Mercure de France (p. 44-45).

XV


… Le pauvre n’avait rien, si

ce n’est une petite brebis…

Samuel, I. II, c. xii, 3.


Dans le potager des Capucins de Burgos il y a un paon. Et, parce que ce potager est le plus pauvre du monde, ce paon est le plus riche : son plumage sur la misère du terreau éclate ainsi qu’une flore équatoriale. Dans la chapelle presque nue de ces saints hommes, il y a, seul ornement, quelques grandes-marguerites. Ces grandes-marguerites, si communes qu’à peine on les remarque dans les foins et sur les graviers du chemin de fer, gardent là tout leur prix et y sont découpées avec une telle netteté que leur forme apparaît dure comme la vie des moines. Ainsi, aux jours de l’Eden, à l’homme nu comme un temple, les choses se montraient dans leur vérité intégrale, c’est-à-dire au taux même de leur valeur. Ayez un seul oiseau, une seule fleur, mais qu’il perche et qu’elle éclose dans l’âme dépouillée.

J’ai reçu la visite d’un humble ménage en permission. Pour un jour qu’il venait de respirer dans la campagne, sa joie éclatait et il me narrait l’ivresse d’une promenade à pied. L’homme marquait cette rude bonté de ceux qui savent que le pain quotidien ne se paie pas de mots, et sa forte semelle ne battait pas les chemins où vont les hommes qui paradent. La femme avait la douceur de celle qui connaît le prix des caresses de l’époux à l’heure tardive où il s’étend à côté d’elle. Elle lui livre alors son corps qui, dans la chambre sans luxe, revêt la beauté de ce qui, n’étant point prodigué, conserve, comme au monastère le paon ou la grànde-marguerile, sa signification.