imprimerie de la Vérité (Ip. 85-94).

LÉGISLATION À LA JULES FERRY


20 mai 1882


Ceux qui ont des yeux pour voir vont-ils enfin les ouvrir à la lumière ? Ceux qui ont des oreilles pour entendre vont-ils enfin cesser de se les boucher ? C’est ce qu’on se demande en parcourant le projet de loi sur l’éducation déposé à l’Assemblée législative, le 10 mai, par le secrétaire provincial.

Nous l’avons souvent dit, nos hommes publics suivent, en matière d’éducation, le chemin qui conduit à l’abîme où se débattent en ce moment la France et la Belgique. Parce que nous ne sommes pas encore rendus au point où en sont rendus ces deux pays, on s’imagine qu’il n’y a pas de danger, et l’on se moque de ceux qui, de temps à autre, ont poussé des cris d’alarme. Pourtant nous marchons vite, plus vite peut-être que les Français et les Belges n’ont marché.

Jean-Baptiste prend à Québec le train-éclair qui se rend à Montréal. À la gare de Portneuf deux amis, Paul et Joseph, lui parlent. Le premier lui demande s’il veut se rendre à Montréal. Jean-Baptiste répond : « Oh ! non ; je ne veux faire qu’un petit tour, je ne veux pas m’éloigner de Québec. » Paul lui fait remarquer qu’il ferait mieux, dans ce cas, de descendre, car il est déjà à plusieurs lieues de son point de départ. Mais Joseph s’écrie : « Tu peux rester dans les chars encore longtemps ; tu es loin, bien loin de Montréal ; ne te presse pas. »

On le conçoit, si Jean-Baptiste écoute le langage perfide de Joseph, il va se trouver à Montréal avant d’avoir le temps d’y penser.

Dans cette petite parabole, Jean-Baptiste représente le peuple Canadien ; le train-éclair, les doctrines et les tendances modernes en matière d éducation ; Québec, les saines doctrines ; Portneuf, l’époque où nous en sommes rendus maintenant au Canada ; Montréal, l’état où se trouvent la France et la Belgique ; Paul, ceux qui jettent un cri d’alarme ; Joseph, les endormeurs dont le nom est légion.

Parlons maintenant du projet de loi du cabinet sur l’enseignement.

Les deux premières clauses ont trait à des questions relativement peu importantes. La clause 3, qui est destinée à devenir aussi célèbre que le fameux article 7 de la loi Ferry, se lit comme suit :

« Le paragraphe deux de la section soixante-cinq du chapitre quinze des Statuts refondus pour le Bas-Canada est abrogé, et les pouvoirs qu’il confère aux commissaires ou syndics d’écoles sont dévolus aux inspecteurs, sous la direction du surintendant. »

Voici maintenant ce paragraphe deux que l’on veut abroger. Lisez bien, c’est à ne pas y croire, et cependant c’est cela :

« 2. — De régler le cours d’études à suivre dans chaque école, pourvoir à ce que dans les écoles sous leur juridiction on ne se serve que de livres approuvés et recommandés par le conseil d’instruction publique ; établir des règles générales pour la régie des écoles, et les communiquer par écrit aux instituteurs respectifs ; indiquer le temps où aura lieu l’examen public annuel, et y assister.

« Mais le curé, prêtre ou ministre desservant aura le droit exclusif de faire le choix des livres qui ont rapport à la religion et à la morale, pour l’usage des écoles et des enfants de sa croyance religieuse. »

Voyez comme cela est habilement, perfidement rédigé. On commence par dire que le paragraphe deux est abrogé, non le premier alinéa du paragraphe, mais le paragraphe, c’est-à-dire tout le paragraphe ; puis, pour ne pas trop réveiller l’attention, on ne parle que des pouvoirs des commissaires d’école, lesquels pouvoirs sont dévolus aux inspecteurs, ou plutôt au surintendant.

