Lyon en l’an 2000/Le Trésor des pierres plantées

Lyon en l'an 2000
Le TRÉSOR des PIERRES PLANTÉES (p. 34-38).

Le TRÉSOR des PIERRES PLANTÉES


Extraits de la Conférence, faite par le professeur Psa-héda de l’Académie de Ming-Po, le 38e jour du 3e mois de l’an 3214.
Nobles Seigneurs,

Ce n’est certes pas à un auditoire aussi averti qu’il y a lieu de rappeler le terrible cataclysme qui, il y a treize cents ans environ, c’est-à-dire vers l’an 1912, d’après les plus récents calculs, bouleversa totalement notre globe terrestre, transformant en continents les mers les plus profondes et en vastes océans les territoires immenses sur lesquels vivaient les tribus de nos ancêtres. Ainsi que vous le savez tous, une seule famille de paysans mongols, réfugiée sur une roche escarpée, fut épargnée dans ce désastre sans précédent et devint la souche initiale des générations actuelles.

Un problème s’est posé bien souvent à l’esprit de nos savants. Quelle pouvait être la vie des peuples, encore à demi-barbares, peuplant notre sphère à l’époque du bouleversement de 1912 ? À cette question, la science humaine, privée jusqu’à ce jour de documents précis, ne pouvait répondre que par de vagues conjectures et il semblait bien que jamais l’Océan, recouvrant les embryonnaires civilisations disparues, ne livrerait leur secret. Il était réservé à un de nos collègues les plus éminents de découvrir les premières traces connues des préhistoriques habitants de notre globe… Le savant conférencier fit ici, en termes d’une rare éloquence, le récit de la merveilleuse découverte du Trésor des Pierres-Plantées.

Nos lecteurs ont certainement présente à la mémoire l’exploration faite l’an dernier, par le professeur Alt-Héa, d’une Île inconnue jusqu’alors. Ils se souviennent aussi qu’au cours de cette exploration le célèbre académicien découvrit, dans une anfractuosité de rocher, à l’abri de l’intempérie du temps et de l’air salin de la mer, un coffre rectangulaire paraissant très ancien et contenant un certain nombre de plans, livres et papiers divers, imprimés en caractères indéchiffrables. C’étaient là les premiers documents historiques sur les époques antérieures à notre histoire.

Alt-Héa étudia longuement ces matériaux précieux, il parvint à reconstituer la langue de ces peuples mi-barbares, mi-civilisés, et grâce à sa science minutieuse et persévérante il nous est aujourd’hui possible de résoudre le problème des générations disparues.

Des sérieux travaux de notre éminent collègue, il résulte que l’île par lui découverte était autrefois l’emplacement d’une bourgade d’environ 500 000 habitants nommée Lyon, mot qui dans le dialecte de cette époque voulait dire : « roi des animaux ». C’est donc sur les mœurs et les coutumes des habitants de Lyon qu’ont plus spécialement porté les intéressantes études du professeur Alt-Héa, études qui nous permettent de reconstituer scientifiquement, c’est-à-dire sur des bases exactes, la vie publique de nos ancêtres. Ce n’est point en effet une fantaisie de l’imaginative que le tableau que nous allons tracer devant vous. C’est au contraire une œuvre profondément étudiée, mûrement réfléchie, toujours appuyée sur des documents originaux, et dont chaque déduction peut et doit être considérée comme une part de vérité, chaque apparence d’hypothèse comme l’expression exacte d’une réalité… Si nous considérons un des plans composant le trésor des Pierres-Plantées, — ce plan portant le nom de carte de l’Europe centrale, — nous remarquerons que le bourg de Lyon était situé au confluent de deux grands cours d’eau, le Rhône et la Saône, au carrefour de vallées profondes, sortes de routes naturelles se dirigeant au nord, à l’est et au midi des pays soi-disant civilisés de ces temps barbares. Il est donc logique de conclure que cette bourgade devait être un grand port, un centre commercial très important. Ce n’est pas là une simple supposition, mais la déduction normale des documents géographiques de cette époque.

Nous devons à la vérité, cependant, de déclarer que parmi les documents que nous possédons, aucun ne fait mention du port de Lyon. Il n’y a, néanmoins, pas lieu de s’arrêter à cette objection, qui ne prouve malheureusement que la pauvreté de nos renseignements sur le monde ancien ; la situation topographique de Lyon est une preuve évidente de son importance dans la navigation fluviale.

