Méditation sur le saint temps de carême/Les Rameaux

VI.

LES RAMEAUX


Si le ciel m’eût fait naître en ces temps, ô Jésus,
J’aurais été, j’espère, aussi de cette fête !
J’aurais, suivant les pas des peuples accourus,
Brisé les beaux palmiers pour en couvrir ta tête ;
J’aurais aussi porté le rameau dans mes mains,
Jeté mes vêtemens au milieu des chemins,
Et, me mêlant au chœur des enfans et des femmes,
Crié : Gloire et salut au Sauveur de nos âmes !
Le voilà descendant du mont des Oliviers,
Et de Jérusalem reprenant les sentiers !
Qu’il devait être beau, ceint de son auréole,
Au milieu de ce peuple ému de sa parole !
C’est le dernier triomphe avant le jour maudit.
Notre Jésus le sait, et sa mélancolie
Au milieu de ce peuple est douce et recueillie ;
L’heure est déjà marquée et le jour est prédit.

Le pharisien s’éloigne et détournant la vue :
« Que tardons-nous encor ? voyez ce séducteur,
Comme il traîne après lui toute une foule émue
De ses miracles faux, de sa fausse douceur !
Il est temps, il est temps qu’à Rome on le dénonce,
Et que sur ses forfaits la justice prononce. »
(La justice, ô mon Dieu !) allez, son jour viendra,
Et la victime encor d’elle vous sauvera.

De croyance et de doute horrible alternative !
Hier la foi semblait couler comme une eau vive.
Après tant de bienfaits, lorsque Dieu s’est nommé,
Cette foule en fureur dit qu’il a blasphémé !
Elle a pour le poursuivre alors saisi la pierre
Dont ce juge clément préserva l’adultère.
Oh ! l’Église a raison de dire en ce moment,
Quand va de son époux commencer le tourment :
« Seigneur, Seigneur, jugez, séparez notre cause[1] ;
Qu’entre l’impie et nous votre bras s’interpose,

De l’homme dangereux sauvez-nous, sauvez-nous,
Vous promettez la force à ceux qui croient en vous.

L’étendard du vrai Roi s’avance[2] ;
Il aura pour forme une croix,
Il a pour devise une lance,
La force du peuple et des rois.
Salut, notre unique espérance[3],
Croix sainte, immortelle alliance.
Sur l’univers ouvre tes bras !
Arbre céleste, que nos âmes,
Sous ton ombre, évitent les flammes.
Que vomit le lieu du trépas.


  1. Judica me Deus, et discerne causam meam.
    Ad nomine doloso erue me.
  2. Vexilla Regis prodeunt.
  3. O Crux, ave, Spes unica.