Si ce projet de loi est voté, tel qu’il est, les curés n’auront plus rien à voir dans les écoles, ils n’auront plus le contrôle et la surveillance de l’enseignement moral et religieux. On ne dit pas à qui ce pouvoir sera dévolu, mais on abolit cette partie de la loi qui assure l’exercice de ce droit aux curés. Or, l’exercice de ce droit est essentiel. Jamais l’Église ne consent à y renoncer ; elle ne peut pas y renoncer, car l’enseignement religieux et moral des peuples est une mission qu’elle a reçue directement de son divin Fondateur.

Mais à part cette atteinte portée aux droits souverains de l’Église, l’abrogation du paragraphe deux constitue une grave atteinte portée aux droits sacrés des pères de famille. Elle met tout entre les mains de l’État, elle place l’État entre les enfants et les parents, représentés par les commissaires. Or, cette doctrine de l’omnipotence de l’État en matière d’éducation est une doctrine détestable, une doctrine qui fait le malheur des pays d’Europe et qui sera la ruine du Canada si nous ne la combattons vigoureusement.

L’État a le devoir de protéger les droits des pères de famille ; il ne lui est pas permis de les absorber, comme on le fait en Europe, comme on veut le faire dans la province de Québec.



La clause quatre se lit comme suit :

« Il sera loisible au lieutenant-gouverneur en conseil de nommer l’un des fonctionnaires du département de l’instruction publique inspecteur général des écoles de la province. « Le devoir dudit inspecteur général sera de surveiller, de contrôler et de diriger, d’après les instructions du surintendant, les travaux des inspecteurs ordinaires. Il aura à cette fin tous les pouvoirs desdits inspecteurs et tous ceux du surintendant, excepté celui de rendre des sentences.

Pour bien saisir toute la portée de cette clause, il faut la rapprocher de la clause précédente. On commence par enlever aux commissaires d’écoles, qui représentent directement les pères de famille, leurs pouvoirs les plus importants pour les conférer aux inspecteurs, fonctionnaires de l’État. Puis, on revêt l’inspecteur général, autre fonctionnaire de l’État, de tous les nouveaux pouvoirs donnés aux inspecteurs ordinaires. C’est-à-dire qu’un seul fonctionnaire de l’État prend la place des pères de famille.

Ensuite, pourquoi faire nommer cet inspecteur général par le lieutenant-gouverneur en conseil, c’est-à-dire par le gouvernement ? Pourquoi méconnaître ainsi les droits des Évêques comme membres du Conseil de l’instruction publique ? Ne croit-on pas que l’épiscopat ait quelque chose à dire dans la nomination de ce fonctionnaire important ?



La clause six se lit comme suit :

« Les sections 95, 97, 102 et 136 du dit chapitre 15 sont amendés, en retranchant les mots « avec l’approbation du gouverneur en conseil », ou « par le gouverneur en conseil » qui se trouvent dans l’une ou l’autre des dites sections. »

C’est-à-dire que dorénavant, si ce projet de loi est voté, le surintendant seul aura le droit de tout faire à sa guise, à peu près. Il pourra tailler à droite et à gauche sans contrôle.



Il y aurait encore une foule d’observations à faire au sujet de ce projet de loi extraordinaire, mais nous croyons en avoir assez dit pour convaincre tout homme de bonne foi que nous glissons rapidement sur la pente du laïcisme et de l’omnipotence de l’État en matière d’éducation. Il est probable que ce projet de loi ne sera pas voté, vu que les autorités religieuses en ont eu connaissance à temps pour intervenir. Mais cette tentative de faire voter une pareille loi, qu’on dirait rédigée par Jules Ferry ou Paul Bert, montre bien de quelles doctrines néfastes certains de nos hommes publics se nourrissent, quels projets détestables ils trament contre les droits de l’Église et des pères de famille.



21 mai 1882


De l’aveu même du Courrier du Canada ce n’est pas la première fois que l’on tente de faire voter subrepticement, par notre législature, de perfides et dangereux projets de loi sur l’éducation. L’année dernière et l’année auparavant, on a fait une tentative semblable.

Il importe grandement de savoir d’où viennent ces mauvais projets de loi. Qui les rédige ?

Est-ce le surintendant de l’éducation lui-même ? Est-ce quelqu’un de ses subalternes ? Dans tous les cas, cela nous vient du département de l’instruction publique, et le chef de ce département est responsable de ces attentats contre l’autorité de l’épiscopat et les droits des pères de famille.



