Texte établi par Société Saint-Augustin, Desclée de Brouwer & Cie (p. 129-137).

CHAPITRE XIV


mort de guillaume couillard. — la maison de Mme couillard devient le berceau du petit séminaire de québec. — mort de marie-guillemette hébert. — le monument hébert-couillard.


En 1663, la Nouvelle-France entra dans une ère de progrès et de prospérité.

La compagnie qui, jusque-là, avait été chargée de l’administration des affaires du pays, remit aux mains du roi le mandat qu’il lui avait confié.

Québec prit le nom de ville et une cour de justice fut créée. Ces changements furent si importants, dit l’abbé Ferland, que des écrivains ont placé la fondation du Canada dans l’année 1663 : « laissant dans l’oubli la plus belle portion de son histoire. Cependant, c’est bien à juste titre que les cinquante premières années qui ont suivi la fondation de Québec ont été désignées comme les temps héroïques de la Nouvelle-France. Cette période, en effet, présente des traits nombreux de dévouement religieux, de courage, de foi et de persévérance. »

Guillaume Couillard n’eut pas la joie d’assister à tous ces événements heureux qui, dès 1663, devaient concourir à l’avancement de la colonie, mais il eut du moins la satisfaction de vivre assez longtemps pour espérer que ses travaux et ceux de Louis Hébert n’avaient pas été inutiles.

Qu’il dut être grand le contentement de ce vétéran de la Nouvelle-France, quand, parvenu au soir de la vie, il se rappelait les débuts si modestes de ce pays dont il avait été l’un des plus persévérants pionniers ! Couillard, Martin et Marsolet furent les derniers survivants des compagnons de Champlain.

Couillard avait, certes, le droit de s’enorgueillir de son courage passé. Sans son énergie et sa persévérance, qui sait si M. de Champlain fût revenu si tôt après la prise de Québec par les Kertk ?

En 1663, la Nouvelle-France renfermait cinq ou six cents familles. C’était peu après cinquante ans de travaux constants. Mais ce développement de la population, si restreint fût-il, ne doit-on pas l’attribuer à une attention particulière de la Providence à l’égard de notre patrie ? Que serait-il arrivé avec une émigration plus considérable ? La colonie, il est vrai, fut souvent exposée à périr sous les coups des Iroquois, à cause du manque de bras pour la défendre ; elle eut à subir bien des crises, mais si la lutte fut longue, il est consolant de voir que les plus purs sentiments de foi et de patriotisme ont germé au milieu de nos colons et de leurs enfants. Ces sentiments si nobles et si chrétiens n’ont fait que se développer avec les années. C’est que les fils et les petits-fils des premiers habitants de la Nouvelle-France avaient puisé au sein même de leur famille, les vieilles traditions de foi qu’aucun souffle impie n’avait souillées. « Ceux qui arrivaient chaque année, écrit le Père Charlevoix, étaient ou des ouvriers ou des personnes de bonnes familles, qui venaient sur nos rives dans la seule vue d’y vivre plus tranquillement qu’en Europe, et d’y conserver plus sûrement leur religion. La source de presque toutes les familles qui vinrent s’établir au Canada est pure de toute tache que l’opulence et la richesse ont bien de la peine à effacer. »

« Je crains d’autant moins d’être contredit, sur cet article, écrit le même Père, que j’ai vécu avec quelques-uns de ces premiers colons, presque centenaires, de leurs enfants et de leurs petits-enfants, tous gens respectables, plus encore par leur probité, leur candeur, leur piété solide dont ils faisaient profession, que par leurs cheveux blancs et les souvenirs des services qu’ils avaient rendus au Canada. »

Québec, en 1663, avait l’aspect d’une petite ville. Quels changements s’étaient opérés malgré tout dans cette colonie depuis 1608 ! Couillard devait aimer à faire à ses enfants et aux nouveaux colons qui débarquaient sur nos bords le récit des combats qu’il avait livrés et des travaux qu’il s’était imposés, pour l’avancement de la Nouvelle-France. Il aimait :

Ayant autour de lui sa famille assemblée,
…Par les beaux soirs,

À raconter aux siens sa jeunesse envolée,
Et ses luttes d’antan, et ses nombreux espoirs[1].


La narration des souffrances endurées par les premiers colons ; la persévérance de Louis Hébert, celle non moins digne d’admiration de Couillard, excitait sans doute l’enthousiasme des auditeurs.

