Louis Hébert/06
CHAPITRE VI
Deux pensées avaient déterminé Louis Hébert à consacrer sa vie à la fondation de la Nouvelle France : l’agrandissement du domaine du roi très chrétien et la conversion des sauvages. M. de Champlain, l’illustre fondateur de Québec, qui ne craignit pas d’écrire que le salut d’une âme vaut plus que la conquête d’un empire, avait donc trouvé en Louis Hébert un coopérateur digne de lui. Louis Hébert avait une âme d’apôtre. À Port-Royal il n’avait pas négligé les indigènes ; pour les attirer à la foi chrétienne, il avait étudié leur idiome et il avait prodigué à tous les plus grandes marques de charité.
À Québec, la conduite de notre colon fut aussi sublime, comme l’atteste le bon Frère Sagard. Les sauvages ne tardèrent pas à le visiter et à s’attacher à lui. Il employait mille procédés pour les gagner. Que de services il leur rendit sans exiger de retour ! Tandis que les Associés des Marchands ne voyaient en eux que des êtres bons à exploiter, Louis Hébert, lui, les regardait comme des créatures raisonnables qui eussent pu arriver à la connaissance de Dieu si on leur en eût donné les moyens.
Mme Hébert rivalisait de zèle avec son digne époux. Comme lui elle se mit à étudier la langue des indigènes et elle s’appliqua à les instruire des vérités de la foi. Elle inaugura, comme nous le disons plus loin, dans sa maison une école où les petits sauvages des deux sexes se rendaient pour apprendre leurs prières et le catéchisme. Quelle charité dans cette première famille chrétienne !
La plupart de nos familles, qui arrivèrent dans les premières années sur le sol canadien, suivirent l’exemple de ces colons. Comme eux elles aidèrent de toutes leurs forces à propager le nom du Christ sur nos rives. Les Relations des Jésuites, si intéressantes, contiennent des pages qui témoignent du zèle apostolique des premiers colons canadiens.
Les jours de dimanche et de fête Louis Hébert et sa famille se rendaient à la chapelle de l’Habitation où un Père célébrait la Sainte-Messe en présence de toute la population. C’est là que nos premiers pères puisaient le courage dont ils avaient tant besoin pour continuer leur œuvre.
Le soir, Martin, Desportes, Pivert et leurs femmes gravissaient la falaise et se rendaient faire la veillée chez Louis Hébert. Là on s’entretenait des choses de France. Quand un navire venait à jeter l’ancre dans le Port de Tadoussac, on dépêchait des chaloupes chargées d’apporter à Québec les provisions envoyées par la Compagnie, mais surtout les lettres de France attendues avec grande impatience par les pauvres exilés. C’est avec amour qu’on lisait et relisait les lignes tracées par des mains amies et qui apportaient tant de joie.
Durant la saison d’hiver, Louis Hébert s’occupait utilement, il agrandissait ses défrichements, entretenait ses bestiaux, et il trouvait tout naturel d’aider ses compatriotes dans leurs travaux. Il rendit de bons services à M. de Champlain durant son absence. Plus d’une fois il fut nommé pour remplacer le capitaine du navire qui faisait le trajet entre Tadoussac et Québec.
Au printemps de l’année 1620, une grande joie était réservée à nos premiers colons. M. de Champlain arriva avec sa jeune épouse, Hélène Boulé, âgée de vingt ans. Mme de Champlain, qui avait été élevée dans la religion protestante, abjura l’hérésie à son mariage. Elle devint fort zélée pour la religion catholique ; elle aida puissamment à la conversion de son frère Eustache Boulé.
Mme Hébert, Mme de Champlain et leurs compagnes rendirent de grands services aux sauvages. Ensemble elles les visitaient souvent et leur enseignaient les vérités de la foi catholique. Elles remplissaient un rôle magnifique, ces femmes, qui laissaient leurs travaux pour porter aux pauvres aborigènes les premières notions du christianisme. Durant quatre ans, Mme de Champlain se fit tour à tour catéchiste, interprète et garde-malade. Mais elle ne put se résoudre à demeurer plus longtemps dans notre pays trop peu civilisé.
Le 15 août 1624, elle dit adieu à ses compagnes et partit pour la France. Ce départ fut pour nos premières aïeules une cause de profond chagrin. Elles s’étaient attachées à cette jeune femme si distinguée. En la voyant partir elles faisaient une perte sensible. Ce départ ouvrit bien des plaies. Elles ne purent s’empêcher de penser à la France bien-aimée où elles avaient laissé tant de souvenirs et d’êtres chéris. C’est en pleurant qu’elles virent s’éloigner le navire qui retournait dans leur patrie.