Le bill de l’éducation, dont nous avons parlé dans notre dernier numéro, a été voté par l’Assemblée législative dans une forme qui diffère quelque peu du texte premier. Le gouvernement, par l’organe du premier ministre, a apporté au projet de loi certaines modifications qui le rendront moins mauvais, puisqu’on n’abroge que le premier alinéa du paragraphe 2 de la section 65 du chapitre 15 des Statuts Refondus. De cette manière on n’enlève pas au prêtre le droit de surveiller et de contrôler l’enseignement moral et religieux.

M. Chapleau a parlé avec son insolence ordinaire d’une certaine presse ; mais il lui a bien fallu amender son projet de loi.

Le premier ministre a fait un aveu qu’il est très important d’enregistrer. Il a déclaré, avec de grands éclats de voix, que c’est lui-même qui avait rédigé le fameux article 3 du bill qui abroge tout le paragraphe 2 de la section 65 du chapitre 15 des Statuts Refondus du bas Canada. Une certaine presse prend note de cette déclaration et nous espérons que tous les catholiques du pays en prendront également note.

Au moment où nous écrivons ces lignes nous ne savons pas si le Conseil législatif acceptera ce projet de loi ; nous espérons qu’il le jettera au panier car, même dans sa forme modifiée, c’est loin d’être un bon bill.

Si le projet de loi est voté nous reviendrons certainement sur ce sujet ; nous y reviendrons peut-être quand bien même il serait rejeté par le Conseil, afin que le public sache de quel esprit sont animés nos hommes publics.



Le Courrier du Canada risque un mot de blâme contre le bill d’éducation du gouvernement. Il commence par dire : « La Vérité désire connaître nos vues au sujet du projet de loi concernant l’éducation. » Cela n’est pas exact. Nous connaissons trop bien notre confrère pour procéder avec lui d’une manière aussi brusque. Nous n’avons pas demandé à brûle-pourpoint de connaître « ses vues » ; nous aurions craint de l’effaroucher. Nous nous sommes borné à lui demander s’il avait vu le bill. Mais puisqu’il a bien voulu nous faire connaître « ses vues » tout de suite, soyons reconnaissants.

Notre confrère dit qu’il a « déjà protesté l’année dernière contre une proposition analogue ». Nous n’en doutons pas ; mais l’année dernière n’est pas cette année, et notre confrère connaît des gens qui changent d’opinion d’une année à l’autre ; que disons-nous ? d’une semaine à l’autre. Voilà pourquoi il n’est pas tout à fait inutile de faire renouveler les « protestations » de temps à autre.

Le Courrier du Canada, qui a eu l’extrême complaisance de voler au-devant de nos désirs, et de nous faire connaître « ses vues » avant même que nous lui eussions demandé s’il en avait, voudra bien, sans doute, nous dire ce qu’il pense des personnes qui persistent à faire voter des lois sur l’éducation « dans un sens reprouvé par Nos Seigneurs les Évêques. »



3 juin 1882


Le Conseil Législatif n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur le fameux bill de l’éducation, le gouvernement n’ayant pas osé, croyons-nous, en demander l’adoption à la chambre haute. Quoi qu’il en soit, le projet de loi de ces messieurs est resté à l’état de projet.

Sans doute, nous les verrons revenir à la charge l’année prochaine, mais, il faut l’espérer, pour l’honneur et le bonheur de notre province, ils ne seront pas plus heureux qu’ils ne l’ont été cette année.

Chose étonnante, bien que ce projet de loi soit d’une très haute importance, les journaux de Montréal[1] n’en ont pas soufflé mot. C’est au point qu’un très grand nombre de personnes qui ne voient que les journaux de la ville sœur, ne savaient même pas qu’il y eût un projet de loi sur l’éducation.

C’est très-commode une presse qui comprend aussi bien son devoir.


Parlons encore de ce néfaste projet de loi. Il est mort, c’est vrai ; mais enterrons-le comme il faut, pour qu’il ne ressuscite pas l’année prochaine, ou du moins afin que, s’il ressuscite, il soit connu pour ce qu’il est.

