Louÿs — Littérature, Livres anciens, Inscriptions et belles lettres/Livres anciens 4.
LE POÈTE ANTOINE DU SAIX
Il naquit vers 1505 et mourut très tard, sous Henri III. Quelles que soient les dates de son existence qui est assez mal connue, Antoine du Saix demeure pour nous un poète du moyen âge, le dernier, sans doute, et non le moindre.
Sa ville natale était Bourg. C’est là qu’il vécut sa longue vie, portant l’habit des frères de Saint-Antoine, dans une atmosphère provinciale et calme où l’âme du XVe siècle survivait encore.
Il eut pour maîtres en l’art des vers ces vieux poètes dont les noms sont presque tous perdus et dont le Jardin de Plaisance nous présente les œuvres comme une Fleur de rhétorique. Il fut de ceux qui prirent pour bréviaire « en l’honneur, gloire et exaltation de tous amateurs de lettres » le docte livre écrit par « maistre Pierre Fabri, en son vivant curé de Meray et natif de Rouen : » le Grant et vray art de pleine Rhétorique « imprimé en 1521 avant Pasques » c’est-à-dire en 1522. Du Saix avait dix-sept ans. Ce fut la son Gradus français.
On a été sévère pour ces rhétoriciens ; On les a traités brutalement, comme La Harpe traitait les « gothiques ». Leur école eut pour historien un de ces juges dogmatiques et péremptoires, enclins à dénoncer partout la marque du pédantisme, et dont on se demande pourquoi ils s’attaquent d’abord à la poésie, qui risque si peu de troubler leurs songes.
Entre le Jardin de Plaisance et le parnasse de 1520 il n’y a pas tant de différences ; il y a même, pour certains, quelque identité.
Le jeune homme dont Vérard imprima, l’an 1500, ce premier vers de rondeau[1] :
a trouvé l’un des plus beaux « cris » que l’amour ait fait entendre. Et jusqu’ici, nous ne savons pas son nom. Mais c’est peut-être l’un de ceux qui « moururent après 1500 » et que l’on condamne en bloc sans autre forme de critique.
Antoine du Saix fut donc élevé à cette école, selon les principes d’une poésie concise et achevée qui haïssait le développement et ne croyait pas que la perfection fût humainement réalisable en dehors des petits sujets.
Il s’en écarta tout d’abord, en écrivant au courant de la plume son Esperon de Discipline ; mais il revint à la règle avec son meilleur ouvrage, et comme la modestie lui était venue en même temps que l’expérience, il prit simplement pour titre : Petitz fatras d’ung apprentis[2].
Ce livret de 40 feuillets in-4o magnifiquement imprimé par Simon de Colines avec un encadrement de Geoffroy Tory est daté de 1537 et fut achevé l’année précédente, comme l’indique à la dernière page une inscription qui se termine ainsi :
… Scribebat frater Antonius Saxanus Burgensis, pernipeta Antonianus. 19 Maij 1536.
C’est un recueil de petites pièces tour à tour pieuses, morales ou doucement satiriques. Selon l’usage du temps, beaucoup sont données et plus que dédiées, offertes en étrennes à divers personnages comme des pensées ou des prières qu’ils auraient conçues intimement et que l’auteur n’aurait fait que traduire.
Devant un si frêle et délicat ouvrage, je ne comprends guère que l’on s’acharne à chercher les pièces médiocres. Notre rôle, au contraire, et notre récompense est de trouver les meilleures pages et de les faire lire autour de nous, s’il en est qui soient peu connues.
Il nous suffira eut-être d’en souligner une pour que certains lecteurs rendent à Antoine du Saix la place qui lui était due.
DIZAIN DE SŒUR MARIE DE LUCINGE
Comme en la fleur descendt doulce rosee,
Dont fruict procede et vient en sa saison.
Comme au miroir entre face opposee,
Et doulcement comme pluye en toison.
Comme une voix penetre en la maison
Sans ouverture, et au cueur la pensee,
Soleil en vitre, et par ce n’est percee,
Ainsi Iesus pour prendre humanité
Vint en Marie…
A-t-on rien écrit de plus charmant sur l’Incarnation ? et n’est-il pas vrai que l’âme du moyen âge est là tout entière, presque mêlée à la nôtre.
Telle de ces images
Et doulcement comme pluye en toison
semble venir à nous du fond du XIIe siècle. Tel vers si simple et pourtant si habilement césuré
Comme une voix penetre en la maison
fait déjà pressentir Verlaine ; et à chaque vers, nous voyons croître la nouvelle métaphore à travers la limpidité de la plus pure poésie française.