Texte établi par Société Saint-Augustin, Desclée de Brouwer & Cie (p. 66-73).

CHAPITRE VII


louis hébert, premier seigneur canadien. — le fief du sault-au-matelot et le fief lespinay. — mort de louis hébert. — son éloge.


Louis Hébert, premier défricheur canadien, est encore le premier seigneur. Pour lui fut inauguré le système féodal qui a rendu de grands services dans la colonisation de notre pays. En récompense de ses travaux, il reçut deux concessions seigneuriales. Il convenait que le roi de France reconnût ainsi ses mérites signalés.

Louis Hébert, en quittant la France, avait obtenu un terrain d’environ dix arpents en superficie. En présence de la mauvaise volonté des Associés de la Compagnie des Marchands, il craignit de se voir dépossédé un jour de ce domaine. Il s’adressa au duc de Montmorency pour obtenir des lettres patentes qui lui en garantissaient la possession.


Le 23 février 1623, le duc de Montmorency lui expédia des lettres de concession, lui octroyant cette partie de la haute-ville de Québec, sur laquelle s’élèvent la Basilique, le Séminaire, l’Université Laval, et qui comprend les rues Hébert et Couillard.

À la mort du duc de Montmorency, Louis Hébert résolut de faire confirmer cette concession importante. Il envoya au duc de Ventadour une supplique dans laquelle il rappelait les nombreux services qu’il avait rendus à la Nouvelle-France.

Louis Hébert déclarait qu’il avait entrepris, depuis plusieurs années, de longs et pénibles travaux, couru de nombreux dangers et dépensé une partie de sa fortune pour coopérer à la découverte du Canada et à la fondation de la colonie ; qu’il était le premier chef de famille, qui, avec ses enfants, depuis l’an 1600, habitait le pays ; qu’il avait vendu tous ses biens, à Paris, quitté ses parents et ses amis, pour donner commencement à une colonie et peuplade chrétienne, tels étaient les titres sur lesquels il basait son humble requête.

Le duc de Ventadour s’empressa de ratifier la première concession. Il accorda à Louis Hébert tout le terrain qu’il avait défriché, avec le droit d’en jouir en fief noble ainsi que ses descendants. Pensant que par cette concession les services de Louis Hébert n’étaient pas assez rémunérés, le ministre en ajouta une autre située sur les bords de la Rivière Saint-Charles. Elle comprenait une lieue de terre de front sur quatre lieues de profondeur. Ce fut le fief Lespinay qui resta dans la famille Couillard jusqu’à la quatrième génération.

Le titre de concession accordait à Louis Hébert la jouissance de ce domaine en fief noble, aux mêmes conditions de la première donation.

Il semble que la Providence aurait dû accorder à notre pionnier une longue vieillesse qui lui eût permis de jouir en paix des fruits de ses travaux. Il y avait dix ans qu’il était dans la colonie, il commençait à vivre plus à l’aise, ses champs fournissaient abondamment pour l’entretien de sa famille, et il était sur le point d’oublier ses fatigues, quand Dieu l’appela à lui. Les mérites de notre colon étaient assez grands pour lui valoir la récompense éternelle ; ou, en le retirant de ce monde, Dieu voulut lui épargner la vue des épreuves qui allaient bientôt fondre sur la Nouvelle-France.

Louis Hébert eut-il un pressentiment de sa mort prochaine ? Un jour qu’il était allé visiter les Pères Récollets, il exprima au supérieur le désir d’être enterré au pied de la grande croix de leur cimetière. Il avait choisi d’avance le lieu de sa sépulture.

Peu de temps après, vers la fin de janvier de l’année 1627, il fit une chute sur la glace et se blessa si grièvement que bientôt il n’y eut plus d’espoir de le ramener à la vie. La nouvelle de l’accident jeta l’émoi dans la colonie. Les sauvages accoururent auprès de celui qu’ils aimaient à appeler leur ami. Louis Hébert eut encore la force de leur adresser des paroles pleines de charité. Les Français eux-mêmes furent consternés ; il leur avait rendu à tous de si grands services. Il était si bon, si empressé envers eux ! Mme Hébert ne pouvait croire à l’étendue du malheur qui allait la frapper. Perdre son mari d’une manière si soudaine, et être si loin des siens ! Quoi ! elle resterait seule sur cette terre, privée de celui qu’elle aimait de toute son âme ! Elle avait consenti à le suivre en la Nouvelle-France pour travailler à ses côtés et le soutenir dans sa noble entreprise ! L’œuvre était à peine ébauchée et Dieu appelait à lui celui qui contribuait le plus après M. de Champlain dans cette fondation !

Une pensée pourtant jeta un peu de consolation dans son âme ; et comme elle admirait les vues de la Providence ! Hébert avait un excellent collaborateur en Guillaume Couillard, son gendre, qui promettait de rester près d’elle pour la consoler et veiller sur elle…

Louis Hébert supporta sa maladie en véritable chrétien. Les Récollets le visitèrent. Son confesseur, le Père Joseph Le Caron, lui apporta le Saint-Viatique et lui administra l’Extrême-Onction. Ces devoirs accomplis, il fit venir sa femme et ses enfants près de lui et il partagea en parts égales tous les biens qu’il avait plu à la Providence de lui donner. Il voulut encore que les fiefs du Sault-au-Matelot et Lespinay fussent divisés en deux parts égales entre son fils Guillaume et Marie-Guillemette, sa fille. Il attendit ensuite la mort avec calme. Sur le soir de cette journée fatale, en présence de tous les Français et de plusieurs sauvages, il dicta à sa femme et à ses enfants des recommandations qui arrachèrent des larmes à tous les auditeurs. Le pieux Frère Sagard les recueillit sur les lèvres du patriarche mourant. Les voici dans leur intégrité ; elles nous font voir les sentiments chrétiens qui animaient ce pionnier-apôtre.