Nous avons sous les yeux un exemplaire du bill tel qu’il a été voté par l’Assemblée législative, c’est-à-dire, tel que nous l’aurions aujourd’hui dans nos statuts, sans le Conseil législatif qui, malgré ce qu’on a fait pour l’avilir, est encore bon à quelque chose.

Nous n’hésitons pas à dire que ce projet de loi, tel que l’Assemblée législative l’a voté, est un monument dont nous n’avons pas lieu d’être fiers. Plus on l’étudie, plus on le trouve mauvais.

Par exemple, la clause deux, qui autorise les municipalités scolaires à pourvoir gratuitement les écoles des fournitures classiques nécessaires, ne contient pas la moindre clause qui sauvegarde les droits des congrégations religieuses.

En vertu de cette clause, les municipalités mal disposées à l’égard des congrégations religieuses auraient pu nuire à l’enseignement en imposant aux frères et aux sœurs des livres autres que ceux que les différentes congrégations ont adoptés. Cette lacune est très importante et très significative, car on n’ignore pas que nos grands laïciseurs de l’enseignement, sous prétexte qu’il faut de l’unité dans les méthodes, sont portés à créer des « misères » aux congrégations et à leur imposer des livres et des méthodes inférieurs aux leurs. Cette clause deux, sans cette sauvegarde, est donc très mauvaise.

Procédons par petite dose. La semaine prochaine nous parlerons de la clause 3, que M. Chapleau s’est vanté d’avoir rédigée.



10 juin 1882


Jetons encore une pelletée de terre sur le cercueil de ce fameux projet de loi.

Mais d’abord, un mot en réponse à la Minerve : La vieille déesse a déclaré, ces jours derniers, avec une satisfaction évidente, que l’on s’était trompé en annonçant que ce projet de loi avait échoué au Conseil législatif. Le bill amendant la loi générale sur l’éducation, disait-elle, en narguant le Journal des Trois-Rivières, a été voté par le Conseil et sanctionné par le lieutenant-gouverneur.

En lisant cela, nous avons eu peur un instant. Nous savions bien que le projet de loi n’avait pas été voté régulièrement ; mais, pensions-nous, ces gens-là sont capables de tout faire. Nous nous sommes rendu au Conseil législatif, et nous avons constaté, de visu, que le bill en question n’avait pas été voté. C’est le bill numéro 16, dont le titre est à peu près semblable à celui du bill numéro 137, qui a été voté et sanctionné.

La Minerve a pris son désir pour une réalité.

Résultat pratique : La Minerve se fait connaître de plus en plus.

Disons maintenant un mot de la clause 3 du bill, celle que M. Chapleau s’est vanté d’avoir rédigée lui-même. Elle se lit comme suit :


« 3. Le premier paragraphe de la sous-section deux de la section soixante-cinq du chapitre quinze des Statuts Refondus pour le Bas-Canada est abrogé, et les pouvoirs qu’il confère aux commissaires ou syndics d’école, sont dévolus aux inspecteurs, sous la direction du surintendant. »


Pour le moment, contentons-nous de voir comment se lit la section soixante-cinq ainsi amendée. Voici :


« 65. Il sera du devoir des commissaires ou syndics d’école :

« 1 De nommer et d’engager de temps à autre des instituteurs suffisamment qualifiés pour enseigner dans les écoles sous leur contrôle, et de les remplacer pour cause d’incapacité, de négligence à remplir fidèlement leurs devoirs, d’insubordination, d’inconduite ou d’immoralité, après mûre délibération d’une assemblée des commissaires convoquée spécialement à cet effet ;

« 2 .........................

« Mais le curé, prêtre ou ministre desservant aura le droit exclusif de faire le choix des livres qui ont rapport à la religion et à la morale, pour l’usage des écoles des enfants de sa croyance religieuse ;

« 3. D’entendre et décider, etc. »


Ce mais, qui ne se rapporte à rien du tout, est d’un joli effet.

Lorsqu’on légifère ainsi, à la vapeur et à la sourdine, on s’expose à tomber dans le ridicule. Nous reviendrons sur cette clause.


  1. Il est bon de se rappeler qu’à cette époque l’Étendard n’existait pas encore.