuses ont donné leur consentement à l’exploitation des trains de passagers, le dimanche, le commissaire et le gérant du chemin ne sont nullement à blâmer. »

Ce qui frappe le plus dans ces lignes, c’est la naïve confiance que le rédacteur du Canadien accorde à M. Sénécal. Depuis plus d’un an, le journal de la rue Sainte-Famille nous représente M. le surintendant du chemin de fer du Nord comme un homme dont il faut se défier grandement, comme un personnage dangereux contre les machinations duquel le pays doit se mettre en garde ; il n’a cessé d’avertir la province que M. Sénécal l’expose à de graves périls. Et le voici tout-à-coup qui nous apprend qu’il accepte une simple assertion de M. Sénécal comme une vérité prouvée en bonne et due forme ! Il y a là de quoi mystifier les plus clairvoyants.

Quoi ! le rédacteur du Canadien, qui est si souvent en communication avec NN. SS. les évêques, ne prend pas seulement la peine de s’assurer, auprès de Leurs Grandeurs, du bien-fondé des prétentions de M. Sénécal ! Il garde le silence pendant des mois, sur une simple affirmation de M. le surintendant ! Nous avouons ne rien comprendre à ce mystère.

Le Canadien affirme que le « fait, que les autorités religieuses ont donné leur consentement à l’exploitation des trains de voyageurs, n’a jamais été nié. » Il faut être doué d’un toupet colossal pour faire pareille assertion. Nous le savons, notre journal n’existe pas pour les rédacteurs du Canadien, mais il existe pour le public : or dans notre feuille, le 8 septembre, a paru une lettre de Mgr  l’Archevêque, lettre qui a été ensuite reproduite par plusieurs autres journaux, où le prétendu fait dont parle le Canadien est nié de la manière la plus claire et la plus formelle.

Est-il possible que le Canadien se sénécalise, lui aussi ? Ce serait bien l’abomination de la désolation. Mais on voit de si étranges choses en ces jours de décadence.[1]

  1. Les événements ont prouvé qu’en effet le Canadien, dès cette époque, se sénécalisait ; c’est-à-dire, cessait d’être un journal de principes pour devenir un journal d’affaires.

    Nous avons cru devoir interrompre ici cette polémique pour nous conformer au désir de Mgr  Taschereau exprimé dans la lettre suivante :

    Archevêché de Québec

    Québec, 11 octobre 1881
    À monsieur le rédacteur de la Vérité,
    Monsieur le rédacteur,

    Je suis chargé par Sa Grandeur Monseigneur l’Archevêque de vous écrire que c’est son désir formel de vous voir cesser vos articles au sujet du travail du dimanche, sur la ligne du chemin de fer du Nord. Monseigneur l’Archevêque, s’il le juge nécessaire, se mettra directement en rapport avec qui de droit, pour régler cette question.

    J’ai l’honneur d’être, monsieur le rédacteur, avec une parfaite considération,

    Votre très humble serviteur,
    C. A. Collet, Ptre.,
    Secrétaire