Méditations/VI
VI
Ceux qui ne se vêtent plus que pour se vêtir sont poignants, en qui toute idée de plaire a disparu, et plus poignants encore si leurs misérables habits témoignent d’un souci d’honnêteté.
J’ai vu, à l’entrée de la ville, à la fin d’un jour brûlant, un pauvre vêtu d’une jaquette déposer son bissac et laver à la borne-fontaine ses yeux brûlés par la poussière de la marche. Ainsi le Fils de l’Homme fut-il recouvert de pourpre et but-il au torrent. J’ai vu, sur un banc, au clair de lune, un jeune homme dormir la tête appuyée à un pain. Un élégant chapeau le coiffait, sa cravate à son col se nouait bien, mais ses pieds dans des sandales étaient nus. Encore : cette fille aux souliers de soldat, à la face rendue mâle par la douleur, elle était à genoux près de moi. Et, à la filasse de son chignon mal tordu, on devinait de quel renoncement s’étayait son indispensable prière. Une plume d’oie — le luxe ! — surmontait un affreux canotier posé de travers sur ce chignon. Mais peut-être qu’aux yeux de celui qui fut couronné d’épines ce couvre-chef brillait autant que l’auréole d’Agnès, et que ces courts cheveux étaient aussi longs que ceux qui voilèrent à ses bourreaux la frêle beauté de la sainte.