 « Aux récits de l’aïeul les petits-fils frissonnent :
Si belle fut sa vie et son passé si beau !
Les spectres de ses hiers sortant de leur tombeau
Apparaissent alors si fameux qu’ils étonnent. »

L’évocation de tant de souvenirs préparait le cœur de la vaillante jeunesse qui l’écoutait pour les luttes qu’elle devait livrer plus tard et pour les sacrifices innombrables que la patrie devait exiger d’elle.

 « Aimant ces souvenirs, pensive, dans la nuit,
La génération de jeunes qui se lève
Se sent prise d’ardeur, et dit : La vie est brève,
Du grand père imitons l’exemple qui séduit. »

Nous n’avons rien sur les derniers moments de Guillaume Couillard ; mais ce fut sans doute avec une âme confiante qu’il ferma les yeux à la lumière de ce monde et qu’il dit adieu à ses enfants rassemblés autour de son lit. Ce vénérable vieillard avait passé sa vie à faire du bien ; il entourait de soins les pauvres sauvages, et il s’appliquait à inculquer à ses enfants l’amour et la pratique de la charité.

Comme autrefois Louis Hébert, il les bénit afin d’attirer sur eux et sur leurs descendants les faveurs célestes. Il put ensuite se présenter en toute confiance à son Dieu, en faisant siennes ces paroles du serviteur fidèle : « Seigneur, vous m’aviez donné cinq talents, voici que je vous en apporte cinq autres. » — En retour, le Dieu des miséricordes dut lui répondre : « Serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton Dieu. »

À sa mort Guillaume Couillard laissait ses enfants dans une situation sociale des plus enviables. Alliés aux familles les plus influentes du Canada, jouissant des biens de la fortune, ses descendants jouèrent, dans les affaires de la colonie, un rôle important[2].

Guillaume Couillard fut inhumé dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu de Québec, le 5 mars 1663, au milieu d’un grand concours du peuple et du clergé[3].

L’année même de la mort de Guillaume Couillard Mgr de Laval, évêque de Québec, jeta les bases du Séminaire. Le roi de France, au mois d’avril suivant, confirma par lettres patentes, l’établissement de cette institution qui a rendu depuis d’éminents services à la colonie.

L’œuvre du grand évêque ne devait pas s’arrêter là. Mgr de Laval comprit bien vite qu’il avait besoin de prêtres pour son immense diocèse. Il résolut de fonder un Petit Séminaire pour préparer par des études sérieuses les élèves qui voulaient diriger leurs pas vers le sanctuaire.

Pour conduire cette œuvre à bonne fin, il fallait des ressources ! Mgr de Laval compta sur la Providence. Une maison devenait nécessaire pour recevoir les élèves ! Près du palais épiscopal, entourée d’un grand jardin, se trouvait la maison de Mme Couillard qui suffirait pour les premières années. Mgr de Laval ne pouvait souhaiter d’endroit plus favorable pour asseoir cette nouvelle institution. Le terrain de Louis Hébert, en partie en culture, joignait celui de la fabrique et celui de l’Hôtel-Dieu. Son site, l’un des plus beaux des environs, offrait une vue superbe sur la rade de Québec, sur l’Île d’Orléans, la Pointe-Lévis et la rivière Saint-Charles.

Une question fort importante restait à résoudre. Mme Couillard consentirait-elle à se départir d’une si belle propriété ? Cette vieille maison ne renfermait-elle pas des souvenirs chers à son cœur ? Cette terre qui produisait des récoltes abondantes n’était-ce pas son père, Louis Hébert, n’était-ce pas son mari, qui, jour par jour, l’avaient défrichée ? Elle-même avait passé tant d’années dans cette maison où elle avait élevé ses enfants. Ceux-ci consentiraient-ils à la vente d’un domaine que le roi de France avait accordé à leur aïeul pour en jouir en fief noble et seigneurie ?


les armes de guillaume couillard.

Mgr de Laval a dû se poser ces questions bien des fois. Mais il était réservé à la maison de la première famille canadienne l’honneur d’être aussi le berceau du Petit Séminaire de Québec. Dieu avait des vues privilégiées sur cette terre qui avait bu les sueurs de nos premiers ancêtres. Par une coïncidence heureuse, ce foyer chrétien, le premier établi sur nos bords, fut transformé en un foyer de science dont la gloire rejaillit sur notre pays et sur le continent américain tout entier.

Le contrat de vente fut passé le 10 avril 1666, en présence de Charles Bazire, receveur des droits et domaines du roi, et de Claude Charpentier. Mme Couillard vendit son domaine huit mille livres.

Afin de donner à Mgr de Laval toutes les facilités de paiement, elle exigea mille livres comptant, et trois mille livres au mois de septembre de la même année.