« La mort du sieur Hébert fut une affliction pour tous, non seulement pour les Français mais encore pour les sauvages, car ils perdaient en lui un vrai père nourricier, un bon ami, et un homme aussi zélé pour leur conversion, comme il l’a toujours témoigné par ses actions jusqu’à sa mort, laquelle comme sa vie avait pieusement correspondu à celle d’un vrai chrétien sans fard ni artifice. Je ne peux être blâmé de dire le bien là où il est, et de déclarer la vertu de ce bon homme, pour servir d’exemple à ceux qui viendront après lui, puisqu’elle a éclaté devant tous, et a été en bonne odeur à tous. Si je n’en dis pas autant des vivants, c’est que personne ne peut être appelé saint qu’après le trépas, parce que l’on peut, jusqu’à la dernière heure, toujours déchoir de sa perfection, ou sortir du vice pour la vertu. Dieu voulant retirer ce saint personnage, et le récompenser des travaux qu’il avait soufferts pour Jésus-Christ, lui envoya une maladie dont il mourut. Mais, avant de mourir il reçut avec une piété touchante les sacrements de la sainte Église, du Père Joseph Le Caron, et disposa de ses affaires au grand contentement de tous les siens. Après quoi il fit approcher de son lit sa femme et ses enfants, auxquels il fit une courte exhortation sur la vanité de cette vie, sur les trésors du ciel, et sur le mérite que l’on acquiert devant Dieu, en travaillant pour le salut du prochain. Je meurs content, leur disait-il, puisqu’il a plu à Notre-Seigneur de me faire la grâce de voir mourir avant moi des sauvages convertis. J’ai passé les mers pour les venir secourir, plutôt que pour aucun intérêt particulier, et je mourrais volontiers pour leur conversion si tel était le bon plaisir de Dieu. Je vous supplie de les aimer comme je les ai aimés, et de les assister selon votre pouvoir. Dieu vous en saura gré et vous en récompensera en Paradis. Ce sont des créatures raisonnables comme nous, et elles peuvent aimer un même Dieu que nous, si elles en avaient la connaissance, à laquelle je vous supplie de les aider par vos exemples et vos prières. Je vous exhorte aussi à la paix, et à l’amour maternel et filial, que vous vous devez respectueusement les uns les autres, car en cela vous accomplirez la loi de Dieu, fondée sur la charité. Cette vie est de courte durée, et celle à venir est pour l’éternité ; je suis près d’aller devant mon Dieu, qui est mon juge, auquel je dois rendre compte de toute ma vie passée, priez-le pour moi, afin que je puisse trouver grâce devant sa face, et que je sois un jour du nombre de ses élus. »

« Puis, continue Sagard, levant la main, il leur donna à tous sa bénédiction, et rendit son âme entre les bras de son Créateur, le 25 janvier 1627, jour de la Conversion de saint Paul ».

Les funérailles de Louis Hébert furent très solennelles. Toute la population de Québec se fit un devoir d’y assister. Cette mort fut considérée comme un deuil public.

Louis Hébert fut inhumé dans le cimetière des Récollets, au pied de la grande croix, à l’endroit qu’il avait choisi lui-même peu de jours auparavant.

En 1670, un éboulis se produisit en ce lieu. Le cercueil, fait de bois de cèdre, et contenant les ossements du premier colon, fut exhumé, et transporté dans la chapelle des Récollets, par les soins du Père Valentin Le Roux, alors supérieur.

Cette translation fut encore marquée par une grande démonstration publique ; ce qui montre combien, à cette époque, un demi-siècle plus tard, le souvenir de cet homme de bien avait été conservé par les habitants de Québec. « Le corps de celui qui fut la tige des premiers habitants, écrit le Frère Sagard, est le premier dont les ossements reposent dans cette cave avec ceux du Frère Pacifique Duplessis. Mme Couillard, fille de Louis Hébert, voulut assister à cette translation et s’y fit transporter. »

Le Père Le Clerq appelle Louis Hébert : « l’Abraham de la colonie, le Père des vivants et des croyants, puisque sa postérité a été si nombreuse, qu’elle a produit quantité d’officiers de robe et d’épée, des marchands habiles pour le négoce, de très dignes ecclésiastiques, enfin un grand nombre de bons chrétiens dont plusieurs eurent à souffrir ou furent tués par les sauvages pour les intérêts de la colonie. »

« La mort de Louis Hébert, écrit à son tour M. l’abbé Ferland, fut une grande perte pour la colonie, car ce fut lui qui, après Champlain, avait pris la grande part à l’établissement de Québec et à l’avancement de la Nouvelle-France. »

« Parmi les promeneurs qui circulent à travers le parc Victoria aux accords harmonieux des concerts en plein air, durant nos belles soirées d’été, écrit M. Chapais, bien peu se doutent qu’ils foulent un sol historique et que la mémoire de Louis Hébert, le pionnier de la Nouvelle-France, de Jean Talon, le grand Intendant, et de Mgr de Saint Vallier, l’illustre évêque, plane au-dessus de ces allées et de ces parterres. »