Si les documents découverts par notre éminent collègue ne parlent pas du port de Lyon, ils célèbrent par contre certains tissus fabriqués dans cette bourgade. Ces tissus, connus sous le nom de soieries lyonnaises, servaient à la confection des vêtements dont se paraient, ou plutôt croyaient se parer, les femmes de ces contrées. Certains graphiques nous représentent des beautés de cette époque revêtues de soieries lyonnaises ; nous allons vous en présenter quelques-unes. Ce sera la partie comique de notre conférence.

Ici furent projetés, par le professeur Psa-Héda, quelques clichés qui obtinrent un grand succès d’hilarité auprès, surtout, de la partie féminine de l’auditoire.

Mais si les soieries lyonnaises paraissent avoir eu quelque réputation auprès des beautés en vérité peu coquettes de ces temps reculés, il ne semble pas que ceux qui les fabriquaient aient joui d’une grande considération dans l’esprit de leurs concitoyens. Au nombre des richesses sans prix dont se composent le trésor découvert par Alt-Héa se trouvent quelques livres qui, sous le nom d’almanachs, d’indicateurs, d’annuaires du Tout-Lyon, etc., nous donnent des renseignements très précieux sur l’administration de la bourgade de Lyon et les personnalités composant les classes dirigeantes de la cité. Or, nous relevons sur ces listes de privilégiés un grand nombre d’avocats et de marchands de vin, mais aucun fabricant ou tisseur d’étoffes de soie. Il y a donc tout lieu de croire, par déduction logique, que ces soieries lyonnaises étaient le produit d’une petite industrie artistique locale à laquelle s’employaient quelques pauvres hères sans importance, travaillant péniblement à subvenir aux besoins ordinaires des naturels du pays, ainsi qu’aux fantaisies passagères des riches étrangers que, journellement, amenaient les innombrables vaisseaux s’arrêtant au port de Lyon…

Si les marchands et fabricants de tissus de soie étaient, par leur condition sociale même, en dehors des classes dirigeantes, de l’aristocratie, en quelque sorte, du bourg de Lyon, les négociants vinicoles paraissent y avoir tenu la part la plus large. La liste des administrateurs de la cité est en grande partie composée de citoyens qualifiés « marchands de vins ». Cela tient, sans doute, à ce que le port de Lyon était le grand entrepôt des vins de tous les pays, et les représentants de l’industrie vinicole figurant dans les conseils de la ville étaient vraisemblablement de notables négociants, accoutumés par leurs occupations journalières à tous les détails complexes d’une importante administration et jouissant d’une grande considération auprès de leurs concitoyens.

L’art semble avoir tenu une certaine place dans la vie des peuplades habitant au confluent du Rhône et de la Saône. Lyon comptait plusieurs sociétés s’occupant de questions littéraires et artistiques ; l’une d’elle, l’Académie, avait eu, paraît-il, une certaine réputation, mais en des temps plus reculés encore. Il y existait aussi une école spéciale où des professeurs choisis par les administrateurs politiques enseignaient l’art.

Un fait curieux à noter est l’importance des docteurs ou médecins dans l’économie intellectuelle de la cité. Tout ce qui concernait le domaine artistique était de leur ressort. Alors qu’il y avait peu de médecins parmi les citoyens chargés de l’administration des hôpitaux, établissements où les malades indigents étaient recueillis, ils étaient en majorité dans les comités s’occupant d’exhibitions artistiques ou d’achats d’œuvre d’art pour le compte de la ville. Il est donc à croire, sans que nous puissions en déterminer les raisons militantes, que l’étude des questions artistiques faisait partie intégrante du bagage scientifique des médecins de cette époque. Mais alors, il est permis de se demander si l’étude des maladies et de leurs remèdes était comprise dans l’enseignement donné aux artistes…

L’abondance des matières nous oblige à arrêter ici le compte rendu de la conférence du distingué professeur Psa-Héda. Nous le regrettons d’autant plus que dans cette très intéressante reconstitution de la vie de nos ancêtres, certains détails, certaines habitudes ou coutumes locales, donnaient un aperçu curieux des mœurs des peuplades habitant Lyon il y a treize cents ans, peuplades qui paraissent avoir connu un semblant de civilisation.

Emile Leroudier.