Cette somme lui fut payée en 1671. La balance des quatre mille livres fut remise aux héritiers en 1688.

Dix ans plus tard, la vieille maison Couillard fut démolie et on commença la construction d’un édifice plus spacieux. D’années en années le Petit Séminaire s’est développé depuis ; cette maison est l’une des plus importantes de notre Province.

Les enfants de Mme Couillard n’approuvèrent pas la vente de ce terrain ; ils auraient désiré le conserver dans la famille. Mais Mme Couillard ne se laissa pas arrêter par ces considérations ; elle prévoyait sans doute que le Séminaire rendrait des services considérables à la cause française au Canada. C’est pourquoi elle consentit à se départir de son riche domaine moyennant une somme relativement peu considérable afin de contribuer à l’entretien des prêtres du Séminaire et des missionnaires.

La fille de Louis Hébert ajoutait ainsi un digne couronnement à l’œuvre entreprise par son père sur les bords du Saint-Laurent : l’évangélisation des sauvages.

Dans ses dernières années Mme Couillard se retira chez les Dames de l’Hôtel-Dieu, où elle payait sa pension, c’est là qu’elle fit son testament dans lequel elle n’oublia pas encore les communautés de la ville de Québec.

Aux mères Hospitalières elle légua cinq cents livres ; cent aux pauvres de l’Hôtel-Dieu ; cent aux Pères Récollets ; mille à Delle Gertrude du Tilly ; cinquante à l’église de Saint-Joseph de Lévis ; pareille somme à la Congrégation de la Sainte-Famille. Le notaire Romain Becquet reçut le testament, le 12 octobre 1683.

Mme Couillard décéda à l’âge de soixante-et-dix-huit ans, dans la salle des pauvres de l’Hôtel-Dieu ; elle fut inhumée le lendemain, 20 octobre 1684, près de Guillaume Couillard, dans la chapelle de cette institution qui avait été l’objet de leurs libéralités. Lorsqu’il nous fut donné de visiter pour la première fois le coin de terre bénie où tout nous parle des travaux, des luttes et des souffrances de nos pères, lorsqu’il nous fut donné de parcourir les jardins du Séminaire et de l’Université Laval, nous nous sommes demandé si un jour la bonne ville de Québec ne songerait pas à immortaliser Louis Hébert et Guillaume Couillard.

Ce vœu que nous formulions en 1907, et dernièrement en 1912, est sur le point de se réaliser. Pour célébrer dignement le troisième centenaire de l’arrivée du premier colon canadien un monument splendide sera érigé dans la vieille capitale en 1917. Guillaume Couillard recevra, lui aussi, espérons-le, l’apothéose des conquérants pour avoir collaboré à l’œuvre de Louis Hébert.

Puissent les promoteurs du monument rencontrer l’appui de tous les vrais patriotes. La Province de Québec se doit d’honorer ainsi ces pionniers qui ont tant fait pour la Nouvelle-France. Elle pourra alors dire en toute vérité qu’ELLE SE SOUVIENT.

Hébert, toi le premier, du sol canadien,
Tu tiras ton bonheur, ta gloire et tout ton bien !
À tes côtés, Couillard, noble et digne recrue,
Comme toi s’enrichit, en suivant sa charrue !
Honneur, cent fois honneur à ces Premiers Colons ! ! ! !

Les descendants de ces premiers pionniers, qui sont légion, se réuniront, eux, dans la chapelle des Dames de l’Hôtel-Dieu, et y prieront pour leurs ancêtres ; comme hommage de leur piété filiale, ils placeront une plaque commémorative à l’endroit où furent déposés jadis les restes vénérés de Guillaume Couillard et de Marie-Guillemette Hébert, son épouse.

Iberville, le 22 décembre 1912.



  1. M. Antonio Pelletier.
  2. Voir La première famille française au Canada et l’Histoire des Seigneurs de la Rivière du Sud.
  3. Extrait du registre des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse de Notre-Dame de Québec, pour l’année mil six cent soixante-trois :

    « L’an mil cent soixante-trois, le quatre mars, mourut en sa maison après avoir reçu les sacrements d’Eucharistie et d’extrême-onction, monsieur Guillaume Couillard, ancien habitant de ce pays et le lendemain cinquième du même mois, il a été inhumé dans l’église de l’Hôtel-Dieu de ce pays, par le clergé de cette paroisse ».

    Lequel extrait, nous, vicaire de Notre-Dame de Québec, soussigné, certifions être vrai et conforme au registre original déposé dans les archives de la Cure de Québec.

    Expédié à Québec, le trois du mois de février mil neuf cent quatre.

    A. Faucher, Ptre.