Nos mères furent plus courageuses que Mme de Champlain ; déjà habituées à la vie rude qu’elles avaient trouvée sur nos bords, elles continuèrent leur mission sublime. Elles furent les plus fidèles soutiens de nos courageux pionniers. L’œuvre à laquelle elles ont contribué avec tant de succès est bien digne d’admiration. Marie Rollet, Marguerite Lesage, Françoise et Marguerite Langlois, en demeurant dans la Nouvelle-France, ont fait preuve d’une énergie au-dessus du commun. C’étaient en réalité des héroïnes, ces femmes qui consentirent à s’habituer dans un pays où tout était à créer, où elles devaient supporter le froid si vif de nos interminables hivers, braver la famine et mille autres misères inhérentes à la vie du colon. Mais ce qui aurait dû, ce semble, les décourager, c’était le voisinage des Iroquois, de ces demi-démons qui avaient tant soif du sang français depuis que M. de Champlain avait combattu contre eux sur les bords du Richelieu et du lac auquel il a laissé son nom.
Mme Hébert fut témoin de plusieurs scènes de carnage. Plus d’une fois les Iroquois tentèrent de détruire la colonie naissante. La maison de Louis Hébert n’était plus en sûreté. Souvent il fallait la quitter en toute hâte pour chercher un refuge au fort. On veillait parfois des nuits entières pour n’être pas surpris par l’ennemi. En 1624, les Iroquois attaquèrent les sauvages alliés. Ils prirent le Père Poulain et le torturèrent avec une cruauté diabolique. Ils venaient de l’attacher au bûcher et d’y allumer le feu quand les Français arrivèrent à temps et obtinrent sa délivrance.
À quelque temps de là, les Iroquois tentèrent l’assaut du couvent des Récollets. Par un heureux hasard on venait de le terminer ; il servit de retranchement. Au premier signal donné, les Français arrivèrent. Le combat fut opiniâtre, mais la victoire resta aux colons. Les Iroquois assouvirent leur rage sur les prisonniers Hurons. Ils leur firent endurer les plus cruels tourments et les obligèrent même à manger leur propre chair. Mme Hébert et Marie-Guillemette, sa fille, assistèrent à cette bataille sanglante dans laquelle trois de leurs compatriotes perdirent la vie.
Plus tard la fille de Louis Hébert aimait à rappeler les circonstances de cette attaque où la protection de Dieu sur la colonie avait été si manifeste : « étant certaine, écrit le Père Leclerq, que si les Iroquois eussent connu leurs forces, ils auraient pu, sans difficulté, la désoler entièrement en l’absence de M. de Champlain. »
Cette fille de Louis Hébert se maria en 1621 à Guillaume Couillard, jeune colon originaire de Normandie, arrivé au Canada, en 1613. C’était un charpentier à l’emploi de la Compagnie[1]. Il ne tarda pas à se lier intimement avec Louis Hébert. Il aimait à lui rendre service, et, comme lui, à cultiver la terre. Bientôt il se prit d’affection pour les défrichements, et il fit connaître à Louis Hébert le désir qu’il caressait dès longtemps de se fixer près de lui d’une manière définitive en y établissant un nouveau foyer.
À cette époque on se mariait jeune et les fréquentations n’étaient pas longues. Heureux de rencontrer dans Guillaume Couillard un homme laborieux, honnête, et, au témoignage de Champlain, aimé de tout le monde, Louis Hébert consentit à lui donner, en mariage, sa seconde fille Marie-Guillemette.
guillaume couillard,
gendre de louis hébert. ↑
Il y eut de grandes réjouissances dans la colonie à l’occasion de ce mariage qui fut célébré le 26 août 1621, dans la chapelle de l’Habitation, en présence de M. de Champlain, d’Eustache Boulé, et de tous les Français. Cette union fut heureuse. Par sa fille, Louis Hébert compte un nombre incalculable de descendants.
Ce mariage est le premier indiqué sur les registres de l’église paroissiale de Notre-Dame de Québec.
- ↑ Guillaume Couillard, d’après toute probabilité, était originaire de Normandie. Une note, trouvée dans les papiers de la famille Couillard, mais que nous n’avons pu vérifier, le fait naître en 1591, à St-Landry, de Paris, du mariage de Guillaume Couillard et de demoiselle Élisabeth de Vesin. Cette famille de Vesin était d’extraction noble ; elle portait : « De gueules à trois rocs d’échiquier d’or ».